La moisson nouvelle/10

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Bibliothèque de l’Action française (p. 43-45).


RÊVE DU SOIR




Quand le soleil, dans un flot de pourpre et de sang,
Derrière les sommets majestueux descend,
Couvrant de son manteau la haute forêt vierge,
Et les buissons secrets d’où le parfum émerge,
Quand le soleil, dorant les ravins tortueux,
Ouvre des lacs d’azur dans les marais boueux,
Et d’un reflet où toute chose se redore,
Plus chaud que le midi, plus vivant que l’aurore,
Verse à flots la clarté du ciel sur le chemin,
Et pare de ses feux l’âpre désert humain,


À l’heure, où des côteaux, qui cessent de bruire,
Tièdes et réjouis du matinal sourire,
Disparaît le magique essaim des papillons,
Dont le vol semble fait de rêve et de rayons :
A l’heure où loin de nous s’enfuient les demoiselles,
À cette heure si tu crois posséder des ailes,
Pour franchir la lointaine rive et le vallon,
Et la blonde colline où souffle l’aquilon,
Si ta pensée ardente et ton âme légère
S’envolent au delà de la ville étrangère
Pour retrouver cet être entre tous préféré,
Celui dont chaque jour ton cœur est altéré ;
Si sans craindre la mort et sans peur des désastres,
Le soir, après avoir recontemplé les astres,
Après avoir, caché dans l’antre des roseaux,
Écouté longuement la chanson des oiseaux,
Tu voudrais dans l’amour dont ton âme s’inonde,
Endormir contre toi sa chère tête blonde,


Et, le gardant de tout mal et de tout affront,
Tu voudrais de ta douce main, calmer son front ;
Si le soir, à cette heure où l’âme est asservie,
Sous son rêve, tu sens que sa vie est ta vie ;
Referme ta fenêtre et regagne ton toit,
Rentre en toi-même : tu portes le ciel en toi !…