La méthode graphique/Supplément/Applications de la photographie

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Applications de la photographie à l’étude des mouvements complexes.

Pendant longtemps la photographie n’a été employée que pour reproduire la forme d’objets immobiles ; on posait assez longtemps devant l’objectif et le moindre mouvement suffisait pour altérer l’image, au point de rendre un portrait méconnaissable.

Cependant, malgré son imperfection, la photographie pouvait déjà servir à préciser la nature de quelques mouvements : en 1865 MM. Onimus et A. Martin ont photographié de cette manière le cœur d’animaux vivants[1] ; la figure 1 montre un cœur de tortue dans ses deux positions extrêmes de réplétion et de vacuité, c’est-à-dire à la fin de ses périodes de systole et de diastole. Un double contour signale les formes du cœur à ces deux instants extrêmes où il existe une immobilité passagère, tandis que, dans les temps intermédiaires, la forme du cœur est trop variable pour donner son image. La figure 2 représente un cœur de lapin avec ses deux formes extrêmes.

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Fig. 1. Cœur de tortue
photographié dans ses positions extrêmes
de systole et de diastole.
0000 Fig. 2. Cœur de lapin
photographié dans ses positions extrêmes
de systole et de diastole.

L’emploi du collodion humide, en augmentant la rapidité de la formation des images, ouvrit à la photographie un nouveau champ d’applications. Les physiciens et les astronomes y recoururent pour résoudre certains problèmes pour lesquels l’observation directe était insuffisante. En employant une lumière très intense et en la concentrant dans des images de petites dimensions, on réussit à photographier des corps animés de mouvements rapides, par exemple un diapason vibrant muni d’une petite paillette brillante. Dans ces expériences, la plaque sensible était animée d’un mouvement de translation uniforme et l’image lumineuse oscillait perpendiculairement à la direction de ce mouvement[2].

Tout autre est la méthode imaginée par M. Janssen pour représenter certains phénomènes astronomiques. Il s’agissait de déterminer les positions successives de la planète Vénus à différents instants de son passage au-devant du soleil. M. Janssen, créa pour cet usage son revolver astronomique dans lequel une plaque sensible, de forme circulaire, animée à certains intervalles de temps, d’un déplacement angulaire de quelques degrés recevait, à chaque fois, une image sur un point différent de sa surface. La figure 3 montre une série de photographies représentant les positions successives de la planète Vénus au-devant du soleil, à des intervalles de 70 secondes environ.

Fig. 3. Fac-similé positif d’une plaque photographique obtenue avec le revolver astronomique, pour le passage de la planète Vénus sur le soleil, le 8 décembre 1874. (Dessin de M. Janssen.)

Les images ont été prises à des intervalles de temps d’environ 70 secondes. Le disque de Vénus se détache en noir sur un triangle brillant formé par une partie de celui du soleil. Le disque de Vénus, qui, dans la première image, déborde le limbe solaire, est en contact intérieur avec lui à la troisième.

Le même savant a proposé d’appliquer cette méthode des images successives à l’étude de la locomotion animale[3]. Il appartenait à M. Muybridge de San-Francisco de réaliser, par une méthode analogue, l’analyse de la locomotion du cheval, de l’homme et de certains animaux.

M. Stanford, ancien gouverneur de la Californie, pensa que la photographie

Fig.4. Champ d’expériences établi par M. Muybridge. À gauche, l’écran incliné qui réfléchit la lumière solaire et devant lequel passe le cheval ; à droite, la série des appareils photographiques. — D’autres appareils montés sur des tréteaux servent à obtenir des images simultanées du cheval vu sous différents angles.


pourrait saisir les attitudes du cheval dans ses diverses allures et entreprit de faire faire des expériences sur ce sujet ; il eut la bonne fortune de confier ce travail à M. Muybridge qui obtint, dans la photographie des allures, le succès le plus complet.

La description des expériences a été donnée dans un ouvrage[4] publié sous les auspices de M. Stanford par le docteur Willmann.

Le champ d’expérience est formé (fig. 4) d’une route passant au-devant d’un écran blanc incliné et orienté de manière à réfléchir la lumière solaire dans la direction des appareils photographiques. Sur l’écran, sont tracées des divisions équidistantes qui se reproduisent dans les images et servent à mesurer les distances parcourues par le cheval. Une série d’appareils photographiques sont braqués, en face de la piste, sur les différents points de sa longueur. Des fils électriques, tendus en travers de la piste, se rendent à des électro-aimants dont chacun actionne l’obturateur d’un des appareils photographiques. Le cheval, en passant sur la piste, rompt successivement ces fils et provoque l’ouverture successive des appareils dont chacun prend une image du cheval à l’une de ses attitudes successives. La figure 5 montre une de ces photographies instantanées du cheval ; M. Muybridge estime que le temps de pose n’était pas de plus de 1/500 de seconde pour chacune des images obtenues.

Ces admirables expériences déterminent les positions des membres et du corps à des instants successifs. Les déplacements s’apprécient au moyen des divisions tracées sur l’écran ; ainsi, dans la figure 5, première image, la tête du cheval est comprise dans l’espace qui porte le numéro 8 ; la seconde image la montre dans l’espace no 9 ; les images suivantes dans les espaces nos 10, 11, etc. Pendant ce temps, chacun des membres subit des changements d’attitude.

Dans les allures très rapides, M. Muybridge ne put obtenir que la silhouette du cheval, mais les images étaient encore assez nettes pour permettre d’apprécier les changements d’attitude des membres (fig. 6). M. Muybridge m’a gracieusement offert un curieux album où l’on trouve la représentation de différents animaux en mouvement : bœufs, chèvres, chiens, cerfs, porcs, etc. Ailleurs sont des coureurs, des sauteurs, des lutteurs, dont les silhouettes, recueillies instantanément, montrent des attitudes fort intéressantes au point de vue de la représentation artistique des mouvements de l’homme.

photographies instantanées de m. muybridge.
Fig. 5. Six images successives d’un cheval au pas. La première image est en haut et à gauche.
Vitesse du pas : 106 mètres à la minute.

L’intervalle qui sépare les divisions verticales tracées sur l’écran est de 0m,58 ; ces repères servent à déterminer la vitesse de translation du cheval et à mesurer l’étendue des mouvements de ses membres. (Figure tirée du journal la Nature.)

Et cependant l’éminent expérimentateur ne se servait, pour ses photographies, que du collodion humide ; la découverte des propriétés du gélatino-bromure d’argent permet aujourd’hui d’obtenir des résultats bien plus parfaits.

photographies instantanées de m. muybridge.
Fig.6. Douze photographies successives d’un cheval au grand galop. À la dernière image le cheval est au repos.
Vitesse du galop : 1142 mètres à la minute.
  1. Onimus, Études critiques sur les mouvements du cœur. Journ. de l’Anat. et de la Physiol., 1865.).
  2. Voir, pour les applications de la photographie à l’étude de certains mouvements, Stein, Das Licht, Leipzig, 1877.
  3. Voici comment ce savant s’exprimait en 1878 : « La propriété du revolver, de pouvoir donner automatiquement une série d’images nombreuses, et aussi rapprochées qu’on veut, d’un phénomène à variations rapides, permettra d’aborder des questions intéressantes de mécanique physiologique se rapportant à la marche, au vol, aux divers mouvements des animaux. Une série de photographies qui embrasserait un cycle entier des mouvements relatifs à une fonction déterminée fournirait de précieuses données pour en éclairer le mécanisme.

    « On comprend, par exemple, tout l’intérêt qu’il y aurait, pour la question encore obscure du vol, à obtenir une série de photographies reproduisant les divers aspects de l’aile durant cette action. La principale difficulté viendrait actuellement de l’inertie de nos substances sensibles, eu égard aux durées si courtes d’impression que ces images exigent ; mais la science lèvera certainement ces difficultés.

    « À un autre point de vue, on peut dire aussi que le revolver résout le problème inverse du phénakisticope. Le phénakisticope de M. Plateau est destiné à produire l’illusion d’un mouvement ou d’une action au moyen de la série des aspects dont ce mouvement ou cette action se compose. Le revolver photographique donne, au contraire, l’analyse d’un phénomène en reproduisant la série de ses aspects élémentaires. » (Bulletin de la Société française de photographie, no du 14 déc. 1876.)

  4. The Horse in Motion as schown by instantaneous Photography. In-4o. London, Turner and Co. 1882.