La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky/Comment Kautsky transforme Marx en vulgaire libéral

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Bibliothèque Communiste (p. 11-25).

La Révolution prolétarienne



Comment Kautsky transforme Marx
en vulgaire libéral


La question fondamentale que Kautsky traite dans sa brochure est celle du contenu essentiel de la révolution prolétarienne, à savoir la dictature du prolétariat. C’est une question de la plus grande importance pour tous les pays, surtout pour les pays les plus avancés, surtout pour les belligérants et surtout au moment actuel. On peut dire sans exagérer que c’est là le problème principal de toute la lutte de classe prolétarienne, Nous devons donc nous y arrêter longuement.

Kautsky pose la question de la façon suivante : « L’opposition des deux courants socialistes (c’est-à-dire des bolchéviks et des non-bolchéviks) est « l’opposition de deux méthodes radicalement différentes : la méthode démocratique et la méthode dictatoriale » (page 3).

Remarquons en passant qu’en appelant socialistes les non-bolchéviks de Russie, c’est-à-dire les menchéviks et les s.-r.[1], Kautsky se laisse guider par leur nom, c’est-à-dire par un mot, au lieu de considérer la place réelle qu’ils occupent dans la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie. Voilà une façon admirable de comprendre et d’appliquer le marxisme ! Mais nous y reviendrons plus en détail.

Pour le moment, il nous faut prendre le point le plus important : la grande découverte de Kautsky sur « l’opposition radicale » « des méthodes démocratique et dictatoriale ». C’est là le nœud de la question. C’est l’essence même de la brochure de Kautsky. Et c’est là une confusion théorique si monstrueuse, un reniement du marxisme si complet, qu’il faut avouer que Kautsky a laissé Bernstein loin derrière lui.

La question de la dictature du prolétariat est la question des rapports entre l’État prolétarien et l’État bourgeois, entre la démocratie prolétarienne et la démocratie bourgeoise. Il semble que cela soit clair comme le jour. Mais, pareil à un maître d’école figé sur les manuels d’histoire, Kautsky tourne obstinément le dos au XXe siècle pour ne considérer que le XVIIIe, et ressasse pour la centième fois au prix d’un incroyable ennui, dans une interminable série de paragraphes, toutes les vieilles histoires sur les rapports de la démocratie bourgeoise avec l’absolutisme et la féodalité.

On dirait en vérité qu’il dévide une bobine sans fin.

C’est ne rien comprendre aux rapports entre les choses ! On ne peut que sourire des efforts de Kautsky s’évertuant à démontrer qu’il y a des gens qui prêchent le « mépris de la démocratie » (p. 11), etc. C’est par de pareilles balivernes que Kautsky obscurcit et embrouille le débat, posant la question, en libéral qu’il est, sur le terrain de la démocratie en général et non pas de la démocratie bourgeoise. Il évite même cette notion exacte tirée de la lutte de classes, et essaye de parler de la démocratie « d’avant le socialisme ». Notre moulin à paroles a rempli presque le tiers de la brochure, 20 pages sur 63, de ce bavardage on ne peut plus agréable à la bourgeoisie, puisqu’il équivaut à un maquillage de la démocratie bourgeoise et qu’il laisse dans l’ombre la question de la révolution prolétarienne.

Le titre de la brochure de Kautsky n’en est pas moins « La Dictature du Prolétariat ». Tout le monde sait que c’est là justement le fond de la doctrine de Marx. Aussi, après tout ce bavardage en dehors du sujet, Kautsky a-t-il cité lui aussi les paroles de Marx sur la dictature du prolétariat.

Il s’y est pris d’une façon vraiment comique, Kautsky, le « marxiste ». Écoutez-le :

« Cette façon de voir (c’est-à-dire, selon Kautsky, le mépris de la démocratie) s’appuie sur un seul mot de Karl Marx », — voilà ce que nous lisons textuellement à la page 20. À la page 60 il le répète encore et va jusqu’à dire : « Ils (les bolchéviks) se sont souvenus à temps d’un petit mot » (textuellement : das Wörtchens) sur la dictature du prolétariat, que Marx a employé une fois en 1875 dans une lettre

Voici ce « petit mot » de Marx :

« Entre les sociétés capitaliste et communiste se trouve la période de transformation révolutionnaire de la première en la seconde. À cette période corres- pond une période politique transitoire dans laquelle l’État ne peut prendre d’autre forme que celle de la dictature révolutionnaire du prolétariat ».

D’abord, appeler ce raisonnement célèbre de Marx, qui est le résumé de toute sa doctrine révolutionnaire, « un seul mot » ou même « un petit mot », — c’est tout bonnement se moquer du marxisme et le renier complètement. Il ne faut pas oublier que Kautsky connaît Marx presque par cœur, qu’à en juger par ses écrits, il doit avoir disposé, sur son bureau ou dans sa tête, une série de casiers où il a réparti, de la façon la plus méthodique et la plus pratique pour en faire des citations, tout ce que Marx a écrit.

Kautsky ne peut pas ne pas savoir que Marx et Engels, dans leurs lettres aussi bien que dans leurs œuvres imprimées, ont parlé de la dictature du prolétariat de nombreuses fois avant ou après la Commune. Kautsky ne peut pas ne pas savoir que cette formule de la « Dictature du prolétariat » n’est que l’énonciation dans le domaine historique et concret, mais scientifiquement exacte, du rôle naturel du prolétariat, qui est de « briser » la machine gouvernementale bourgeoise, et dont Marx et Engels ont parlé de 1852 à 1891, c’est-à-dire durant 40 ans, en profitant de l’expérience des révolutions de 1848 et surtout de 1871.

Comment expliquer cette déformation monstrueuse du marxisme par un aussi parfait connaisseur du marxisme que Kautsky ? Si l’on se place au point de vue philosophique, tout se réduit à une substitution de l’éclectisme et de la sophistique à la dialectique. Kautsky est passé maître dans cette substitution. Au point de vue politique et pratique, tout se réduit à une vile servilité devant les opportunistes, c’est-à-dire, en fin de compte, devant la bourgeoisie. À force de faire des progrès dans cette voie depuis le début de la guerre, Kautsky est devenu un virtuose dans l’art d’être marxiste en paroles et laquais de la bourgeoisie en réalité.

On s’en convainc encore mieux en examinant « l’interprétation » remarquable donnée par Kautsky du « petit mot » de Marx sur la dictature du prolétariat. Écoutez :

« Marx a malheureusement omis d’indiquer plus en détail comment il se représente cette dictature »… (Voilà un mensonge typique de renégat, car Marx et Engels ont justement donné une série d’indications très détaillées que notre professionnel du marxisme laisse intentionnellement de côté). « Littéralement, le mot dictature signifie suppression de la démocratie. Mais, sans doute, pris à la lettre, ce mot signifie aussi pouvoir d’un seul individu, qui n’est lié par aucune loi. Pouvoir d’un seul qui se distingue du despotisme en ce qu’il est compris non pas comme une institution d’État permanente, mais comme mesure extrême transitoire.

« L’expression « dictature du prolétariat » — c’est-à-dire dictature non pas d’un seul individu, mais d’une seule classe prouve déjà que Marx n’avait pas en vue ici la dictature au sens littéral du mot.

« Il parle ici non d’une forme de Gouvernement, mais d’une situation qui doit se produire partout où le prolétariat a conquis le pouvoir politique. Ce qui prouve que Marx n’avait pas en vue ici une forme de Gouvernement, c’est l’opinion qu’il avait qu’en Angleterre et en Amérique la transition peut s’effectuer pacifiquement, donc par voie démocratique » (page 20).

Nous citons à dessein tout ce raisonnement en entier afin que le lecteur puisse se rendre compte des procédés employés par le « théoricien » Kautsky.

Kautsky a voulu aborder la question par une définition du « mot dictature ».

À merveille. C’est le droit sacré de chacun d’aborder la question par où il veut. Mais il faut seulement distinguer entre les façons sérieuses et honnêtes ou malhonnêtes d’aborder la question. Celui qui voudrait traiter sérieusement la question en l’abordant de cette façon, devrait donner sa définition du « mot » en cause. Alors la question serait posée clairement et franchement. Kautsky n’en fait rien.

« Littéralement, — écrit-il, — le mot dictature signifie suppression de la démocratie ».

Premièrement, ce n’est pas une définition. Si Kautsky voulait éviter de définir la notion de dictature, qu’avait-il besoin de choisir cette façon d’aborder la question ?

Secondement, cela est évidemment faux. Il est naturel qu’un libéral parle de « démocratie » en général. Un marxiste, lui, n’oubliera jamais de demander : « pour quelle classe » ? Chacun sait, par exemple — et « l’historien » Kautsky le sait également — que les insurrections ou même les grands mouvements des esclaves de l’antiquité prouvent en fait que le fond de l’État antique était la dictature des propriétaires d’esclaves. Est-ce que cette dictature supprimait la démocratie parmi les propriétaires d’esclaves, pour eux ? Tout le monde sait que non.

Le « marxiste » Kautsky a dit une absurdité monstrueuse et un mensonge, parce qu’il a « oublié » la lutte de classes…

Pour transformer l’affirmation libérale et mensongère de Kautsky en affirmation marxiste et vraie, il faut dire : la dictature ne signifie pas nécessairement destruction de la démocratie pour la classe qui réalise cette dictature sur les autres classes, mais elle signifie nécessairement destruction (ou limitation essentielle, ce qui est aussi une des formes de la destruction) de la démocratie, pour la classe aux dépens de laquelle ou contre laquelle s’exerce la dictature.

Mais si juste que soit cette définition, elle ne définit pas la dictature.

Examinons la phrase suivante de Kautsky :

« … Mais il va de soi que, pris à la lettre, ce mot signifie aussi pouvoir d’un seul individu qui n’est lié par aucune loi ».

Pareil à un animal aveugle qui fourre son nez au hasard par-ci, par-là, Kautsky est tombé ici sur une idée juste, cette idée que la dictature est un pouvoir qui n’est lié par aucune loi ; mais il n’a quand même pas donné la définition de la dictature, et il a dit, en outre, une inexactitude historique évidente, en affirmant que la dictature est le pouvoir d’un seul individu. Cela n’est même pas juste étymologiquement, car on peut avoir la dictature d’un groupe de personnes, d’une oligarchie, d’une classe, etc.

Plus loin Kautsky indique la différence entre la dictature et le despotisme ; mais bien que son affirmation soit évidemment fausse, nous ne nous y arrêterons pas, car cela n’a aucun rapport avec la question qui nous intéresse. Nous connaissons le penchant de Kautsky à se détourner du XXe siècle vers le XVIIIe, et du XVIIIe vers l’antiquité, et nous espérons qu’une fois parvenu à la dictature, le prolétariat allemand tiendra compte de ce penchant et nommera, par exemple, Kautsky professeur d’histoire ancienne dans un lycée. Il faut être un sot ou le plus maladroit des fripons pour tâcher d’éviter de définir la dictature du prolétariat en raisonnant sur le despotisme.

En fin de compte, en prétendant traiter de la dictature, Kautsky a dit consciemment beaucoup de faussetés, mais n’a donné aucune définition. Si, au lieu de se fier à ses facultés intellectuelles, il avait consulté sa mémoire, il aurait pu sortir de ses casiers tous les cas où Marx parle de la dictature. Il aurait, sans aucun doute, obtenu la définition suivante ou quelque autre équivalente dans le fond :

La dictature est un pouvoir qui s’appuie directement sur la force et qui n’est soumis à aucune loi.

La dictature révolutionnaire du prolétariat est un pouvoir conquis et maintenu par la force employée par le prolétariat contre la bourgeoisie, pouvoir qui n’est soumis à aucune loi.

Cette vérité toute simple, cette vérité claire comme le jour pour tout ouvrier conscient représentant la masse, et non cette couche superficielle de canaille bourgeoise achetée par les capitalistes que sont les socialistes-impérialistes de tous les pays, cette vérité évidente pour tout représentant des exploités luttant pour leur affranchissement, cette vérité indiscutable pour tout marxiste, nous sommes obligés de l’arracher de haute lutte au très savant M. Kautsky. Comment expliquer cela ? Par cet esprit de servilité qui a pénétré les chefs de la IIe Internationale devenus de méprisables sycophantes au service de la bourgeoisie.

D’abord Kautsky a fait un maquignonnage en affirmant, chose évidemment absurde, que le sens littéral du mot dictature est dictature d’un seul individu ; puis, partant de cette falsification, il déclare que, par conséquent, l’expression de dictature du prolétariat chez Marx n’a pas son sens littéral, que dictature ne signifie pas application de la force révolutionnaire, mais « conquête pacifique de la majorité sous la démocratie bourgeoise » (remarquez bien cela).

Il faut distinguer, voyez-vous, entre « situation » et « forme de Gouvernement ». Distinction étonnamment profonde, tout comme si nous distinguions entre la situation ou l’état de bêtise d’un homme qui raisonne de travers et la « forme » de sa bêtise !

Kautsky a besoin de présenter la dictature comme une « situation » de « domination » (c’est l’expression qu’il emploie littéralement à la page 21) parce qu’alors disparaît la force révolutionnaire, disparaît la révolution violente. « La situation de domination », c’est une situation dans laquelle se trouve toute majorité sous la démocratie. Grâce à ce tour de bâton déloyal, la révolution disparaît fort heureusement.

Mais la déloyauté est par trop grossière et elle ne Sera d’aucun secours à Kautsky. Que la dictature suppose et désigne cette « situation » de force révolutionnaire qui déplaît tant aux renégats, appliquée par une classe contre une autre, cela crève les yeux. La fausseté de cette distinction entre « situation » et « forme de Gouvernement » est manifeste. Il faut être triplement sot pour parler de forme de Gouvernement, car le dernier des écoliers sait que monarchie et république sont deux formes de Gouvernement, bien distinctes. M. Kautsky a besoin de prouver que ces deux formes de gouvernement, comme toutes les formes de Gouvernement transitoires sous le régime capitaliste, ne sont que des variétés de l’État bourgeois, c’est-à-dire de la dictature de la bourgeoisie !

Enfin, parler de forme de Gouvernement, c’est une falsification aussi sotte que grossière de Marx, qui parle clairement ici de la forme ou du type de l’État et non pas de la forme de Gouvernement.

La révolution prolétarienne est impossible sans la destruction brutale de l’État bourgeois et son remplacement par un nouvel appareil qui, comme le dit Engels, n’est « déjà plus l’État au sens propre du mot ».

Il faut que Kautsky cache et travestisse tout cela : sa position de renégat l’exige. Voyez à quels misérables subterfuges il a recours.

Premier subterfuge : « Ce qui prouve que Marx n’avait pas en vue ici la forme de Gouvernement, c’est qu’il jugeait possible en Angleterre et en Amérique la révolution pacifique, c’est-à-dire par la voie démocratique… »

La forme de Gouvernement n’a rien à faire ici, car il y a des monarchies qui n’ont aucun caractère de l’État bourgeois, qui se distinguent par exemple par l’absence de militarisme, et il y a des républiques qui en portent tous les caractères avec le militarisme et la bureaucratie. C’est un fait historique et politique universellement connu, et Kautsky ne réussira pas à le dénaturer.

Si Kautsky voulait raisonner sérieusement et loyalement, il se demanderait : y a-t-il des lois historiques concernant les révolutions et ne connaissant pas d’exception ? Réponse : non, il n’y a pas de lois semblables. Ces lois n’ont en vue que ce que Marx a appelé un jour « l’idéal » au sens du capitalisme moyen, normal, type.

Ensuite y avait-il vers 1870 quelque chose qui faisait de l’Angleterre et de l’Amérique une exception sous le rapport examiné ? Pour tout homme initié aux exigences de la science dans le domaine des questions historiques, il est évident que cette question demande à être posée. Ne pas la poser serait falsifier la science et jouer avec les sophismes. Or cette question entraîne forcément cette réponse : la dictature révolutionnaire du prolétariat, c’est l’emploi de la force contre la bourgeoisie ; or cet emploi de la force est nécessité surtout, comme Marx et Engels l’ont tout au long et maintes fois expliqué (en particulier dans la « Guerre civile en France » et dans la préface de cet ouvrage), par le régime militariste et bureaucratique. Or précisément en 1870, quand Marx a fait sa remarque, ces institutions n’existaient pas en Angleterre et en Amérique. Maintenant elles existent en Angleterre comme en Amérique.

Pour couvrir sa trahison, Kautsky en est réduit à truquer à chaque pas.

Remarquons comme il a laissé passer le bout de l’oreille ; il a écrit : « pacifiquement, c’est-à-dire par voie démocratique ».

En définissant la dictature, Kautsky s’est évertué à cacher au lecteur le caractère fondamental de cette notion, à savoir : l’emploi de la force révolutionnaire. Mais la vérité s’est fait jour : il s’agit de distinguer entre révolution pacifique et révolution violente.

C’est ici qu’est le secret. Tous ses expédients, tous ses sophismes, toutes ses falsifications ne servent à Kautsky qu’à échapper à la révolution violente, à voiler son reniement et son passage du côté de la politique ouvrière libérale, c’est-à-dire du côté de la bourgeoisie.

C’est la clef du mystère.

L’« historien » Kautsky fausse l’histoire avec tant d’impudence qu’il oublie l’essentiel : le capitalisme antérieur au monopole, dont l’apogée date précisément de 1870, se distinguait en vertu de ses attributs économiques essentiels, dont l’Angleterre et l’Amérique offraient le type, par le maximum de pacifisme et de libéralisme possibles sous ce régime.

L’impérialisme, lui, c’est-à-dire le capitalisme monopolisateur, dont la maturité ne date que du XXe siècle, par ses attributs économiques essentiels, se distingue par le minimum de pacifisme et de libéralisme et par le développement maximum du militarisme dans le monde entier : « N’y point prendre garde », quand on recherche jusqu’à quel point la révolution pacifique ou violente est certaine ou probable, c’est se rabaisser au rang de vulgaire laquais de la bourgeoisie.

Deuxième subterfuge : « La Commune de Paris a été la dictature du prolétariat, mais elle a été élue par le suffrage universel, sans que la bourgeoisie ait été privée de ses droits électoraux, « démocratiquement ». Et Kautsky triomphe : « La dictature du prolétariat était pour Marx (ou d’après Marx) un état de choses découlant nécessairement de la démocratie pure, si le prolétariat compose la majorité (bei uberwiegendem Proletariat » (§ 21).

Cet argument de Kautsky est si drôle qu’on éprouve un véritable « embarras de richesses » à le réfuter. Tout d’abord on sait que la fleur, l’état-major, la crème de la bourgeoisie s’étaient enfuis de Paris à Versailles. À Versailles se trouvait le « socialiste » Louis Blanc, ce qui du reste confirme la fausseté des affirmations de Kautsky, d’après lesquelles à la Commune participaient « tous ies courants » du socialisme. N’est-il pas ridicule de présenter comme « démocratie pure » avec le « suffrage universel » la division des habitants de Paris en deux camps belligérants dont l’un rassemblait toute la bourgeoisie militante et politiquement active ?

Ensuite, la Commune luttait contre Versailles, comme Gouvernement ouvrier de la France contre le Gouvernement bourgeois. Que viennent faire ici la « démocratie pure » et le « suffrage universel », lorsque Paris décidait du sort de la France ? Quand Marx trouvait que la Commune avait commis une faute en ne s’emparant pas de la Banque qui appartenait à la France entière, peut-être que Marx partait aussi des principes et de la pratique de la « démocratie pure ? »

On sait en vérité que Kautsky écrit dans un pays où la police interdit aux gens de rire en compagnie, sans quoi Kautsky aurait été tué par le rire.

Enfin, je me permettrai de rappeler respectueusement à Monsieur Kautsky qui connaît par cœur Marx et Engels le jugement suivant d’Engels sur la Commune, du point de vue. « de la démocratie pure » :

« Ces messieurs (les anti-autoritaires) ont-ils jamais vu une révolution ? La révolution est incontestablement la chose la plus autoritaire qui soit possible. La révolution est un acte par lequel une partie de la population impose sa volonté à coups de fusils, de baïonnettes, de canons, c’est-à-dire par des moyens extrêmement autoritaires. Le parti qui a vaincu est dans la nécessité de maintenir sa domination au moyen de la terreur que ses armes inspirent aux réactionnaires. Si la Commune de Paris ne s’était pas appuyée sur l’autorité du peuple armé contre la bourgeoisie, est-ce qu’elle aurait tenu plus d’un jour ? Ne sommes-nous pas en droit, au contraire, de blâmer la Commune d’avoir trop peu usé de cette autorité ? ».

La voilà la « démocratie pure » ! De quels sarcasmes Engels n’aurait-il pas couvert le vil bourgeois, le « social-démocrate », au sens français de 1848 ou au sens désormais européen de 1914-1918, qui se fût avisé de parler de « démocratie pure » dans une société divisée en classes !

Mais assez là-dessus. Il est impossible d’énumérer toutes les absurdités débitées par Kautsky ; dans chacune de ses phrases il est renégat jusqu’à la moelle des os.

Marx et Engels ont donné de la Commune de Paris une analyse très approfondie ; ils ont montré que son mérite consista dans sa tentative de briser, de détruire « la machine d’État toute faite ». Cet argument avait aux yeux de Marx et d’Engels une valeur si considérable, qu’ils n’ont introduit en 1872 que ce correctif au programme « vieilli » par endroits du Manifeste Communiste. Marx et Engels ont montré que la Commune anéantissait l’armée et le fonctionnarisme, anéantissait le parlementarisme, détruisait « ce champignon parasite qu’est l’État » et ainsi de suite ; le très sage Kautsky, lui, coiffé de son bonnet de nuit, rabâche ce qu’ont répété mille fois les professeurs libéraux, les vieilles rengaines sur la « démocratie pure ».

Rosa Luxembourg n’exagérait pas quand le 4 Août 1914 elle traitait la social-démocratie allemande de cadavre puant.

Troisième subterfuge : « Si nous parlons de dictature comme forme de Gouvernement, nous ne pouvons parler de dictature de classe. Une classe, en effet, comme nous l’avons déjà fait remarquer, ne peut que dominer, mais non pas gouverner ». Ce sont les « organisations » ou les « partis » qui gouvernent.

Vous embrouillez, vous embrouillez d’une façon abominable, Monsieur le « baron du quiproquo ! »

La dictature n’est pas une « forme de Gouvernement » ; c’est une sottise que vous dites. Marx parle non pas de la forme de Gouvernement, mais de la forme ou du type de l’État. Ce n’est pas du tout, du tout, la même chose. De même il est absolument faux qu’une classe ne puisse pas gouverner ; une pareille sottise ne peut venir que d’un « crétin parlementaire » qui ne voit jamais rien en dehors du parlement bourgeois et ne remarque rien en dehors des « partis dirigeants », Le premier pays d’Europe venu offrira à Kautsky des exemples de gouvernements entre les mains d’une classe dominante, par exemple les grands propriétaires fonciers au moyen âge, malgré leur organisation insuffisante.

Ainsi donc, Kautsky a dénaturé d’une façon révoltante la notion de la dictature du prolétariat, en transformant Marx en un vulgaire libéral ; il est tombé lui-même dans un libéralisme de bas étage. quand il nous débite ses phrases creuses sur la « démocratie pure », lorsqu’il masque et laisse dans l’ombre le contenu de classe de la démocratie bourgeoise et qu’il écarte avec effroi l’emploi de la force révolutionnaire par la classe asservie. En « commentant » la notion de « dictature révolutionnaire du prolétariat » de façon à en faire disparaître la violence révolutionnaire de la classe asservie à l’égard des asservisseurs, Kautsky a battu le record mondial de la déformation libérale de Marx. Le renégat Bernstein n’est qu’un roquet à côté du renégat Kautsky.

  1. Abréviation couramment employée en Russie pour : socialistes-révolutionnaires.