La moisson nouvelle/09

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Bibliothèque de l’Action française (p. 39-41).


SOIR




L’air est doux, le soir chante et la colline embaume.
Il monte de partout des odeurs de printemps ;
Dans les jardins la verte épaisseur forme un dôme
Où la lune a jeté ses dessins miroitants.

Les parfums de savane inondent les vallées,
Sous le poids des bourgeons les arbres sont plus lourds.
Le soleil meurt au flanc des côtes ondulées,
L’herbe lisse est semblable à quelque ancien velours.


Et les chuchotements, les rires, les tendresses
Flottent dans l’air. Le soir est imprégné d’amour.
Les esprits vont semant en secret les ivresses
Et des serments la nuit prépare le retour…

Les couples, deux à deux, s’en vont dans le silence :
Leurs lèvres pour parler ne s’ouvrent au’à demi :
Leur pas s’appesantit de douce nonchalance ;
Les amants d’autrefois dans leur tombe ont frémi !

O couples de jadis qui, par des soirs semblables,
Savouriez les serments dont vous étiez liés,
Ces instants éternels, ces moments adorables,
Non, vous ne pouvez pas les avoir oubliés !…


De ces soirs radieux où l’air semble de flamme,
Où les brûlantes mains tressaillent de s’unir,
De ces soirs où l’amour nous met le ciel dans l’âme,
O morts, vous n’avez pas perdu le souvenir !…

Lorsque les soirs d’été chantent dans les ramilles,
Vous reprenez, vivants, votre corps ranimé,
Et vous venez sans bruit, à travers les charmilles,
Pour revoir les lieux chers où vous avez aimé…

Et quand les gais amants par les nuits étoilées,
En silence, dans le jardin viennent s’asseoir,
Je vois passer votre ombre aux détours des allées,
Et je sais que votre âme flotte en l’air du soir !…