L’instruction primaire en Bretagne avant 1789

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L’INSTRUCTION PRIMAIRE EN BRETAGNE
AVANT 1789.


Au milieu des découvertes nombreuses qui ont été faites depuis le commencement de ce siècle dans toutes les branches de notre histoire nationale, il est un point qui reste encore obscur ; tandis que l’enseignement supérieur et l’enseignement secondaire ont leur histoire et leurs traditions, l’enseignement primaire paraît ne dater que d’hier et n’avoir aucune racine dans les siècles passés.

Dans ces dernières années pourtant quelques recherches ont eu lieu sur l’instruction populaire avant 1789, et l’attention générale semble un peu éveillée sur ce point.

M. le Ministre de l’Instruction publique, par sa circulaire du 4 mai 1878, avait lui-même pris l’initiative d’une vaste enquête, en chargeant les Inspecteurs primaires de recueillir, pour leurs circonscriptions respectives, les documents antérieurs à 1789, concernant les petites écoles ou écoles de charité. Je ne sais pas ce que ces recherches ont produit, mais il est certain que c’était à un excellent moyen de découvrir un grand nombre de pièces très-curieuses qui sont restées jusqu’ici complétement oubliées. Seulement, pour mener à bonne fin un tel travail, il aurait fallu pouvoir disposer de beaucoup de temps, et les occupations des Inspecteurs sont déjà très-nombreuses.

L’idée de M. le Ministre n’a pas été abandonnée. Depuis 1873, des hommes éminents se sont mis pour leur propre compte à la recherche des documents qui peuvent faire connaître la manière dont l’instruction primaire était donnée autrefois. Ce sera là une œuvre de patience, car il faudra compulser les volumineuses archives des anciennes Fabriques et des Communautés de villes, archives disséminées aujourd’hui un peu partout. Ce n’est que par exception que l’on trouve quelques renseignements imprimés. Les livres les plus intéressants, à ce point de vue, me paraissent être les recueils des statuts synodaux des anciens diocèses. Malheureusement ces livres sont devenus maintenant assez rares pour la plupart, du moins les éditions remontant un peu loin. — au commencement du xviie siècle, par exemple.

À ce point de vue. M. l’abbé Piéderrière, curé-doyen de la Trinité-Porhoët, vient de combler une importante lacune en réunissant dans une petite brochure, la partie des ordonnances synodales relative aux petites écoles, — pour tous les anciens diocèses de Bretagne, sauf celui de Nantes. Il serait vivement à désirer qu’un travail semblable fût fait pour chaque province de la France : ce serait là autant de pages très-intéressantes de l’histoire de notre instruction populaire. Le petit ouvrage de M. l’abbé Piéderrière nous fait remonter par quelques notes jusqu’en 1350, et nous conduit jusque dans la dernière moitié du xviiie siècle.

Pendant cette période, l’instruction primaire était presque entièrement aux mains du clergé et des religieux et religieuses des Tiers Ordres : mais les évêques s’intéressaient vivement aux écoles et les mandements épiscopaux s’étendaient longuement sur leur utilité. Pour donner plus d’autorité à leurs instructions personnelles, les évêques avaient soin de les appuver de citations souvent très-curieuses des ordonnances de leurs prédécesseurs, et des décisions des conciles. C’est ainsi que grâce au Recueil des statuts synodaux du diocèse de Naint-Malo, imprimé par ordre de Mgr le Gouverneur, en 1618. on retrouve un extrait des statuts publiés en 1350, par Mgr Benoît, qui prescrit aux curés d’enseigner aux enfants de leurs paroisses respectives, leurs prières et leur catéchisme ; et, s’ils ne savaient pas les instruire, de les envoyer aux écoles : « Item, quod omnes parochiani doceant pueros suos Pater noster, etc… et nisi sciant eos docere, ad scholas mittant ». D’après cela, il y a lieu de supposer que des écoles devaient déjà exister en assez grand nombre, autrement cette recommandation n’aurait eu aucune raison d’être faite.

En 1434, Mgr Amauri de la Motte, aussi évêque de Saint-Malo, recommande de nouveau la création des écoles et invoque en leur faveur les décisions du concile de Latran, de 1178, ainsi conçues : « Afin de pourvoir à l’instruction des pauvres, il v aura dans chaque église cathédrale un maître à qui on assignera un bénéfice… et dont l’école sera ouverte à tous ceux qui voudront s’instruire gratuitement. On fera de même dans les autres églises et dans les monastères où il y a eu autrefois des fonds destinés à cet effet. On n’exigera rien pour la permission d’enseigner… et on ne la refusera pas à celui qui en sera capable… Ceux qui sont instruits et peuvent tenir les écoles doivent apprendre à leurs élèves non-seulement ce qui concerne la grammaire et la logique, mais encore et surtout les bonnes mœurs ».

Les conciles de Chartres, en 1326 : d’Évreux, en 1576 ; de Lyon, en 1579 ; de Tours, en 1583, et bien d’autres, font tous un devoir aux évêques de s’occuper de la création des écoles. Celui de Tours notamment demande :

« Que les évêques s’occupent de créer des écoles partout où elles sont nécessaires et donnent tous leurs soins à celles qui existent ; — qu’ils mettent à leur tête des maîtres non-seulement instruits, mais Catholiques et de bonnes mœurs, et qu’avant de les nommer ils exigent d’eux une profession de foi. — Les évêques doivent exhorter les recteurs des paroisses à faire tous leurs efforts pour obtenir de leurs paroissiens des sacrifices proportionnés à leurs moyens, pour payer celui qui se dévoue à l’instruction de la jeunesse. » — Episcopi scholas, ad eos ad quos spectat, instaurari et quœ ad illos pertinent, sollicite requiri procurent ; hisque prœceptores non tantum litteratos, sed etiam catholicos et morum conversatione graves, prius tamen professione fidei per eos emissâ, prœficiant… Parcœciarum Rectores sedulo adhortentur ut, quantum in eis erit, parœcianis suis suadeant, pro facultate cujusque, ad stipendia ejus qui juventutem in corum parochia instituet, conferre……

Mgr le Gouverneur, après avoir reproduit ces notes justificatives, formule lui-même ses instructions, ainsi conçues :

« Article 11. — Escoles.

» Afin que les enfants et jeunes gens de notre diocèse se mettent à estudier et apprendre les bonnes lettres avec piété et l’obéissance envers Dieu et les parents, pour donner en leur temps les fruits dignes de leur bonne éducation, et ne croupir en ignorance, les recteurs et curés remontreront à leurs paroissiens que, s’il n’y a point d’escole, la jeunesse, nourrie en oysiveté, apprend l’art de mal faire, d’elle-même poussée du bransle de sa propre corruption ; — voire se perd, ignorant les choses nécessaires à salut : et les exhorteront de contribuer à establir, ériger, dresser et entretenir des escoles ouvertes à tous pauvres et riches, par toutes les paroisses ; même y fonder et bastir quelque maison, en lieu convenable et voisin de l’église, si déjà il n’y en a, pour y faire leçons et loger les régents et maistres d’escoles, approuvez par nous et constituez de notre authorité, après être recognus catholiques, et de prud’hommie et de capacité requise à instruire la jeunesse, tant en foi et doctrine chrétienne, qu’aux honnestes disciplines et vertueuses mœurs ; — lesquels aussi facent et expliquent le catéchisme trois fois la sepmaine ; et soient soigneux d’enseigner et contraindre leurs escoliers à bien vivre et à bien faire, à prier Dieu tous les matins et tous les soirs, invoquer la vierge Marie et les Saincts, ouïr la messe tous les jours et y servir dévotement, estre humble, se confesser et faire leur bon jour tous les mois…

» Au surplus, les mesmes maistreset maistresses d’escoles seront tenus et obligez de faire, suyvant le concile, profession-de foi par chacun an, le premier jour du mois de janvier, entre les mains du recteur ou curé de la parôisse où ils régenteront, — outre la profession qu’ils feront premièrement devant nous. — Et d’autant que vacquer à l’instruction de la jeunesse et communiquer la science apprise est chose louable et acte d’humilité et de charité, chaque recteur ou curé présentera les plus sçavants et capables prestres et clercs de sa paroisse à nos visites (sans préjudice de ceux qui auraient droict d’y nommer), pour en choisir examiner et approuver un digne d’estre establi principal en cette charge. Et, pour oster les dissensions et divisions qui pourraient sourdre de telle question, nous ordonnons qu’il n’y aura qu’une seule escole en chaque paroisse et défendons sur peine d’excommunication ipso facto incurrendæ, à tous clercs et aultres, de s’entremettre à tenir escole particulière sans la permission et le consentement de celuy que nous aurons approuvé, commis et institué pour y tenir l’escole publique, ou sans en avoir obtenu de nous spéciale licence par escrit ; sauf qu’il est toujours loisible aux seigneurs d’avoir etentretenir, en leurs maisons, un précepteur particulier, pour eslever et former leurs enfants aux sciences, à la vraie religion, et les acheminer à la vie éternelle. — Mais tous en général se doivent garder d’exposer ou proposer à lire aux enfants aucuns livres hérétiques, magiciens, bouffonnesques, ou autrement prohibez, d’autant que ceux qui lisent, tiennent, soutiennent ou gardent chez eux quelque livre de telle qualité tombent en l’excommunication de la bulle In coenâ Domini.

» Enfin, pour obvier au péché d’irrévérence, nous prohibons et défendons à toutes personnes de tenir escoles dans les églises consacrées, sur peine d’excommunication et de dix livres d’amende, applicables, par moitié, à la fabrique et au bastiment des Ursulines de nostre ville de Saint-Malo, — sinon que ce fût pour catéchiser, et s’y arrester en toute crainte et respect ».

Par ce qui précède, on voit que les recteurs ou curés devaient insister auprès de leurs paroissiens pour que des écoles fussent établies partout où elles seraient nécessaires. Les instructions de l’évêque ne font pas connaitre les moyens coercitifs que l’on pouvait employer pour atteindre ce résultat ; mais il y a lieu de croire que, à cette époque et dans cette province où le clergé exerçait une très-grande influence, les recommandations faites ainsi du haut de la chaire devaient être considérées comme des ordres formels par ceux qui les recevaient. Dès lors, il est permis de supposer que les écoles devinrent nombreuses dès le xviie siècle.

D’ailleurs les paroisses, qui étaient presque toujours très-étendues, avaient beaucoup de chapelles, et généralement chaque chapelle avait un prêtre, quelquefois même plusieurs. Ces prêtres, assez peu occupés par leur ministère, devenaient naturellement les instituteurs de leurs voisins, surtout pendant les longues soirées de l’hiver. C’étaient là des écoles très-irrégulières, il est vrai, mais il est incontestable cependant qu’elles devaient rendre quelques services.

Les instructions que nous venons de citer de Mgr le Gouverneur, ne sont pas les seules que l’on possède pour le diocèse de Saint-Malo. Dans les années 1707, 1708, 1711 et 1712, Mgr Desmaïets renouvela les ordonnances de ses prédécesseurs et décréta même quelques priviléges en faveur des ecclésiastiques ayant un certain nombre d’élèves.

« Nous exhortons, dit-il, les recteurs à establir dans leurs paroisses de petites escoles. Les ecclésiastiques qui auront vingt escoliers ou plus, lors de la confection des rolles de la subvention, seront considérés, et on leur diminuera la moitié de l’imposition ordinaire, en rapportant un certificat ou attestation des récteurs, qui fasse conster du nombre de leurs escoliers ».

En 1722, Mer Desmarets s’occupe de nouveau des petites écoles. Voici les dispositions de son mandement :

« À ces causes, conformément au concile de notre province tenu à Tours en 1583, et à la disposition de l’édit de Sa Majesté du mois d’avril 1695[1], nous ordonnons :

» 1° Que ceux et celles qui tiennent des petites écoles dans les villes de notre diocèse obtiendront permission par écrit de nous ou de nos grands vicaires ; et qu’à l’égard des paroisses de la campagne, les maîtres et maîtresses l’obtiendront des recteurs, lesquelles permissions seront renouvelées tous les ans.

» 2° Comme l’impiété et le libertinage s’insinuent très-ordinairement dans le cœur des jeunes gens par les écrits et par les livres, nous défendons à tous maîtres et maîtresses d’école de laisser entre les mains des enfants d’autres livres que ceux qui sont dûment approuvés, comme aussi de leur laisser lire ou copier aucunes lettres, poésies ou compositions qui puissent altérer leur foi ou corrompre leur innocence.

» 3° Nous faisons très-expresses défenses et inhibitions, sous peine d’excommunication, à tous maîtres d’école dans l’étendue de notre diocèse, d’admettre aucune fille dans leur école ; comme aussi nous défendons sous les mêmes peines aux maîtresses d’école de recevoir aucun garçon dans les leurs ; et où cet abus se serait introduit, nous enjoignons, sous les mêmes peines, auxdits maîtres et maîtresses d’école de renvoyer lesdits garçons et lesdites filles, huit jours après qu’ils auront connaissance de notre présent mandement ; et où les maris enseigneront les garçons, et leurs femmes les filles, leur ordonnons de les enseigner en des maisons différentes, de manière.que les enfants des deux sexes ne se trouvent point ensemble à l’entrée ou à la sortie de l’école ».

Comme on le voit par ce troisième paragraphe, les écoles mixtes étaient condamnées de la manière la plus absolue, puisque l’évêque n’hésitait pas à frapper d’excommunication, c’est-à-dire de la peine canonique la plus sévère, ceux ou celles qui oseraient enfreindre ses ordres. Sous ce rapport, la législation moderne n’est pas allée aussi loin : car la loi du 10 avril 1867 admet encore les écoles mixtes dans les communes avant une population de moins de cinq cents habitants.

Enfin, un quatrième paragraphe des instructions de l’évêque de Saint-Malo nous montre d’une manière incontestable qu’il existait des salles d’asile dès eette époque, et qu’un établissement de ce genre était ouvert à Saint-Malo.

« 4° Attendu néanmoins l’usage particulier de la ville de Saint-Malo, qui est que les maîtresses d’école vont prendre les petits garçons dès l’âge de quatre ou cinq ans, chez leurs parents, pour les conduire chez elles, ce à quoi les maîtres d’école ne peuvent s’assujettir, n’entendons comprendre dans l’article ci-dessus les maîtresses d’école de la ville de Saint-Malo qui n’admettent à leurs écoles que des enfants de ce bas âge ». — (Signé : F. D. évèq.)

Ces maîtresses qui n’admettent dans leurs écoles « que des enfants de ce bas âge » sont bien, il me semble, de véritables directrices de salles d’asile, avec cette différence pourtant que ce sont les parents qui doivent aujourd’hui conduire leurs enfants en classe. Mais comme il est probable que les maîtresses recevaient une rétribution proportionnée aux services qu’elles rendaient, leur complaisance n’a rien qui doive nous surprendre.

Dans le synode de 1749, Mgr de La Bastie rappela les instructions de Mgr Desmarets, en ajoutant toutefois une nouvelle observation.

« Nous ordonnons, dit-il, aux maîtres et maîtresses de ne pas se contenter d’apprendre à lire et à écrire,…… mais aussi d’avoir soin de bien apprendre le catéchisme et de se servir de celui du diocèse ».

Ce sont là les principaux passages des instructions concernant les écoles, adressées par les évêques de Saint-Malo au clergé de leur diocèse. Nous avons tenu à les citer longuement : car elles nous ont paru assez complètes, plus complètes au moins que celles que nous possédons sur les autres diocèses de la Bretagne. Celles-ci ne sont que la reproduction ou la paraphrase des premières. Je ne vois dans les ordonnances de Vannes qu’un seul passage méritant d’être relevé.

En 1693, Mgr d’Argouges s’exprime ainsi : « Les recteurs feront connaître dans leur prône, aux pères et mères, l’obligation qu’ils ont d’envoyer leurs enfants aux petites écoles, pour les élever chrétiennement et leur apprendre à bien vivre. »

Certes, c’était là une obligation toute morale, mais il est à présumer qu’elle dut produire de bons effets.

De ce qui précède, il résulte que dès le xive siècle, les évêques bretons encouragèrent la création d’écoles dans toutes les paroisses de leurs diocèses, et proclamèrent même, en quelque sorte, l’obligation de l’instruction primaire.

Il est difficile aujourd’hui de savoir si ces prescriptions furent partout observées, car il reste bien peu de documents donnant des renseignements précis sur ce point, et encore faut-il feuilleter longtemps les registres poudreux des fabriques avant de les découvrir. Dans tous les cas, il est permis de croire que, en dehors des prières et du catéchisme, toute l’instruction se réduisit aux éléments de la lecture et de l’écriture, — parfois peut-être aussi à quelques rares notions de calcul. C’eût été déjà là, d’ailleurs, un immense résultat, car aujourd’hui même un assez grand nombre d’enfants quittent nos écoles rurales en n’emportant que ce léger bagage.

Mais à la fin du xvie siècle et au commencement du xviie, des écoles régulières furent créées dans les localités un peu importantes, et les maîtres eurent un traitement fixe, payé sur les ressources de la Communauté ; traitement en retour duquel ils devaient instruire gratuitement tous les enfants pauvres qui se présentaient.

Dès lors, l’instruction se répand assez sérieusement, même dans les campagnes. On en retrouve une preuve incontestable dans les vieux registres qui ont été conservés et qui sont souvent plus lisibles et mieux orthographiés que ceux de nos conseils municipaux actuels.

C’est dans ces registres que l’on trouvera les matériaux de l’histoire de l’instruction primaire ; mais, pour résumer les délibérations des anciennes communautés, il faudra de longues recherches.

Personne mieux que les instituteurs n’est à même d’entreprendre ce travail ; nous ne saurions donc trop les engager à se mettre à l’œuvre et à compulser attentivement ces vieilles archives dont la garde leur est souvent confiée, en qualité de secrétaires de mairie. Ils ne tarderont pas à se trouver largement dédommagés de leur peine par l’intérêt que leur offriront les documents curieux qu’ils pourront découvrir.

A. Richard,
Inspecteur de l’enseignement primaire, à Pontivy.

  1. Voici un extrait de cet édit : « La nomination des maîtres et maîtresses d’école des fondations particulières de charité appartient aux fondateurs et à leurs héritiers ou à ceux auxquels elle a été déférée par l’acte de fondation. En tous cas ces nominations doivent être approuvées par les curés des paroisses, et les maîtres et maîtresses sont soumis à l’inspection des évêques et des archidiacres qui, dans le cours de leurs visites, ont le droit de les interroger, même de les destituer dans tous les temps, s’ils ne sont pas satisfaits dé leur doctrine où de leurs mœurs. »