La vie et le sport sur la Côte Nord du Bas Saint-Laurent et du Golfe/07

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La vie et le sport sur la Côte Nord du Bas Saint-Laurent et du Golfe (Life and sport on the north shore of the lower St. Lawrence and gulf, 1909)
Traduction par Nazaire LeVasseur (1848-1927).
Garneau (p. 43-46).

Accidents de chasse



IL n’est pas de saison de chasse qui ne se termine sans quelques accidents fatals. Sans doute, certains d’entre eux sont inévitables ; il arrive, par exemple qu’une balle effleure une branche ou un arbre et, par conséquent, dévie de sa trajectoire. Mais les deux bons tiers de ceux qui se produisent sont le fait de négligences et de connaissances insuffisantes de la manipulation et de la portée des armes à feu.

Je descendais le Saguenay en bateau en septembre 1899 et j’examinais un touriste qui, armé d’une puissante carabine, tirait sur tout ce qui passait sur l’eau, peu importait la direction. Par deux fois j’attirai son attention sur le fait qu’il tirait dans la direction d’habitations qui n’étaient pas à plus de mille verges de distance. Il paraissait ne pas avoir la moindre idée de la portée de ces carabines modernes. Que cela fût dû à l’ignorance ou quelque défaut de la vue chez lui, je n’en puis rien dire, mais certainement il y avait danger pour ceux qui se trouvaient dans le voisinage de cet individu.

J’en ai vu d’autres manier des fusils et des carabines chargées, comme si c’eût été des manches à balai, en les manœuvrant sur tous les points du compas, sans avoir l’air de s’apercevoir qu’ils étaient une menace pour la vie de leurs propres amis.

À l’époque des anciens fusils se chargeant à la baguette, on était excusable de rapporter au camp ou à la maison, suivant le cas, un fusil chargé ; c’était grand trouble alors que d’en extraire les charges, surtout les balles, tandis qu’aujourd’hui, avec les fusils à culasse, la charge et la décharge de l’arme s’opèrent si promptement, qu’il n’est pas excusable, à moins de nécessité immédiate, de rapporter chargées des armes à feu au camp ou en tout autre endroit.

Quand l’on fait la chasse en canot, le fusil devrait toujours être vidé avant que l’on mette pied à terre. Les quelques accidents fatals arrivés sur la côte furent dus à ce que l’on n’avait pas pris cette précaution, ou au fait d’avoir pris son fusil par la gueule du canon ou tout près, pour le retirer du canot.

Les personnes nerveuses ou excitables devraient s’abstenir de joindre un parti de chasse ; le fait est qu’on ne devrait pas leur permettre d’en faire partie. Une fois, à la Batture aux Loups-marins, près de l’Islet, nous étions un parti de cinq, et l’un de nous avait ce tempérament ; comme il en avait été question, chacun s’entendit pour le laisser agir à sa guise, ce dont il parut se froisser. La suite prouva que nous avions raison, attendu que, dès la première chasse le matin, son fusil partit quatre fois accidentellement. Un sportsman prudent peut éviter tous ces dangers parce qu’il jauge d’abord bientôt ses compagnons et agit en conséquence. Une fois, de temps à autre, le chasseur négligent ou nerveux finit pas se tuer lui-même, mais, règle générale, ce sont ses compagnons qui sont les victimes.

Je lisais quelque part, l’an dernier (1907), que le nombre d’accidents de chasse dans le Michigan et le Wisconsin s’était élevé à cent dix-sept dont près de la moitié auraient été fatals. Eh bien ! d’après la petite expérience que j’ai de la chasse, j’attribue assurément une centaine de ces accidents à la négligence et l’étourderie dans le maniement des fusils de chasse. Sur la Côte Nord ici, disons depuis Bersimis jusqu’à Natashquan, j’estime que nous avons environ deux mille cinq cents personnes qui, six mois sur douze, manient des armes à feu, avec un pourcentage moyen de un accident fatal tous les cinq ans.

Parmi les cas que je connais, un s’est tué en tombant avec son fusil chargé, deux se sont fait tuer en sortant du canot un fusil à capsule, un se tua en chargeant son fusil à deux coups, dont la crosse appuyée sur une de ses raquettes, glissa ; le chien heurtant le cadre de la raquette, fit partir le coup. Un autre fut tué par son frère enjambant une clôture avec un fusil chargé.

Quelques autres accidents moins graves se sont produits par suite de l’éclatement de fusils de qualité inférieure et par le ricochet de chevrotines à la chasse du loup-marin, du canard ou de la perdrix. Durant cinquante ans, je n’ai entendu parler que d’un seul cas, celui du chef indien Natsishouk, alors qu’un homme fut tué, parce que, par erreur, on l’avait pris pour un gibier ; comme il s’était affublé d’une peau de loup-marin, il y avait certaine excuse.

Mais, dans mon opinion, il n’y a pas d’excuse pour celui, comment l’appellerai-je ? disons l’écervelé, qui tire sur tout ce qu’il voit remuer, sans d’abord s’assurer de ce que c’est. J’ai fait la chasse toute ma vie, et, à l’exception du bœuf musqué et de l’ours blanc, j’ai tiré sur toutes les autres espèces de mammifères que nous avons dans la zone tempérée de l’Amérique du Nord, depuis la baleine jusqu’à la pie-grièche, et je ne me rappelle pas avoir jamais perdu la chance d’un seul coup de fusil, pour avoir pris le temps de m’assurer sur quoi j’étais sur le point de tirer.

Assurément, il doit exister quelque moyen de faire cesser ou tout au moins de diminuer ces destructions annuelles de vies humaines. Le sportsman qui se sait trop excitable ou trop nerveux pour se maîtriser devrait rester chez lui. Je suggérerais que des affiches en grosses lettres, dans le même genre que les Avis-Feu, fussent placardées par les gardes-chasse et les gardes-forestiers dans les endroits les plus en vue de la forêt et aux stations de chemins de fer par tout le pays. Le gouvernement devrait y faire imprimer quelque chose comme ce qui suit :

AVIS AUX CHASSEURS

Rappelez-vous que vous avez dans les mains une arme dangereuse et non pas un manche à balai !

N’oubliez pas qu’il y a dans le bois et autour de vous d’autres gens que vous pouvez tuer ou blesser par votre négligence.

Parce que vous vous trouvez dans des lieux sauvages, n’allez pas faire feu sur tout ce que vous voyez. Si vous voulez vous exercer au tir à la cible, allez aux endroits affectés à cela.

Ne tirez sur quoi que ce soit avant de savoir positivement ce que c’est.

Abstenez-vous de toucher aux armes des autres chasseurs.

Laissez la bouteille chez vous.

Enlevez régulièrement toute cartouche de votre fusil ou carabine, dès que vous n’en avez plus besoin.

Si de simples règles comme celles-là étaient observées, on épargnerait bien des vies, et si ce que j’écris là peut en sauver une seule, je me considérerais comme bien récompensé !