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La rébellion de 1837 à Saint-Eustache/2

La bibliothèque libre.
Imprimerie A. Coté Et Cie, Québec, Québec (p. 35-51).

EXTRAITS EMPRUNTÉS
À
L’HISTOIRE DU CANADA
PAR GARNEAU

Lord Aylmer ouvrit les Chambres à la fin de janvier 1831, et les informa que les ministres, sur la question des subsides, abandonnaient le contrôle de tous les revenus, excepté le revenu casuel et territorial, c’est-à-dire composé des biens des Jésuites, des postes du roi, des forges St-Maurice, du quai du roi, des droits de quint, des lods et ventes, des terres et des bois. Le tout ne se montait qu’à environ ₤7,000 par année, et le gouvernement se le réservait, parce qu’il ne provenait point des taxes, mais directement des douanes de la Couronne, pour une liste civile de ₤19,000 votée pour la vie du roi.

Cette réserve loin d’être exorbitante, paraissait assez raisonnable, elle devait diminuer d’importance de jour en jour par suite du progrès du pays et de l’augmentation de ses richesses. Cependant la Chambre refusa de l’accepter.

Le lendemain, M. Bourdages, secondé par M. Lafontaine, proposa de refuser les subsides jusqu’à ce que tous les revenus publics, sans exception, fussent mis sous le contrôle de la Chambre ; les juges exclus du Conseil ; le Conseil Législatif et l’Exécutif entièrement réformés, et les terres de la Couronne concédées en franc-alleu roturier et régies par les lois françaises. Mais cette proposition parut prématurée et fut rejetée par 50 voix contre 19.

La loi des juges avait été adoptée par la Chambre et transmise au Conseil. Le gouverneur pria la Chambre de voter le salaire du chef du gouvernement, du secrétaire civil, du secrétaire provincial, du procureur et du solliciteur général. Ces salaires, ceux des juges, avec quelques pensions et d’autres petites sommes, formaient une liste civile de ₤19,000. Cette demande fut discutée en comité général ; le comité se leva sans adopter de résolution, ce qui équivalait à un rejet. Jamais, comme on l’a dit, la Chambre n’avait fait une faute aussi grave. Mais déjà une influence funeste l’emportait au-delà des bornes de la prudence. Les dernières élections avaient changé le caractère de ce corps. Un grand nombre de jeunes gens avaient été élus. Ils portèrent dans la législature leurs idées exagérées et excitèrent encore les chefs, qui avaient plutôt besoin d’être retenus, après la longue lutte qu’ils venaient de soutenir, que d’être poussés vers d’autres hasards.

Malgré certaines concessions, l’excitation ne discontinuait point.

C’est au milieu de ces discordes qu’eut lieu à Montréal l’élection d’un membre. Il y eut des rixes ; les troupes tirèrent sur le peuple, tuèrent trois hommes et en blessèrent deux.

On tint des assemblées publiques en différents endroits de la province. La paroisse St-Charles, qui paraissait s’être attribuée l’initiative dans cette nouvelle manière de discuter les questions politiques, donna l’exemple. On voulait imiter, disait-on, l’Irlande ; mais une fois en mouvement, il fut impossible de s’arrêter. Le parti anglais eut aussi des assemblées, et passa des résolutions d’une tendance contraire à celles de St-Charles. Lord Aylmer était alors tout-à-fait soulevé contre la Chambre et les Canadiens.

Le gouverneur parla avec modération aux Chambres, lorsqu’elles se réunirent de nouveau en 1832 et il passa en revue les sujets qui devaient les occuper.

Il fut résolu par la Chambre, après un mois de délibération et une division de 34 contre 26, de présenter une nouvelle adresse au roi pour le prier de rendre le Conseil Législatif électif. Le Conseil Législatif, ne pouvant plus se contenir devant les attaques de l’Assemblée, vota à son tour une adresse à l’Angleterre en opposition à celle des représentants du peuple.

Les Chambres furent prorogées le 4 avril, après une session de près de 5 mois.

M. Nelson, voyant l’entraînement de la majorité des représentants, s’était séparé de M. Papineau. Plusieurs Canadiens influents et membres de la Chambre en avaient fait autant, comme MM. Quesnel, Cuvillier et quelques autres. Ces hommes éclairés, dont l’expérience et le jugement avaient un grand poids, reconnaissaient toute la justice des droits réclamés par la majorité, mais ils craignaient de risquer dans une lutte passionnée ce qui avait déjà été obtenu. Lord Goderich avait fait des concessions et des réformes dont il fallait lui tenir compte.

M. Papineau, en se séparant de tant d’hommes sages pour se lancer dans une lutte contre l’Angleterre, se chargeait d’une bien grande responsabilité.

Le Parlement s’assembla de nouveau le 7 janvier 1834. Le gouverneur pria l’Assemblée de reprendre la question des finances sans délai, afin que l’Angleterre pût s’occuper de ce qu’elle aurait à faire.

Plusieurs membres voulaient cesser tout commerce avec le Conseil Exécutif et passer sur le champ à la considération de l’état de la Province. M. Bourdages, toujours à la tête des hommes les plus avancés, fit en vain une proposition dans ce sens.

Cependant, le jour qu’on avait fixé pour la considération de l’état de la Province arrivait : c’était pour cette occasion que M. Papineau avait préparé le tableau des griefs dont nous avons parlé tout à l’heure. En arrivant à la Chambre, il l’avait communiqué aux membres de son parti. On s’était réuni à diverses reprises chez M. Bédard, député du comté de Montmorency, afin de les discuter et d’y faire les changements jugés nécessaires. Un autre député, M. Morin, avait été ensuite chargé de les mettre sous forme de résolutions. Dans la dernière session, M. Bédard et quelques-uns de ses amis avaient paru vouloir se détacher de M. Papineau.

Pour ramener le parti de Québec à ses vues, celui-ci consentit à modifier quelques-unes des résolutions, et pour flatter l’amour-propre de M. Bédard, à les laisser proposer par lui. Les débats durèrent plusieurs jours. M. Papineau fit un discours dans lequel il s’abandonna à un enthousiasme républicain.

M. Nelson proposa en amendement aux résolutions de M. Bédard, « que comme la dépêche du ministre des colonies du 9 juillet 1831, en réponse aux adresses de la chambre du 17 mars précédent, contenait une promesse solennelle du ministre de coopérer avec la chambre au redressement des principaux abus, c’était le devoir de la chambre de travailler dans l’esprit de cette dépêche, à la paix, au bien-être et au bon gouvernement du pays suivant la constitution ; que la dépêche du bureau colonial communiquée le 14 janvier dernier, confirmait les mêmes dispositions ; que l’on devrait s’occuper de l’amélioration du pays, de l’occupation des terres, des lois de propriété, de l’indépendance des juges, de l’administration de la justice, de la responsabilité des fonctionnaires, des comptes publics et de la réduction de toutes les charges inutiles. »

« Les résolutions de M. Bédard portent atteinte, dit M. Nelson, à l’existence du conseil législatif, d’un corps constitué comme l’assemblée par l’acte de 1791, elles mettent en accusation le gouverneur en chef, qui forme une autre branche de la législature, elles refusent de subvenir aux dépenses de la Province, et comportent un acte injurieux contre la mère-patrie, c’est-à-dire contre son secrétaire colonial Il n’est pas nécessaire de dire que je ne puis voter pour ces résolutions. »

« Je crains, ajouta M. Quesnel, qu’en nous adressant à l’Angleterre pour demander un changement à notre constitution, nous ne l’obtenions pas et que notre démarche n’entraîne des conséquences désastreuses pour le pays. En Angleterre on n’a jamais voulu convenir des vices de notre constitution ; pense-t-on qu’aujourd’hui on soit plus facile ? Je ne le crois pas.

« J’ignore où ces résolutions peuvent nous conduire. Si elles n’excitent pas de trop grands troubles, il en résultera au moins une grande réaction. Je souhaite sincèrement que mes prévisions ne s’accomplissent point ; je désire me tromper. Quoique je ne partage point l’opinion de la majorité de cette Chambre, si elle obtient le bien réel et durable du pays par les moyens qu’elle emploie aujourd’hui, je me réjouirai de ses succès avec les hommes éclairés qui auront formé la majorité. Je regretterai de n’avoir pas eu, comme eux, assez d’énergie pour braver le péril et pour entreprendre une chose que je regarde comme dangereuse ou du moins comme très incertaine. Si au contraire mes craintes se réalisent, si la Chambre succombe, je partagerai avec les autres les maux qui pourront peser sur ma patrie. Je dirai : Ce sont sans doute les meilleures intentions qui ont guidé la majorité de la Chambre. Et l’on ne me verra point munir avec ses ennemis pour lui reprocher d’avoir eu de mauvais desseins. Voilà cæ qui fera ma consolation. »

L’amendement de M. Nelson fut rejeté par 36 voix contre 24. MM. Cuvillier, Quesnel et plusieurs autres Canadiens firent partie de la minorité. Après des débats prolongés et très ardents, les résolutions qui ont porté depuis le nom de « 92 résolutions » furent passées à une grande majorité.

M. Morin fut chargé d’aller remettre à M. Viger, à Londres, les pétitions basées sur ces résolutions et adressées au Parlement Impérial.

Le Conseil Législatif vota des adresses contraires à celles de l’Assemblée, et pria l’Angleterre de maintenir la constitution intacte.

Après avoir voté des fonds pour l’éducation, les institutions charitables, les chemins et les améliorations intérieures, les représentants, laissant de côté la liste civile, commencèrent à s’en retourner chez eux. Le gouverneur ne les voyant plus en nombre dans la Chambre, prorogea la session en disant que puisqu’on en avait appelé au Parlement Impérial, chaque parti devait se soumettre à son autorité suprême ; qu’il croyait nécessaire de déclarer que le langage des 92 résolutions était si contraire à l’urbanité et à la modération bien connues des Canadiens, que ceux qui savaient le véritable état des choses, ne pourraient s’empêcher de croire qu’elles ne fussent le fruit d’une excitation extraordinaire et générale.

Les 92 résolutions et l’ajournement prématuré des Chambres ne laissèrent plus de doute sur la gravité de la situation.

Pendant que l’on débattait toutes ces questions en Angleterre, les comités de district siégeaient toujours en Canada ; ils correspondaient en même temps avec nos agents et passaient résolutions sur résolutions pour exciter le peuple à prendre une attitude qui pût imposer Le comité central de Montréal reçut une lettre de M. Roebuck, où il était dit : Il vaut mieux, j’en conviens, combattre que de perdre toute chance de se gouverner soi-même ; mais nous devons assurément essayer tous les moyens avant de prendre la résolution de recourir aux armes.

Il conseillait ensuite de réveiller le peuple, de ne point reculer d’un pas devant les principes, et déclarait qu’on n’aurait de bon gouvernement que quand on se gouvernerait soi-même et qu’on se serait défait du Conseil Législatif.

La suite des événements fera voir si ces conseils étaient bien sages.

Les Anglais, joints à quelques Canadiens, avec M. Nelson et M. Walker à leur tête, formaient alors à Québec, à Montréal, aux Trois-Rivières, des associations constitutionnelles par opposition aux comités des partisans de la Chambre. Ces associations signèrent des pétitions au roi, et elles chargèrent MM. Nelson et Walker d’aller les déposer au pied du trône. La 1ère chose que fit la Chambre en se réunissant le 21 février 1835, fut de protester contre les remarques que le gouverneur avait faites en ajournant la dernière session, et de faire biffer son discours du procès-verbal. C’était proclamer les hostilités.

Le gouverneur n’avait rien de décisif à communiquer sur les affaires. La Chambre siégea deux fois par jour pour finir la session plus tôt. Les débats furent la répétition de ce qu’on avait déjà dit tant de fois. La Chambre continua M. Roebuck dans sa mission d’agent, et vota une adresse après de longues discussions. C’est au sujet de cette adresse que la majorité se divisa une seconde fois.

M. Bédard, qui ne suivait depuis deux ans la majorité qu’à contre-cœur, osa dire enfin que l’adresse contenait un refus péremptoire de tout ce que le gouverneur demandait, et qu’il ne pouvait l’appuyer.

M. Bédard proposa divers amendements, qui furent soutenus par un tiers de la Chambre. Cette scission dans la majorité devait s’agrandir de jour en jour. Elle fut regardée dès le premier instant par les hommes extrêmes comme une défection. Enfin, le gouvernement impérial décida d’envoyer plusieurs commissaires au Canada pour faire une enquête sur les lieux.

Leurs instructions disaient, d’après Garneau, que le Conseil Législatif ne pouvait être changé, et ordonnait à la commission de refuser formellement la proposition de la Chambre de renvoyer cette question à des conventions du peuple.

Quant aux subsides, les revenus de la Couronne ne pouvaient être abandonnés sans une liste civile suffisante pour le soutien de l’État. L’administration des terres de la Couronne resterait entre les mains du Conseil Exécutif. Les juges accusés subiraient leurs procès devant le Conseil Législatif, ou devant le roi aidé du comité judiciaire du Conseil Privé. La commission était chargée de faire rapport sur la tenure des terres, sur les biens du Séminaire de St-Sulpice, sur l’éducation, sur la distribution des droits de douane entre les deux Canadas. Elle pouvait interroger des témoins et des documents écrits. Elle allait au Canada pour remplir une mission de conciliation et de paix, il fallait donc qu’elle évitât de paraître user d’un pouvoir odieux et nouveau.

En recevant les plaintes de tous les partis, la politesse, l’urbanité et le respect devaient caractériser sa conduite envers toutes les classes ; elle devait se mettre en relation avec elles, exprimer ses propres opinions avec bienveillance, observer les actes des assemblées publiques et les relations sociales ordinaires, étudier les écrits politiques et la littérature périodique, faire des enquêtes en différents endroits du pays et garder le plus grand secret sur ses conclusions.

La commission arriva à Québec à la fin d’août. Le Conseil de Ville, qui n’avait pas voulu présenter ses hommages le jour de l’an 1834 à Lord Aylmer, et que celui-ci avait à son tour refusé de recevoir l’année suivante, présenta une adresse aux commissaires. Lord Gosford reçut chez lui quelques jours après et se montra très gracieux, mais chacun était sur ses gardes. Les membres libéraux du Conseil et de la Chambre se réunirent au commencement de septembre aux Trois-Rivières pour s’entendre sur la conduite à suivre devant la commission. Ceux du district de Québec ne jugèrent pas à propos d’y aller. La division entre ce district et ceux des Trois-Rivières et de Montréal devenait plus grande de jour en jour. Gosford chercha par tous les moyens à captiver la bienveillance des Canadiens. Il invita MM. Papineau et Viger à dîner chez lui ; il visita les classes du Séminaire, et laissa tout le monde enchanté de sa politesse. Il donna un grand bal le jour de la Ste-Catherine, anniversaire fêté par les Canadiens, et ses prévenances pour Mme Bédard attirèrent tous les yeux et indiquèrent avec quel zèle il remplissait le rôle dont l’Angleterre l’avait chargé. Le 1er septembre 1836, il donna une nouvelle commission de juges de paix et y ajouta beaucoup de Canadiens, Le Conseil Législatif, qui comptait déjà parmi ses membres plusieurs Canadiens marquants, comme MM. Joliette, de Rocheblave, Debarttz, Viger, Malhiot, et autres, fut augmenté par MM. Hertel, de Rouville, de Salaberry, Dionne, Harwood, Lacroix, de Bleury et autres. (Cette nouvelle nomination avait été faite par Lord Gosford, afin d’apaiser l’anarchie et faire acte de bonne volonté et d’estime envers les Canadiens. Enfin, la place du juge Kerr destitué, parut destinée à M. Bédard, celui-là même qui avait proposé les 92 résolutions. Ces faits, ces bruits portés, grossis de bouche en bouche augmentaient les espérances, lorsque les Chambres s’ouvrirent le 27 octobre. L’Association constitutionnelle de Québec avait présenté une adresse au gouverneur la veille, pour le prier de ne pas avancer d’argent sans le consentement des trois branches de la Législature. C’était recommander au gouverneur de ne rien payer sur l’ordre seul des représentants.

Lord Gosford adressa un long discours aux Chambres, Après avoir parlé de beaucoup de choses, il finit par déclarer que les Canadiens pouvaient être assurés qu’on ne toucherait point à leurs institutions sociales et ajouta : « Je dirai aux Canadiens, observait-il, à ceux qui sont d’origine française comme à ceux d’origine britannique : Considérez le bonheur dont vous pourriez jouir sans vos dissensions. Issus des deux premières nations du monde, vous occupez un beau et vaste pays, possédant un sol fertile, un climat salubre et l’un des plus grands fleuves du monde, qui amène jusqu’à votre ville les navires de la mer la plus éloignée. »

En réponse au discours du trône, la Chambre refusa de reconnaître la Commission. Les discours qui furent prononcés dans cette circonstance, ne furent qu’un écho ou une interprétation des 92 résolutions.

Les choses allaient de mal en pis et un journal disait à cette époque : « Ce n’est qu’avec des idées et des principes d’égalité que l’on peut aujourd’hui gouverner en Amérique. » Si les réformes que les Canadiens demandaient n’étaient pas accordées, fallait-il se les faire donner de vive force, en levant l’étendard de l’insurrection, ou fallait-il négocier ? Ils auraient alors comparé leurs forces à celles de l’Angleterre et pesé les chances de succès.

Mais, malheureusement, le chef du parti de Québec allait recevoir une charge de juge de Lord Gosford, qui laissait entrevoir d’autres faveurs aux Canadiens. Cette nomination fut regardée, dans l’agitation où étaient déjà les esprits, comme un appât pour corrompre et pervertir les cœurs. La majorité de la Chambre fut entraînée par l’influence de M. Papineau. La nomination de M. Bédard, formellement annoncée, excita les esprits.

La dernière lutte entre le Conseil Exécutif et l’Assemblée eut lieu au sujet des subsides. Les débats durèrent deux jours. La plupart des membres prirent la parole. M. Morin proposa d’accorder des subsides pour six mois. M. Vanfelson proposa en amendement douze mois avec les arrérages ; MM. Papineau, Lafontaine, Taschereau, Drolet, Rodier, Berthelot parlèrent contre l’amendement ; MM. Viger, Caron, de Bleury l’appuyèrent.

L’amendement de M. Vanfelson fut rejeté par 40 voix contre 27. Le Conseil rejeta la liste civile de six mois, ce qui amena presqu’aussitôt la prorogation du Parlement. Lord Gosford qui était extrêmement blessé du peu de succès de sa mission, dit qu’il ne voulait pas prédire toutes les conséquences qui résulteraient de cette conduite.

Ce dénouement porta l’effervescence des esprits au plus haut degré, et on s’ajourna.

L’agitation devenait sérieuse dans beaucoup de comtés ; elle finit par inquiéter le gouverneur qui publia une proclamation dans le mois de juin 1837 ; pour mettre le peuple en garde contre les écrits et les discours propres à séduire. Sans se laisser intimider par cet avertissement, M. Papineau descendit jusqu’à Kamouraska, en compagnie de MM. Girouard, Lafontaine et Morin ; il fit des discours à l’Islet et à St-Thomas, où le Dr. Taché, alors partisan exalté, avait monté quelques têtes parmi les cultivateurs. Quelques temps après on pendit le gouverneur en effigie, et des bandes d’hommes armés rôdèrent dans le comté du Lac des Deux-Montagnes.

Partout enfin l’on s’agita pour appuyer ou les 92 résolutions ou le gouvernement, dont les amis se réunirent à leur tour pour lui promettre leur appui et pour s’opposer au parti du mouvement.

Les associations constitutionnelles de Québec et de Montréal tinrent des assemblées très nombreuses ; beaucoup de gens s’y étaient alliés parce qu’ils étaient convaincus qu’il y avait folie à lutter contre l’Angleterre.

Malgré les troubles qui éclatèrent, les Chambres furent convoquées pour le 10 août. Lorsqu’elles s’assemblèrent, le gouverneur pria les représentants du peuple de faire eux-mêmes l’assignation du revenu, que la métropole ferait sans doute sans eux s’ils s’obstinaient dans leurs premières résolutions. Cette nouvelle tentative ne put ébranler la majorité des membres qui, dans leur obstination fatale, votèrent une adresse pour protester contre les recommandations contenues dans le rapport des commissaires.

Cette adresse fut présentée au gouverneur le 26 août. Le parlement fut prorogé aussitôt après par une proclamation, dont M. Papineau trouva une copie sur son siége à son retour dans la salle des séances. Ces faits avaient achevé de convaincre Lord Gosford que les partisans de ce chef populaire voulaient une république, et qu’ils se servaient de l’animosité créée chez les Canadiens par les attaques violentes et injustifiables de la minorité, pour maintenir leur influence.

Personne n’ignore les événements qui arrivèrent après la prorogation des Chambres. Des assemblées, des discours révolutionnaires se succédèrent sans interruption dans les villes et les campagnes, pour faire appel aux armes. Partout on fit des préparatifs de guerre.

Les têtes exaltées de Montréal résolurent de s’adresser aussi au Congrès des États-Unis pour demander le commerce libre. Petit à petit les hommes du mouvement augmentèrent ainsi de hardiesse jusqu’à inquiéter les gens paisibles qui crurent devoir faire des démonstrations en sens contraire. Le colonel Hertel, qui commandait un bataillon de milice de 1500 hommes dans le comté des Deux-Montagnes même, ce centre d’agitation, écrivit au gouvernement que ses soldats étaient pleins de loyauté et prêts à obéir à ses ordres au premier appel qui serait fait ; mais le grand nombre, ne voyant pas encore de véritables dangers, désirait laisser le gouvernement se tirer comme il le pourrait de ces difficultés. Lorsqu’ils apprirent cependant qu’il y avait eu résistance ouverte à St-Denis et à St-Charles, ils sortirent de leur neutralité pour appuyer le gouvernement, et les Canadiens à Québec, à Montréal, à Berthier, à la Rivière-Ouelle, à Kamouraska, à Lotbinière, à Portneuf, à Champlain, aux Trois-Rivières et dans presque tous les comtés du pays, lui présentèrent des adresses et se rallièrent à lui.

Les menaces qui furent faites en différents endroits, engagèrent le pouvoir à donner des armes aux hommes faibles, afin d’assurer le maintien de l’ordre.

Ce fut alors que l’évêque de Montréal, monseigneur Lartigue, adressa un mandement dont il sera parlé plus loin, mandement qui eut un grand retentissement dans le pays, mais qui n’eut cependant pas l’effet de modérer l’enthousiasme outré des chefs de la rébellion.

Un corps de troupes anglaises, sous le commandement du colonel Gore, qui devait faire sa jonction à St-Charles avec le colonel Witherall, fut arrêté à St-Denis le 22 novembre 1837 par le Dr Nelson. M. Papineau se trouvait là.

Le succès de la bataille qui allait s’engager était si incertain, que le Dr Nelson engagea M. Papineau à ne pas y prendre part : « Ce n’est pas ici, lui dit-il, que vous serez le plus utile, nous aurons besoin de vous plus tard. » Aussi M. Papineau ne parut pas dans cette bataille.

M. Carrier dans son ouvrage sur l’insurrection du Bas-Canada publie la note suivante touchant la présence de M. Papineau à St-Denis :

« Maintes fois on a discuté la question de savoir si M. Papineau s’est enfui du camp de bataille, de son propre mouvement ou sur l’ordre de M. Nelson. Les difficultés survenus plus tard entre ces deux chefs ont fait avancer des assertions contradictoires ; mais si les renseignements que nous tenons d’un partisan dévoué de M. Papineau, qui a subi la peine de la déportation, sont vrais, il n’y a point de doute que M. Papineau s’est enfui de la demeure du Dr Nelson qui, tout en voulant conserver les jours de M. Papineau, lui avait enjoint de rester dans sa maison où il ne courrait aucun danger. »

Le colonel Witherall, qui n’avait pas opéré sa jonction avec le colonel Gore, fut la cause de la retraite de ce dernier qui abandonna le champ de bataille aux insurgés. La marche du détachement du colonel Witherall avait été retardée par le mauvais état des chemins et parce que les ponts sur les rivières avaient été coupés. Cette colonne, qui venait de Chambly, était composée de 330 hommes, de 2 pièces de canon et de quelques cavaliers. Ne trouvant pas le colonel Gore au lieu fixé, il continua sa route et atteignit les retranchements des insurgés le 20 novembre. Ils étaient défendus par plusieurs centaines d’hommes, la plupart sans armes, dit Garneau, et ils étaient commandés par T. S. Brown qui prit la fuite avant l’attaque.

Les insurgés avaient deux pièces de canon. Les rebelles répondirent avec vigueur au feu des troupes ; mais ils ne purent résister, et l’infanterie anglaise massacra un grand nombre d’insurgés. Le nombre des morts dépasse 100, celui des blessés fut considérable.