La mort d'Agrippine/Acte II
ACTE II
Scène premiere
Ouy, la Couronne enferme & cache beaucoup plus
De pointes ſous le front qu’il en paroiſt deſſus ;
De ma triſte grandeur i’ay veû Rome idolaſtre :
Mais que i’ay pour regner d’ennemis à combatre.
C’eſt trop te défier de ton noble deſtin,
Agrippine te haït, mais elle eſt femme enfin.
Que de iuſtes frayeurs s’emparent de mon ame !
Le grand Germanicus me combat dans ſa femme !
De ce Prince au tombeau, le nom reſſuſcité,
Semble accourir aux vœux qui l’ont ſollicité,
Sous mon Thrône abbatu, ce nouvel Encelade
Du profond des Enfers à ma Cour retrograde,
Et iette un cry ſi haut, que du bruit effrayé,
Je doute s’il foudroye ou s’il eſt foudroyé.
Par un ſouffle bruſlant que ſa rage reſpire,
Il eſmeût la revolte au ſein de mon Empire,
Et le perfide encor pour braver mes deſſeins,
Me combat à couvert dans le cœur des Romains.
D’un tout ſi dangereux pers le dangereux reſte.
Ie ſçay bien qu’Agrippine à mes iours eſt funeſte :
Mais ſi ſans l’achever ma haine l’entreprend,
Le courroux qui l’anime en deviendra plus grand ;
Et ſi dans le Senat on la treuve innocente,
Ie la force à venger cette iniure ſanglante.
Que me dis-tu, Seigneur ? elle eſt coupable ?
D’eſtre ou d’avoir eſté plus puiſſante que toy.
Elle remeine au choq les bandes allarmées,
Caſſe ou nomme à ſon gré les Empereurs d’Armées,
Montre en Caligula ſon Ayeul renaiſſant :
Intimide le foible, achepte le puiſſant,
Emplit ton cabinet de ſes penſionnaires :
Enfin iuſqu’à ta Garde & tes Legionnaires.
Falut-il ſe noircir d’une lâche action,
Sont generalement à ſa devotion.
Elle eſt ambitieuſe, elle te croit coupable,
Crains qu’elle ne corrompe un ſerviteur de table ;
Rarement un grand Roy que l’on peut enuier,
Eſchappe du poiſon donné par l’heritier.
Ô Ciel ! ſi tu veux perdre un Empereur de Rome,
Que ſon treſpas au moins ſoit l’ouvrage d’un homme ?
Ceſar, pour prévenir ſes deſſeins furieux,
Elle eſt dans ton Palais, qu’on l’égorge à tes yeux ?
L’équité nous oblige à plus de retenue,
On ne l’a qu’accusée, & non pas convaincuë.
Le ſceptre qu’en tes mains diſpute ſon renom,
Dans tes mains esbranlé, ne tient plus qu’à ton nom,
Cours le prix d’une gloire en gloire ſans ſeconde,
Au bout de la carriere eſt le Thrône du monde :
Mais encor qu’il puiſſe eſtre à tous deux deſtiné,
Qui l’attendra plutoſt y ſera couronné ;
En partant le premier devance donc ſa courſe,
Et coupe les ruiſſeaux du torrent dés la ſource :
Quoy ? ſupporteras-tu ſans honte ou ſans effroy,
Que l’Empire balance entre une femme & toy ?
Pers, pers, cette orgueilleuſe avant qu’elle connoiſſe
De ton regne esbranlé la mortelle foibleſſe.
Un ſoupçon de revolte à l’apparence ioint,
Eſt un crime d’eſtat qu’on ne pardonne point :
Ceſar, il la faut perdre.
Sans rien examiner au bien de ma Couronne,
Elle mourra.
Elle mourra, mais Dieux !
Comment me deſrober au peuple furieux,
Car ſi de ce combat i’emporte la victoire,
Son ſang pour la vanger peut iallir ſur ma gloire,
C’eſt un foudre grondant ſuſpendu preſt à cheoir,
Qu’au deſſus de ma teſte il ne faut pas mouvoir.
Non, Seigneur, non, ſa perte eſt & ſeure & facille.
Il faut donc l’engager à ſortir de la ville.
Elle iroit, la ſuperbe, en cent climats divers
Promener la revolte aux bouts de l’Univers,
Et iettant du diſcord la ſemence feconde,
Armeroit contre toy les deux moytiez du monde,
Elle uniroit les bras de tout le genre humain,
Ioindroit les deux Soleils du Parthe & du Germain,
Provoqueroit la paix à te faire la guerre,
Et ſur toi ſeul enfin renverſeroit la terre.
Pour l’empeſcher d’agir il faut la raſſeurer,
Si ſon crime paroiſt, feindre de l’ignorer :
Et puis, quand nous aurons le ſecours que i’eſpere
La mienne à découvert bravera ſa colere ;
Mais la voici, n’importe il la faut regaler,
D’une offre dont l’éclat ſuffit pour l’aveugler.
Voy comme ſon front cache & montre ſa vengeance,
Et dans quelle fierté la ſuperbe s’avance !
Pour me tromper encor elle vient en ces lieux :
Mais eſcoute nous feindre à qui feindra le mieux.
Scène II
Ton retour impreveu, tes gardes redoublées,
Trois fortes legions prés de Rome aſſemblées,
M’ont fait avec raiſon craindre quelque attentat
Ou contre ta Perſonne, ou contre ton Eſtat :
C’eſt pourquoy dans un temps ſuſpect à ma Patrie,
Où le Romain troublé, s’atrouppe, s’arme & crie,
J’ameine à ton ſecours mes proches, mes amis,
Et tous ceux que mon rang me peut avoir ſouſmis.
L’impudente Nerva !
Ie ne puis par ma bouche exprimer ma tendreſſe :
Car un moindre preſent que le Thrône d’un Roy
Ne ſçauroit m’acquiter de ce que ie te doy ;
De Rome à ce deſſein i’approche mon Armée,
Pour forcer cette Eſclave au ioug accouſtumée,
D’adorer dans ton fils ce Prince bien-aymé ;
L’Image d’un Heros qu’elle a tant eſtimé :
Ouy, ie viens ſur ſon front depoſer ma Couronne,
Et quiconque oſera chiquer ce que i’ordonne,
C’est un traiſtre, un mutin, qu’en vaſſal plein de cœur
I’immoleray moy-meſme au nouvel Empereur.
Qui renonce à ſa gloire en offrant ſa Couronne,
Il en acquiert, Ceſar, plus qu’il n’en abandonne ;
Tu m’eſtimes beaucoup de me la preſenter,
Mais ie m’eſtime trop pour pouvoir l’accepter ;
C’eſt en la refuſant qu’on s’en doit rendre digne,
Ie veux que l’Univers en iuge par ce ſigne.
Auguſte ton Ayeul contre les droicts du ſang,
M’adopta pour monter apres luy dans ſon rang
Quoy qu’avecque ton ſexe il connut ton audace,
Il n’oſa te choiſir pour occuper ſa place ;
Il euſt peur, connoiſſant combien, ſans ſe flater,
La Machine du monde eſt peſante à porter,
Que d’un poids inégal à la grandeur de l’ame,
Cet énorme fardeau tombât ſur une femme,
Et qu’un Sceptre appuyé d’une ſi foible main,
Souſtint mal la grandeur de l’Empire Romain :
Mais quoy que ſa prudence, en bravant la Nature,
T’ait ravy la Couronne avec beaucoup d’injure,
Puis qu’auiourd’huy ſon ſang en tes bras affoiblys
A dans ceux de ton fils ſes forces reſtablys,
Ie le veux eſlever par droit hereditaire,
Apres un interregne au Thrône de ſon Pere.
Fille du grand Ceſar que ie dois imiter,
Ie le cede au Heros qu’il crût le meriter,
Pour montrer par un chois außi grand, außi iuſte,
Que ie ſuis & du ſang & dans l’eſprit d’Auguſte.
Et par cette raiſon ſon eſprit & ſon ſang,
Sont des droicts à ton fils pour monter à mon rang
I’en ay le Diadéme, & d’une foy ſincere,
Ie le veux rendre au fils l’ayant receu du Pere.
Avec un Diadéme on n’attache pas bien
Un cœur tout genereux qui veut aymer pour rien.
Pour te la conſerver, i’ay receu la Couronne,
Ie te la rends, Princeſſe.
Mais comme i’en diſpoſe au gré de tes parens,
C’eſt moy qui te la donne.
As-tu droict d’eſperer que cette ame hautaine
En generoſité ſuccombe ſous la tienne.
Eſcoute dans ton ſein ton cœur te démentir.
Qui choiſit par raiſon ne peut ſe repentir.
Tu me hays, & tu veus eteindre par envie
La plus belle action dont éclate ma vie ;
Ah ! pardonne à l’honneur du Monarque des Rois,
Ou de ton Pere en nous reſpecte au moins le chois.
Au ſiecles à venir quelque iour à ta gloire,
Nos Neveus eſtonnez apprendront dans l’hiſtoire
Qu’un Roy de ſa Couronne a deſpoüillé ſon front,
Et ces meſmes Neveus à ma gloire apprendront
Que ce Prince en fit l’offre à la ſeule perſonne
Qui pouvoit refuſer l’éclat d’une Couronne,
Et que l’ordre des Dieux luy voulut deſigner,
De peur qu’un ſi bon Roy ne ceßât de regner.
Regne, ie te l’ordonne, & regnant fais conneſtre
Que tu ſçais m’obéir encor comme à ton Maiſtre.
Regne, ie te l’ordonne, & reſpectant ma loy,
Obeys pour montrer que tu n’es plus mon Roy :
Regne, & puis que tu veux me rendre Souveraine,
Montre en m’obeyſſant, que ie ſuis deſia Reyne,
Reprends donc ta Couronne, außi bien couronner
Celle qui te commande eſt ne luy rien donner.
Taſche, mon Sejanus, d’esbranler ſa conſtance,
Toy, qui lis dans mon cœur, & vois ce que ie penſe ;
Tu luy découvriras les ſecrets de mon cœur,
Et les vaſtes deſſeins que i’ay pour ſa Grandeur.
Scène III
Lors que contre ſoy-meſme avec nous il conſpire,
Quelle raiſon vous meut à refuſer l’Empire ?
Alors que dans ton ſein mon Portraict fut tracé,
Le Portraict de Tibere en fut-il effacé ?
Ou des-accouſtumé du viſage d’un traiſtre,
L’as-tu veû ſans le voir & ſans le reconnoiſtre ?
Je t’excuſe pourtant, non, tu ne l’as point veû,
Il eſtoit trop maſqué pour eſtre reconnû ;
Un homme franc, ouvert, ſans haine, ſans colere,
Incapable de peur, ce n’est point là Tibere,
Dans tout ce qu’il paroiſt, Tibere n’eſt point là :
Mais Tibere eſt caché derrière tout cela ;
De monter à ſon Thrône il ne m’a pourſuivie,
Qu’à deſſein d’eſpier s’il me faiſoit envie ;
Et pour peu qu’à ſon offre il m’eût veû balancer,
Conclurre aveuglément que ie l’en veus chaſſer :
Mais quand il agiroit d’une amitié ſincere,
Quand le reſſentiment des bien-faits de mon Pere,
Ou quand ſon repentir euſt mon chois appellé
À la poſſeßion du bien qu’il m’a vollé,
Sçache que ie prefere à l’or d’une Couronne
Le plaiſir furieux que la vengeance donne ;
Point de Sceptre au deſpens d’un ſi noble courroux,
Et du vœu qui me lie à venger mon Eſpoux.
Mais bien loin qu’acceptant la ſupréme Puiſſance,
Ie perde le motif d’une iuſte vengeance :
Ie veux qu’il la retienne, afin de maintenir
Agrippine & ſa race au droict de le punir ;
Si ie l’euſſe accepté, ma vengeance aſſouvie
N’auroit peû ſans reproche attenter ſur ſa vie,
Et ie veux que le rang qu’il me retient à tort,
Me conſerve touſiours d’un motif pour ſa mort.
D’ailleurs c’eſt à mon fils qu’il remettoit l’Empire,
Eſt-ce au nom de ſubjet où ton grand cœur aſpire ?
Penſes-y meurement, quel que ſoit ton deſſein,
Tu ne m’eſpouſeras que le Sceptre à la main.
Mais adieu, va ſonder où tend tout ce myſtere,
Et confirme touſiours mon refus à Tybere.
Scène IV
Par les cuiſans ſoucis où flotte l’Empereur,
Du peril où tu cours meſure la grandeur,
Crains que dans le complot comme un ſage Interprette,
De la moitié connuë il paſſe à la ſecrette :
Car ie veux que le Ciel ſecondant tes ſouhaits,
Tu meine ta Victoire où tendent tes projets :
D’une marche du Thrône Agrippine approchée,
La ſoif de ſe vanger non encor eſtanchée,
Et par un ſi grand coup ne redoutant plus rien,
Elle voudra du ſang, & peut-eſtre le tien :
Peut-eſtre qu’en ton lict aux bras de l’Hymenée,
Le fer de ſon Eſpoux attend ta deſtinée,
Que ſa douleur ſecrette eſpere, en te tuant,
Vanger ſon mary mort ſur ſon mary vivant,
Et qu’à ce cher Eſpoux qui regle ſa colere,
Elle veut immoler le vainqueur de Tibere :
Donc pour ſauver ta teſte abandonne la Cour,
Tu connois la Fortune & ſon funeſte amour.
Mettre les voilles bas n’ayant point perdu l’Ourſe,
Ie ſuis trop esbranlé pour retenir ma courſe,
Ie veux monter au Thrône, ou m’en voir accabler :
Car ie ne puis ſi tard commencer à trembler.
Superbe, ta naiſſance y met un tel obſtacle,
Que pour monter au Thrône il te faut un miracle.
Mon ſang n’eſt point Royal, mais l’heritier d’un Roy
Porte-t’il un viſage autrement fait que moy ?
Encor qu’un toict de chaume eût couvert ma naiſſance,
Et qu’un Palais de marbre eût logé ſon enfance,
Qu’il fut né d’un grand Roy, moy d’un ſimple Paſteur,
Son ſang auprès du mien eſt-il d’autre couleur ?
Mon nom ſeroit au rang des Heros qu’on renomme
Si mes predeceſſeurs avoient ſaccagé Rome :
Mais ie ſuis regardé comme un homme de rien,
Car mes predeceſſeurs ſe nommoient gens de bien ;
Un Ceſar cependant n’a gueres bonne veuë,
Dix degrez ſur ta teſte en bornent l’eſtenduë,
Il ne ſçauroit au plus faire monter ſes yeux
Que depuis ſon berceau iuſques à dix Ayeux :
Mais moy ie retrograde aux cabanes de Rome,
Et depuis Sejanus iuſques au premier homme ;
Là n’eſtant point borné du nombre ny du chois,
Pour quatre Dictateurs i’y rencontre cent Rois.
Mais le crime eſt affreux de maſſacrer ſon Maiſtre ?
Mais on devient au moins un magnifique traiſtre ;
Quel plaiſir ſous ſes pieds de tenir aux abois
Celuy qui ſous les ſiens fait gemir tant de Rois ;
Fouler impunément des teſtes couronnées,
Faire du genre humain toutes les deſtinées ;
Mettre aux fers un Ceſar, & penſer dans ſon cœur
Cet Eſclave iadis eſtoit mon Empereur.
Peut-eſtre en l’abatant tomberas-tu toy-meſme.
Pourveu que ie l’entraiſne avec ſon diademe,
Je mourray ſatisfait, me voyant terracé
Sous le pompeux debris d’un Thrône renversé :
Et puis mourir n’eſt rien, c’eſt achever de naiſtre,
Un Eſclave hier mourut pour divertir ſon Maiſtre :
Aux malheurs de la vie on n’eſt point enchaiſné.
Et l’ame eſt dans la main du plus infortuné.
Mais n’as-tu point d’horreur pour un tel parricide ?
Je marche ſur les pas d’Alexandre & d’Alcide,
Penſes-tu qu’un vain nom de traiſtre, de voleur,
Aux hommes demy-Dieux doive abatre le cœur ?
Mais d’un coup ſi douteux peux-tu prevoir l’iſſuë ?
De courage & d’eſprit cette trame eſt tiſſuë :
Si Ceſar maſſacré, quelques nouveaux Titans
Eſlevez par mon crime au Thrône où ie pretens,
Songent à s’emparer du pouvoir Monarchique,
I’appelleray pour lors le peuple en Republique,
Et ie luy feray voir que par des coups ſi grans
Rome n’a point perdu, mais changé ſes Tyrans.
Tu connois cependant que Rome eſt Monarchique,
Qu’elle ne peut durer dans l’Ariſtocratique,
Et que l’Aigle Romaine aura peine à monter,
Quand elle aura ſur ſoy plus d’un homme à porter,
Reſpecte & crains des Dieux l’effroyable tonnerre.
Il ne tombe iamais en Hyver ſur la terre,
I’ay ſix mois pour le moins à me mocquer des Dieux,
En ſuitte ie feray ma paix avec les Cieux.
Ces Dieux renverſeront tout ce que tu propoſes.
Un peu d’Encens bruſlé rajuſte bien des choſes.
Qui les craint ne craint rien.
Ces beaux riens qu’on adore, & ſans ſçavoir pourquoy,
Ces alterez du ſang des beſtes qu’on aſſomme,
Ces Dieux que l’homme a faict, & qui n’ont point faict l’homme,
Des plus fermes Eſtats ce fantaſque ſouſtien,
Va, va, Terentius, qui les craint, ne craint rien.
Mais s’il n’en eſtoit point, cette Machine ronde ?
Oüy, mais s’il en eſtoit, ſerois-je encore au monde ?
Scène V
Quoy tu reſtes à Rome, & le Foudre grondant
Ne pourra t’éveiller ſi ce n’eſt en tombant ?
Fuy, fuy, tout eſt perdu.
Tout eſt perdu, te dis-je ?
Tu n’as plus qu’un moment.
Tibere…
Apprenez-nous au moins qui vous rend ſi troublée ?
I’ay honte de l’effroy dont ie ſuis accablée :
Mais on peut bien trembler quand le Ciel tremble außi,
Eſcoute donc ſur quoy ie m’eſpouvente ainſi.
Des poings du Victimaire aujourd’huy nos hoſties,
Le couſteau dans la gorge en fureur ſont parties,
L’aruſpice à treuvé le cœur defectueux,
Les poulmons tous fleſtris, & le ſang tout bourbeux,
La chair du Sacrifice au brazier petillante,
Diſtilloit ſur l’Autel une liqueur puante,
Le bœuf n’a pas eſté mortellement atteint,
L’encenſoir allumé par trois fois s’eſt eſteint,
Il eſt ſorty de terre une vaine figure ;
On n’a point veu manger les oyſeaux de l’Augure,
Le Sacrificateur eſt cheû mort en riant,
Le temple s’eſt fermé du coſté d’Orient,
Il n’a tonné qu’à droitte, & durant cet extaſe
I’ay veû nos Dieux foyers renverſez de leur baze.
Quoy ! ces preſages vains eſtonnent ton courrous ?
Ils ſont contre Tibere, & non pas contre nous.
Si les Dieux aux mortels découvroient leurs myſteres,
On en liroit au Ciel les brillans caracteres :
Mais quoy qu’il en puiſſe eſtre, il ſera glorieux
D’avoir fait quelque choſe en dépit de nos Dieux :
Car ſi noſtre fureur ſuccombe à la fortune,
Au moins dans les tranſports d’une rage commune
Nous pourſuivrons Tibere avec tant de courrous
Que l’on verra ſuër le deſtin contre nous.
Le deſtin grave tout ſur des tables de cuivre,
On ne deſchire pas les feuillets d’un tel Livre.
Achevons donc le crime, où ce Dieu nous aſtraint,
C’eſt luy qui le commet, puis qu’il nous y contraint.
Mon eſprit eſt remis, & ton noble courage,
Quoy qu’anonce le Ciel eſt un heureux preſage,
Allons de cent argus Tibere environner,
Arreſtons les avis qu’on luy pourroit donner,
Et puis qu’il ne tient pas tout le ſecret encore,
Coupons vers noſtre bout la moitié qu’il ignore.