La tête de mort/6

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Police Journal Enr (Inspecteur Durand No 4p. 29-32).

VI

L’ÉTRANGE SALLE D’OPÉRATION


Il n’y avait pas de garage privé, ni public dans les environs de la clinique.

Émile Tremblay, se fiant aux déductions de son ami, avisa un téléphone non loin de là et appela tous les garages publics dans un rayon de dix rues de cet endroit.

Mais toujours on lui répondait qu’il n’y avait pas d’auto remisé au nom du Dr Chantre.

À huit heures du matin, rien n’avait encore bougé et le détective Tremblay baillait plus fort que jamais.

Durand se tromperait-il ?

Il se demandait si lui-même n’avait pas rêvé avec son histoire de mort dans le bureau du Docteur Palmer.

Tout à coup comme il s’épongeait le front avec son mouchoir, il rencontra sur sa tête la bosse qui lui avait été faite dans le bureau du Dr Chantre et cela chassa immédiatement tous ses doutes.

Il n’y avait pas d’erreur on lui avait infligé ce traitement parce qu’il était à la recherche du Dr Palmer.

Et le Dr Palmer n’était pas visible, cela se conçoit.

***

En contournant l’édifice pour la centième fois peut-être, le détective Tremblay remarqua des traces de pneus d’auto sur le sable.

Chose curieuse les traces allaient jusqu’au solage de l’édifice et il n’y avait pas de porte.

Qu’est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ?

Ce n’était pourtant pas la première chose étrange qu’il remarquait dans cette construction.

Après avoir examiné le mur de l’édifice à l’endroit où se terminaient les pistes, il crut constater qu’un panneau était coupé qui pouvait donner passage à une machine.

Aussitôt il téléphona à Julien Durand pour lui demander conseil.

— Je comprends maintenant, dit celui-ci. Appelle deux hommes de la Sûreté que tu connais et poste-les là, pendant que tu iras t’informer à la réceptionniste de jour où le Dr Chantre remise son auto.

— Tu crois qu’il y a quelque chose dans le mur ?

— Mais c’est l’auto, voyons donc ! Et dedans tu trouveras le cadavre du Dr Palmer.

— Informe-toi en même temps où se trouve la salle où Chantre fait ses opérations ou donne ses traitements, car je comprends que le bureau que tu as vu ne sert que pour les consultations.

— Je ne sais pas si les médecins ont chacun leur salle privée pour les traitements et les opérations.

— J’en suis assuré moi. Cela ne peut être autrement.

— Très bien. Est-ce que je te téléphonerai à ce sujet ?

— Non arrête le Dr Chantre aussitôt que tu auras trouvé la victime dans son auto et emmène-le à la Sûreté. De là tu enverras un char me chercher avec deux bons hommes pour me descendre.

— Tu veux prendre une petite revanche sur les types qui ont fait des réflexions désagréables sur ton compte la nuit dernière ?

— J’ai bien le droit n’est-ce pas ? N’oublie pas d’examiner soigneusement l’auto et la salle qui se trouve au-dessus.

— Pour trouver quoi… ?

— Je veux te laisser le plaisir de constater par toi-même. Regarde bien cependant.

— Je n’y manquerai pas.

***

En effet il s’agissait bien du garage du Dr Chantre.

Mais il ne voulait pas ouvrir, car on n’avait pas de mandat cette fois et il serait bien difficile d’en faire émettre un autre après le désappointement de la veille.

Cependant Émile Tremblay avait confiance en son ami.

Il se faufila dans la clinique et après des tours de forces inouïs pour ne pas se laisser apercevoir, il parvint à la salle de traitements du Dr Chantre.

Il attendit que ce dernier soit appelé pour une opération grave qu’en l’absence du Dr Palmer, il allait pratiquer lui-même avec un assistant, pour entrer dans la salle à traitements et barrer la porte derrière lui.

Il y avait de nombreux fils qui passaient à travers le plancher et semblaient descendre à la cave.

Il y avait également une trappe assez grande pour livrer passage à un homme.

Après avoir pesé sur une bonne centaine de boutons qui tous mettaient quelque machine en mouvement, il en trouva un qui faisait mouvoir la trappe.

En dessous il y avait une voiture automobile.

Dans la voiture il y avait un cadavre et c’était bien le même que celui de la nuit dernière.

Il appela donc ses deux confrères qu’il avait laissé en faction au dehors.

Il n’y avait plus de précautions à prendre.

Il plaça un homme à la porte de la salle d’opération où se trouvait le Dr Chantre et laissa l’autre dans le garage sous-terrain.

Pendant ce temps-là il téléphonait à la Sûreté pour déclarer qu’il avait retrouvé son cadavre de la veille.

Cette fois les hommes de l’escouade des homicides ne riaient plus.

Par téléphone ils vérifièrent avec Québec que le char appartenait au Dr Chantre.

Après les premières constatations, le cadavre fut chargé à bord du fourgon de la morgue.

Le Dr Chantre fut immédiatement dirigé vers le bureau du Directeur de la Sûreté.

L’auto aussi fut traîné au garage municipal, mais non sans que le détective Tremblay ne l’eut examiné à son aise et ait obtenu la permission d’y enlever quelques accessoires étranges.

Il fit part au Chef du désir de l’Inspecteur Durand d’assister à l’entretien avec Chantre et celui-là accéda aussitôt à sa requête.

Naturellement c’est Tremblay et un autre qui allèrent au devant du détective sans jambes.

En chemin Émile Tremblay expliqua à son ami les découvertes qu’il avait faites dans l’auto.

Une fois dans le bureau du Chef, Julien Durand demanda qu’on fasse venir des Agents de l’Intelligence Service, ainsi que le médecin légiste qui avait fait l’analyse de la poudre jaune.

Quand tout son monde fut réuni, il demanda la permission de questionner lui-même le suspect.

S’adressant alors au Dr Chantre, il déclara :

— Vous êtes un sale espion boche, Docteur.

« Ne rouspétez pas, je vais vous en donner les preuves. Je vous prouverai également que vous êtes un assassin.

« Vous vous êtes introduit dans la clinique Palmer afin de poursuivre votre œuvre néfaste.

« Quand vous aviez des patients qui possédaient quelque connaissance sur les secrets des usines de guerre, vous leur administriez une certaine poudre qui a été inventée par un médecin allemand il y a quelques années et dont s’est souvent servi votre chef démoniaque, Hitler.

« Cette poudre avait un effet hypnotique sur vos victimes.

« Une fois endormi, votre patient inconsciemment répondait à toutes vos questions concernant des secrets militaires.

« Mais aussi vous procuriez à ces malheureux un état d’esprit spécial qui était ni plus ni moins que l’hallucination perpétuelle.

« Nous avons trouvé des quantités de cette poudre maudite dans votre voiture automobile.

« Là également nous avons trouvé un système d’enregistrement sur disques. À mesure que vos victimes parlaient, vous enregistriez ce qu’elles disaient au moyen d’un microphone installé dans votre salle de traitements et d’un appareil spécial dans votre auto, remisé juste au-dessous de cette salle.

« Le Dr Palmer a découvert cette poudre et vous en a parlé.

« C’est pour cela que vous l’avez tué.

« Ai-je raison, oui ou non ?

— C’est faux. Vous inventez cela pour me perdre.

— C’est bien simple alors. Nous allons vous donner une petite piqûre de votre fameuse poudre, qu’on appelle en Allemagne l’Ubaldine Pack, et nous verrons bien si vous serez plus franc une fois hypnotisé. Et si vous voyez des Têtes de Morts, comme vos victimes, après, je n’en serai pas fâché.

Chantre garda le silence pendant quelques instants.

C’était réellement impressionnant de voir tout le monde qui assistait à l’exposé de l’Inspecteur Durand, garder le silence, comme médusé par l’énormité de la révélation.

— Eh bien ! vous êtes prêt Docteur ? demanda l’Inspecteur au médecin-légiste.

— Toujours à vos ordres Inspecteur. Et surtout croyez que professionnellement je ne donnerais pas ma place pour bien de quoi au monde.

Mais le Dr Chantre ne lui laissa pas le temps de parachever l’expérience.

Il avoua que l’Inspecteur Durand avait raison sur toute la ligne.