Aller au contenu

La vie de Marie Pigeonnier/19

La bibliothèque libre.
Imp. Nouvelle (assoc. ouvrière), 11, rue Cadet. (p. 103-105).

XIX

Baronne d’Ange, à Berlin.

Hélas ! c’était trop beau pour durer.

Comme on lui passait tous ses caprices et qu’elle savait avoir toujours chez soi de jolies petites filles, fruits à peine bons à cueillir, elle se permettait des licences qui devaient finir par scandaliser même les moins pudibonds.

Étouffant chez elle, elle sortit les beaux jours et se montra dans les belles promenades.

Son équipage faisait sensation, mais il effarouchait.

En tout, il faut savoir garder une mesure.

Marie Pigeonnier s’affichait comme la baronne d’Ange, qu’elle copiait extérieurement et intérieurement.

Elle mit à la mode certaines habitudes qui tuent ceux qui ne savent pas s’en débarrasser ; dans son ardent patriotisme, elle s’attaquait à la bourse et à la santé du Prussien.

On la voyait dans des voitures extravagantes, avec de superbes chevaux qu’elle conduisait elle-même, exhiber, sur les belles voies de Berlin, et des toilettes excentriques, et des primeurs féminines que les friands venaient cueillir le soir chez elle.

Au demeurant, c’était une femme d’un talent raffiné.

Elle faisait des élèves.

Et toutes ces élèves lui faisaient honneur.

Quelle belle école de corruption que cette maison de Marie Pigeonnier.

Cependant le succès l’encourageant, elle ne recula pas devant les plus répugnantes violations des lois.

Quelques hautes relations semblaient lui assurer l’impunité ; mais un crime horrible ayant été dénoncé, la police ne put, pour plaire à quelques gros bonnets, fermer toujours les yeux.

Une enquête, conduite très discrètement et très délicatement, révéla des faits épouvantables : des viols, des détournements de mineures, voire même de mineurs, des avortements, tout cela accompli dans un très court espace de temps, avec la complicité de la fameuse Allemande, l’associée de Marie Pigeonnier.

Celle-ci, avec cet aplomb qui ne lui a pas toujours réussi, brava la justice.

Cependant, avertie qu’un mandat était lancé contre elle, Marie jugea prudent de déguerpir.

Pour donner le change, elle habilla avec une de ses robes sa première femme de chambre, grosse comme elle, lui mit une épaisse voilette sur le visage, et l’envoya faire en ville son tour ordinaire.

Pendant ce temps, dans un costume d’ouvrière, elle gagna la gare à pied ; avec un petit panier ne contenant que de menus objets.

Son associée devait lui envoyer en France la part qui lui revenait.