La mort d'Agrippine/Acte V

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Charles de Sercy (p. 82-106).
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ACTE V


Scène Première

Tibere, Livilla, Furnie.


Tibere

Un homme qu’en dormant la fortune éleva.

Livilla

Que de l’obſcurité ton amitié ſauva.

Tibere

Sejanus, dont la teſte, unie à ma perſonne,
Empliſſoit avec moy le rond de ma Couronne,
En vouloir à mes iours ? Il en mourra l’ingrat ;


Livilla

Par ſa punition, aſſeure ton Eſtat.

Tibere

Ie veux qu’en ſon trépas la Parque s’étudie,
À prolonger ſa peine au delà de ſa vie :
Qu’il meure & qu’un ſanglot ne luy ſoit point permis,
Qu’il arreſte les yeux de tous ſes Ennemis,
Et qu’il ſoit trop peu d’un pour la douleur entiere,
Dont il doit ſervir ſeul d’eſpace & de matiere.

Livilla

À quelque extrémité qu’aille ſon chaſtiment,
Tu te vanges d’un traiſtre encor trop doucement :
Mais ! Seigneur, ſans peril le pourras-tu détruire,
Et n’eſt-il plus, le laſche, en eſtat de te nuire.

Tibere

Il eſt pris le ſuperbe, on inſtruit ſon procez,
Et ie le voy trembler de ſon dernier accez ;
Auſsi-toſt que ta bouche à l’eſtat ſecourable,
M’eut découvert l’Auteur de ce crime execrable,

Pour l’éloigner des ſiens avecque moins d’éclat,
I’ay fait dans mon Palais aſſembler le Senat ;
Mais c’eſt avec deſſein d’attirer ce perfide,
Et pouvoir en ſes yeux lire ſon parricide.
Les convocquez ſont gens à ma devotion :
Le Conſul eſt inſtruit de mon intention :
On fait garde par tout, & par tout ſous les armes
Le Soldat tient la Ville, & le peuple en allarmes :
Cependant au Palais le coupable arreſté,
Et du rang de Tribun par ma bouche flatté,
Vient d’entrer au Senat pour ſortir au ſuplice ;
Il n’a plus d’autres lieux à voir qu’un precipice.

Livilla

Seigneur, & d’Agrippine en a-t’on reſolu ?
Tu dois l’exterminer de pouvoir abſolu :
Cét eſprit inſolent d’un trop heureux menſonge,
Croit t’avoir ſur ſon crime endormy par un ſonge.

Tibere

Ce ſonge fabuleux ne ma point endormy,
Au deſſein de la perdre, il m’a plus affermy :
De l’attentat qui trouble une ame embaraſſée,
La parole eſt toûjours auprés de la penſée,

Et le cœur agité par quelque grand deſſein,
Esbranle malgré ſoy la bouche avec le ſein.
Non, ma fille, elle court à ſon heure derniere,
Et ſans qu’elle le ſçache, on la tient priſonniere :
I’ay corrompu ſes gens, dont l’eſcorte ſans foy
La garde iour & nuit non de moy, mais pour moy ;
Et ſes plus confidents que mon eſpargne arreſte,
À mes pieds ſi ie veux apporteront ſa teſte :
Mais ie la flatte afin que ſon Arreſt fatal,
Quand il la ſurprendra luy faſſe plus de mal.



Scène II

Nerva, Tibere, Livilla.
Nerva

Seigneur, il eſt iugé ; quand on a leu ta lettre,
Sans que pour luy perſonne ayt oſé s’entremettre,
Comme ſi ſon mal-heur eſtoit contagieux
Chacun de ſon viſage a détourné les yeux ;
Ce puiſſant Sejanus, ſi grand, ſi craint naguiere,
Cette Divinité du noble & du vulgaire,

À qui le peuple au Temple appendoit des Tableaux,
À qui l’on decernoit des triomphes nouveaux,
Qu’on regardoit au thrône avec idolatrie,
Nommé par le Senat, Pere de la Patrie,
Dans un corps où pour tel chacun l’avoit tenu,
N’a point trouvé d’enfans qui l’ayent reconnu ;
Ils l’ont condamné tous d’une voix unanime,
Au ſupplice du roc pour expier ſon crime :
Ce coupable eſt déja dans la court deſcendu,
Où par l’Executeur ton ordre eſt attendu.

Livilla

Cæſar au nom des Dieux, commande qu’on l’ameine,
Il importe à ta vie, il importe à ma haine,
Qu’avant le coup fatal nous puiſsions nous parler ;
Car i’ay d’autres ſecrets encor à reveller.

Tibere

Fais qu’il monte, Nerva.


Scène III

Tibere, Livilla.
Livilla

Fais qu’il monte, Nerva. Cette haute indulgence
Me ſurprend & m’oblige à la reconnoiſſance ;
Afin donc que Cæſar demeure ſatisfait,
Et que ma courtoiſie eſgale ſon bien-fait,
Ie luy veux découvrir le plus grand des complices.

Tibere

Par ſon nom, Livilla, couronne tes ſervices.

Livilla

Ouvre les yeux ſur moy tyran, c’eſt Livilla ;


Tibere

La fureur de ma bru paſſeroit iuſques-là ?

Livilla

Appelle-tu fureur un acte de Juſtice ?

Tibere

Donc de mon aſſaſsin, ma fille eſt la complice ?

Livilla

Non, ie ne la ſuis pas, Tibere, il eſt le mien ;
I’ay formé l’attentat, mais le mal-heur eſt ſien,
Du maſſacre d’un monſtre il ſort aſſez d’eſtime,
Pour diſputer l’honneur d’en avoir fait le crime :
Ouy, ce fut moy, Tyran, qui l’armay contre toy.

Tibere

La femme de mon fils conſpirer contre moy ?


Livilla

Moy femme de ton fils, moy fille de ton frere,
I’allois te poignarder, toy mon Oncle & mon Pere,
Par cent crimes, en un me donner le renom
De commettre un forfait qui n’eut point eu de nom ;
Moy ta niepce, ta bru, ta couſine, ta fille,
Moy qu’attachent par tout les nœuds de ta famille,
Ie menois en triomphe à ce coup inhumain,
Chacun de tes parens t’eſgorger par ma main ;
Ie voulois prophaner du coup de ma vengeance
Tous les degrez du ſang, & ceux de l’alliance,
Violer dans ton ſein la nature & la loy :
Moy ſeule revolter tout ton ſang contre toy ;
Et monſtrer qu’un Tyran dans ſa propre famille,
Peut trouver un Bourreau, quoy qu’il n’ait qu’une fille,
I’ay tué mon Epoux ; mais i’euſſe encor fait pis,
Afin de n’eſtre plus la femme de ton fils.
Car i’avois dans ma couche à ton fils donné place,
Pour eſtre en mes Enfans maiſtreſſe de ta race,
Et pouvoir à mon gré reſpandre tout ton ſang,
Lorsqu’il ſeroit contraint de paſſer par mon flanc :
Si ie t’ay découvert la revolte ſecrette,
Dont ce couple maudit complottoit ta défaite ;

C’eſt que mon cœur ialoux de leurs contentemens,
N’a peu que par le fer des-unir ces Amans ;
Et dans mon deſeſpoir ſi ie m’accuſe encore,
C’eſt pour ſuivre au tombeau, Sejanus que i’adore ;
Oze donc, oze donc quelque choſe de grand,
Ie brûle de mourir par les mains d’un Tyran.

Tibere

Ouy, tu mourras Perfide ; Et quoy que ie t’immolle,
Pour punir ta fureur, ie te tiendray parole ;
Tu verras ſon ſupplice, il accroiſtra ton deüil ;
Tes regards eſtonnez le ſuivront au cercueil :
Il faut que par tes yeux ſon deſaſtre te tuë,
Et que toute ſa mort ſe loge dans ta veuë :
Obſervez-là, Soldats, faites garde en ces lieux ;
Et pendant les tranſports de leurs triſtes adieux,
Qu’on la traiſne à la mort, afin que ſa tendreſſe
Ne pouvant s’aſſouvir, augmente ſa triſteſſe.


Scène IV

Livilla, Furnie.
Livilla

He ! bien Furnie ; he ! bien ? Le voila ce grand iour,
Dont la lumière eſteinte eſteindra mon amour :
Mais elle m’abandonne & n’ozeroit m’entendre
Déja de mon deſtin chacun ſe veut déprendre,
Et comme ſi des morts i’avois ſuby la Loy,
Les vivans ont horreur de s’approcher de moy.


Scène V

Livilla, Seianus, Nerva.


Livilla

Enfin ſur le penchant de ta proche ruine,
Ny l’amour de Cæſar, ny l’amour d’Agrippine,
Ny pour tes intereſts tout le peuple aſſemblé,
Ny l’effort du party dont noſtre Aigle a tremblé,
Ne peuvent rachepter ny garentir ta teſte
Du Tonnerre grondant que ma vengeance appreſte :
Ton trépas eſt iuré, Livilla l’entreprend,
Et la main d’une femme a fait un coup ſi grand.

Seianus

Nous devant aſſembler ſous la loy d’Hymenée,
Me pouvois-ie promettre une autre deſtinée ?
Vous eſtes trop ſçavante à perdre vos Eſpous,
On ſe joint à la mort, quand on ſe joint à vous.


Livilla

Ton amour m’enſeigna ce crime abominable,
Peut-on eſtre innocent lors qu’on aime un coupable ;
J’eus recours aux forfaits pour t’atacher à moy,
Tu n’eſpouſeras point Livilla malgré toy ;
Mais Agrippine auſsi ne ſera point ta femme,
Ne pouvant eſtouffer cette ardeur qui t’enflame
Sans t’arracher la vie, où loge ton amour
I’ay mieux aimé barbare en te privant du iour,
Precipiter le vol de mon heure fatalle,
Que de te voir heureux aux bras de ma rivalle.

Seianus

La mort, dont vous penſez croiſtre mon deſeſpoir,
Délivrera mes yeux de l’horreur de vous voir :
Nous ſerons ſeparez, eſt-ce un mal dont ie tremble ?

Livilla

Tu te trompes encor, nous partirons enſemble :
La Parque au lieu de rompre allongera nos fers ;
Je t’accompagneray iuſques dans les Enfers :
C’eſt dans cette demeure à la pitié cachée,
Que mon ombre ſans ceſſe à ton ombre attachée,

De ſon vol éternel fatiguera tes yeux,
Et ſe rencontrera pour ta peine en tous lieux,
Nous partirons enſemble, & d’une eſgale courſe
Mon ſang avec le tien ne fera qu’une ſource,
Dont les ruiſſeaux de feu par un reflus commun
Peſle-meſle aſſemblez & confondus en un,
Se joindront chez les morts d’une ardeur ſi commune,
Que la Parque y prendra nos deux ames pour une,
Mais Agrippine vient, ſes redoutables yeux
Ainſi que de ton cœur me chaſſent de ces lieux.



Scène VI

Agrippine, Seianus, Nerva.
Agrippine

Demeure, Sejanus, on te l’ordonne, arreſte :
Ie te vien annoncer qu’il faut perdre la teſte ;
Rome en foule déja court au lieu de ta mort.

Seianus

D’un courage au deſſus des injures du ſort,

Ie tiens qu’il eſt ſi beau de choir pour voſtre cauſe,
Qu’un ſi noble mal-heur borne tout ce que i’oſe ;
Et déja mes travaux ſont trop bien reconnus,
S’il eſt vray qu’Agrippine ait pleuré Sejanus.

Agrippine

Moy pleurer Sejanus ? Moy te pleurer, Perfide ?
Ie verray d’un œil ſec la mort d’un Parricide :
Ie voulois, Sejanus, quand tu t’offris à moy,
T’eſgorger par Tibere, ou Tibere par toy,
Et feignant tous les iours de t’engager mon ame,
Tous les iours en ſecret ie devidois ta trame.

Seianus

Il eſt d’un grand courage & d’un cœur généreux,
De ne point inſulter au ſort d’un mal-heureux :
Mais i’en ſçay le motif ; pour effacer la trace
Des ſoupçõs qui pourroiẽt vous joindre à ma diſgrace,
Vous bravez mes mal-heurs encor qu’avec regret,
Afin de vous purger d’eſtre de mon ſecret :
Madame, ce n’eſt pas connoiſtre mon genie :
Car i’aurois fort bien ſceu mourir ſans compagnie.


Agrippine

Ne t’imagines pas que par un feint diſcours,
Ie taſche vainement à prolonger mes iours ;
Car puis qu’à l’Empereur ta trame eſt découverte,
Il a sceu mon complot & reſolu ma perte :
Auſsi i’en ſouſtiendray le coup ſans reculer,
Mais ie veux de ta mort plainement me ſouler,
Et gouſter à longs traits l’orgueilleuſe malice,
D’avoir par ma preſence augmenté ton ſuplice.

Seianus

De ma mortalité ie ſuis fort convaincu ;
Hé ! bien, ie dois mourir, parce que i’ay vécu.

Agrippine

Mais as-tu de la mort, contemplé le viſage,
Conçois tu bien l’horreur de cét affreux paſſage ;
Connois-tu le deſordre ou tombent leurs accords,
Quand l’ame ſe dépend des attaches du corps ?
L’image du tombeau qui nous tient compagnie,
Qui trouble de nos ſens la paiſible harmonie,
Et ces derniers ſanglots dont avec tant de bruit
La nature eſpouvante une ame qui s’enfuit ?

Voila de ton deſtin le terme eſpouvantable.

Seianus

Puis qu’il en eſt le terme il n’a rien d’effroyable,
La mort rend inſenſible à ſes propres horreurs ;

Agrippine

Mais une mort honteuſe eſtonne les grands cœurs.

Seianus

Mais la mort nous guerit de ces vaines chimères ;

Agrippine

Mais ta mort pour le moins paſſera les vulgaires :
Eſcoute les mal-heurs de ton dernier Soleil :
Car ie ſçay de ta fin le terrible appareil
De joye & de fureur la populace eſmeuë,
Va pour aigrir tes maux, en repaiſtre ſa veuë.
Tu vas ſentir chez toy la mort s’inſinuer,
Par tout où la douleur ſe peut diſtribuer :
Tu vas voir les Enfans te demander leurs Peres ;
Les femmes leurs maris, & les freres leurs freres ;

Qui pour ſe conſoler en foule s’eſtouffans,
Iront voir à leur rage immoler tes Enfans :
Ton fils ton heritier à la haine de Rome,
Va tomber, quoy qu’enfant, du ſupplice d’un homme,
Et te perçant du coup qui percera ſon flanc,
Il eſteindra ta race & ton nom dans ſon ſang :
Ta fille devant toy par le Bourreau forcée,
Des plus abanbonnez bleſſera la penſée,
Et ton dernier coup la nature en ſuſpens
Promenera ta mort en chacun de tes ſens :
D’un ſi triſte ſpectacle es-tu donc à l’eſpreuve ?

Seianus

Cela n’eſt que la mort, & n’a rien qui m’eſmeuve.

Agrippine

Et cette incertitude où meine le trépas ?

Seianus

Eſtois-ie mal-heureux, lors que ie n’eſtois pas ?
Une heure après la mort noſtre ame évanoüie,
Sera ce qu’elle eſtoit une heure avant la vie :


Agrippine

Mais il faut, t’annonçant ce que tu vas ſouffrir,
Que tu meure cent fois avant que de mourir.

Seianus

I’ay beau plonger mon ame & mes regards funebres
Dans ce vaſte neant & ces longues tenebres,
I’y rencontre partout un eſtat ſans douleur,
Qui n’eſleve à mon front ny trouble ny terreur ;
Car puiſque l’on ne reſte apres ce grand paſſage,
Que le ſonge leger d’une legere image ;
Et que le coup fatal ne fait ny mal ny bien
Vivant, parce qu’on eſt, mort, parce qu’on eſt rien :
Pourquoy perdre à regret la lumiere receuë,
Qu’on ne peut regretter apres qu’elle est perduë ;
Penſez vous m’eſtonner par ce foible moyen,
Par l’horreur du Tableau d’un eſtre qui n’eſt rien,
Non quand ma mort au Ciel luiroit dans un Comette,
Elle me trouvera dans une ferme aſsiette
Sur celle des Catons ie m’en vais encherir,
Et ſi vous en douttez venez me voir mourir.
Marchez Gardes,


Agrippine

Marchez Gardes, Marchez. Ie te rends grace, ô Rome,
D’avoir d’un ſi grand cœur partagé ce grand homme ;
Car ie ſuis ſeure, au moins, d’avoir vengé le ſort
Du grand Germanicus, par une grande mort.


Scène VII

Tibere, Agrippine.
Tibere

Ie vous cherche, Madame avec impatience,
Et viẽs vous faire part du fruit de ma vengeance ;
Sejanus par ſa mort vous va faire raiſon,
Et venger hautement voſtre illuſtre Maiſon.

Agrippine

Cæſar ie te rends grace, & te ſuis obligée
Du traiſtre Sejanus enfin tu m’as vengée ;

Tu payes mon Eſpoux de ce que ie luy doy,
Mais quel bras aujourd’huy me vengera de toy
La ſuite de ta mort m’aſſeurant de la ſienne,
Ma vengeance voloit toute entiere à la tienne ;
Mais dans ce grand project, dont i’attẽdois mon bien,
Son trépas impreveu n’a point cauſé le tien,
Où ſera mon recours, ma famille outragée,
Sur le tombeau d’un ſeul n’eſt qu’à demy vengée ;
Si ie veux donc m’en faire une entiere raiſon,
Ta teſte pour victime eſt deuë à ma Maiſon :
Ouy, ie dois t’arracher & l’Empire & la vie,
Par cent coups redoublez contenter mon envie ;
Sejanus abattu, renverſer ſon appuy,
Te noyer dans ſon ſang, t’immoler deſſus luy,
Et d’une main cruelle en deſſerrant ta veuë,
Te contraindre de voir que c’eſt moy qui te tuë.

Tibere

Ha ! c’eſt trop Agrippine ;

Agrippine

Ha ! c’eſt trop Agrippine ; Ah ! c’eſt encor trop peu,
Il faut que ton eſprit aveuglé de ſon feu,
Tombant pour me punir dans un tranſport infâme,
Comble tes laſchetez du meurtre d’une femme.


Tibere

Mais ie t’ay convaincuë, & ton crime averé
Rend ton Arreſt ſans tache & mon front aſſeuré.

Agrippine

Comme ie ſçay, Tyran, ce que ton cœur eſtime,
Que le crime te plaiſt à cauſe qu’il eſt crime,
Si le trépas m’eſt deu i’empeſche ton tranſport
De gouſter le plaiſir d’en commettre à ma mort.

Tibere

Moy te donner la mort, i’admire ton audace,
Depuis quand avec nous es-tu rentrée en grace,
Pour allonger tes maux ie te veux voir nourrir
Un trépas eternel dans la peur de mourir.

Agrippine

Enfin, laſche Empereur, i’apperçois ta foibleſſe
À travers l’eſpaiſſeur de toute ta ſageſſe,
Et du déguiſement dont fait ta vanité
Un ſpecieux pretexte à ta timidité :

Quoy, Tyran, tu paſlis ton bras en l’air s’arreſte,
Lors que d’un front ſans peur, ie t’apporte ma teſte ;
Prens garde, mon Bourreau, de ne te point troubler,
Tu manqueras ton coup, car ie te fais trembler.
Que d’un ſang bien plus chaud, & d’un bras bien plus ferme,
De tes derniers Soleils i’accourcirois le terme,
Avec combien de ioye & combien de vigueur,
Ie te ferois deſcendre un poignard dans le cœur ;
Et tout cas ſi ie tombe au deçà de l’ouvrage,
Ie laiſſe encor un fils heritier de ma rage,
Qui fera pour venger les maux que i’ay ſouffers,
Rejallir iuſqu’à moy ton ſang dans les Enfers.

Tibere

Qu’on l’oſte de mes yeux cette ingrate vipere :

Agrippine

On te nommoit ainſi, quand tu perdis ton Pere.

Tibere

Enfin perſecuté de mes proches parens,
Et dedans ma famille au milieu des ſerpens,
I’imiteray, Superbe, Hercule en ce rencontre.


Agrippine

Ô ! le digne rapport d’Hercule avec un Monſtre ;

Tibere

Qu’on eſgorge les ſiens, hormis Caligula.

Agrippine

Pour ta perte, il ſuffit, de ſauver celuy-là.



Scène VIII


Tibere

D’elle & de Sejanus, les ames déloyalles,
Arriveront enſemble aux plaines infernalles ;
Mais pour Terentius, à l’un & l’autre uny,
Perdant tout ce qu’il aime, il eſt aſſez puny.



Scène dernière

Tibere, Nerva.


Nerva

Ceſar !

Tibere

Ceſar ! Hé bien Nerva.

Nerva

Ceſar ! Hé bien Nerva. I’ay veu la Cataſtrophe
D’une femme ſans peur, d’un Soldat Philoſophe,
Sejanus a d’un cœur qui ne s’eſt point ſoûmis,
Maintenu hautement ce qu’il avoit promis,
Et Livilla de meſme eſclatante de gloire,
N’a pas d’un ſeul ſoûpir offenſe ſa memoire.
Enfin plus les Bourreaux qui les ont menaſſez.


Tibere

Sont-ils morts l’un & l’autre ?

Nerva

Sont-ils morts l’un & l’autre ? Ils ſont morts.

Tibere

Sont-ils morts l’un & l’autre ? Ils ſont morts. C’eſt aſſez.



Fin.