La pagode aux cobras/08

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(alias Michèle Nicolaï)
S. E. G. (Société d’éditions générales) (p. 39-42).

VIII

L’ENQUÊTE DANS LES VILLAGES

Cette fois, il était décidé à mettre tous les atouts de son côté ; pas d’improvisation, pas de foi en sa chance, mais une préparation minutieuse, devant assurer le succès !

Pour cela, le premier point était de s’informer, de chercher, de fouiner avec patience pour découvrir des indices certains.

Il savait d’où partir. C’était tout indiqué de reprendre la piste à l’endroit même où il l’avait abandonnée.

Seul cette fois, ayant mis sur son dos son ballot de colporteur, il partit en longeant la côte, allant de village en village.

Comme un authentique marchand, il étalait son éventaire en s’abstenant, en principe, de questionner.

Ainsi n’attirerait-il pas l’attention des espions que les bonzes pouvaient avoir dans la région.

Chaque soir, il campait dans un hameau, au hasard de son avance ; il y avait passé la journée, allant de porte en porte présenter sa pacotille ; la nuit venue, il prenait place dans une canha-thé ou chez quelque habitant hospitalier.

Autour de lui, les indigènes se groupaient, selon la coutume, pour bavarder entre eux.

Rigo jouait l’indifférence ou, parfois, se mêlait à la conversation pour conter quelque histoire, quelque vieille légende, puis retombait dans son mutisme et… écoutait.

Il connaissait trop bien la mentalité indigène pour n’être pas certain que, tôt ou tard, un propos imprudent, un bavardage le mettraient sur la voie.

Patience, telle était sa devise !

Si pressé qu’il fût d’arriver au but, il s’imposait ainsi de freiner sa hâte, bien certain que cela lui ferait gagner plus de temps qu’il ne semblait en perdre.

Dans ces veillées, toutes semblables à celles des paysans de France, les bons nhaqués chantent, content de vieilles légendes, mais surtout bavardent.

Il y a si peu d’événements dans ces villages isolés que le moindre incident est monté en épingle et devient une occasion de palabres, d’intarissables autant que minutieuses discussions.

Que des étrangers aient circulé dans la région, qu’ils s’y soient installés, c’était un sujet trop intéressant pour qu’il ne fût pas longuement commenté.

Tôt ou tard, dans ce village ou dans un autre, Rigo recueillerait quelque utile renseignement.

Il ne fut pas déçu !

Le sixième jour de son expédition, il avait atteint le village le plus rapproché de l’extrémité du tunnel de la douane où les bonzes avaient disparu.

Il passait la veillée chez le chef du village, le Ly-truong, qui lui donnait l’hospitalité.

Après avoir causé quelques instants avec ses hôtes, il prétexta les fatigues de la journée et s’en fut, au fond de la salle, s’étendre sur le lit de bois, où il parut s’endormir.

Sans méfiance, les indigènes continuaient leurs palabres et, soudain, l’un d’eux dit :

— Il faut engraisser les cochons. Le bonze de la forêt est de retour. À la prochaine lune, il y aura grande fête à la pagode.

Un autre repartit :

— Les cochons ont le temps de devenir gras ! Encore huit jours avant la pleine lune !

D’autres ajoutèrent quelques mots, mais sans donner plus de précision.

Rigo en savait assez ; il avait enfin recueilli le renseignement sûr, qui lui permettrait d’organiser une expédition définitive.

Le lendemain matin il s’éloignait, en annonçant qu’il allait se ravitailler à Quang-Yen et reviendrait bientôt avec un nouvel assortiment de marchandises.

Le même jour, dans la soirée, il était à Hanoï et faisait son rapport aux grands chefs.

En même temps, il leur exposait le plan conçu sur le terrain même.

Il demandait que soient mis à sa disposition deux détachements de la milice commandés chacun par un gradé européen.

L’un d’eux irait se poster dans les rochers des Makouis ; le beau-frère de Rigo le guiderait jusque-là.

L’autre arriverait, après une marche de nuit, se poster en forêt, en arrière du village où Rigo avait obtenu ses renseignements.

Là, il se tiendrait dissimulé dans l’épaisseur des bois Jusqu’au moment où l’inspecteur lui ferait parvenir un ordre.

Quant à Rigo lui-même, il s’embusquerait avec deux hommes, dans les alentours immédiats du hameau, pour surveiller le départ des pèlerins auxquels il se mêlerait, tandis qu’un de ses adjoints viendrait alerter le détachement.

Enfin, une chaloupe armée croiserait devant l’entrée du tunnel de la douane, prête à arrêter tous ceux qui pourraient tenter de s’évader par mer.

Ce plan reçut l’entière approbation des chefs, qui donnèrent aussitôt les ordres pour son exécution.