La vie de Marie Pigeonnier/8
VIII
Une bonne affaire.
Il voulait bien aider Marie Pigeonnier à faire fortune, mais il entendait retirer de l’opération un profit honnête.
Voici donc ce qu’il lui proposa textuellement.
— Ma toute belle, les scrupules et les préjugés ne sauraient arrêter une nature solidement trempée comme la vôtre. J’ai une proposition à vous faire…
— Avantageuse ?
— Cela dépend un peu de votre intelligence ; c’est dire que vous devez réussir.
— Que faudra-t-il faire ?
— Avec vous, je n’irai pas par quatre chemins ; vous êtes femme à tout comprendre, même ce qu’on ne dit pas.
— Vous voulez m’épouser ?
— Pas tout à fait.
— Alors…
— M’associer avec vous, simplement.
— Pour exploiter…
— Un commerce facile, agréable, et n’exigeant pas de connaissances spéciales.
— Expliquez-vous.
— D’abord, je suis votre commanditaire.
— Et vous mettez dans l’affaire ?…
— Une trentaine de mille francs.
— Je parie qu’il s’agit d’une table d’hôte.
— Pas précisément ; cependant vous brûlez.
— J’y suis, vous voulez me faire tenir des meublés.
— Eh ! eh !… C’est presque cela.
— Eh bien ! je ne devine pas.
— Que si.
— Parole d’honneur !
— Vous me feriez douter de votre perspicacité.
— Pardon, c’est une véritable énigme que vous me posez là.
— Suivez-moi bien. Nous meublons avec goût, mais économiquement, une petite maison.
— Un petit hôtel…
— Parfaitement.
— Dans une rue tranquille…
— Pas trop loin du centre.
— Vous voyez bien que vous me comprenez…
— Je commence seulement.
— Alors nous sommes près de nous entendre…
— C’est selon… les conditions. Continuez, je vous prie.
— Il vous sera facile, grâce à vos connaissances, de lancer des invitations dans le monde qui s’amuse…
— Assurément.
— Vous dénicherez bien quelques jolis et frais minois que nous.., lancerons.
— On jouera aussi…
— Quand il y aura des éléments…
— Et ma part là dedans ?
— Maîtresse de maison, il vous sera aisé de vous la faire belle. D’ailleurs, vous êtes très séduisante…
— Ah ! il faudra alors que je paye aussi de ma personne.
— Aucune clause de notre acte d’association ne vous y obligera ; je pense seulement que vous ne pourrez faire autrement, et que ce sera une attraction pour l’établissement.
— Vous vous y voyez déjà, n’est-ce pas ?
— Pourquoi pas ? Je vous adore, ma chère Marie, mais je ne suis pas égoïste. Ne pouvant par mes seules ressources assurer votre avenir, je veux au moins contribuer à votre fortune.
— Et y participer…
— Dame ! J’engage des capitaux, il est juste que cela me rapporte. Du reste, vous tiendrez les livres.
— Est-ce qu’il y aura une enseigne sur la porte ?
— Ce n’est pas utile. Vous enverrez votre carte, avec l’adresse, à tous vos amis et aux miens, ainsi qu’aux gens du monde élégant, et cela suffira.
— Vous croyez ?
— J’en suis sûr.
— Vous savez cela par expérience, peut-être.
— Oui. Une première fois… j’ai assez réussi…
— Ah ! ah !…
— Seulement une maladresse a forcé la police à nous honorer d’une visite ; désormais toutes les précautions seront prises pour éviter un pareil désagrément ; d’ailleurs, en aucune façon, vous ne serez compromise…
— Vous garantissez la casse…
— Absolument.
— Soit. Je réfléchirai.
— L’occasion est superbe, ne la laissez pas échapper, vous ne la retrouveriez pas.
— Je ne vous demande que quarante-huit heures.
— Et je vous les accorde bien volontiers.
— Pas d’équivoque ; c’est bien la direction d’un tripot que vous m’offrez.
— Oh ! d’un tripot ! Le jeu ne sera pas le principal attrait de vos salons…
— Et vous évaluez les bénéfices ?…
— En trois années, vous aurez réalisé vos 20 à 25,000 livres de rentes, sans compter ce que nous pourrons encore retirer de la cession de la maison.
— Et pas de danger ?
— Aucun… Cela n’exige qu’un peu de tact et de prudence.
— Il est probable que nous signerons demain.
— Je vous y engage, ma toute belle, autant que je le souhaite.
— À demain donc.