La moisson nouvelle/29

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Bibliothèque de l’Action française (p. 127-129).


LE VIEUX PAYSAN

« Ah ! jeter à nouveau les grains d’or

dans les labours, fendre la glèbe et tracer
droit les sillons ruisselants de lumière

et de rosée !… »
Pierre Aguétant




Cependant que les blés s’étalent dans les plaines,
Que la colline brille au soleil de midi,
Son âme ne connaît plus que des heures vaines,
Et son corps vigoureux s’affaisse, refroidi.

Que les heures vont vite, et que la vie est dure !
Et qu’il passe parfois de tristesse en ses yeux !…
Oh ! retrouver ces gais matins dans la verdure,
Et l’aube qui brillait sur ses jours glorieux !…


Comme la vie était radieusement belle,
Avec ses durs travaux, avec les maux anciens !
Comme la plaine avait de richesses en elle !
Comme le jour dorait les champs qui furent siens !…

Oh ! comme il se souvient de la faux dans les herbes,
Des chevaux haletant au milieu des labours !…
Et tel qu’il moissonnait jadis les blés superbes,
Aujourd’hui le destin moissonne tous ses jours !…

Mais, parfois, quand revient le temps de la semaille,
Que, dans les champs lointains, soufflent chevaux et bœufs,
Quand, les hommes, coiffés d’un grand chapeau de paille,
S’en vont, faucille au dos, dans les chemins herbeux,


Comme un malade, aigri d’une trop longue veille,
Il se lève soudain, et marche, frémissant ;
De sa morne torpeur l’habitant se réveille ;
La fièvre des moissons lui passe dans le sang !…

Mais ce réveil hélas ! n’est qu’une courte joie ;
La force d’autrefois ne renaît pas en lui.
Morne, il revient s’asseoir sur le seuil qui flamboie,
Parmi les poules dont le gai plumage luit…

Alors il recommence à vieillir en silence,
Tandis que le jour brille et que le seigle est mûr,
Et son regard éteint suit avec nonchalance
L’ombre tremblante d’une feuille sur le mur…