La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky/La Constitution soviétique

La bibliothèque libre.
Bibliothèque Communiste (p. 66-78).

La Constitution Soviétiste


Comme je l’ai déjà montré, l’enlèvement à la bourgeoisie du droit électoral ne constitue pas un indice obligatoire et indispensable de la dictature du prolétariat. Même en Russie, les bolchéviks qui, longtemps avant novembre, avaient proclamé la formule de cette dictature, n’avaient point parlé d’avance de priver les exploiteurs du droit de vote. Cette caractéristique de notre dictature n’est pas le résultat « d’un plan » d’un parti quelconque, elle a surgi d’elle-même au cours de la lutte. L’historien Kautsky ne l’a pas remarqué, évidemment. Il n’a pas compris que, déjà au moment où les menchéviks, partisans de l’accord avec la bourgeoisie, dominaient dans les Soviets, la bourgeoisie se sépara d’elle-même des Soviets, les boycotta, se déclara leur adversaire, intrigua contre eux. Les Soviets ont surgi sans constitution aucune, et, pendant plus d’une année, du printemps de 1917 jusqu’à l’été de 1918, ils ont subsisté sans aucune constitution. La colère de la bourgeoisie contre l’organisation indépendante et toute-puissante (puisqu’elle les embrassait tous) des opprimés, la campagne la plus éhontée, la plus intéressée, la sale campagne de la bourgeoisie contre les Soviets, enfin la complicité manifeste de la bourgeoisie, depuis les cadets jusqu’aux s.-r. de droite, depuis Milioukov jusqu’à Kérensky, dans l’aventure de Kornilov, tout cela prépara l’exclusion formelle de la bourgeoisie des Soviets.

Kautsky a entendu parler du complot de Kornilov, mais il méprise magnifiquement les faits historiques, le cours des événements et les formes de la lutte qui devaient déterminer les formes de la dictature : à quoi bon l’histoire en effet, quand il s’agit de « démocratie pure ». Voilà pourquoi la « critique » de Kautsky, dirigée contre la suppression du droit électoral de la bourgeoisie, se distingue par une naïveté candide qui serait attendrissante chez un enfant, mais qui suscite le dégoût chez un homme qui n’est pas encore officiellement reconnu comme tombé en enfance.

« … Si les capitalistes s’étaient vus en infime minorité après la décision du suffrage universel, ils se seraient plus vite accommodés de leur sort » (p. 33)… C’est gentil, n’est-il pas vrai ? L’homme d’esprit qu’est Kautsky a vu souvent dans l’histoire, et il connaît par l’expérience générale de la vie, beaucoup de propriétaires et de capitalistes qui tiennent compte de la volonté de la majorité des opprimés. Le sage Kautsky s’obstine dans son point de vue « d’opposition », c’est-à-dire de lutte purement parlementaire. C’est ainsi qu’il écrit textuellement : « l’opposition » (p. 34 et beaucoup d’autres).

Ô savant historien et politique ! Sachez donc que « opposition » désigne une lutte pacifique et exclusivement parlementaire, c’est-à-dire une notion de temps de paix, excluant la révolution. En révolution, il s’agit d’un ennemi impitoyable et de la guerre civile, et aucune jérémiade réactionnaire de petit bourgeois, apeuré devant cette guerre comme Kautsky, ne changera rien à ce fait. Traiter ainsi la question d’une guerre civile impitoyable, où la bourgeoisie est capable de tous les crimes (l’exemple des Versaillais et leurs marchés avec Bismarck en disent assez pour tout homme qui considère l’histoire autrement que le Guignol de Gogol), où la bourgeoisie appelle à son secours les gouvernements étrangers et intrigue avec eux contre la révolution, c’est de la comédie. À l’exemple du « baron du quiproquo » Kautsky, le prolétariat révolutionnaire n’a plus qu’à mettre son bonnet de nuit, et à considérer cette bourgeoisie qui fomente les révoltes contre-révolutionnaires des Doutov, des Krasnov et des Tchèques, et qui prodigue les millions aux saboteurs, comme une « opposition » légale. Quelle profondeur d’esprit !

Kautsky s’intéresse exclusivement au côté formel et juridique de la question, de sorte que, en lisant ses considérations sur la constitution soviétiste, on se rappelle involontairement les paroles de Bebel : les jurisconsultes, ce sont des gens pourris de réaction. « En réalité, écrit Kautsky, on ne peut pas priver les capitalistes seuls de tous leurs droits. Qu’est-ce qu’un capitaliste au sens juridique ? Un homme qui possède ? Même dans un pays comme l’Allemagne, très avancé dans la voie du progrès économique, dans lequel le prolétariat est si nombreux, la fondation de la république soviétiste aurait pour effet de priver de droits politiques des masses considérables de citoyens. Dans l’empire allemand, en 1907, le nombre des gens adonnés au travail industriel et de leurs familles se montait dans les trois grandes branches, agriculture, industrie et commerce, à environ 35 millions d’employés et d’ouvriers salariés et 17 millions de travailleurs indépendants. Par conséquent, un parti peut aisément être la majorité parmi les ouvriers salariés, mais la minorité parmi la population » (p. 33).

Voilà un échantillon des raisonnements de Kautsky. N’est-ce pas là une pleurnicherie contre-révolutionnaire de bourgeois ?

Pourquoi donc M. Kautsky, faites-vous rentrer tous les « travailleurs indépendants » dans la catégorie des personnes privées de droits, quand vous savez bien que l’immense majorité des paysans russes n’a pas d’ouvriers salariés et par conséquent n’est pas privée de droits ? Est-ce que ce n’est pas une falsification ?

Pourquoi donc, savant économiste, n’avez-vous pas reproduit les données bien connues de vous, fournies par cette même statistique allemande de 1907, au sujet du travail salarié dans les diverses catégories d’exploitations agricoles ? Pourquoi n’avez-vous pas cité aux ouvriers allemands, lecteurs de votre brochure, ces données, d’après lesquelles on verrait combien d’exploiteurs, combien peu d’exploiteurs il y a parmi les « agriculteurs » de la statistique allemande ? C’est parce que votre apostasie a fait de vous un simple complice de la bourgeoisie.

Capitaliste, voyez-vous, c’est une notion juridique bien vague, et Kautsky foudroie en plusieurs pages « l’arbitraire » de la constitution soviétiste. Cet « érudit consciencieux » permet à la bourgeoisie anglaise d’élaborer et d’étudier pendant des siècles une constitution bourgeoise, nouvelle pour le Moyen Âge, mais à nous, ouvriers et paysans de Russie, ce représentant de la science servile ne nous laisse aucun délai. Il exige de nous une constitution élaborée jusqu’au plus petit détail en l’espace de quelques mois…

« … Arbitraire ! » Jugez donc quel abîme de basse servilité devant la bourgeoisie, quel stupide pédantisme découvre ce reproche. Lorsque les juristes bourgeois et pour la plupart réactionnaires des pays capitalistes ont mis des siècles ou des dizaines d’années pour élaborer les règles les plus minutieuses, pour écrire des dizaines et des centaines de volumes de lois et de commentaires, pour opprimer l’ouvrier, enchaîner pieds et mains liés le pauvre diable, tracasser, entraver de mille façons les simples travailleurs du commun, oh ! alors, les libéraux bourgeois et M. Kautsky ne voient là aucun « arbitraire » ! Ils voient là « l’ordre » et la « légalité » ! Là tout est médité et rédigé pour mieux pressurer le pauvre diable. Là sont des milliers d’avocats et de fonctionnaires bourgeois (Kautsky se garde bien d’en parler, probablement parce que Marx accordait une énorme importance à la destruction de la machine fonctionnariste), des milliers d’avocats et de fonctionnaires, adroits à interpréter les lois de telle sorte que l’ouvrier et le paysan moyen ne puissent jamais se tirer des réseaux de fil de fer de ces lois. Ce n’est pas là « l’arbitraire » de la bourgeoisie, ce n’est pas la dictature des vils exploiteurs avides et altérés du sang du peuple. Point du tout. C’est la « démocratie pure », devenant de jour en jour de plus en plus pure.

Mais lorsque les classes laborieuses et exploitées, pour la première fois dans l’histoire, séparées par la guerre impérialiste de leurs frères étrangers, ont créé leurs soviets, ont convié à la besogne politique les classes que la bourgeoisie opprimait, écrasait et abrutissait, et ont entrepris de fonder elles-mêmes un État nouveau, l’État prolétarien ; lorsque, dans l’ardeur d’une lutte acharnée, dans le feu de la guerre civile, elles ont commencé à esquisser les fondements d’un État sans exploiteurs, alors tous les chenapans de la bourgeoisie, toute la nuée des vampires, avec leur accompagnateur Kautsky, ont hurlé à « l’arbitraire ! » Comment, en effet, ces ignorants d’ouvriers et de paysans, comment toute cette « populace » serait-elle capable d’interpréter ses propres lois ? Où voulez-vous qu’ils prennent le sentiment de la justice, ces humbles travailleurs, sans les conseils des avocats éclairés, des littérateurs bourgeois, des Kautsky et des vieux fonctionnaires roués ?

De mon discours du 28 avril 1918, M. Kautsky cite cette phrase : « Les masses déterminent elles-mêmes l’ordre et la date des élections »… Et en « démocrate pur » il conclut :

« … Il s’ensuit donc que chaque collège d’électeurs établit la procédure des élections comme il lui plaît. L’arbitraire et la possibilité de se débarrasser des éléments d’opposition gênants au sein du prolétariat même seraient de cette façon multipliés au dernier point » (p. 37).

En quoi ce verbiage se distingue-t-il de celui d’un coolie de lettres vendu aux capitalistes, qui hurle à l’oppression quand dans une grève la masse fait violence aux travailleurs laborieux qui veulent « travailler » ? En quoi le mode d’élection établi par les fonctionnaires bourgeois dans la démocratie bourgeoise « pure » n’est-il pas arbitraire ? En quoi le sens de la justice chez les masses insurgées pour la lutte contre leurs éternels exploiteurs, chez les masses instruites et fortifiées par cette lutte désespérée, doit-il être plus bas que chez une poignée de fonctionnaires, d’intellectuels et d’avocats nourris dans les préjugés bourgeois ?


Kautsky est un socialiste convaincu ; n’allez pas mettre en doute la sincérité de ce vénérable père de famille, de cet honnête citoyen. Il est partisan déclaré et chaleureux de la victoire des travailleurs, de la révolution prolétarienne. Seulement il voudrait bien que, pour commencer, avant le mouvement des masses, avant leur lutte impitoyable contre les exploiteurs, les intellectuels bourgeois et les pharisiens en bonnet de nuit puissent tout doucement sans guerre civile, composer les statuts modérés et précis du développement de la révolution…

Notre savant Judas Golovliev[1], dans une profonde indignation morale, raconte aux ouvriers allemands que, le 14 juin 1918, le Comité Exécutif Central des Soviets de Russie a décrété l’exclusion des Soviets des représentants du parti s.-r. et des menchéviks. « Cette mesure, écrit Judas Kautsky tout brûlant d’une noble indignation, est dirigée non pas contre des personnes déterminées coupables d’avoir commis certains actes punissables. La constitution de la République Soviétiste ne dit pas un mot de l’inviolabilité des députés membres des Soviets. Ce ne sont pas certaines personnes, mais bien certains partis qui sont exclus des soviets » (p. 37).

En effet, c’est un crime abominable, c’est un attentat intolérable à la démocratie pure, suivant les règles de laquelle notre révolutionnaire Judas Kautsky voudrait faire la révolution. Les bolchéviks russes auraient dû commencer par garantir l’inviolabilité aux Savinkov et Cie, aux Liber, Dan, Potressov (les activistes) et Cie, puis rédiger un code pénal déclarant « passibles de punition » la participation à la campagne contre-révolutionnaire des Tchéco-Slovaques ou l’alliance en Ukraine et en Géorgie avec les impérialistes allemands contre les travailleurs de son pays, et alors seulement, en vertu de ce code pénal, nous aurions été en droit, selon la « démocratie pure », d’exclure des soviets « certaines personnes ». Il va sans dire que les Tchéco-Slovaques, qui recevaient leurs subsides des capitalistes anglo-français par l’entremise des Savinkov, des Potressov et des Liber et Dan, ou grâce à leur propagande, de même que les Krasnov, ravitaillés en projectiles allemands par les soins des menchéviks d’Ukraine et de Tiflis, auraient attendu sagement jusqu’à ce que nous ayons rédigé dans toutes les règles de l’art notre code criminel, et se seraient contentés, en démocrates purs, d’un rôle d’ « opposition »…

Kautsky s’indigne également de ce que la constitution soviétiste prive des droits électoraux ceux qui « emploient des ouvriers salariés dans un but de profit ». « Un travailleur à domicile ou un petit patron qui occupe un apprenti peuvent vivre et sentir en vrais prolétaires, ils n’ont pas le droit de vote » (p. 36).

Voilà une brèche à la « démocratie pure ! » Voilà une injustice ! Jusqu’ici tous les marxistes supposaient, ce qui est confirmé par des milliers de faits, que les petits patrons sont les plus malhonnêtes et les plus impitoyables exploiteurs des ouvriers, salariés, mais Judas Kautsky parle, naturellement, non pas de la classe des petits patrons (qui donc a imaginé la funeste théorie de la lutte des classes ?), mais des individus, des exploiteurs qui « vivent et sentent en vrais prolétaires ». La fameuse « Agnès économe », qu’on croyait morte depuis longtemps, est ressuscitée sous la plume de Kautsky. Cette fameuse Agnès économe a été créée et mise en vogue il y a quelques dizaines d’années, dans la littérature allemande, par le « pur » démocrate bourgeois Eugène Richter. Ce dernier a prédit les malheurs effroyables qui résulteraient de la dictature du prolétariat, de la confiscation du capital des exploiteurs ; il a demandé avec candeur ce que c’était qu’un capitaliste au sens juridique. Comme exemple il a pris une couturière pauvre et économe (Agnès l’économe) que les méchants « dictateurs du prolétariat » dépouillent de ses derniers sous. Naguère encore, toute Ia social-démocratie allemande s’amusait de cette « Agnès économe » du pur démocrate Eugène Richter. Mais il y a longtemps de cela ; c’était quand Bebel était encore en vie et disait tout franchement la vérité, à savoir : dans notre parti il y a beaucoup de nationaux-libéraux. C’était bien longtemps avant que Kautsky ne se fasse renégat.

Et voilà « Agnès l’économe » ressuscitée en la personne du « petit patron avec un seul apprenti, vivant et sentant en vrai prolétaire ». Les méchants bolchéviks sont injustes envers lui, ils lui enlèvent le droit de vote. Il est vrai que « tout collège électoral », comme le dit Kautsky, peut dans la République Soviétiste admettre un pauvre artisan attaché par exemple à une usine, si toutefois, par exception, il n’est pas un exploiteur, si vraiment « il vit et sent en vrai prolétaire ». Mais est-ce qu’il est possible de se lier à la connaissance de la vie, au sentiment de la justice d’un comité d’usine de simples ouvriers, mal organisé et agissant (ô horreur !) sans statuts ? N’est-il pas clair qu’il vaut mieux garantir le droit de suffrage à tous les exploiteurs, à tous les patrons, plutôt que de risquer que les travailleurs ne maltraitent l’ « économe Agnès » et l’artisan « qui vit et sent en vrai prolétaire » ?

Laissons les méprisables coquins de l’apostasie, aux applaudissements de la bourgeoisie et des social-chauvins[2], vilipender notre constitution soviétiste sous prétexte qu’elle prive les exploiteurs du droit de vote. Tant mieux, car la rupture n’en sera que plus prompte et plus profonde entre les ouvriers révolutionnaires d’Europe et les Scheidemann et les Kautsky, les Renaudel et les Longuet, les Henderson et les Macdonald, ces vieux chefs et ces vieux traîtres du socialisme.

Les masses opprimées, les chefs conscients et loyaux du prolétariat révolutionnaire seront pour nous.

Il suffit de faire connaître à ces prolétaires et à ces masses notre constitution soviétiste pour qu’ils disent tout de suite : « Voilà vraiment où sont nos gens, voilà le véritable parti ouvrier, le vrai gouvernement des travailleurs. Celui-ci au moins ne trompe pas les ouvriers par des bavardages sur les réformes, comme nous trompaient tous les chefs déjà nommés, il lutte pour de bon contre les exploiteurs, il accomplit pour de bon la révolution, il lutte vraiment pour l’affranchissement complet des travailleurs ».

Si les exploiteurs sont privés par les soviets du droit de vote après une année de « pratique soviétiste », c’est que ces soviets sont vraiment l’organisation des masses opprimées, et non pas celle des social-impérialistes et des social-pacifistes vendus à la bourgeoisie. Si ces soviets ont enlevé le droit de vote aux exploiteurs, c’est que les soviets ne sont pas les organes de l’alliance des petits bourgeois avec les capitalistes, ni les organes du bavardage parlementaire des Kautsky, Longuet ou Macdonald, maïs les organes du prolétariat vraiment révolutionnaire, engagé dans une lutte à mort contre les exploiteurs.

« On ne connaît presque pas ici le livre de Kautsky », m’écrit aujourd’hui (30 octobre) de Berlin, un camarade bien informé. Je conseillerais à nos ministres en Allemagne et en Suisse de ne pas ménager l’argent, d’acheter ce livre et de le distribuer gratuitement aux ouvriers conscients, afin d’enfoncer dans son ordure cette social-démocratie impérialiste et réformiste qui se dit le seul socialisme « européen », et qui est depuis longtemps un « cadavre puant ».

À la fin de son livre, aux pages 61 et 63, M. Kautsky déplore amèrement que « la nouvelle théorie » (c’est ainsi qu’il nomme le bolchévisme, craignant d’aborder seulement l’analyse de la Commune de Paris par Marx et Engels), « trouve des partisans même dans les vieilles démocraties, comme la Suisse par exemple ». « On ne comprendrait pas, dit Kautsky, que cette thèse puisse séduire les social-démocrates allemands ».

C’est au contraire absolument compréhensible, car après les sérieuses leçons de la guerre, les masses révolutionnaires se sont dégoûtées des Scheidemann et des Kautsky.

« Nous » avons toujours été pour la démocratie, écrit Kautsky, et tout à coup nous y renoncerions !

« Nous », opportunistes de la social-démocratie, nous avons toujours été contre la dictature du prolétariat ; les Kolb et Cie l’ont dit franchement voici beau temps. Kautsky le sait bien et il se trompe s’il croit cacher à ses lecteurs un fait aussi évident que son « retour dans le giron » des Bernstein et des Kolb.

« Nous », marxistes révolutionnaires, nous n’avons jamais fait une idole de la démocratie « pure », c’est-à-dire bourgeoise. Avant la triste conversion qui fit de lui un Scheidemann russe, Plékhanov était, comme l’on sait, un marxiste révolutionnaire. Au congrès qui a adopté le programme du parti, Plékhanov disait, en 1903 qu’au moment de la révolution le prolétariat n’hésiterait pas à enlever aux capitalistes le droit de vote, à disperser tout parlement qui se montrerait contre-révolutionnaire. C’est du reste l’unique principe qui réponde au marxisme, comme on le voit, ne fût-ce que par les déclarations de Marx et d’Engels citées plus haut. C’est le corollaire évident de tous les principes marxistes.

« Nous », marxistes révolutionnaires, nous n’avons jamais tenu au peuple des discours comme aimaient à lui en tenir les kautskystes de toutes les nations, rampant devant la bourgeoisie, cherchant à imiter les parlements bourgeois, dissimulant le caractère bourgeois de la démocratie actuelle et se contentant de demander son élargissement et son perfectionnement.

« Nous » disions à la bourgeoisie : exploiteurs et hypocrites que vous êtes, vous parlez de démocratie alors qu’à chaque pas vous dressez des milliers de barrières pour empêcher les masses opprimées de participer à la vie politique. Nous vous prenons au mot et nous exigeons en faveur de ces masses l’élargissement de votre démocratie bourgeoise, afin de préparer les masses à la révolution qui vous renversera, vous, exploiteurs. Et si vous, exploiteurs, vous faites mine de résister à notre révolution prolétarienne, nous vous écraserons impitoyablement, nous vous priverons de vos droits politiques, bien plus : nous vous refuserons le pain, car dans notre république prolétarienne les exploiteurs seront sans droits, seront privés d’eau et de feu, parce que nous sommes socialistes pour de bon, et non pas socialistes d’opérette comme les Scheidemann et les Kautsky.

Tel est le langage que nous avons tenu et que nous tenons, « nous » marxistes révolutionnaires, et voilà pourquoi les masses opprimées seront pour nous et avec nous, tandis que les Scheidemann et les Kautsky prendront place à côté des renégats.

  1. Personnification de la traîtrise.
  2. Je viens seulement de lire l’article de tête de la Gazette de Francfort du 22 octobre 1918 n° 293, qui paraphrase avec enthousiasme la brochure de Kautsky. Le journal des boursiers est enchanté. Je crois bien ! Un camarade m’écrit de Berlin que le Vorwaerts de Scheidemann a déclaré dans un article spécial qu’il souscrit presque à chacune des lignes de Kautsky. Nos compliments.