La métisse/Chapitre II

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Éditions Édouard Garand (p. 3-4).

II


Au sein du bosquet qui enveloppe la blanche maisonnette, parmi des gazouillis et des roulades tombant du feuillage, on peut percevoir des voix menues et fraîches d’enfants, des petits rires cristallins qui s’égrènent ingénument, se mêlent avec une harmonie touchante à la fraîcheur du matin, au soleil, au ciel bleu.

Une voix plus douce, plus enfantine, plus mélodieuse, partant de sous la feuillée appelle :

— Joubert !

Une autre voix, enfantine aussi, mais avec déjà une façon de se vouloir donner une importance masculine, répond :

— France, je te vois !

Un petit homme, tout joufflu, tout rose, cheveux très blonds éparpillés au vent en boucles d’or, darde sous le feuillage sombre, parmi les arbres, au travers des herbes, des yeux clairs, scrutateurs, dont les naissants sourcils essayent un premier froncement, pour découvrir la cachette d’où part la voix qui appelle : Joubert !.

Tandis qu’il épie ainsi chaque arbrisseau, chaque brin d’herbe, les scrutant, attentif, l’œil au guet, un jeune éclat de rire part d’un buisson voisin, une fillette de quatre ans, ravissante de fraîcheur et de grâce enfantine, jolie brunette rieuse qui secoue, avec un air mutin, sa petite tête et les boudins soyeux de ses cheveux châtains, apparaît tout à coup et crie avec un rire heureux :

— Joubert !… Ah ! ah ! ah !… tu ne m’as pas trouvée !

La confusion du petit bonhomme, son irritation évidente de n’avoir pas à temps découvert la cachette, ses petites lèvres rouges qui se pincent de dépit, toute l’attitude de Joubert, à cet instant, augmente la gaieté espiègle de France.

Alors, le garçonnet, la mine un peu renfrognée, l’air boudeur, dit sur un ton qui semble péremptoire :

— À moi, France, maintenant. Ferme tes yeux !

La joyeuse fillette tourne aussitôt le dos aux arbres, abaisse ses paupières sur lesquelles elle pose gentiment deux petites menottes blanches, et dit :

— Va, Joubert… je ne vois plus !!

Le gamin retrouve dès lors son visage joyeux, il esquisse un sourire, et, courbé, à pas de loup, se détournant une, deux, trois fois, pour s’assurer que la fillette ne le trichera pas par un furtif et fugace coup d’œil dans la direction qu’il prend, il gagne un petit bouquet de saules touffus et s’y dérobe. Puis, de là, il lance de sa voix claire ce nom doux :

— France !

Toujours très riante, la fillette laisse tomber ses mains, ouvre de grands yeux bruns très mobiles, et du regard fouille à son tour l’abondante et riche végétation.

À cet instant, une voix de femme — celle qui a répondu tout à l’heure à l’appel du fermier MacSon — part de la maison :

— France… Joubert… venez déjeuner, petits !

La voix résonne sous le bosquet avec un accent de maternelle tendresse. Mais comme les petits ne répondent pas tout de suite, la même voix appelle encore :

— Joubert ! France !

Alors la fillette s’écrie :

— Joubert, entends-tu ? Didine nous appelle…

— France, réplique la voix du garçonnet sortant des touffes vertes du voisinage, trouve-moi d’abord !

La petite fille éclate de rire, un rire moqueur, puis elle court au bouquet de saules, se penche, voit son petit frère et clame :

— Joubert… je t’ai trouvé !

Deux rires mutins se mêlent, et, la main dans la main, courant tous deux, les petits volent vers la maison, répétant :

— Didine, nous voilà !

— Nous voilà, Didine !

Dans la maison où ils pénètrent, essoufflés, leur frais minois ruisselant sous une légère couche de sueur, une jeune femme les reçoit dans ses bras et les embrasse tour à tour.