La valise mystérieuse/8

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Éditions Édouard Garand (68p. 21-25).

VIII

NUIT DE CRIMES


Nous ramènerons nos lecteurs dans cette maison de la rue Dorchester que Kuppmein avait appelée « nos quartiers généraux. »

Il passe dix heures de ce même soir.

Au premier étage de la maison, dans cette petite pièce d’arrière que nous connaissons, Kuppmein et Grossmann sont en dispute.

Le premier arpente la pièce d’un pas rude. Sa figure est sombre, ses longues moustaches menaçantes, et ses gestes, quand il parle, sont violents.

Grossmann, enfoui dans un fauteuil, sa face de monstre renfrognée, le feutre sur les yeux, la pipe aux dents et louchant terriblement, semble épier sournoisement Kuppmein.

Un silence s’était fait entre les deux hommes. Puis Kuppmein s’arrêta subitement devant son associé et dit, la voix grondante :

— Ainsi donc, Grossman, tu refuses obstinément de « marcher » !

— Obstinément ! répéta l’autre en mordant dans le mot.

L’œil bleu de Kuppmein lança un éclair farouche.

— Pourtant, reprit-il sans modifier le ton de sa voix, je t’ai fait part de la dépêche reçue de Rutten. Tu dois savoir que le Capitaine n’a pas la manie de plaisanter en affaires.

— D’abord, je me moque de ta dépêche, répliqua Grossmann de sa voix grossière. Ensuite, j’ai des instructions particulières de Rutten lui-même me recommandant la plus stricte économie et de bâcler l’affaire au meilleur compte possible. Or, tu prétends avoir négocié avec ce Parsons, qui nous a joués, pour la somme de vingt mille dollars, et moi je dis que c’est trop cher, attendu qu’il est encore possible de nous emparer de la marchandise sans bourse déliée.

— Tu te fais illusion, Grossmann. L’homme en possession des plans et du modèle est plus fort que tu ne penses. Son coup de hardiesse et le succès qui l’a couronné en sont la preuve irrécusable. Sans compter qu’il agit tout à fait seul, sans le concours d’un complice ou d’un associé quelconque qui pourrait le trahir, et ceci complète sa force. Bref, sans connaître cet homme davantage, je crois qu’il a dû mettre en lieu sûr les plans et le modèle de Lebon, et nous fouillerions vainement toute la cité pour les retrouver.

— Admettons. Mais il sera toujours temps de transiger plus tard.

— C’est possible. Mais observe que nous aurons perdu un temps précieux. Ensuite Parsons — il me l’a bien fait comprendre — ne reviendra pas sur le prix que j’ai convenu avec lui. Qui nous dit qu’il n’exigera pas davantage pour avoir attendu ? Qui sait encore, comme il me l’a laissé entendre, s’il n’aura pas négocié avec d’autres, et pour une somme supérieure aux vingt mille dollars qu’il m’a demandés ?

— Je n’admets pas tes hypothèses, grogna Grossman.

— Pourquoi pas ?

— Pour la bonne raison que ton Parsons, ayant surpris nos secrets, a tout intérêt à nous faire chanter, et il le sait. Mais, moi je sais que les plans et le modèle du Chasse-Torpille lui brûlent les mains, dans la crainte où il doit être qu’un hasard n’attire la police de son côté. Et puis, l’affaire est trop délicate, trop dangereuse pour qu’il ait l’idée d’entrer en pourparlers avec d’autres personnes. Or, écoute bien ceci, Kuppmein : si nous n’aboutissons pas à lui reprendre par la ruse ou la force les plans et le modèle que nous nous étions réservés, nous n’aurons plus alors qu’à manifester la plus entière indifférence. Et il ne sera pas long que tu verras ton gueux de Parsons accourir, et nous céder les plans et le modèle qu’il a volés pour deux ou trois mille dollars.

— Mais en adoptant de tels procédés nous n’en finirons jamais ! s’écria Kuppmein exaspéré et en reprenant sa marche furibonde.

— Bah ! laisse faire, tu verras, te dis-je. Et puis, ce serait trop stupide, vraiment, d’aller verser une somme de vingt-mille dollars à ce croquant qui en est peut-être à la ruine-misère.

Kuppmein s’arrêta de nouveau près de la table. Son exaspération devenait rage, et cette rage semblait augmenter à mesure que s’entêtait Grossmann.

Il leva son poing fermé et l’abattit violemment sur la table qui craqua.

Qu’est-ce que cela peut bien te ficher, cria-t-il, vingt mille ou cent mille dollars ! Ce n’est pas ton argent, j’imagine ? Et puis, est-ce que cet argent n’a pas été mis à notre disposition par le Service Secret de l’Allemagne, avec ordre d’en user pour les meilleurs intérêts de notre patrie commune ? Au reste, nous recevons un traitement fixe et équitable, et nos frais de déplacements et d’imprévus nous sont largement remboursés ; alors qu’as-tu besoin de cet argent dont — ne l’oublie pas — tu n’es que le dépositaire ?

— N’est-ce pas assez que j’en sois le dépositaire ? N’en suis-je pas responsable ? N’en dois-je pas rendre compte ?

— Tu oublies que je suis autorisé à tirer ou partie de la somme ou la somme entière, si je le juge à propos, pour la transaction de nos affaires, et cela contre une reconnaissance de ma part qui, par le fait, dégage ta responsabilité.

— Il est vrai que tu as une certaine autorisation de tirer sur notre caisse ; mais tu n’es pas autorisé à gaspiller l’argent. Et voilà bien ce que je veux prévenir et empêcher.

— Misérable ! rugit Kuppmein.

Et rapide comme la pensée, il tira un revolver, le braqua sur Grossmann et fit feu.

La détonation parut ébranler les murs de la maison, et une balle atteignit Grossmann à l’abdomen.

Celui-ci échappa sa pipe et bondit hors de son fauteuil. Ses deux mains se crispèrent furieusement à son ventre, sa face brutale devint blanche, ses yeux rouges roulèrent comme noyés dans une brume de sang. Il voulut parler, crier, jurer, maudire, mais, de ses lèvres ne tomba qu’un son rauque qui mourut comme un gémissement. Puis il chancela, son corps de géant pencha vers l’arrière, et lourdement il s’affaissa sur le fauteuil. En tombant sa grosse tête heurta le dossier du fauteuil, elle rebondit en avant et s’inclina brusquement sur la poitrine pour ne pas se relever. Un long frémissement agita quelques secondes le corps entier, puis tout se raidit, l’immobilité complète se fit, et Grossmann parut frappé de mort.

Alors seulement Kuppmein, le visage livide et baigné de sueurs, l’œil sanglant et féroce, remit le revolver dans sa poche et grommela :

— Tant pis pour ce chien !

Aussitôt il s’approcha de Grossmann, renvoya brutalement la tête inerte sur le dossier du fauteuil il se mit à fouiller activement les vêtements de sa victime.

La minute suivante, il ébauchait un sourire triomphant en s’emparant d’un portefeuille bourré de billets de banque, puis faisait disparaître ce portefeuille dans une de ses poches.

Alors, il tira un mouchoir pour essuyer sa face inondée.

À cette même minute, la porte s’ouvrit subitement.

Kuppmein exécuta un bond de terreur.

Sur le seuil de la porte un homme venait de s’arrêter, et cet homme, c’était celui-là même qui, la veille, s’était à l’improviste dressé sur le passage de Kuppmein pour lui offrir les plans et le modèle du Chasse-Torpille… oui, c’était Peter Parsons.

Le premier regard de l’homme tomba sur la forme prostrée et inerte de Grossmann. Un sourire moqueur retroussa les poils noirs de sa barbe, puis il riva ses regards jaunes sur Kuppmein.

Celui-ci se remettait de sa stupéfaction et de son effroi, et il parvint à dire d’une voix mal assurée et en essayant de sourire :

— Entrez donc, monsieur Parsons !

Parsons obéit. Il s’approcha de la table en passant près de Grossmann inanimé sans prêter plus d’attention à celui-ci.

Puis, avec cet accent narquois que Kuppmein se rappelait bien, Parsons dit :

— Ah ! ah ! cher Monsieur Kuppmein, on a donc décidé de faire coûte que coûte respecter ses petites volontés. Oh ! ne croyez pas que je veuille jeter sur vous quelque blâme, du tout. Seulement, en supposant que, au lieu de votre humble serviteur, un agent de police fût arrivé jusqu’à cette porte, avouez que votre position aurait été très désavantageusement modifiée.

— Il n’y a pas eu de ma faute, fit Kuppmein avec un accent farouche, c’est cet imbécile qui l’a voulu.

— Comment donc, c’est ce que je me suis dit en entrant. Tout de même…

— C’est bon, interrompit sèchement Kuppmein qui ne se sentait nulle envie de badiner. Avez-vous les plans ?

— Je les ai.

— Exhibez !

— Pas avant que vous n’ayez exhibé vous-même, rétorque Parsons froidement.

— Soit, voici !

Et l’allemand sortit le portefeuille qu’il venait d’enlever à Grossman et du portefeuille tira une liasse de billets de banque.

De son côté Parson tira d’une poche intérieure de son habit l’enveloppe jaune en laquelle James Conrad avait, comme on se le rappelle, renfermé les plans du Chasse-Torpille.

D’un simple coup d’œil Kuppmein put s’assurer que c’était exactement l’enveloppe qu’il avait vue chez Conrad. Il y put voir très bien le mot « PLANS » immédiatement suivi des deux lettres majuscules C.-T.

— Donc, reprit Kuppmein, ce sont toujours les mêmes conditions, c’est-à-dire dix mille dollars contre remise des plans, et dix mille autres à New York où vous nous apporterez le modèle ?

— Je ne reviens jamais sur la parole donnée, déclara Parsons gravement.

Kuppmein compta aussitôt vingt billets de cinq cents dollars chacun et les tendit à Parsons qui, en retour, laissa tomber sur la table l’enveloppe jaune. D’un geste rapide, Kuppmein saisit l’enveloppe et, ainsi que le portefeuille, la glissa dans une poche intérieure de son veston.

— Et à présent, dit-il, le mieux que nous ayons à faire c’est de déguerpir. J’ai d’ailleurs un rendez-vous et je ne puis m’attarder plus longtemps. Descendons !

— Un instant, que diable ! fit Parsons. Laissez-moi le temps de vérifier.

— Comme vous voudrez… moi je file !

Et Kuppmein sortit de la pièce brusquement, tandis que Parsons fort tranquillement comptait en les palpant amoureusement les vingt beaux billets de banque.

Kuppmein, piqué par une peur atroce que son coup de feu n’eût été entendu du dehors et qu’un troupe de policemen n’accourût, descendit en rafale l’escalier que conduisait au vestibule. Cet escalier et ce vestibule se trouvaient plongés dans l’obscurité ; mais Kuppmein connaissait les aîtres, et il arriva sans encombre à la porte du perron. Mais il se heurta sur le perron et une ombre humaine qui semblait s’apprêter à entrer dans la maison. Saisi d’épouvante, l’allemand culbuta l’ombre, sauta en bas du perron et courut à la grille qu’il franchit d’un bond. Mais dans ce bond il se heurta violemment encore à une autre ombre humaine qu’il ne voulut pas prendre le temps de reconnaître. Il disparut dans la nuit en courant.

Mais cette deuxième ombre humaine avait, elle, reconnu Kuppmein, et cette ombre, qui n’était autre que Fringer, murmura avec une imprécation.

— Enfer, j’arrive encore trop tard ! Mais qui donc est mort là-haut ? se demanda-t-il.

Et, avide de savoir, il poussait la grille et pénétrait dans la cour, bousculé par un autre individu. Un individu ? Il n’eut pas le temps cette fois de voir de suite, car le pseudo-individu s’élançait comme un coup de vent dans la direction qu’avait prise Kuppmein. Mais Fringer retrouva de suite son équilibre, frotta ses yeux, regarda la silhouette sombre qui s’éloignait en courant et prononça avec la plus grande stupeur :

— Bon ! il ne manquait plus que ça, c’est une femme !

Oui, c’était bien une femme qui fuyait ainsi, et seul, peut-être Kuppmein aurait pu la reconnaître… Cette femme, c’était Miss Jane !

Et Fringer, revenu de son étourdissement, se demanda agité qu’il était par un pressentiment de mauvais augure :

— Mais que diable se passe-t-il à nos quartiers généraux ? Allons ! c’est ce que je veux savoir à l’instant !

Il prit, de suite sa course vers le perron de la maison, grimpa d’un bond les cinq marches de pierre et se rua vers la porte vitrée ouvrant sur le vestibule. Mais là il s’arrêta net pour demeurer très immobile, ses yeux désorbités, fixés sur le vitrage de la porte, et toute sa physionomie comme pétrifiée par l’horreur ou l’épouvante.

Pour expliquer l’étrange attitude de Fringer, il importe de revenir à Parsons que nous avons laissé dans cette chambre où Grossmann avait été tué par Kuppmein.

Parsons avait scrupuleusement additionné les vingt billets de banque de cinq cents dollars chacun, puis satisfait, il avait empoché l’argent. Cela fait, il se mit à considérer le corps inanimé de Grossmann. Au bout d’un moment, il murmura :

— Qui sait s’il n’y aurait pas un autre vingt mille à gagner avec cette affaire ?

Cette pensée parut le faire réfléchir encore. Puis, après un autre moment, il hocha brusquement la tête d’une façon qui pouvait signifier :

— Bah ! la chose n’en vaut peut-être pas la peine !…

Et, sans plus, il éteignit la torchère et pressa le bouton d’une petite lanterne électrique qu’il avait eu la précaution d’apporter. À l’aide de cette lanterne, qui ne projetait qu’un mince rayon, il guida sa marche jusqu’au vestibule. Mais au moment où il quittait la dernière marche, une frêle silhouette humaine se dressa soudain devant lui.

Parsons frissonna de peur et instinctivement éleva la lumière de sa lanterne. Celle-ci éclaira la silhouette d’une femme… une femme vêtue et voilée de noir.

Cette femme, en voyant cet homme dont elle ne pouvait pas, certainement, distinguer avec netteté la physionomie, fit un pas de recul en étouffant un cri de surprise ou de peur. Mais elle se raidit aussitôt, et, levant un doigt menaçant qu’elle pointa sur Parsons, elle cria d’une voix vibrante :

— Voleur !… Assassin !…

Mais ce fut tout… Parsons l’abattit à ses pieds d’un violent coup de poing à la poitrine. L’inconnue demeura inanimée sur les dalles du vestibule.

Parsons ne parut pas éprouver la curiosité de savoir qui était cette femme. Il enjamba le corps inanimé et courut vers la porte de sortie.

Mais là encore un autre personnage lui barrait la route, et celui-là offrait un aspect plus terrible que le premier : car, tout en souriant et en grimaçant, il tenait un énorme revolver braqué sur Parsons. Ce dernier frémit et recula d’instinct, frappé d’épouvante.

Le personnage au revolver profita de la retraite de Parsons pour pénétrer dans le vestibule dont il referma soigneusement la porte en ayant soin d’y demeurer appuyé du dos. Puis, d’une voix rapide et basse, il prononça les paroles suivantes :

— Il y a dans la rue deux policemen, et je n’ai qu’un mot à dire pour les attirer de ce côté. Et il y a là-haut un cadavre, là, à vos pieds, cette femme inanimée, et, enfin, dans vos poches une somme d’argent si forte qu’on vous en demanderait la provenance… entendons-nous donc !

— Qui es-tu ? interrogea Parsons blanc de terreur.

— On m’appelle Fringer.

— Que veux-tu ?

— Ma part, simplement.

Parsons garda le silence pour réfléchir, mais sans perdre de l’œil Fringer qui tenait toujours son révolver à la main.

— Allons ! que décidez-vous ? demanda Fringer impatienté.

— Veux-tu d’abord m’aider à emmener cette femme hors d’ici ?

— Si vous y mettez le prix, oui.

— Combien veux-tu ?

— Deux mille dollars !

— Tu me demandes exactement la moitié de l’argent que je viens de toucher, c’est trop !

— Eh bien ! Je veux cette moitié et par-dessus le marché je vous aide dans vos besognes funèbres… payez !

— Non… c’est trop !

— Soit. Il ne me reste plus qu’à me rendre jusqu’à la rue et d’appeler ceux dont vous ne tenez pas à la visite.

— C’est bon, gronda Parsons, j’accepte. Voici les deux mille dollars. Seulement, je te les paye, non par crainte des agents de police dont tu me menaces, mon ami, mais seulement pour le service que je t’ai demandé. À présent, sais-tu conduire une auto ?

— C’est mon métier.

— En ce cas, cours louer une machine et reviens le plus tôt possible.

— C’est bien, dans un quart d’heure je serai de retour.

Et Fringer remit son revolver dans sa poche et partit.

Une fois seul, Parsons, mû à présent par la curiosité, se pencha sur la femme inanimée et promena les rayons de sa lanterne sur le visage voilé. Mais l’épaisseur du voile ne permettait pas de distinguer les traits.

— Qui peut bien être cette femme ? se demanda-t-il. Avec précaution il souleva le voile. Mais il frémit et bondit, et s’écarta de la femme comme avec horreur. En même temps ses lèvres prononcèrent sourdement ce nom :

— Henriette… Henriette Brière !…

Oui, c’était bien Henriette, la fiancée de Pierre Lebon !

Mais comment et pourquoi Henriette était-elle dans cette maison mystérieuse ?

Mais comment Peter Parsons connaissait-il Henriette ?

La suite des événements nous donnera probablement une réponse satisfaisante à ces deux questions.

Cependant, Parsons retrouvait son sang-froid. De nouveau il se pencha sur le corps d’Henriette et la considéra avec une attention singulière. Un sourire cruel et féroce passa rapidement sur ses lèvres et il murmura :

— Cette femme est une ennemie et un démon si terribles, qu’une seule parole de sa bouche pourrait faire tomber ma tête !

Il frissonna.

Mais à nouveau son sourire affreux entr’ouvrit ses lèvres puis il consulta sa montre.

— Minuit moins quart ! dit-il.

Il prêta l’oreille : au dehors comme au dedans le silence régnait.

Parsons se dirigea vers une banquette, s’y allongea, éteignit sa lanterne et attendit.

Cinq minutes s’écoulèrent dans un silence de mort.

Le même bruit continuait à se faire entendre, et ce bruit ressemblait fort au pas traînant et incertain de quelqu’un qui marche à tâtons dans la noirceur. Le pas s’arrêta un moment sur le palier supérieur devant l’escalier, puis commença à descendre lourdement. En même temps aussi Parsons perçut le bruit d’une respiration rauque.

Ses prunelles se dilatèrent sous l’horreur qui l’envahit son front s’humecta d’une sueur glacée, son épiderme frissonna, lorsque son regard éperdu crut distinguer une sombre et fantastique silhouette descendre l’escalier en se retenant à la rampe.

Tout à coup, à l’étage supérieur, retentit un bruit insolite.

Parsons se dressa, et, le cœur battant d’inquiétude et d’effroi il écouta.

Puis, tout étourdi par le vertige de l’horreur et les deux mains crispées sur son cœur comme pour l’empêcher de s’éteindre ou de s’envoler, Parsons vit l’être étrange et spectral traverser le vestibule d’un pas chancelant, franchir le seuil de la porte, descendre le perron et disparaître enfin dans les ténèbres du dehors.

La maison était retombée dans son silence obscur et tragique avec comme unique vivant, peut-être, Peter Parsons qui, figé d’effroi, tentait d’essuyer d’un revers de main l’abondante sueur qui dégouttait de son front.

Cinq minutes encore se passèrent mais des minutes atrocement longues pour Parsons qui, à chaque instant, s’imaginait voir surgir de nouveaux spectres dans cette lourde obscurité. Et son esprit était tellement bouleversé par l’épouvante qu’il ne songeait pas, pour dissiper la noirceur qui l’enveloppait de son voile funèbre et mystérieux à rallumer sa lanterne.

Enfin, une auto vint s’arrêter dans la rue, et l’instant d’après, Fringer parut.

Parsons, alors, soupira d’allègement, et retrouvant son audace, il commanda d’une voix basse et rude :

À l’œuvre et vite !

Les deux hommes transportèrent la jeune fille toujours évanouie dans l’auto stationnée devant la grille du parterre. Puis les deux bandits montèrent à l’avant de la machine.

Où allons-nous ? interrogea Fringer en se mettant au volant.

— Pont Victoria !… répondit Parsons.

La voiture partit…