La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky/Obséquiosité à l’égard de la bourgeoisie sous prétexte d’analyse économique

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Bibliothèque Communiste (p. 96-121).

Obséquiosité à l’égard de la bourgeoisie
sous prétexte d’analyse économique


Comme on l’a déjà dit, si le titre correspondait bien au contenu, le livre de Kautsky devrait s’appeler non pas : « La dictature du prolétariat », mais « Transposition des attaques de la bourgeoisie contre les bolchéviks ».

Les vieilles « théories » des menchéviks sur le caractère bourgeois de la révolution russe, c’est-à-dire la vieille déformation du marxisme par les menchéviks, condamnés en 1905 par Kautsky, notre théoricien nous les ressert maintenant réchauffées. Si fastidieuse que soit cette question pour les marxistes russes, nous devrons nous y arrêter.

La révolution russe est une révolution bourgeoise, disaient tous les marxistes de Russie avant 1905. Les menchéviks, en substituant au marxisme un libéralisme, en ont conclu : le prolétariat ne doit donc pas aller au delà de ce qui est accepté par la bourgeoisie, il doit faire une politique d’entente avec elle. Les bolchéviks disaient que c’était là une théorie bourgeoise-libérale. La bourgeoisie s’efforce de transformer l’État à la mode bourgeoise, c’est-à-dire réformiste et non révolutionnaire, en maintenant autant que possible et la monarchie, et la grande propriété, et le reste. Le prolétariat doit mener la révolution démocratique-bourgeoise jusqu’au bout, sans se laisser « lier » par le réformisme de la bourgeoisie.

Les bolchéviks formulaient ainsi la position des diverses classes lors de la révolution bourgeoise : le prolétariat, s’adjoignant les paysans, neutralise la bourgeoisie libérale et fait table rase de la monarchie, de la féodalité et de la grande propriété foncière.

C’est dans cette alliance du prolétariat avec la classe paysanne que se marque en général le caractère bourgeois de la révolution, car les paysans sont dans l’ensemble de petits producteurs, créateurs de pro— duits marchands. En outre, ajoutaient alors les bolchéviks, le prolétariat s’annexe tout le demi-prolétariat (tous les travailleurs et exploités), il neutralise la classe paysanne moyenne et jette à bas la bourgeoisie ; voilà en quoi consiste la révolution socialiste par opposition à la révolution démocratique-bourgeoise (voir ma brochure de 1905 : Deux tactiques, réimprimée dans le recueil : Douze années, Pétersbourg, 1907).

Kautsky prit une part indirecte à cette discussion en 1905, lorsque, interrogé par Plékhanov, alors menchévik, il se prononça à fond contre lui, ce qui provoqua alors les sarcasmes de la presse bolchéviste. Maintenant, Kautsky ne souffle plus mot des anciennes discussions (il craint d’être confondu par ses propres déclarations !) et il enlève ainsi au lecteur allemand toute possibilité de comprendre le fond de la question. M. Kautsky ne pouvait pas raconter aux ouvriers allemands, en 1918, qu’en 1905 il prônait l’alliance des ouvriers avec les paysans et non pas avec la bourgeoisie libérale, ni à quelles conditions il recommandait cette alliance, ni quel programme il avait en vue pour cette alliance.

Marchant ainsi à reculons, Kautsky, sous prétexte d’ « analyse économique », avec des phrases ronflantes sur le « matérialisme historique », se montre maintenant partisan de la subordination des ouvriers à la bourgeoisie, et rabâche à grands coups de citations de Maslov, les vieilles idées libérales des menchéviks ; avec ces citations, il prouve comme une chose nouvelle l’état retardataire de la Russie et, de cette idée nouvelle, il tire cette vieille conclusion que dans une révolution bourgeoise on ne saurait aller plus loin que la bourgeoisie ! Et cela, en dépit de tout ce qu’ont dit Marx et Engels, comparant la révolution bourgeoise de 1789-1793 en France avec la révolution bourgeoise en Allemagne de 1848 !

Avant de passer à « l’argument » principal et au contenu principal de « l’analyse économique » de Kautsky, remarquons la curieuse confusion de pensées ou la légèreté de l’auteur que dénotent déjà les premières phrases :

« Le fondement économique de la Russie, vaticine notre « théoricien », c’est jusqu’à présent l’agriculture, et qui plus est, la petite production paysanne. Elle fait vivre environ les quatre cinquièmes, sinon les cinq sixièmes de la population » (p. 45). Tout d’abord, cher théoricien, avez-vous songé au nombre d’exploiteurs qui peuvent se trouver parmi cette masse de petits producteurs ? Certainement, pas plus d’un dixième, et encore moins dans les villes, où la grosse production est plus développée. Prenez même un chiffre invraisemblable et supposez qu’un cinquième des petits producteurs soient des exploiteurs perdant le droit de vote. Même alors vous verrez que les 66 % de bolchéviks au cinquième Congrès des Soviets représentaient la majorité de la population. À cela il faut encore ajouter qu’une proportion imposante des s.-r. de gauche a toujours été pour le pouvoir des Soviets. En principe tous les s.-r. de gauche étaient pour le pouvoir des Soviets. Et lorsqu’une partie d’entre eux se fut risquée dans l’émeute de juillet 1918, deux nouveaux partis se détachèrent de l’ancien parti : celui des « Communistes populistes » et celui des « Communistes révolutionnaires », (parmi les s.-r. en vue, déjà portés par l’ancien parti aux postes les plus importants dans l’État, on peut citer dans le premier groupe Sachs, et dans le deuxième Kalégaiev). Conclusion : Kautsky lui-même a réfuté, oh ! bien involontairement, cette légende ridicule que les bolchéviks n’ont pour eux que la minorité de la population.

Ensuite, mon cher théoricien, avez-vous songé que le petit producteur paysan oscille inévitablement entre le prolétariat et la bourgeoisie ? Cette vérité marxiste, confirmée par toute l’histoire de l’Europe contemporaine, Kautsky l’a « oubliée » fort à propos, car elle réduit en poussière toute la « théorie » menchéviste reproduite par lui. Si Kautsky ne l’avait pas ainsi oubliée, il n’aurait pu nier la nécessité de la dictature du prolétariat dans un pays où dominent les petits producteurs paysans.

Examinons le contenu essentiel de l’ « analyse économique » de notre théoricien.

Que le pouvoir soviétiste soit une dictature, cela est incontestable, dit Kautsky. « Mais est-ce bien la dictature du prolétariat ? » (p. 34). « D’après la constitution soviétiste, les paysans composent la majorité de la population jouissant du droit de participer à la lélégislation et à l’administration. Ce qu’on nous donne comme la dictature du prolétariat, si toutefois elle était réalisée logiquement et si, de façon générale, une classe pouvait directement réaliser la dictature, ce qui n’est possible que pour un parti, ne serait autre chose que la dictature de la classe paysanne » (p 35).

Enchanté d’un raisonnement aussi profond et aussi spirituel, le bon Kautsky se risque à l’ironie : « Il en résulterait que le plus sûr moyen d’obtenir sans à-coups la réalisation du socialisme serait de la confier aux mains des paysans » (p. 35).

À grands renforts de détails et de citations extraordinairement savantes du demi-libéral Maslov, notre théoricien prouve cette idée nouvelle que les paysans sont intéressés à ce que le prix du blé soit élevé et le salaire des ouvriers des villes maintenu bas, etc. etc… L’exposition d’idées aussi originales suscite, disons-le en passant, d’autant plus d’ennui que l’auteur accorde moins d’attention aux phénomènes vraiment nouveaux résultant de la guerre, à savoir, par exemple, que les paysans exigent en échange du blé non pas de l’argent, mais des marchandises, que les paysans manquent d’instruments qu’il est impossible de se procurer à n’importe quel prix. Nous reviendrons plus loin sur cette question.

Ainsi donc, Kautsky accuse le parti du prolétariat, les bolchéviks, d’avoir remis la dictature, remis la tâche de réaliser le socialisme, entre les mains de la classe paysanne petite-bourgeoise. À merveille, Monsieur Kautsky ! Mais d’après votre avis hautement éclairé, quelle devrait donc être l’attitude du parti prolétarien à l’égard de la petite bourgeoisie paysanne ?

Là-dessus, notre théoricien a préféré se taire, en mémoire sans doute du proverbe : « La parole est d’argent, mais le silence est d’or ». Mais il s’est trahi par la réflexion suivante :

« Dans les débuts de la République Soviétiste, les Soviets Paysans étaient des organisations de la classe paysanne dans son ensemble. Maintenant cette République proclame que les Soviets sont des organisations des prolétaires et des paysans pauvres. Les paysans aisés perdent le droit d’élection aux Soviets. Le paysan pauvre est reconnu ici comme un produit permanent et universel de la réforme agraire socialiste sous la « dictature du prolétariat » (p. 48).

Quelle ironie meurtrière ! Vous pouvez l’entendre dire en Russie par le premier bourgeois venu ; les bourgeois se réjouissent de voir que la République Soviétiste reconnaisse franchement l’existence des paysans pauvres. Ils tournent en dérision le socialisme. C’est leur droit. Mais le « socialiste » qui rit parce qu’après une guerre extraordinairement ruineuse de quatre années, il y a et il y aura encore longtemps chez nous des paysans pauvres, un pareil « socialiste » ne pouvait naître que dans un pur milieu de renégats.

Écoutez encore !

« La République Soviétiste intervient dans les relations entre paysans riches et paysans pauvres, mais non pas par une nouvelle répartition de la terre. Pour subvenir aux besoins alimentaires des citadins, on envoie dans les campagnes des détachements d’ouvriers armés qui enlèvent de force aux paysans riches leur superflu de blé. Une partie de ce blé va aux habitants des villes, l’autre aux paysans pauvres » (p. 48).

Naturellement, le socialiste et marxiste Kautsky est profondément indigné à l’idée qu’une semblable mesure puisse s’étendre au delà de la banlieue des grandes villes (or, chez nous elle s’étend au pays tout entier). Le socialiste et marxiste Kautsky remarque sentencieusement avec le flegme (ou la bêtise) sans pareil, incomparable, admirable du philistin : « Elles (ces expropriations de paysans riches) apportent un nouvel élément de trouble et de guerre civile dans le processus de production qui, pour s’assainir, a un besoin urgent de tranquillité et de sécurité » (p. 49).

Oui, oui, la tranquillité et la sécurité des exploiteurs et des agioteurs en blé qui cachent leur superflu, enfreignent la loi sur le monopole des grains et condamnent à la famine la population des villes, sur tout cela le marxiste et socialiste Kautsky a raison de soupirer et de verser des pleurs. « Nous sommes tous socialistes et marxistes et internationalistes, crient en chœur les sieurs Kautsky, Henri Weber (Vienne), Longuet (Paris), Macdonald (Londres), etc. ; nous sommes tous pour la révolution de la classe ouvrière, seulement, seulement à condition de ne pas troubler la tranquillité et la sécurité des spéculateurs en blé ! Et cette vile obséquiosité envers les capitalistes, nous la couvrons de la théorie « marxiste » sur le « processus de la production »… Si c’est cela du marxisme, comment nommerez-vous la servilité devant la bourgeoisie ?


Voyez les conclusions de notre théoricien. Il accuse les bolchéviks de vouloir faire passer la dictature des paysans pour la dictature du prolétariat. En même temps il nous accuse de porter la guerre civile dans les campagnes, ce que nous regardons comme un mérite, d’envoyer dans les villages des détachements d’ouvriers armés qui proclament ouvertement qu’ils réalisent la « dictature du prolétariat et des paysans pauvres », et aident ces derniers à reprendre aux spéculateurs et aux paysans riches le superflu de blé qu’ils cachent en violation de la loi sur le monopole des grains.

D’un côté. notre théoricien marxiste est pour la démocratie pure, pour la soumission de la classe révolutionnaire, guide des travailleurs et des exploités, à la majorité de la population (y compris par conséquent les exploiteurs). D’autre part, il démontre contre nous le caractère bourgeois inéluctable de la révolution, bourgeois parce que la classe paysanne dans son ensemble est pour la société bourgeoise. En même temps, il prétend défendre le point de vue de classe prolétarien et marxiste.

Ce n’est pas là une « analyse économique », mais un gâchis et une confusion d’idées de la pire espèce. Au lieu de marxisme, ce sont des bribes de doctrines libérales et des démonstrations de servilité devant la bourgeoisie et devant les exploiteurs ruraux.

La question ainsi embrouillée par Kautsky a été éclaircie à fond par les bolchéviks dès 1905. Oui, notre révolution est bourgeoise, tant que nous marchons d’accord avec la classe paysanne dans son ensemble. Cela, nous l’avons compris — car c’est clair comme le jour — nous l’avons répété des centaines et des milliers de fois depuis 1905, jamais nous n’avons essayé ni de sauter cette étape nécessaire du processus historique, ni de l’abolir par décret. En s’évertuant à nous « confondre » sur ce point, Kautsky ne montre que la confusion de son esprit et la crainte qu’il a de se rappeler ce qu’il écrivait en 1905, avant d’être renégat.

Dès le mois d’avril 1917, bien avant la révolution de novembre et notre prise du pouvoir, nous disions ouvertement et nous expliquions au peuple : la révolution ne pourra pas s’en tenir là, le pays a progressé, le capitalisme a marché de l’avant, Ia ruine a pris des proportions inouïes qui exigeront, qu’on le veuille ou non, un progrès ultérieur, jusqu’au socialisme. Car il n’y a pas d’autre moyen de progresser, de sauver le pays tourmenté par la guerre, de soulager les souffrances des travailleurs et des exploités : il n’y a pas d’autre moyen.

Les événements ont pris exactement la tournure que nous avons prédite. Le cours de la révolution a confirmé la justesse de nos réflexions. D’abord avec toute la classe paysanne contre la monarchie, contre les grands propriétaires fonciers, contre la féodalité (et en cela la révolution reste bourgeoise, démocratique-bourgeoise). Ensuite, avec la classe paysanne pauvre, avec le demi-prolétariat, avec tous les exploités contre le capitalisme, y compris les riches campagnards, les accapareurs, les spéculateurs, et dès lors la révolution devient socialiste. Tenter de dresser artificiellement une muraille de Chine entre l’une et l’autre, de les séparer l’une de l’autre par autre chose que par le degré de préparation du prolétariat et le degré de son union avec la classe pauvre des campagnes, c’est dénaturer à l’extrême le marxisme, l’avilir et le remplacer par le libéralisme. C’est vouloir, en se référant d’une manière soi-disant savante au progrès constitué par le régime bourgeois par rapport à la féodalité, faire œuvre de réaction en défendant la bourgeoisie par rapport au prolétariat socialiste.

Du reste, si les Soviets personnifient une forme et un type incomparablement plus hauts du démocratisme, c’est précisément parce que, groupant et entraînant dans la politique la masse des ouvriers et paysans, ils sont l’institution la plus proche du « peuple » ; au sens où Marx en 1871 parlait de la vraie révolution populaire, et offrent le baromètre le plus sensible du développement et du degré croissant de maturité politique et de la conscience de classe des masses. La Constitution Soviétiste n’a pas été écrite d’après un « plan », elle n’a pas été composée dans un cabinet et n’a pas été imposée aux travailleurs par les juristes bourgeois. Non, cette Constitution a surgi au cours du développement de la lutte de classes, à mesure que mûrissaient les antagonismes de classes. Cela est confirmé par les faits mêmes que Kautsky est obligé de reconnaître.

Au début, les Soviets groupaient la classe paysanne dans son ensemble. Le manque de développement, le caractère retardataire et l’ignorance des paysans pauvres laissaient toute la direction entre les mains des accapareurs, des enrichis, des capitalistes, des intellectuels petits-bourgeois. C’était l’époque de l’hégémonie de la petite bourgeoisie, des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires (pour croire les uns et les autres, il faut être un niais ou un renégat comme Kautsky). La petite bourgeoisie ne pouvait manquer d’osciller entre la dictature de la bourgeoisie (Kérensky, Kornilov, Savinkov) et la dictature du prolétariat. Car, par un caractère profond de sa situation économique, la petite bourgeoisie est incapable de quoi que ce soit d’indépendant. Soit dit en passant, Kautsky renie complètement le marxisme quand, dans son analyse de la révolution russe, il s’en tient à la notion juridique et formelle de « démocratie », qui ne peut que permettre à la bourgeoisie de masquer sa domination et de tromper les masses, oubliant que démocratie veut dire parfois dictature de la bourgeoisie, parfois réformisme impuissant de la petite bourgeoisie qui s’incline sous cette dictature, etc. D’après Kautsky, il résulterait que, dans un pays capitaliste. il y avait des partis bourgeois, un parti prolétarien entraînant derrière lui la majorité du prolétariat, sa masse (les bolchéviks), mais qu’il n’y avait pas de partis petits-bourgeois ! Il n’y aurait pas de classe où les menchéviks et les s.-r. aient lèurs racines, ils ne seraient pas les partis de la petite bourgeoisie ! Les hésitations de la petite bourgeoisie, des menchéviks et des s.-r., ont éclairé les masses et ont éloigné leur immense majorité, toutes les « basses couches », tous les prolétaires et demi-prolétaires, de pareils « guides ». Dans les soviets, ce furent les bolchéviks qui eurent la prédominance (à Pétrograd et à Moscou vers novembre 1917), tandis que parmi les s.-r, et les menchéviks, la scission s’accentuait.

Le triomphe de la révolution bolchéviste marque le terme des hésitations, assure la destruction de la monarchie et de la grande propriété foncière, qui, avant la révolution de novembre, n’avait pas été détruite. La révolution bourgeoise a été menée par nous à son terme. La masse paysanne tout entière a marché derrière nous. Son antagonisme envers le prolétariat socialiste ne pouvait se manifester au premier abord. Les Soviets groupaient alors la classe paysanne en général. La différenciation des classes au sein de la masse paysanne n’était pas encore mûre, ne s’était pas encore manifestée extérieurement.

Ce processus alla se développant durant l’été et l’automne de 1918. L’insurrection contre-révolutionnaire des Tchéco-Slovaques réveilla les accapareurs. À travers toute la Russie, passa une vague d’insurrections d’accapareurs. Ce n’est ni par les livres, ni par les journaux, mais par la vie que les paysans pauvres apprirent l’incompatibilité de leurs intérêts avec ceux des accapareurs, des riches et de la bourgeoisie rurale. Les socialistes-révolutionnaires de gauche, comme tout parti petit-bourgeois, reflétaient les oscillations des masses et, précisément dans l’été de 1918, ils se scindèrent : une partie d’entre eux fit cause commune avec les Tchéco-Slovaques (insurrection de Moscou, pendant laquelle Prochiane, devenu pour une heure maître du télégraphe, informa la Russie du renversement des bolchéviks ; ensuite, trahison de Mouraviev, commandant en chef de l’armée opposée aux Tchéco-Slovaques, etc.) ; une autre partie resta fidèle aux bolchéviks.

La crise de plus en plus aiguë du ravitaillement dans les villes fit se poser de plus en plus vivement la question du monopole des grains, oubliée par le théoricien Kautsky dans son analyse économique, qui répète les vieux aphorismes trouvés il y a dix ans chez Maslov.

L’ancien État, propriétaire et bourgeois, même l’État républicain-démocratique, envoyait dans les campagnes des expéditions armées qui se trouvaient en fait à la disposition de la bourgeoisie. Cela, M. Kautsky l’ignore ! Il ne voit pas par là de « dictature de la bourgeoisie ». Dieu nous en préserve ! Cela est de la « démocratie pure », surtout une fois sanctionné par un parlement bourgeois ! Qu’Avxentiev et Maslov, de concert avec les Kérensky, Tsérételli et autres membres des partis s.-r. et menchévik, aient emprisonné pendant l’été et l’automne de 1917 les membres des comités agraires, cela, Kautsky n’en a point « entendu parler », de tout cela, il ne dit mot ! C’est que l’État bourgeois, qui réalise la dictature de la bourgeoisie au moyen de la république démocratique, ne peut avouer au peuple qu’il sert la bourgeoisie, il ne peut dire la vérité, il est obligé de faire l’hypocrite.

L’État du type « Commune », au contraire, l’État soviétiste, dit franchement et ouvertement au peuple la vérité, déclarant qu’il est la dictature du prolétariat et des paysans pauvres, et ce franc aveu attire à lui des dizaines de millions de nouveaux citoyens qui resteraient abêtis sous n’importe quelle république démocratique, mais que les soviets font participer à la politique, à la démocratie, à la gestion de l’État. La république soviétiste expédie dans les campagnes des détachements d’ouvriers armés choisis, surtout dans les capitales, parmi les plus développés. Ces ouvriers propagent le socialisme dans les campagnes, attirent à eux la couche pauvre, l’organisent, l’instruisent, l’aident à réprimer la résistance de la bourgeoisie.

Tous ceux qui sont au courant de la situation et qui ont séjourné au village disent que maintenant seulement, dans l’été et l’automne de 1918, nos campagnes éprouvent la révolution de novembre, c’est-à-dire prolétarienne. La crise se déclare. La vague des insurrections d’accapareurs fait place à l’élan des paysans pauvres, à l’accroissement des « comités de miséreux ». Dans l’armée croît le nombre des commissaires, des chefs, des commandants de divisions et d’armées sortis des ouvriers. Tandis que Kautsky, effrayé par la crise de juillet (1918) et les lamentations de la bourgeoisie, se fait tout petit devant celle-ci, et écrit toute une brochure pénétrée de l’idée que les bolchéviks sont à la veille d’être renversés par les paysans, tandis qu’il voit, dans la défection des s.-r. de gauche, un « rétrécissement » (p. 37) du cercle de ceux qui soutiennent les bolchéviks, en ce moment, le cercle actif des partisans du bolchévisme s’élargit immensément, car des dizaines et des dizaines de millions de paysans pauvres s’éveillent à la vie politique personnelle, après s’être affranchis de la tutelle et de l’influence des accapareurs et de la bourgeoisie rurale.

Nous avons perdu des centaines de s.-r. de gauche, ces intellectuels sans caractère, ou ces paysans accapareurs ; nous avons acquis des millions de représentants des classes pauvres[1].

Une année après la révolution prolétarienne dans les capitales, s’est opérée sous son influence et avec sa coopération la révolution prolétarienne dans les campagnes les plus reculées ; le pouvoir soviétiste et le bolchévisme en sont sortis définitivement affermis, et il est définitivement démontré que, dans le pays, il n’y a pas de puissance capable de les ébranler.

Après avoir achevé la révolution démocratique-bourgeoise de pair avec la classe paysanne en général, le prolétariat de Russie a procédé résolument à la révolution socialiste, quand il a réussi à faire la différenciation dans les campagnes, à attirer de son côté les prolétaires et demi-prolétaires ruraux et à les grouper contre les accapareurs et la bourgeoisie, y compris la bourgeoisie paysanne.

Si le prolétariat bolchéviste des capitales et des grands centres industriels n’avait pas su grouper autour de lui les pauvres des villages contre les paysans riches, alors nous aurions eu la preuve que la Russie n’est pas « mûre » pour la révolution socialiste ; alors la classe paysanne serait restée « intacte », c’est-à-dire sous la domination économique, politique et morale des accapareurs, des parvenus, de la bourgeoisie ; alors la révolution ne serait pas sortie des bornes de la révolution démocratique-bourgeoise. Mais, soit dit entre parenthèses, cela ne prouverait pas encore que le prolétariat ne devait point prendre le pouvoir. Il n’y a que le prolétariat qui puisse mener à bonne fin la révolution démocratique bourgeoise, il n’y a que le prolétariat qui puisse sérieusement continuer à hâter la révolution prolétarienne universelle, il n’y avait que le prolétariat qui fût capable de créer l’État soviétiste, la deuxième étape après la Commune, dans l’acheminement vers l’État socialiste.

D’autre part, si le prolétariat bolchéviste n’avait pas su attendre la scission des classes dans les campagnes, s’il n’avait pas su la préparer, ni l’opérer, et s’il avait essayé tout de suite, dès octobre-novembre 1917, de « décréter » la guerre civile ou l’ « institution du socialisme » dans les campagnes, s’il avait essayé de se passer de l’alliance temporaire avec la classe paysanne en général, sans faire certaines concessions au paysan moyen, etc… alors ç’eût été une façon à la Blanqui de dénaturer le marxisme, ç’eût été une absurdité théorique, et ne pas comprendre que la révolution paysanne sans plus est encore une révolution bourgeoise, et que, sans une série d’étapes et de transitions, on ne saurait dans un pays arriéré en faire une révolution socialiste.

Dans la question théorique et politique la plus grave, Kautsky a tout confondu et, en pratique, il s’est montré simple laquais de la bourgeoisie, criant pour lui complaire contre la dictature du prolétariat.

Kautsky a embrouillé peut-être davantage encore une autre question des plus intéressantes et des plus graves, à savoir si a été bien posé en principe et, ensuite, si a été convenablement appliqué le programme législatif de la République Soviétiste dans la question agraire, cet article le plus difficile et en même temps le plus important de la réforme socialiste. Nous serions infiniment reconnaissant à tout marxiste d’Occident qui, après avoir pris connaissance au moins des principaux documents, ferait la critique de notre politique ; car il nous rendrait par là un immense service, à nous et à la révolution en marche dans le monde entier. Mais, au lieu de critique, Kautsky nous donne, en ce qui concerne la théorie, un invraisemblable imbroglio, qui transforme le marxisme en libéralisme et, dans la question pratique, se lance dans des invectives bourgeoises, vides et venimeuses contre les bolchéviks. Que le lecteur en juge :

« On ne pouvait maintenir la grande propriété. Dès le premier jour, il était clair qu’elle était condamnée par la révolution. Il n’était pas possible de ne pas la remettre à la population paysanne ». (Ce n’est pas exact, M. Kautsky : vous substituez ce qui est clair pour vous à la façon dont les différentes classes envisagent la question : l’histoire de la révolution a démontré que le gouvernement de coalition des bourgeois, petits-bourgeois, menchéviks et s.-r., avait comme politique de maintenir la grande propriété foncière. La meilleure preuve en est la loi de Maslov et l’arrestation des membres des comités agraires. Sans la dictature du prolétariat, la « population paysanne » n’aurait jamais vaincu le propriétaire uni au capitaliste).

« … Mais dans quelles formes cela se ferait, là-dessus l’union n’existait pas. Différentes solutions étaient concevables.… » (Kautsky se préoccupe avant tout de l’union des « socialistes », quels que fussent ceux qui se réclamaient de ce nom. Mais que les classes fondamentales de la société capitaliste doivent nécessairement en venir à des solutions différentes, cela il l’oublie…).

« Au point de vue socialiste, la solution la plus rationnelle eût été de transformer les grandes entreprises en propriété d’État, et de confier aux paysans qui jusqu’alors y étaient occupés en qualité d’ouvriers salariés la culture des grandes propriétés sous forme d’associations. Mais cette solution supposait des ouvriers agricoles comme il n’y en a pas en Russie. Une autre solution eût été de remettre à l’État la grande propriété, en la partageant en petits lots que les paysans sans terre auraient pris à ferme. On eût encore fait en une certaine mesure du socialisme… ».

Kautsky, comme toujours, s’en tire avec le fameux : « … d’une part, on ne peut s’empêcher de reconnaître, d’autre part, il faut reconnaître. » Il met côte à côte différentes solutions, sans se demander, idée qui est la seule juste, la seule marxiste, quelles doivent être les étapes du capitalisme au communisme dans telles et telles conditions particulières. En Russie, il y a des ouvriers agricoles, mais en petit nombre, et Kautsky n’a pas entamé la question posée par le Pouvoir des Soviets de savoir comment passer à la culture en commun et en associations. Le plus curieux pourtant, c’est que Kautsky veut voir « une certaine mesure de socialisme » dans la location à terme de petits lots de terre. Ce n’est là au fond qu’une formule petite-bourgeoise, et il n’y a là rien du tout de socialiste. Si l’État qui afferme la terre n’est pas un État du type Commune, mais une république bourgeoise parlementaire, (comme le suppose toujours Kautsky), la location de la terre par petits lots ne sera qu’une réforme libérale topique.

Kautsky ne dit rien de ce que le Pouvoir Soviétiste ait aboli toute propriété sur la terre. Bien pis. Il se livre à un véritable escamotage en citant les décrets du Pouvoir des Soviets de façon à en omettre l’essentiel.

Après avoir déclaré que la « petite production aspire au droit absolu de propriété privée sur les moyens de production », que la Constituante aurait été la « seule autorité » capable d’empêcher le partage (affirmation qui provoquera la risée en Russie, car tout le monde sait que les ouvriers et les paysans ne reconnaissent que l’autorité des Soviets, alors que la Constituante est devenue le programme des Tchéco-Slovaques et des propriétaires), Kautsky continue :

« L’un des premiers décrets du gouvernement soviétiste porte :

1) La grande propriété foncière est annulée immédiatement sans aucun rachat.

2) Les grandes propriétés, ainsi que les apanages, les biens fonciers des monastères, des églises, avec tout ce qui leur appartient — animé ou inanimé, — leurs constructions et dépendances, sont mis à la disposition des comités agricoles de cantons, des Soviets d’arrondissement des Députés Paysans, jusqu’à la décision par l’Assemblée Constituante de la question agraire ».

Kautsky ne cite que ces deux paragraphes et conclut :

« Le renvoi à la Constituante est resté lettre morte. En fait, les paysans des divers cantons ont pu faire de la terre ce qu’ils ont voulu » (p. 47).

Voilà des échantillons de la « critique » de Kautsky !

Voilà un travail d’ « érudition » qui ressemble étrangement à un faux. On laisse entendre au lecteur allemand que les bolchéviks ont capitulé devant les paysans sur la question du droit de propriété privée sur la terre ! et qu’ils ont laissé les paysans faire en détail (dans les divers cantons) ce qu’ils voulaient !

Or, le décret cité par Kautsky. le premier décret promulgué le 26 octobre 1917 (ancien style), comprend non pas deux, mais cinq articles, plus les huit paragraphes des « cahiers », dont il est dit qu’ils « doivent servir de règle de conduite ».

Dans l’article 3 du décret, il est dit que tous les domaines deviennent propriété « du peuple », et qu’il faut dresser « l’inventaire exact de tous les biens confisqués » et instituer « une garde révolutionnaire stricte ».

Dans les cahiers, il est dit que « le droit de propriété privée sur la terre est aboli à jamais », que « les lots de terre comprenant des exploitations de haut intérêt agricole » « échappent au partage », que « le matériel d’exploitation des terres confisquées, inerte ou vivant, devient propriété exclusive de l’État ou de la Commune, suivant l’importance et la valeur de ces terres, et sans rachat », et que la « terre en totalité fait partie du fonds agraire national ».

Ensuite, en même temps que la dissolution de l’Assemblée Constituante (5. 1. 1918), le 3e Congrès des Soviets adopta une « Déclaration des droits du peuple travailleur et exploité », qui fait maintenant partie de la loi fondamentale de la République Soviétiste.

Dans cette Déclaration, l’art. I dit que : « la propriété foncière privée est abolie » et que « les fermes modèles et les entreprises agricoles sont déclarées propriétés nationales ».

Par conséquent, le renvoi à l’Assemblée Constituante n’est pas resté lettre morte, car une autre institution représentative nationale, infiniment plus autorisée aux yeux des paysans, s’est chargée de résoudre la question agraire.

Ensuite, le 6-19 février 1918, a été promulguée la loi sur la socialisation de la terre, qui, une fois de plus, confirme l’abolition de toute propriété sur la terre, remet la jouissance et de la terre et de tout le matériel agricole des propriétés privées aux pouvoirs soviétistes, sous le contrôle du pouvoir soviétiste fédéral, et donne comme objet à la jouissance du sol : « Le développement dans l’agriculture de la culture collective, plus profitable au point de vue de l’économie du travail et des produits, aux dépens des cultures privées, dans un but d’acheminement vers la culture socialiste » (art. II, § d).

En instituant la jouissance égalitaire du sol, la loi répond ainsi à la question : « qui a le droit de jouir de la terre ? » (§ 20). « Sur le territoire de la République Fédérative Soviétiste russe, peuvent jouir de lots de la surface du sol pour des besoins publics et personnels : a) dans des buts d’éducation et d’instruction : 1) l’État, en la personne des organes du pouvoir soviétiste (fédéral, régional, provincial, départemental, cantonal et communal) ; 2) les organisations publiques (sous le contrôle et avec l’autorisation du pouvoir soviétiste central) : b) dans un but de culture agricole ; 3) les Communes rurales ; 4) les associations agricoles ; 5) la société des habitants d’un bourg donné ; 6) les particuliers, individus ou familles… ».

Le lecteur voit que Kautsky a tout dénaturé et a présenté au lecteur allemand, sous un jour absolument faux, la politique et la législation agraires de l’état prolétarien de Russie.

Kautsky n’a pas même su poser les questions graves et fondamentales au point de vue de la théorie. Ces questions sont les suivantes :

1) Égalisation de la jouissance du sol, et

2) Nationalisation de la terre, — en quoi l’une et l’autre mesure répondent au socialisme en général et au passage du capitalisme au communisme en particulier.

3) Culture de la terre en commun, comme transition entre la petite culture privée éparpillée et la grande culture publique ; la façon dont cette question est posée dans la législation soviétiste répond-elle aux exigences du socialisme ?

Sur la première question, il est nécessaire d’établir avant tout les deux faits suivants : a) forts de l’expérience de 1905 (je renverrai par exemple à mon ouvrage sur « La question agraire » dans la première révolution russe), les bolchéviks signalaient l’importance, au point de vue du progrès démocratique et de la révolution démocratique, du principe égalitaire et, en 1917, avant la révolution de novembre, ils le répètent encore ; b) tout en promulguant la loi sur la socialisation de la terre, loi dont l’âme pour ainsi dire est le principe de la jouissance égalitaire, les bolchéviks déclarèrent de façon nette et positive : cette idée n’est pas la nôtre, nous n’acceptons pas ce principe, mais nous croyons de notre devoir de l’appliquer, parce qu’il est réclamé par l’immense majorité des paysans. Or l’idée et les exigences de la majorité des travailleurs doivent être éprouvées et dépassées par eux-mêmes ; on ne peut ni « abolir » de pareilles exigences, ni les « sauter ». Nous autres, bolchéviks, nous aiderons les paysans à dépasser les principes petits-bourgeois, à passer le plus vite et le plus rapidement possible de ces principes aux principes socialistes.

Un théoricien marxiste qui voudrait rendre service à la révolution ouvrière par son analyse scientifique, devrait dire d’abord s’il est vrai que l’idée de la jouissance égalitaire a une valeur démocratique révolutionnaire et tend à mener à son terme la révolution démocratique bourgeoise. Ensuite, il devrait dire si les bolchéviks ont eu raison de faire passer grâce à leurs voix et de faire observer de la façon la plus loyale la loi petite-bourgeoise sur la jouissance égalitaire.

Kautsky n’a même pas su faire remarquer en quoi consiste théoriquement la question !

Kautsky ne pourra jamais nier que le principe égalitaire n’ait une importance progressiste et révolutionnaire dans la révolution démocratique bourgeoise. Cette révolution ne peut aller au delà. En allant jusqu’à son terme, elle ne fait que démontrer plus clairement, plus vite, plus facilement, l’insuffisance des solutions démocratiques bourgeoises, la nécessité de sortir de leur cadre et d’aller au socialisme.

Une fois débarrassés du tsarisme et des gros propriétaires fonciers, les paysans ne rêvent que de jouissance égale, et aucune force au monde ne pourrait s’opposer aux paysans libérés des propriétaires et de l’État républicain du parlementarisme bourgeois. Les prolétaires disent aux paysans : nous vous aiderons à aller jusqu’au capitalisme « idéal », car légalité dans la jouissance du sol, c’est le capitalisme porté à son point idéal au point de vue du petit producteur. En même temps, nous vous ferons voir les côtés défectueux de ce système et la nécessité du passage à la culture en commun.

Il serait intéressant de voir comment Kautsky s’y prendrait pour essayer de mettre en doute la rectitude de la direction ainsi donnée par le prolétariat à la lutte des paysans. Kautsky a préféré éviter la question…

Ensuite, Kautsky a trompé impudemment les lecteurs allemands en leur cachant que, dans la loi sur la terre, le pouvoir soviétiste donne nettement la préférence aux communes et aux associations, en les plaçant en premier lieu.

Avec les paysans, jusqu’au bout de la révolution démocratique bourgeoise, avec les éléments pauvres prolétariens et demi-prolétariens de la classe paysanne, en avant vers la révolution socialiste ! Telle a été la politique des bolchéviks et telle est l’unique politique marxiste.

Mais Kautsky s’embrouille, il n’est pas une question qu’il pose convenablement. D’une part, il n’ose pas dire que les propriétaires devraient se séparer des paysans sur la question du partage égal, car il sent l’absurdité d’une semblable rupture (du reste, en 1905, avant d’être renégat, Kautsky lui-même préconisait nettement et clairement l’alliance des ouvriers et des paysans comme une condition du triomphe de la révolution). D’autre part, il cite complaisamment les insanités libérales du menchévik Maslov, qui « démontre » le caractère utopique et réactionnaire de l’égalité petite-bourgeoise au point de vue du socialisme, et il passe sous silence le caractère progressiste et révolutionnaire de la campagne petite-bourgeoise pour l’égalité, pour le nivellement, au point de vue de la révolution démocratique bourgeoise.

Il en résulte chez Kautsky un imbroglio sans fin : remarquez que Kautsky, en 1918, insiste sur le caractère bourgeois de la révolution russe. Le même Kautsky, en 1918, s’écrie : « Ne sortez pas de là ! » Et en même temps il voit, « dans une certaine mesure, du socialisme » (pour la révolution bourgeoise) dans la réforme petite-bourgeoise qui remet aux paysans pauvres de petits lopins de terre (c’est-à-dire dans la tendance du partage égalitaire) !

Comprenne qui pourra !

En outre, il montre une vraie incapacité bourgeoise à tenir compte de la politique réelle d’un parti donné. Il cite les phrases du menchévik Maslov, sans vouloir voir la politique réelle du parti menchévik qui, en 1917, en « coalition » avec les propriétaires fonciers et les cadets, préconisait en fait la réforme agraire des libéraux et l’entente avec les gros propriétaires ; la preuve en est dans les arrestations de membres des comités agraires et le projet de loi de Maslov.

Kautsky n’a pas remarqué que les phrases de Maslov sur le caractère réactionnaire et utopique de l’égalité petite-bourgeoise ne servent qu’à masquer la politique menchéviste d’entente entre les paysans et les propriétaires, qui permet à ces derniers de duper impunément les paysans, au lieu de laisser les paysans renverser les propriétaires, par la voie révolutionnaire.

On voit quel marxiste est Kautsky !

Les bolchéviks, eux, ont rigoureusement distingué la révolution démocratique bourgeoise de la révolution prolétarienne : en menant jusqu’au bout la première, ils ont ouvert la porte à la seconde. C’est la seule politique révolutionnaire, la seule politique marxiste.

Kautsky perd son temps à répéter les spirituelles insanités des libéraux : « Nulle part encore et jamais, les petits cultivateurs ne sont passés à la production collective sous l’influence de convictions théoriques » (p. 50).

Voilà qui est spirituel !

Nulle part et jamais les petits paysans d’un grand pays n’ont été sous l’influence d’un État prolétarien.

Nulle part et jamais les petits paysans n’ont engagé la lutte de classe déclarée des paysans pauvres contre les riches, c’est-à-dire la guerre civile au sein de la classe paysanne, les pauvres étant soutenus par la Propagande, la politique, les secours économiques et militaires du pouvoir gouvernemental prolétarien.

Nulle part et jamais, il n’y avait eu un tel enrichissement des spéculateurs et des riches par suite de la guerre, et une telle ruine de la masse paysanne.


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  1. Au 6e Congrès des Soviets (7-9. XI, 1918), il y avait avec voix délibérative 967 délégués, dont 950 bolchéviks, Avec voix consultative, 851, dont 335 bolchéviks. Au total 97 % de bolchéviks.