La religion du crime/Chapitre VIII

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Librairie anti-cléricale (p. 64-71).

CHAPITRE VIII

LE SECRET DE LA VISIONNAIRE

Tandis que l’abbé Meurtrillon suivait Arthur et Maximilien qui, marchant dans la direction des Halles, prirent successivement la rue du Bouloi et la rue Coquillière, il songeait à tirer tout le parti possible

La visionnaire, croyant à une apparition, tendit les bras vers cet homme au visage de Christ, et murmura d’une voix douce, mais où se concentrait tout le magnétisme impérieux du désir. — Viens, mon bien aimé ! (Chap. VIII.)
La visionnaire, croyant à une apparition, tendit les bras vers cet homme au visage de Christ, et murmura d’une voix douce, mais où se concentrait tout le magnétisme impérieux du désir. — Viens, mon bien aimé ! (Chap. VIII.)

La visionnaire, croyant à une apparition, tendit les bras vers cet homme au visage de Christ, et murmura d’une voix douce, mais où se concentrait tout le magnétisme impérieux du désir.

— Viens, mon bien aimé ! (Chap. VIII.)

 
des événements extraordinaires qui depuis plusieurs jours servaient les projets qu’il avait, conçus.

Meurtrillon connaissait maintenant le secret de Mme de Maurelent.

Firulard avait mis le prêtre sur la voie de cette découverte en lui confiant que, depuis l’époque où le vieux comte de Maurelent était pour ainsi dire tombe en enfance, la comtesse avait parfois’des moments d’hallucination singulière.

Alors elle parlait tout haut, comme une folle, et dans cette sorte d’état somnambulique prononçait sans cesse ces deux syllabes : Jeanseul.

On sait quel effet de terreur avait obtenu le prêtre en jetant subitement ce mot à la comtesse.

Celle-ci, pensant que Meurtrillon savait tout, avait cru nécessaire de raconter dans ses plus minutieux détails une histoire que jusqu’alors elle avait espéré garder comme un mystère entre elle et Dieu.

Mme de Maurelent, nous l’avons dit, s’appelait Blanche de Lynch ; mais, dans sa famille, on avait pris l’habitude de la désigner sous un autre nom : celui de Diane, qui plaisait davantage à son père, vieux gentilhomme dont l’austérité était compliquée d’une admiration pour les déesses de la mythologie qui lui avait fait commettre, dans sa jeunesse, un volume de vers détestables où les Pléiades rimaient constamment avec les Hyades et avec les Dryades.

Blanche, ou plutôt Diane, était entrée à douze ans chez les Servantes de la discipline.

C’était une enfant bizarre et sur laquelle se porta presque tout de suite l’attention de l’abbé Meurtrillon.

L’aumônier des Servantes de la discipline avait reconnu dans l’esprit et dans la manière d’être de Diane une remarquable tendance à l’extase et au mysticisme.

Il pensa qu’il serait peut-être utile à l’Église de développer ces dispositions, qui lui semblèrent se rencontrer rarement à un tel état d’acuité.

Dans la chapelle des Servantes de la discipline se trouvait, dominant l’autel, une peinture étrange et mystérieuse représentant l’ascension du Christ et provenant de l’église des Bénédictins, de Naples.

L’artiste, un de ces moines d’autrefois qui, pour un seul chef d’œuvre, donnaient toute leur âme et mouraient sans avoir dit leur nom, avait vu dans la résurrection du crucifié le triomphe et le resplendissement de l’éternelle existence.

Chaudement peint avec les couleurs de la vie, le Christ robuste montrait le ciel illuminé dans les hauteurs par un flamboiement d’aurore.

Une barbe noire et soyeuse encadrait la face aux tons cuivrés et les lèvres vermeilles de l’image dont les yeux noirs étaient doux et si expressifs qu’ils semblaient remuer.

Sur la tunique bleue du Christ, les Servantes de la discipline avaient fait peindre un Sacré-cœur tout rouge, entouré de flammes jaunes et surmonté d’une petite croix noire.

« Regardez le Sacré-Cœur… Songez à l’image du Sacré-Cœur… » répétait sans cesse Meurtrillon à Diane.

Il était d’ailleurs superflu de donner à la jeune fille ce pieux conseil.

Diane restait pendant toute la durée de la messe quotidienne en contemplation devant la toile glorieuse. Elle la revoyait sans cesse.

À tout instant de la journée, l’image du Ressuscité montait dans ses yeux, et, la nuit, elle lui apparaissait parmi les figures de ses rêves.

Cette image souriait et lui parlait.

Pour Diane, le Christ de la chapelle était vivant.

Meurtrillon suivait avec une attention persistante, avec une sollicitude de chaque jour les progrès que faisait son élève dans la voie de l’amour divin.

Après quatre ans d’exercices pieux, Diane était arrivée à la période de l’extase facultative.

Jeûnant trois fois par semaine, et les autres jours ne prenant pas assez de nourriture pour vivre, mais en prenant encore trop pour mourir, la jeune fille était en proie à une sorte d’exaltation cérébrale qui donnait à ses yeux brillants un air inspiré.

Elle avait à tel point dompté, neutralisé ses sens, qu’elle touchait parfois à la perfection suprême qui consiste, comme on le sait, à se débarrasser de la conscience, c’est-à-dire de la connaissance de tout rapport entre l’âme et ce qui n’est pas elle.

Sa figure pâlie resplendissait alors du reflet de la joie intérieure.

On eût dit que la voyante allait s’élancer dans l’immensité. Des mots entrecoupés sortaient de ses lèvres.

Une éclatante et délicieuse lumière la baignait de caresses ineffables.

Les vagues d’une harmonie céleste la roulaient à travers l’océan de l’extase.

La divinité lui apparaissait dans toute sa splendeur.

Diane voyait descendre, vêtu de gloire, le Christ de la chapelle. Le Dieu superbe lui souriait passionnément et faisait avec le cœur palpitant de la visionnaire l’échange de son cœur ensanglanté.

Alors Diane sentait tout son être se fondre dans un immense ravissement.

Ces crises, assez rares d’abord, devinrent de plus en plus fréquentes.

Elles étaient généralement annoncées par un certain nombre de phénomènes purement physiques qui par la suite constituèrent pour Diane les éléments d’un état normal.

La jeune fille montrait une mobilité d’esprit poussée parfois jusqu’à l’irritabilité.

Elle était inquiète.

Elle ressentait des fourmillements, un besoin de s’étendre, de s’étirer, de marcher, de changer de position.

Elle pleurait ou riait sans savoir pourquoi.

Elle souffrait de longues insomnies.

Des frissons l’agitaient, accompagnés d’une chaleur brûlante à l’épigastre.

Elle avait des battements de cœur, une constriction douloureuse de la poitrine et de grands spasmes qui la prenaient à la gorge avec un roulement intérieur.

Diane ne se soignait pas.

Elle se confessait de ses souffrances.

Meurtrillon lui disait :

« Priez le Sacré-Cœur et le Sacré-Cœur vous guérira. »

Le Sacré-Cœur, en effet, la guérissait momentanément.

Après chaque apparition, Diane se retrouvait exténuée et soulagée ; mais les mêmes symptômes ne tardaient pas à se reproduire, réclamant le même remède.

L’apparition revenait toujours, infatigable.

Meurtrillon était radieux. Il comptait pouvoir recueillir le fruit de cette éducation morbide.

L’Église avait si grand besoin d’être relevée par un miracle !

Mais le prêtre tenait enfin la miraculée, la jeune fille par la bouche de laquelle le Christ lui-même allait répandre dans tout l’univers l’esprit et les enseignements de Meurtrillon.

Un incident très singulier, et dont le prêtre ne connut les causes réelles que vingt-quatre années plus tard, à la suite du décès de M. de Maurelent, vint briser les espérances que fondait sur les visions de Diane l’aumônier des Servantes de la discipline.

Les visions de Diane cessèrent, et le caractère de la jeune fille changea tout à coup.

Autant Diane était autrefois attentive aux moindres paroles de Meurtrillon, autant elle semblait maintenant distraite, autant elle paraissait préoccupée de sujets étrangers aux instructions de son confesseur.

Vainement celui-ci s’était efforcé d’obtenir que la jeune fille lui donnât le mot de cette énigme. Diane ne s’accusait à lui que de péchés insignifiants.

Elle remplissait d’ailleurs ses devoirs religieux comme par le passé, mais d’une façon mécanique. On voyait facilement que « la foi n’y était plus ».

Peu de temps après, M. de Lynch, père de Diane, qui venait d’avoir avec sa fille, au parloir, une courte conversation, alla trouver la supérieure.

Il la prévint d’un ton froid et sans explications qu’il emmenait Diane le jour même.

Que s’était-il passé ?

On ne le sut jamais au couvent ; mais nous pouvons maintenant le raconter.

Par une exception faite en sa faveur, Diane habitait chez les Servantes de la discipline une chambre donnant sur la campagne.

Cette chambre avait pour tous meubles un petit lit de fer sans rideaux, revêtu d’une couverture blanche, une table de bois blanc, une chaise de paille et un prie-Dieu de vieux chêne sculpté.

Au-dessus du prie-Dieu, l’on voyait dans un cadre noir une aquarelle enfantine, copie du Christ de la chapelle.

C’est dans cette chambrette que se passa le fait qui modifia si complètement le tempérament de Diane, et qui eut sur sa vie tout entière une influence décisive.

Le mois de mai tirait à sa fin.

Un soleil resplendissant inondait de lumière les bords du Clain et faisait courir sur les flots un papillotement d’aigrettes de feu.

L’atmosphère lumineuse se déplaçait lentement avec des douceurs de baisers, tandis qu’à l’horizon palpitait, visible entre les grands peupliers verts, la chaleur frémissante du jour.

Diane venait d’assister à la messe.

Quand elle rentra dans sa chambre, ses yeux brillaient d’un éclat extraordinaire.

Pâle et comme transfigurée, elle se jeta sur son prie-Dieu, fixa sur l’image du Christ ses prunelles ardentes, dit tout bas de mystérieux mots de prière, puis, se dressant, regarda par la fenêtre entr’ouverte le magique éblouissement du ciel bleu.

Diane restait au milieu de sa chambre, immobile et les regards perdus à travers les profondeurs de l’azur.

Dans les midis flamboyants comme dans les songes illuminés de ses nuits, Diane voyait monter et grandir la silhouette miraculeuse.

Au commencement d’extase produit sur la visionnaire par l’ivresse de l’encens, s’ajoutait ce jour-là l’ivresse des parfums qui venaient de la prairie où les fleurettes dorées s’étiolaient comme une pluie d’astres.

L’herbe chantait au loin avec un doux bruit d’ailes.

La rivière cheminait, radieuse et roulant sous le soleil ses vagues de moire attisée.

Diane ne quittait pas des yeux l’horizon sur lequel elle découpait en pleine splendeur l’image fixe qui semblait peinte et modelée dans la matière même de son cerveau.

Cette image souriait à la visionnaire à travers les feuilles immobiles et sur l’immensité vibrante du ciel pur.

Diane appelait et désirait l’apparition resplendissante. La voyante sentait frémir dans tout son être un infini besoin d’amour.

Elle entendait le bruit de son cœur, le battement de ses artères, et il lui semblait que son sang charriait toutes les pâmoisons et toutes les chaleurs sauvages de l’été.

La jeune fille avait en elle le vertige de l’inexprimable, l’enivrement du mysticisme qui sent les approches d’un miracle.

Pâle comme une morte et ne paraissant vivre que d’une existence surnaturelle, Diane attendait avec une confiance extasiée la venue du maître et du Dieu.

Tout à coup, la voyante fut prise d’un tremblement convulsif.

Ô merveille ! son rêve s’incarnait !

À l’extérieur de la fenêtre, une forme humaine était apparue. Cette figure avait les traits du Christ de la chapelle.

C’étaient les mêmes yeux, la même bouche aux lèvres vermeilles encadrée d’une barbe noire et soyeuse, les mêmes cheveux longs et fins, la même expression de ravissement, le même air de puissance et de gloire.

Diane tendit les bras vers l’apparition et murmura d’une voix douce, mais où se concentrait tout le magnétisme impérieux du désir :

— Viens, mon bien-aimé.

Les grands yeux noirs de Diane reflétaient en ce moment la largeur brûlante du ciel.

Ils étaient pleins d’une irrésistible fascination.

La passion de la visionnaire contenait quatre ans d’amour réfréné qui maintenant rayonnait au dehors d’elle, comme une explosion d’effluves magnétiques.

Toute force humaine devait plier devant la volonté souveraine de l’extasiée.

L’apparition franchit l’appui de la fenêtre et entra dans la chambre…

Dès lors, Diane ignora ce qui se passa.

Il lui sembla que son être se dissolvait au souffle d’un embrasement surnaturel.

Quand la voyante reprit ses sens, l’apparition s’était effacée.

Diane, prise d’un doute étrange et terrible, courut vers la croisée.

À l’extérieur du bâtiment, était suspendu par des cordes, le long du mur, un échafaudage de maçon.

La jeune fille devint livide comme un suaire, et poussa un long cri d’horreur…

Depuis, nous l’avons dit au cours de ce chapitre, Diane de Lynch n’eut plus d’apparition d’aucune sorte.

Retirée par son père, qui loua un petit hôtel à Paris, du couvent des Servantes de la discipline, elle ne reparut à Poitiers que deux ans plus tard.

Dans l’intervalle, un enfant fut placé chez une nourrice de Versailles, puis mis au collège sous le nom de Maximilien Jeanseul.

Nous retrouverons au cours de ce récit le mystérieux personnage auquel Jeanseul, fils naturel de la future Mme de Maurelent, dut, par un beau jour de mai, d’avoir été conçu dans l’extase.