La main de fer/17

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Edouard Garand (73 Voir et modifier les données sur Wikidatap. 47-49).

CHAPITRE XV

RETRORSUM !


Lorsque les explorateurs reprirent la route pour rentrer en la Nouvelle-France, ils n’avaient plus pour nourriture que quelques sacs de maïs.

Ils eurent bientôt franchi la distance qui les séparait du village des Quinipisas, où une grêle de traits les accueillirent à leur descente du fleuve. Ils y arrivèrent au déclin du jour, et De la Salle envoya son fidèle et dévoué lieutenant en éclaireur. Tonty rapporta avoir vu quelques femmes seulement : les hommes, évidemment, étaient absents en maraude ou en rapine.

Au point du jour, Tonty, bien appuyé, fit irruption dans Quinipissa et enleva quatre sauvagesses. Les autres s’enfuirent dans les bois.

Ces mégères lançaient des cris affreux, que le chevalier interpréta en signaux à l’adresse des absents ; il comprit que son salut et celui de ses hommes demandait une prompte retraite. Aussi s’empressa-t-il de se réfugier sur l’autre rive, où De la Salle venait d’atterrir.

Les Français s’occupèrent sur le champ à s’entourer d’une tranchée, en cas d’attaque. Cela fait, on renvoya l’une des prisonnières avec quelques cadeaux pour faire comprendre que l’on n’avait aucun mauvais dessein, mais qu’un échange de marchandises contre des aliments serait agréable.

Les Quinipisas, qui rentraient chez eux au moment de l’irruption de Tonty en leur village, avertis par les cris de leurs femmes, se hâtèrent et apprirent la nouvelle.

La sauvagesse envoyée par De la Salle fit son rapport. Quelques guerriers traversèrent, et, après des pourparlers où les Français témoignèrent de leurs bonnes intentions par de nouveaux présents, tout le monde passa à l’autre rive, chez les Quinipisas. Les gens de Tonty s’établirent sur la berge ; on leur apporta des vivres, mais le lendemain, de bonne heure, ces canailles, brusquement se ruèrent sur les visages-pâles. Ceux-ci, qui redoutaient une agression et s’y attendaient presque, les repoussèrent vigoureusement. Vers les dix heures du matin, De la Salle donna l’ordre de briser les pirogues des sauvages, ce qui fut fait promptement ; puis, observant une tactique défensive, ses hommes se bornèrent à tirer des coups de feu, seulement lorsque un Quinipisas s’offrait comme point de mire. De la Salle aurait attaqué le village, mais il craignait d’épuiser ses munitions, et il fallait en conserver pour la longue route à refaire.

En l’après-midi, les blancs montèrent dans leurs canots et s’éloignèrent de cet endroit inhospitalier en criant : « Vive la France ! »

L’on se dirigea ensuite avec empressement sur le village des Natchez, où l’on avait laissé en descendant un dépôt de grains.

Le chef de cette tribu avait été averti de l’escarmouche du bas du fleuve, et lorsque De la Salle débarqua pour aller à ce village, il vint au-devant de lui. De la Salle lui offrit les chevelures apportées de Quinipisas. En les acceptant, le Natchez annonça que la nouvelle de sa victoire lui était déjà parvenue.

De la Salle en témoigna sa surprise, et un soupçon lui vînt que peut-être les Natchez tenteraient de se venger de la défaite de leurs congénères du bas Mississippi.

— Le Natchez bon coureur… va vite comme le cerf qui fuit, dit le chef. Nos jeunes braves ont passé à Quinipisas quand le visage-pâle faisait sortir la foudre de ses tubes de fer, qu’il porte toujours avec lui… Ils m’en ont averti aussitôt !…

Les blancs montèrent au village des Natchez armés et prêts à se défendre bravement à la moindre alerte.

Arrivés au village, les Français remarquèrent tout de suite, l’absence de la gente féminine. Ceci confirma De la Salle dans son soupçon d’une intrigue pour les attirer dans un guet-apens. Il n’eut aucun doute de leur mauvais dessein, quand tout à coup, environ quinze cents guerriers entourèrent la bande des Français. Ils poussaient des clameurs terribles ; le chef des Natchez s’empressa de dire que c’était la marque de plaisir de recevoir les blancs.

Les Français demandèrent à manger. On les servit, mais craignant une surprise, ils prirent ce repas leur mousquet à la main.

Les Natchez redoutaient les armes à feu et n’osèrent attaquer, tant que leurs hôtes ne se départissaient pas de leur réserve.

Enfin, le chef à peau-rouge pria De la Salle de s’en aller parce que ses jeunes gens n’avaient pas d’esprit.

La partie n’était pas égale : mesurer vingt-trois Français et quelques sauvages alliés contre quinze cents Natchez, était téméraire, aussi profitant de l’avis donné, l’on se retira.

La retraite eut lieu en bon ordre, et les embarcations des blancs s’éloignèrent bien vite de ces rives dangereuses.

Un meilleur accueil attendait nos explorateurs au pays des Taensas ainsi que chez les Arkansas.

Ce caractère imposant, arbitraire et dur de M. de la Salle, une fois le danger disparu, lui suscita des ennemis parmi ses engagés. En arrivant au fort Prudhomme, il tomba malade gravement. Était-ce encore l’effet d’un toxique ? Il le crut ! Les symptômes de sa maladie l’indiquaient. Pour ne pas semer le trouble dans son personnel il déclara être atteint de fièvre occasionnée par les fatigues endurées, par les privations et les veillées du voyage, et les difficultés sans nombre rencontrées et surmontées.

Il fit prendre les devants à Tonty avec cinq hommes pour aller arranger ses affaires à Michilimakinac.

À l’embouchure de la rivière Auabache, Tonty rejoignit quatre Iroquois en canot. Ils lui dirent que cent de leurs gens venaient en arrière. Ceci ne faisait point l’affaire de notre héros ; il pensait toujours aux deux bandits et aux Iroquois qu’ils dirigeaient. Il savait bien le sort cruel qu’on lui réservait, et il ne pouvait dans le cas présent avec ses cinq compagnons, que songer à éviter une rencontre qui lui serait funeste.

À vingt lieues du pays des Tamaroas, il abandonna les quatre Iroquois.

Dans le cours de la journée, il aperçut, à l’horizon, de la fumée. Croyant que c’étaient des Iroquois, il fit apprêter les armes à ses gens et poussa audacieusement en avant.

En approchant du lieu d’où s’échappait la fumée, il découvrit des pirogues cachées dans les hautes herbes, au bord de l’eau. Cela lui fit croire qu’il rencontrerait des Illinois ou des Tamaroas. Ce furent des Tamaroas.

Dès qu’ils l’aperçurent, ils sortirent du bois en grand nombre pour l’attaquer, prenant les Français pour des Iroquois. Tonty leur présenta le calumet. Ils s’adoucirent et mirent bas les armes et le conduisirent à leur village sans lui faire aucun mal.

Le teint des Français était bronzé, semblable aux peaux-rouges ; leurs habits fabriqués de peau de daim, offraient quelque similitude avec les accoutrements de ces barbares, mais leur physionomie n’avait pas ce cachet caractéristique des Indiens de l’Amérique : front fuyant et pommettes saillantes.

Pourtant les Tamaroas, les prenant toujours pour des Iroquois délibérèrent et résolurent de les brûler, mais quelques Illinois survinrent, et l’un d’eux ayant reconnu Main-de-Fer, parla en sa faveur et obtint son élargissement et celui de ses hommes.

De Tonty franchit, sans autre incident, la distance qui le séparait de Chicagou et de Michilimakinac, où il entrait à la mi-juillet. Il y prit un repos bien mérité en attendant son supérieur, qui l’y rejoignit en septembre suivant.

Là, De la Salle prit la résolution de passer en France, et il ordonna à Tonty de rassembler ses engagés dans la rivière des Miamis, pour aller construire le fort Saint-Louis, sur la rivière des Illinois. De Tonty, répondant à cet ordre se dirigea à l’endroit indiqué pour entreprendre la construction du fort.

De la Salle voulait passer en France, annoncer ses découvertes et obtenir de nouveaux privilèges. Il projetait l’établissement de postes sur le Mississippi pour y faire la traite, conjointement avec ceux de Frontenac, Michilimakinac, Miamis et Saint-Louis des Illinois.

Cependant, avant de se rendre à Québec pour s’embarquer pour la France, il alla trouver son lieutenant et l’aida à élever le fort Saint-Louis ; puis ayant nommé Tonty gouverneur de la place en décembre, il se sépara de son ami.

Ils ne devaient plus se revoir !