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La vie de Marie Pigeonnier/7

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Imp. Nouvelle (assoc. ouvrière), 11, rue Cadet. (p. 37-40).

VII

Le Repentir au couvent.

Comme toutes les âmes tourmentées par les remords, ravagées par les âcres souvenirs, celle de Marie Pigeonnier eut son heure de profonde désespérance.

Bien souvent, en s’endormant, elle souhaitait que ce fût son dernier sommeil.

Elle eut souvent l’idée du suicide ; elle fit à différentes reprises des préparatifs pour se donner la mort. Au moment décisif, le courage lui manquait, et, d’un autre côté, elle avait au fond du cœur une forte provision de haine à écouler.

La rage la soutenait ; mais comment l’assouvir ?

Désabusée, ne croyant plus à des jours meilleurs, elle fit des démarches pour entrer dans un couvent.

Quand la fille de joie voit venir la pâle vieillesse, elle se fait nonne.

Marie ne se sentait pas trop de vocation pour le repentir ; cependant elle crut qu’avec quelques efforts elle pourrait, comme Madeleine, trouver grâce devant le Seigneur.

Avec cette activité dont j’ai dit qu’elle était capable, la voici mettant en mouvement toute la dévotion toujours prête à ouvrir le bercail aux brebis égarées.

La cabotine s’occupait aussi fiévreusement de mettre ce projet à exécution que la veille elle s’agitait pour obtenir un engagement aux Bouffes ou aux Folies.

Décidément elle était née pour le cloître.

Restait à choisir l’ordre dont le costume conviendrait le mieux à son genre de beauté.

Elle se décida pour les Carmélites.

Grâce à ses relations, elle reçut de la supérieure un bienveillant accueil. Toutefois, après avoir examiné le passé et le caractère de la future sœur, elle lui fit comprendre, avec la plus parfaite douceur, que sa place était bien mieux indiquée au couvent des filles repenties.

Marie Pigeonnier ne goûta point cette appréciation.

Cependant, chrétienne résignée, elle alla frapper à la porte de l’asile saint des filles repenties.

On l’admit sans difficulté, grâce à de hautes recommandations.

Elle vécut là dans la pénitence et l’austérité.

Ses intentions étaient bonnes ; elle manquait de foi ; cependant à la longue elle pouvait s’endurcir dans la pratique de la religion et se soumettre à la discipline expiatoire de la maison.

L’ordinaire était maigre, le lit peu moelleux, le travail pénible ; il fallait se lever avant le soleil, et ne se coucher qu’après de longues prières à genoux sur des dalles de granit ; cela n’était pas gai tous les jours, et Marie regrettait souvent ses coulisses, son alcôve et sa chaise longue.

Aussi, ne pouvant s’habituer à ce dur régime, elle renonça au salut de son âme, préférant le bien-être de son corps.

Le seul régal des filles repenties consistait le dimanche en une portion de lapin, et la pauvre Pigeonnier avait pour le lapin une répulsion qui datait de ses débuts dans la vie théâtrale. Elle n’en avait que trop mangé.

Lasse de se repentir, l’impatiente Madeleine s’évada de cet enfer dans lequel elle devait gagner le paradis.

Elle se réfugia chez un juif qui avait tenté de la dissuader de ses velléités religieuses ; il lui ouvrit sa porte et ses bras ; il la consola, et pendant quelque temps chez lui elle se refit l’estomac légèrement abîmé par les privations du couvent.

Son protecteur n’était pas juif pour rien, et ce serait lui faire injure que de croire à son désintéressement.