La pagode aux cobras/09

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(alias Michèle Nicolaï)
S. E. G. (Société d’éditions générales) (p. 42-44).

IX

UN ATTENTAT RÉVÉLATEUR

Pendant que Rigo organisait son expédition, une nouvelle lui parvint : un attentat avait été commis contre sa femme, une tentative de meurtre, que le hasard seul avait fait échouer.

Mme Rigo était dans sa boutique à Hongay ; elle s’y trouvait seule, assise près du comptoir.

Dehors, il faisait nuit noire ; les passants étaient rares sur le quai devant la canha, et elle avait laissé les portes grandes ouvertes, ce qui était normal, dans l’attente des clients.

À deux reprises, une ombre passa, sans attirer l’attention de la fausse commerçante, puis revint, et s’arrêta.

Alors, seulement, Mme Rigo leva les yeux, croyant à la venue de quelque acheteur.

Un geste bizarre l’alerta ; l’instinct, un réflexe inconscient, lui fit lever son bras droit dans un mouvement de parade. En même temps, elle entendait une sorte de déclic, de claquement, suivi immédiatement d’un choc sec sur son poignet.

Elle poussa un cri. L’ombre avait disparu, prenant la fuite.

Sur le large bracelet d’or, au-dessus de sa main, deux trous minuscules étaient visibles dans le métal, en tous points semblables à ceux qu’imprime le percuteur sur une douille de cartouche.

Une pensée lui vint brusquement : le serpent, le cobra !

C’était bien sa marque, mais elle comprenait maintenant comment elle avait été laissée sur les autres morts.

Son bracelet l’avait préservée, l’avait sauvée !

Ce n’était pas un serpent qui l’avait frappée, mais bien un projectile qu’elle cherchait vainement sur le comptoir, sur le sol, autour d’elle.

Elle se souvint de ce bruit de déclic qu’elle avait perçu et comprit soudain.

L’arme ? Une arbalète ou peut-être une sarbacane ! Quant au projectile, ce ne pouvait être qu’une flèche à double pointe rattachée par un cordon de rappel à l’appareil meurtrier.

L’attentat était certain. C’était donc qu’elle et son mari avaient été repérés par les bonzes.

Sans perdre son sang-froid, elle se hâta de clore les portes et d’appeler auprès d’elle un boy. Elle rédigea ensuite un télégramme à l’adresse de l’inspecteur pour l’aviser de l’incident.

En le recevant, Rigo n’hésita pas. Deux ordres furent lancés.

Le premier, adressé à tous ceux qui allaient participer à l’expédition, leur enjoignait de fouiller, en forêt, tous les indigènes porteurs d’arbalètes et de rechercher si, dans leur carquois, ne se trouvait aucune flèche à deux pointes, et d’arrêter aussitôt ceux sur qui il en serait découvert.

L’autre dépêche fut envoyée à Mme Rigo. Elle l’invitait à rejoindre sans retard Hanoï et à y demeurer pendant toute la durée de l’expédition.

Quand elle eut retrouvé son mari, la vaillante jeune femme insista pour le suivre, mais elle se heurta à un refus formel.

— Tu ne dois pas courir de dangers inutiles ! Tu as rempli ta mission. Maintenant, tu dois rester à l’abri.

Elle céda…