La pagode aux cobras/02

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(alias Michèle Nicolaï)
S. E. G. (Société d’éditions générales) (p. 6-8).

II

RIGO SE PRÉSENTE

— Je suis heureux de vous voir, disait le commissaire en tendant la main à l’inspecteur Rigo.

C’était un métis réputé pour son habileté et que la Sûreté mettait toujours sur les pistes difficiles, où il faisait merveille.

Il avait à son actif maintes captures dont on parlait avec admiration.

— Je me trouve en mission à Quang-Yen, expliqua-t-il, et je suis venu me mettre à votre disposition.

— Pourquoi faire ? s’exclama le commissaire. Je me le demande ! Est-ce que maintenant, à la Sûreté, vous arrêtez aussi les serpents ?

Rigo riposta :

— Vous êtes certain que le coupable est un cobra ! Moi, je ne le suis pas. Du moins, si c’est un cobra, il ne s’est peut-être pas trouvé par hasard dans la chambre de M. le résident. D’ailleurs, on l’eût découvert. Grimpé à l’étage, entré dans cette chambre, il y fût resté, engourdi après la piqûre.

— Vous allez fort, inspecteur !

— Vous croyez ?

Sortant de sa poche un de ces papiers grossiers, papier de bambou confectionné par les indigènes, l’inspecteur le présenta au commissaire.

— Voyez ce tract. J’en ai trouvé trois exemplaires ce matin dans le parc. Je suis certain que nous devons en découvrir d’autres dans la maison. J’ai traduit le texte peint en caractères. C’est une menace de mort.

Écoutez plutôt :

« À toi, Mandarin Blanc, gouverneur de la Province, il est mandé : Tu as sévi maintes fois contre nous, tu as été dur, sévère pour les nôtres.

Ce jour, nous t’avons condamné !
Tu mourras !…

Toi, et beaucoup d’autres, quand le temps sera venu ! »

Rigo s’arrêta, scrutant le visage du commissaire.

Mais celui-ci restait impassible.

— Eh bien ! que dites-vous de ce morceau ?

— Je ne sais pas… Je ne vois pas… balbutia le fonctionnaire.

— Ah ! vous ne voyez pas ? Eh bien ! moi, je vois ! Je vois même très bien. Un attentat, mon cher commissaire, un attentat ! et prémédité encore. M. le résident de France a été assassiné… et d’autres y passeront… Vous, peut-être… et moi aussi !

Le commissaire fit un bond. C’était cependant un homme brave, courageux, mais cette mort inattendue, suspendue comme une menace mystérieuse… ce n’était pas le combat, la bataille… Il n’aimait pas cela !

— Vous êtes sûr de ce que vous avancez, inspecteur ? demanda-t-il. Dans ces conditions, on ne saurait prendre la chose trop au sérieux… Je vais faire mon rapport.

Il s’arrêta, hésitant, un peu honteux, avant d’ajouter :

— Vous m’y aiderez, n’est-ce pas, Rigo, vous serez chic ?… Et puis, mieux vaudra que nos deux rapports ne se contredisent pas… Ils auront ainsi plus de poids.

— Entendu, mon cher. Auparavant, je vais examiner la chambre du crime.

— Mais c’est fait. Voyez ce désordre.

— Je vois trop ! N’importe, je vais chercher à mon tour. Peut-être trouverai-je quelque chose.

Il trouva ! Un seul indice, mais qui avait son importance. Sur le bandeau de maçonnerie, à l’extérieur de la fenêtre, une empreinte était marquée dans la mousse que l’humidité du parc avait fait pousser là. C’était l’empreinte d’un pied nu, pas très nette, à peine indiquée, impossible à mesurer. Cependant, le gros orteil du malfaiteur avait dû se crisper pour mieux tenir ; ainsi s’était-il marqué dans la mousse, assez bien pour que Rigo pût en prendre, avec de la cire à modeler, un moulage très satisfaisant !

Ensuite, il rédigea un long rapport que son chef devrait nécessairement communiquer au gouvernement général, car il affirmait l’existence d’un dangereux complot contre les autorités françaises.

Il fournit en même temps des notes au commissaire pour lui permettre de rédiger le sien dans le même sens, mais avec moins de précisions dans les détails et une conclusion moins catégorique.