La moisson nouvelle/11

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Bibliothèque de l’Action française (p. 47-50).


FANTAISIE SUR L’ÉTÉ




Ecoutez le pinson chanter au fond du bois,
Et le ruisseau courir sous les feuilles légères ;
Voyez le vent jouer au milieu des fougères,
Et former dans la nuit son chœur aux mille voix…

Juillet bientôt va rire aux éclats dans les branches ;
Les rêveurs vont fouler le sentier reverdi,
Les mondains, souriants, le cœur ragaillardi,
Mettront habits nouveaux et chapeaux des dimanches.


Comme une digue que nul frein ne peut tenir,
Le monde envahira les grèves et les sentes ;
Et dans l’enchantement des forces grandissantes,
Chacun, repu d’air frais, se croira rajeunir.

Nous irons, ô mortels, affamés que nous sommes
De midis souriants et de matins heureux,
Attachant sur l’été nos regards langoureux,
Nous irons dans les champs, mornes troupeaux des hommes…

Nous irons, tourmentés d’infini, lourds d’émoi,
Brisés des souvenirs qui surgissent en foule,
Emportant le sanglot que la gorge refoule,
Et ce beau rêve mort que chacun porte en soi…


Beaux papillons, cherchant la jeunesse et le rire,
Les femmes, l’œil joyeux, iront cheveux au vent ;
On verra les regards s’épanouir souvent,
Et sur les blanches dents naître le gai sourire…

Quelques-unes, selon le chic contemporain,
Raides comme un couteau bien serré dans sa gaine.
Porteront une robe en moire marocaine,
Où brillent le cristal et les pierres du Rhin…

Les rires sonneront et sous la mante noire
Les doigts fins se noueront en gestes anxieux,
Et des yeux enfiévrés chercheront d’autres yeux,
Sous l’ombrelle de soie au gros manche d’ivoire…


Mais ce tableau n’a pas la gaieté qu’il paraît :
L’ennui se cache sous ces beaux visages roses,
Comme la tache noire au calice des roses,
Comme le ver qui ronge un beau fruit, en secret !…