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La vie de Marie Pigeonnier/8

La bibliothèque libre.
Imp. Nouvelle (assoc. ouvrière), 11, rue Cadet. (p. 41-46).

VIII

Une bonne affaire.

Il voulait bien aider Marie Pigeonnier à faire fortune, mais il entendait retirer de l’opération un profit honnête.

Voici donc ce qu’il lui proposa textuellement.

— Ma toute belle, les scrupules et les préjugés ne sauraient arrêter une nature solidement trempée comme la vôtre. J’ai une proposition à vous faire…

— Avantageuse ?

— Cela dépend un peu de votre intelligence ; c’est dire que vous devez réussir.

— Que faudra-t-il faire ?

— Avec vous, je n’irai pas par quatre chemins ; vous êtes femme à tout comprendre, même ce qu’on ne dit pas.

— Vous voulez m’épouser ?

— Pas tout à fait.

— Alors…

— M’associer avec vous, simplement.

— Pour exploiter…

— Un commerce facile, agréable, et n’exigeant pas de connaissances spéciales.

— Expliquez-vous.

— D’abord, je suis votre commanditaire.

— Et vous mettez dans l’affaire ?…

— Une trentaine de mille francs.

— Je parie qu’il s’agit d’une table d’hôte.

— Pas précisément ; cependant vous brûlez.

— J’y suis, vous voulez me faire tenir des meublés.

— Eh ! eh !… C’est presque cela.

— Eh bien ! je ne devine pas.

— Que si.

— Parole d’honneur !

— Vous me feriez douter de votre perspicacité.

— Pardon, c’est une véritable énigme que vous me posez là.

— Suivez-moi bien. Nous meublons avec goût, mais économiquement, une petite maison.

— Un petit hôtel…

— Parfaitement.

— Dans une rue tranquille…

— Pas trop loin du centre.

— Vous voyez bien que vous me comprenez…

— Je commence seulement.

— Alors nous sommes près de nous entendre…

— C’est selon… les conditions. Continuez, je vous prie.

— Il vous sera facile, grâce à vos connaissances, de lancer des invitations dans le monde qui s’amuse…

— Assurément.

— Vous dénicherez bien quelques jolis et frais minois que nous.., lancerons.

— On jouera aussi…

— Quand il y aura des éléments…

— Et ma part là dedans ?

— Maîtresse de maison, il vous sera aisé de vous la faire belle. D’ailleurs, vous êtes très séduisante…

— Ah ! il faudra alors que je paye aussi de ma personne.

— Aucune clause de notre acte d’association ne vous y obligera ; je pense seulement que vous ne pourrez faire autrement, et que ce sera une attraction pour l’établissement.

— Vous vous y voyez déjà, n’est-ce pas ?

— Pourquoi pas ? Je vous adore, ma chère Marie, mais je ne suis pas égoïste. Ne pouvant par mes seules ressources assurer votre avenir, je veux au moins contribuer à votre fortune.

— Et y participer…

— Dame ! J’engage des capitaux, il est juste que cela me rapporte. Du reste, vous tiendrez les livres.

— Est-ce qu’il y aura une enseigne sur la porte ?

— Ce n’est pas utile. Vous enverrez votre carte, avec l’adresse, à tous vos amis et aux miens, ainsi qu’aux gens du monde élégant, et cela suffira.

— Vous croyez ?

— J’en suis sûr.

— Vous savez cela par expérience, peut-être.

— Oui. Une première fois… j’ai assez réussi…

— Ah ! ah !…

— Seulement une maladresse a forcé la police à nous honorer d’une visite ; désormais toutes les précautions seront prises pour éviter un pareil désagrément ; d’ailleurs, en aucune façon, vous ne serez compromise…

— Vous garantissez la casse…

— Absolument.

— Soit. Je réfléchirai.

— L’occasion est superbe, ne la laissez pas échapper, vous ne la retrouveriez pas.

— Je ne vous demande que quarante-huit heures.

— Et je vous les accorde bien volontiers.

— Pas d’équivoque ; c’est bien la direction d’un tripot que vous m’offrez.

— Oh ! d’un tripot ! Le jeu ne sera pas le principal attrait de vos salons…

— Et vous évaluez les bénéfices ?…

— En trois années, vous aurez réalisé vos 20 à 25,000 livres de rentes, sans compter ce que nous pourrons encore retirer de la cession de la maison.

— Et pas de danger ?

— Aucun… Cela n’exige qu’un peu de tact et de prudence.

— Il est probable que nous signerons demain.

— Je vous y engage, ma toute belle, autant que je le souhaite.

— À demain donc.