Lamartine, sa vie littéraire et politique/01

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Lamartine, sa vie littéraire et politique
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 88 (p. 563-582).
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LAMARTINE

Il y a des destinées merveilleuses, même dans ce qu’elles ont d’incomplet, qui semblent faites pour briller, éblouir et s’éteindre en laissant une impression de grandeur mêlée de je ne sais quelle déception cruelle. Poésie vivante d’une génération, éclat et enchantement d’une époque, elles se jouent à travers les événemens et les métamorphoses comme des puissances de l’imagination qui daignent condescendre aux réalités humaines. Elles se déroulent ou, pour mieux dire, elles s’épanchent, libres, glorieuses, enivrées d’elles-mêmes, enivrant ceux qu’elles touchent au passage. La fortune est complaisante et perfide pour ces destinées qui ont reçu tous les dons, hormis le don de se fixer, de se gouverner et d’éviter les écueils qui se dérobent sous un voile d’éphémères prospérités. Parce qu’elles flottent toujours au-dessus du courant des choses, elles ont l’air de le dominer ; elles ne font que le suivre, aussi peu maîtresses du mouvement qui les entraîne que d’elles-mêmes, et quelquefois le flot qui les a portées aux plus hauts sommets, ce flot, en se retirant, les laisse seules, mornes, désolées, comme des navires échoués que la mer montante ne viendra plus reprendre.

C’est la destinée de celui qui a été peut-être le plus brillant de nos contemporains, et qui a vécu assez pour être le témoin de son propre désastre, pour voir tout ce qui avait illuminé sa jeunesse et sa maturité se perdre dans les réalités assombries de ses dernières années. Ainsi a passé Lamartine, heureux, prodigue, adoré, comblé des faveurs du monde, et réduit tout à coup sur ses vieux jours à se débattre, découronné et vaincu, dans un déclin morose. Certes, s’il y a eu dans ce siècle une existence privilégiée, qui dut sembler à l’abri des inclémences du sort, c’est celle-là. Qu’a-t-il manqué à Lamartine ? La fortune, il l’a trouvée dans son berceau ou autour de lui ; la protection vivifiante et inspiratrice de la famille, il l’a rencontrée sous les traits d’une mère d’élite qui a bercé son adolescence de caresses, qui a eu jusqu’à sa dernière heure le généreux et tendre orgueil du fils qu’elle avait enfanté ; le génie, il l’a reçu en naissant comme une intuition, comme une révélation spontanée ; la gloire, cette gloire soudaine et irrésistible qui éclate sur un nom comme une aube enflammée, il l’a connue. La poésie avec toutes ses puissances de séduction, ce n’était pas encore assez pour lui, il a voulu être orateur, historien, et il l’a été, de même qu’il a été, quand il a voulu, un politique, presque un chef d’état jeté au gouvernail dans l’orage. La popularité, il l’a savourée dans ce qu’elle a de plus exquis et dans ce qu’elle a de plus violent ; il a traîné à sa suite cette clientèle de femmes et de jeunes gens dont il tirait vanité, et il a tenu les multitudes suspendues à ses lèvres. Pendant trente ans enfin, de 1820 à 1850, il a été le grand séducteur du siècle, à qui on aurait craint de marchander l’admiration, le magicien tout-puissant des imaginations et des cœurs, et il ne faisait que retracer sa propre destinée lorsqu’il parlait ainsi de Pétrarque : « Pour les uns il est poésie, pour les autres histoire, pour ceux-ci amour, pour ceux-là politique ; disons-le : sa vie est le roman d’une grande âme. » Un roman, oui sans doute ; une grande âme, soit encore, mais une âme mobile et flottante, sans sûreté jusque dans sa grandeur, jusque dans ses ambitions ; âme d’un homme qui a vécu dans une sorte d’ébriété morale, qui a vu les affaires de ce monde à travers le prisme des illusions, et qui n’a jamais mieux laissé voir en lui le poète, l’homme des décevantes inspirations et des rêves, que lorsqu’il a voulu paraître sur la scène de nos révolutions. Il s’est trop aimé dans tout ce qu’il a fait, dans tout ce qu’il a senti ou pensé ; il a trop joué avec la vie, avec la gloire, avec son génie, avec son siècle, avec toutes les puissances et toutes les séductions de la terre. C’est ce qui a fait peut-être son originalité entre les personnages de son temps, et c’est ce qui l’a perdu, c’est ce qui l’a conduit à cette fin lugubre que nous avons vue à travers des profusions de poésie et de popularité inutile.


I

Un demi-siècle est passé tout plein de révolutions depuis ces belles années d’épanouissement intellectuel qui ont laissé une trace lumineuse dans l’histoire de la France, et où commençait à poindre ce génie appelé à réaliser en lui la plus étrange alliance de la poésie et de la politique, fait pour régner deux fois, comme poète et comme tribun. C’est la première fortune de Lamartine, de se lever en quelque sorte comme un jeune astre au seuil d’une ère nouvelle de l’imagination et de l’esprit, d’apparaître comme la plus séduisante personnification de cette renaissance qui se préparait au sein d’une société reposée des tempêtes guerrières de l’empire.

Je me figure ce moment unique de 1820, que n’ont jamais oublié ceux qui l’ont vu, et où l’auteur des Méditations faisait timidement son entrée dans les lettres. Ce n’était pas encore le temps où la grande insurrection romantique se déployait avec ses turbulences, avec ses prétentions révolutionnaires, et où l’on s’entendait bien mieux aussi à préparer un succès, à organiser les fanfares autour d’un manifeste ou d’un livre nouveau. En ce premier moment, rien de semblable : Lamartine se présentait, un petit volume à la main ; au frontispice de ce petit volume modestement imprimé, il n’y avait pas même un nom tout d’abord, et depuis l’auteur a raconté d’un trait léger, presque malin, comment il avait été reçu par le plus libéral et le plus intelligent des éditeurs, à qui il était allé demander de publier son petit livre. Cet estimable éditeur, M. Didot, avait jugé du premier coup que ce jeune homme manquait d’étude, qu’il n’avait pas lu suffisamment les maîtres, Delille, Luce de Lancival ou Esménard, et que ses vers ne ressemblaient à rien. Ces vers effectivement ne ressemblaient à rien, ils ne pouvaient se classer dans aucun genre défini. C’était tout simplement la révélation soudaine et imprévue d’une poésie nouvelle. Sans doute l’auteur n’inventait pas tout, il ne puisait pas dans sa seule imagination, et même, — ce qu’on n’a jamais remarqué, — la plus émouvante, la plus pure, la plus immortelle de ses élégies, le Lac, n’était que l’écho rhythmé d’une des plus poétiques lettres du roman de Jean-Jacques, où Saint-Preux, fasciné par tous les souvenirs du passé, raconte une promenade avec Julie sur le lac de Genève. « Nous gardions un profond silence. Le bruit égal et mesuré des rames m’excitait à rêver. Peu à peu je sentis augmenter la mélancolie dont j’étais accablé. Un ciel serein, la fraîcheur de l’air, les doux rayons de la lune, le frémissement argenté dont l’eau brillait autour de nous, rien ne put débarrasser mon cœur de mille réflexions douloureuses. Je commençai par me rappeler une promenade semblable faite autrefois avec elle durant le charme de nos premières amours… C’en est fait, disais-je en moi-même, ces temps, ces temps heureux ne sont plus, ils ont disparu pour jamais. Hélas ! ils ne reviendront plus… » L’auteur des Méditations avait certainement lu cette page de Rousseau, il avait lu Chateaubriand, Bernardin de Saint-Pierre, il s’enivrait de Mme de Staël et de Corinne, mais avec des rayons pris un peu partout, ravivés et fondus par sa propre imagination, il faisait en quelque sorte une nouvelle lumière douce, pénétrante, harmonieuse, jaillissant et se répandant sans effort, et ces vers, qui ne ressemblaient à rien, qui s’échappaient d’une source invisible, suffisaient pour faire en quelques heures d’un nom obscur un nom presque glorieux.

La veille encore ce poète n’était qu’un inconnu ; on savait tout au plus que c’était un jeune homme d’une bonne famille de province qui avait été un moment dans les gardes du corps du roi, et qui avait passé avec une timidité furtive dans quelques-uns de ces salons où la grâce faisait les renommées. Le lendemain il était recherché et fêté ; ses vers retentissaient dans le monde élégant et lettré, où l’on se montait la tête pour lui, selon le mot de Fontanes. Les femmes se laissaient attendrir par cette mélopée du cœur qui rajeunissait le langage de la passion. Talleyrand lui-même, qui n’y avait pourtant aucun intérêt, écrivait un matin à une grande dame qu’il venait de passer la nuit à dévorer le petit volume. Le roi Louis XVIII, qui se faisait lire des fragmens des Méditations par le duc de Duras, se flattait d’être l’auguste d’un nouveau Virgile. M. Pasquier, alors ministre des affaires étrangères, s’empressait de donner à l’auteur le titre longtemps sollicité de secrétaire d’ambassade, et trois jours après l’apparition de son livre Lamartine partait pour Naples, se dérobant à sa gloire naissante, heureux comme poète de cette fleur de popularité soudaine, heureux aussi d’être ramené par le hasard d’un noviciat diplomatique dans ces contrées au « ciel tiède, » à la « mer bleue, » à la « terre embaumée, » qui n’avaient rien d’inconnu pour lui, où il allait retrouver les rêves de son adolescence voyageuse. Lamartine avait alors vingt-neuf ans ; il entrait dans la carrière sous le rayonnement de ces vers immortels, première et légendaire expression d’une merveilleuse nature faite pour vibrer à tous les souffles des émotions et des ambitions humaines.

« Quelle carrière, pourrait-on dire avec Sainte-Beuve, depuis l’heure où Lamartine chantait le Lac et l’Isolement jusqu’au 24 février 1848, » jusqu’à ces premiers jours de 1869 où il tombait cassé et vaincu par la vie ! Et pourtant ce fut toujours le même homme. S’il y eut jamais un être humain privilégié en venant au monde, et qui dans ses métamorphoses les plus étranges, dans tout ce qu’il a été par l’imagination ou par l’action, ait gardé les premières empreintes de la jeunesse, c’est Lamartine, le Lamartine de tous les temps aussi bien que le Lamartine de 1820. Celui-là n’a connu ni les durs apprentissages, ni les luttes obscures et ingrates, ni la précision des fortes disciplines, ni les épreuves sévères de la réflexion et de la raison ; tout a été chez lui instinct, sentiment, inspiration, effusion, et mille fois il l’a dit avec cette complaisance pour lui-même que rien n’a jamais lassée : « je n’aime pas l’effort. » Pour lui, la nature avait tout fait, elle lui avait d’abord donné le génie ; sa mère, son éducation, son pays, son temps, firent le reste. Il était né à l’aube de la révolution française, en 1791, dans, une de ces familles de prédilection, comme il l’a dit, « où l’on tient à la fois à la noblesse par le nom et au peuple par la modicité de la fortune, par la simplicité de la vie, par la résidence à la campagne ; » famille nombreuse, aisée et honorée, qui avait gardé les sentimens royalistes avec toutes les traditions de bon goût, et de bon ton du monde d’autrefois. Le père de Lamartine était un ancien officier retiré dans la vie de province, qui était allé « sans espoir, mais sans hésitation, » défendre le roi au 10 août, et qui, emprisonné sous la terreur, n’échappa peut-être à la mort que par une distraction ou une connivence des pouvoirs révolutionnaires ; sa mère, fille de Mme des Roys, sous-gouvernante des enfans du duc d’Orléans, avait été élevée au Palais-Royal, où elle avait vu la dernière apparition de Voltaire et les philosophes de la fin du siècle. Mille fois elle avait joué sous les beaux ombrages de Saint-Cloud avec le prince qui devait être Louis-Philippe, et certes, lorsqu’elle était jeune épouse et jeune mère, elle ne se doutait pas que cinquante-six ans plus tard le fils qu’elle allaitait bannirait de ces rians jardins les enfans et les petits-enfans du prince avec qui elle avait grandi. Dans cette maison de modeste noblesse, il y avait encore des tantes religieuses déliées de leurs vœux par la révolution, des oncles dont l’un était un abbé de cour qui avait vécu à Paris, et s’était lié d’amitié avec Lafayette.

Ce cercle domestique, Mâcon la ville natale, Milly la terre de famille avec son verger et ses champs, Ursy le château de l’abbé de Lamartine, futur héritage du poète, les montagnes de la Haute-Bourgogne, le Jura et les Alpes aux cimes bleuâtres dans le lointain, ce sont là les premiers horizons de l’auteur des Méditations. C’est là qu’il s’est formé dans une atmosphère caressante et saine, loin de Paris et de ses agitations gigantesques ou factices ; c’est là qu’il a grandi, enfant libre et heureux, ignorant « ce que c’était qu’une amertume de cœur, une gêne d’esprit, une sévérité du visage humain. » Je ne sais pas ce qu’il put apprendre sous ces pères de la foi de Belley dont il fut un moment l’élève, à l’école de ces « aimables sectateurs d’une aimable sagesse » qu’il a chantés depuis dans les premiers vers échappés à son imagination ; il apprit sans doute ce qu’on apprend assez souvent pour l’oublier. L’éducation de son âme et de son esprit, elle s’est faite réellement dans la liberté de la vie familière, au milieu des bergers de Milly, sous les yeux de ce père au caractère droit et simple, qui garda toujours quelque chose du capitaine et du gentilhomme, auprès de ce jeune vicaire de village qui en se transfigurant est devenu Jocelyn, et surtout enfin sous l’influence d’une mère qui est restée un type parmi ces mères des enfans de génie. Voilà la première et féconde source de cette inspiration et de cette existence. Lamartine, dans ce qu’il a eu de meilleur et, le dirai-je ? jusque dans ses faiblesses, fut deux fois l’œuvre de cette mère, dont il a été le portrait, l’image vivante, sous une forme virile.

C’était une femme parfaitement distinguée, illuminant cette vie de famille et de campagne où elle avait enfermé ses vœux d’un rayon de grâce et d’élégance, tendre et pieuse de cœur, presque hardie d’esprit, mêlant dans la manière de conduire son fils les inspirations de la foi religieuse la plus humble et les théories de Jean-Jacques ou de Bernardin de Saint-Pierre. Ce n’était pas un système qu’elle réalisait prétentieusement, c’était un instinct qu’elle suivait, c’était l’amour avec ses dévoûmens intarissables et aussi ses dangers appliqué à la formation d’un homme, et Lamartine lui-même l’a dit : « Mon éducation était toute dans les yeux plus ou moins sereins et dans le sourire plus ou moins ouvert de ma mère… Elle me traduisait tout, nature, sentimens, sensations, pensées… Ce qu’elle voulait, c’était faire en moi un enfant heureux, un esprit sain et une âme aimante… Elle ne me demandait que d’être vrai et bon, je n’avais aucune peine à l’être. Tout m’attirait, rien ne me contraignait… Ce régime me réussissait à merveille, et j’étais alors un des plus beaux enfans qui aient jamais foulé de leurs pieds nus les pierres de nos montagnes, heureux de formes, heureux de cœur, heureux de caractère… Je ressemblais à une statue de l’adolescence enlevée un moment de l’abri des autels pour être offerte en modèle aux jeunes hommes… » Cette admirable mère avait poussé jusqu’au génie l’art d’épargner le pli d’une feuille de rose à ce premier-né dont elle était fière, à qui elle aurait voulu « faire la destinée d’un roi. » Elle se sentait gonflée d’un doux orgueil en entendant les murmures flatteurs qui la suivaient lorsqu’elle passait dans les rues de Mâcon avec ses cinq filles et son fils, « comme la Niobé des bords de la Saône avant ses malheurs. » Quand survenaient les contrariétés, elle les adoucissait de son mieux ; quand les vieux parens, personnages un peu moroses dont on attendait l’héritage, grondaient et se montraient sévères, elle interposait sa tendresse comme un bouclier. Lorsqu’il fallut plus tard suffire aux dépenses des premières équipées de jeunesse, elle vendait en cachette quelques bouquets d’arbres de Milly, et, chose curieuse, mystère étrange de ce cœur maternel, même à l’heure où elle allait mourir, Mme de Lamartine ne voulut pas qu’on fît venir son fils absent ; elle tenait à lui épargner le dernier chagrin de la voir défigurée par la mort. Elle se peint tout entière dans ce trait, et Lamartine, lui aussi, se peint tout entier en racontant cette suprême préoccupation. La mère se complaisait en son fils, le fils s’est toujours complu en lui-même.

Voilà l’erreur généreuse de cette éducation. Lamartine a eu un malheur, il a été trop heureux ; il a été trop gâté, choyé, flatté ; il n’a pas connu assez la puissance salutaire d’une règle précise, les sévérités de la vie, et c’est ce qui l’a fait ressembler si longtemps, pour ne pas dire toujours, à un grand enfant de chœur brûlant des parfums pour sa propre gloire, à un Eliacin ayant l’air de jouer avec toutes les choses de ce monde, au risque de traîner quelquefois sa robe blanche dans d’étranges hasards.

L’éducation de son esprit a été comme celle de son âme. Elle s’est faite en quelque sorte spontanément, par l’intuition plus que par l’étude. Je sais bien que, par une illusion ou une fatuité rétrospective, Lamartine s’est toujours figuré qu’il avait nourri sa jeunesse de la moelle des lions, et qu’il avait trahi son caractère ou sa prédestination politique par un goût précoce pour Tacite. Il a toujours cru que dans sa plus fraîche adolescence il portait en voyage un Tacite sur les marges duquel il écrivait ses impressions. En réalité, il goûtait bien d’autres choses, même légères ; il lisait surtout ceux qui lui parlaient « une langue d’harmonie, d’images, de passion, » Virgile, le Tasse, Bernardin de Saint-Pierre, Rousseau, Chateaubriand, Mme de Staël, et ses lectures mêmes sont comme une poésie en action. Tantôt c’était son père qui l’emmenait en chasse avec un vieux gentilhomme du pays, M. de Vaudran, avec le vicaire du village, l’abbé Dumont, et au revers d’un coteau on s’asseyait, on lisait un livre qu’on se mettait à commenter en face de la nature ; tantôt c’était sa mère qui lisait l’Odyssée en famille, au milieu de tout ce qui rappelait la vie rurale, et ces scènes de son enfance, Lamartine les a décrites d’un trait presque homérique. Quelquefois, aux heures chaudes de l’été, il s’en allait seul se coucher sur l’herbe pour savourer en liberté la voluptueuse harmonie de la Jérusalem délivrée, ou bien, par les journées d’automne, errant sur les collines, il s’enthousiasmait d’Ossian, de Werther. Son esprit comme son âme étaient tout feu, tout inspiration, et c’est ainsi que dans l’ombre de l’empire, qui remplissait alors le monde du fracas des armes, croissait ce jeune homme bien né, merveilleusement doué, prodigue de sensibilité et d’imagination, aimé, gâté, voyant la vie à travers ses songes, agité de vagues pressentimens de grandeur, et qui aurait pu trouver en lui-même ce mot du Tasse, avec qui il a eu plus d’une ressemblance : « de tous mes désirs, le plus grand est… d’être flatté par mes amis, bien servi par mes serviteurs, caressé par mon entourage, honoré par mes protecteurs, célébré par les poètes et montré du doigt par le peuple… » C’est en vérité le programme d’une vie.

Lamartine avait vingt ans, il était dans cette fleur de grâce adolescente, de distinction naturelle et de sève d’imagination, lorsque sa famille l’envoya en Italie pour l’occuper, pour l’enlever au danger d’une passion naissante, dont l’objet était cette jeune Lucy, une de ses premières adorations sérieuses, une voisine de campagne, qu’il a embaumée dans une page des Confidences. On le confia à une patente qui allait en Toscane, avec qui il traversait la Savoie, les Alpes, Turin, la Lombardie, Bologne, l’Apennin, d’où l’œil découvre la riante plaine de Pistoia, et c’est par un soir d’été de 1811 que pour la première fois il entrait à Florence. C’était un jeune voyageur inconnu jeté dans un monde nouveau où tout l’éblouissait. Il y avait à cette époque à Florence une grandeur déchue, beauté d’arrière-saison, royauté découronnée, la comtesse d’Albany, qui tenait une cour où Alfieri en mourant avait laissé comme un reflet de passion et de poésie, où les étrangers étaient bien accueillis. Lamartine avait une lettre pour cette reine sans royaume, et sa présentation n’est pas l’épisode le moins curieux de ce premier séjour à Florence. On peut le voir tel qu’il s’est peint depuis dans cette visite à l’amie d’Alfieri. « J’avais dix-neuf ans, dit-il en se rajeunissant un peu, une taille élancée, de beaux cheveux non bouclés, mais ondulés par leur souplesse naturelle autour des tempes, des yeux où l’ardeur et la mélancolie se mariaient dans une expression indécise et vague. » Son costume était parfait ; il portait un habit d’été gris-bleu, un pantalon de nankin et un gilet de même étoffe brodé de soie. C’est Lamartine à vingt ans ; il était bien ainsi, et même à ses plus grandes heures il a semblé toujours garder quelque chose de cet habit gris-bleu, de ce pantalon de nankin, de cette taille élancée, de toute cette élégance native. Ce voyage d’Italie a été une des grandes influences de la vie de Lamartine. Je ne parle pas seulement de l’aventure de cœur qui faillit l’enchaîner à Naples, dont il a fait un récit qui par la grâce et la pureté égale Paul et Virginie. Graziella est une émotion de jeunesse ravivée plus tard, idéalisée et transformée en poème.

Ce premier voyage d’Italie est en réalité pour Lamartine comme une fécondation nouvelle, une sorte d’émancipation et d’extension d’intelligence en face de la splendeur des arts, de la poésie des souvenirs et des paysages. Jusque-là, il n’avait vu que les coteaux du pays natal, les spectacles familiers d’une vie uniforme au fond d’une province française ; il ne savait pas encore ce que c’est que voir les cités et les hommes, selon l’expression homérique. Maintenant de nouveaux et merveilleux horizons se déroulaient devant lui tout pleins d’éblouissemens ; à ses yeux se déployaient Florence, Rome, Naples, l’éclat du ciel, la grandeur des ruines, la douceur d’une terre enchantée, tout ce qui parle aux sens et à l’esprit. Qu’on se figure ce jeune homme à l’âme gonflée de sève et d’aspirations indéfinies, jeté tout d’un ; coup des jardins de Milly au bord des lacs de Suisse et de Savoie, passant « des journées entières à errer sur les grèves sonores des mers d’Italie, » allant le matin contempler Rome du haut du Monte-Pincio ou visitant par les doux soleils d’automne Frascati, Albano, le temple de la sibylle, « tout retentissant et tout ruisselant de la fumée des cascades de Tivoli, » promenant ses songes d’adolescent à travers les brises embaumées d’Ischia et de Sorrente : c’était pour lui la révélation d’une nature toute nouvelle. Entré cette nature aux couleurs resplendissantes, quoique d’une harmonie un peu molle, pleine d’intimes fascinations, si bien faite pour inspirer, et cette imagination toute fraîche, encore à demi efféminée, si heureusement douée pour s’ouvrir à toutes les impressions, il y avait un lien, une parenté mystérieuse.

Il y a de ces prédestinations conduisant le génie comme par la main en face des beautés extérieures qui doivent le féconder. Dix fois depuis Lamartine a franchi les Alpes en suivant presque les mêmes chemins, il a passé son temps le plus heureux à Naples, à Florence, sur les bords de la mer de Pise ou à Rome ; il y a trouvé toujours une seconde patrie, la patrie de ses premières sensations et de ses premiers rêves. Quand il revint d’Italie après une année, il avait doublement vécu, puisqu’il avait aimé comme on aime à vingt ans, et qu’il avait rempli ses yeux d’ineffaçables images. Il rentrait en France, rappelé par la tendresse alarmée de sa mère, arraché par un des plus chers compagnons de sa jeunesse, Aymon de Virieu, aux enivrantes séductions de Naples ; il rentrait, non plus comme il était parti, mais le cœur plein d’agitations inconnues et l’esprit agrandi, roulant dans son imagination, comme il le dit, « des mondes de poésie, » sentant s’élever du fond de son âme une sorte de chant intérieur qu’il n’osait ou ne savait exprimer encore. Il croyait naïvement s’essayer à la vraie poésie en ébauchant toute sorte de tragédies, de poèmes épiques et d’élégies sur le mode du chevalier de Bertin ou de Parny. Il ne se doutait pas que déjà il portait, en lui-même, dans ces palpitations, ces frémissemens et ces rêves, qui l’agitaient, le germe d’une poésie bien autrement originale, bien autrement vivante. Que fallait-il pour faire éclore ce germe ? Un brûlant rayon de plus, une de ces passions qui hâtent la maturité du talent ou du génie, qui font éclater dans un déchirement l’accent pathétique de la vérité humaine. L’auteur des Méditations n’en était pas encore là, il en était tout au plus à ces mélancolies, indéfinissables qui sont comme un pressentiment dans les âmes inassouvies.

Le mal de Lamartine comme des hommes de son âge qui ne se laissaient pas emporter dans les tourbillons dévorans de l’empire, c’était le mal d’une jeunesse inoccupée et inquiète. Il avait certainement toute ce qu’il faut pour être heureux ; il ne sentait pas moins ce trouble d’un jeune homme facilement dégoûté des conditions vulgaires de la vie, « fermentant d’imagination, » de désirs et de passions à peine écloses, dévorant le monde par la pensée et réduit à ne pas même savoir où il va, ce qu’il pourra faire. Ses oncles ne rêvaient pour lui rien de plus que l’existence obscure et modeste d’un gentilhomme de province ; son père, resté soldat par le cœur, eût été flatté de le voir reprendre l’épée qu’il avait suspendue aux murs de Milly en quittant le service ; sa mère, doucement orgueilleuse des dons qu’elle voyait en son fils, avait de l’ambition pour lui, elle croyait à l’avenir, à la destinée de ce fils, et elle gémissait de le voir se consumer dans l’inaction. Lui, comme ce Raphaël dans lequel il s’est miré, « il avait des ailes à ouvrir et point d’air autour de lui pour les porter. »

Il s’épuisait dans cette fièvre d’activité sans but, lorsque la restauration, se levant sur les ruines de l’empire, changeait la face de la France, et ouvrait une carrière nouvelle à toute une génération de fils de familles royalistes empressés d’aller se grouper comme une chevalerie improvisée autour de la monarchie renaissante. Lamartine était de cette génération ; son père le fit aussitôt admettre dans une des compagnies des gardes du corps, et certes dans cette élite de la noblesse française qui remplissait la maison militaire du roi il devait porter la distinction, l’élégance, la grâce sous l’uniforme, avec toutes ces impatiences d’action qui l’agitaient. Cette vie militaire d’ailleurs, interrompue par le coup de foudre du 20 mars, un instant reprise au lendemain des cent jours, cette vie des camps ou des services de cour était pour lui moins une vocation qu’un goût de circonstance, un beau feu de dévoûment royaliste, un accident chevaleresque. C’était une sorte d’entrée dans le monde, bruyante, animée, une occasion de renouer de vieilles relations de famille ou de former des relations nouvelles dans ce Paris recomposé des premiers momens de la restauration. Ce qu’il faisait, il l’a dit lui-même : les dissipations, le jeu, les courses folles dans les bois de Saint-Cloud ou de Saint-Germain avec ses amis, les improvisations légères, les liaisons, les plaisirs, l’entraînaient dans leur tourbillon sans le satisfaire. Il portait en lui une de ces imaginations qui sont toujours sans repos tant qu’elles n’ont pas trouvé leur voie. Durant ces années où il retombait dans l’inaction en quittant le service militaire, et où plus que jamais il restait avec ses rêves, il partageait son temps entre Paris et sa famille, ou la Savoie, la Suisse, les Alpes, vers lesquelles il revenait sans cesse, passant-des agitations mondaines à la solitude. En Savoie, un de ses amis d’enfance, M. Louis de Vignet, l’introduisait dans la famille, de Maistre, qui habitait son petit domaine de Bissy, et qui offrait une si étonnante variété de puissance et de grâce. À Paris, Lamartine entrait peu à peu dans la société royaliste ; il liait connaissance avec Matthieu de Montmorency, avec le duc de Rohan, qui est mort depuis cardinal, et qui était à cette époque un des plus brillans officiers des mousquetaires rouges. En autre de ses compagnons de jeunesse, avec qui il vivait en commun dans un petit appartement de l’hôtel du maréchal de Richelieu, rue Neuve-Saint-Augustin, Aymon de Virieu, lui ouvrait la porte des salons en renom ; il le conduisait chez la fille de Mme de Staël, la duchesse de Broglie, alors dans l’éclat de la jeunesse et de la grâce, chez Mme de Raigecourt, l’amie de la sœur de Louis XVI, de la touchante princesse Elisabeth, chez Mme de Sainte-Aulaire, chez Mme de La Trémouille, dans tous ces foyers du monde élégant, littéraire et politique, où le poète encore inconnu se rencontrait avec des hommes dont il devait être un jour l’émule ou le rival dans les assemblées. « Je regardais, a-t-il dit, j’étais quelquefois regardé, je parlais peu, je ne me liais pas. » C’est alors, c’est au courant de cette vie partagée entre les rêves d’imagination et le monde qu’éclatait pour Lamartine une de ces révolutions qui concentrent un instant toute une existence dans un sentiment unique, cette passion de cœur qu’il a immortalisée sous le nom d’Elvire dans ses vers, plus tard sous le nom de Julie dans Raphaël, et dont il n’a jamais dit entièrement le secret.

Elvire n’est qu’un nom, Raphaël n’est qu’un roman, plus idéal encore que Graziella, où la réalité disparaît sous la fiction, où le sentiment se noie dans la profusion des couleurs, et Lamartine lui-même d’ailleurs en est convenu ; il s’est accusé de n’avoir pas été sincère, d’avoir fait un livre qui ne disait que la moitié de la vérité, d’avoir prétendu allier l’ivresse du cœur et je ne sais quelle métaphysique romanesque qui glace l’émotion. Effacez toutes ces combinaisons où la médecine apparaît comme une providence, ces contradictions d’une femme qui aurait été à la fois matérialiste et religieuse, athée et chrétienne jusqu’au mysticisme, ces tentatives de suicide, ces promenades délirantes et extatiques sous l’arbre de l’adoration dans les bois de Saint-Cloud, une seule chose reste vraie : c’est que pendant treize mois, de 1817 à 1818, tantôt en Savoie aux bords du lac du Bourget, tantôt à Paris, Lamartine fut tout entier à une de ces passions que les absences et les obstacles enflamment au lieu de l’attiédir, qui font éprouver à une âme humaine toutes les poignantes voluptés de la vie. La corailleuse de Naples, Graziella, n’est guère qu’un éblouissement d’adolescence sous un ciel plein de fascinations ; Elvire ou Julie, c’est l’astre brûlant et mystérieux se levant sur le cœur d’un jeune homme de vingt-six ans et réveillant en lui toutes les puissances intérieures. Celle qui est restée toujours voilée sous le nom de Julie ou d’Elvire n’était point ce qu’on dit ; c’était certainement une femme ayant sa place dans le monde, puisqu’elle avait un salon où se réunissaient des savans, des diplomates, des philosophes, puisqu’elle était liée avec M. de Bonald, à qui Lamartine adressait des vers pour obtenir un sourire de son amie. Une chose vraie encore, c’est ce paysage du lac, si poétique, si émouvant, si précis dans sa première forme, et que Raphaël n’a fait qu’élargir et noyer dans la confusion éclatante de ses descriptions. Une circonstance plus douloureusement vraie que tout le reste enfin, c’est que cette passion profonde, ardente et délicate était bientôt brisée tout à coup par la mort de la personne, qui emportait elle-même dans son dernier souffle l’enivrement de l’amour qu’elle inspirait. Le rêve avait duré treize mois, enflammé, haletant ; Lamartine se réveilla le cœur déchiré, « comme une âme aveugle qui a perdu la lumière du ciel et qui ne se soucie plus de celle de la terre. « Il partit avec sa blessure, qu’il croyait sincèrement inguérissable ; il alla en Suisse, il alla s’enfermer à Ursy avec son oncle l’abbé de Lamartine, qui était indulgent pour les peines de jeunesse et qui ne croyait pas à l’éternité des douleurs de ce genre ; il revint auprès de sa mère, qui, sans vouloir sonder la plaie jusqu’au fond, s’ingéniait à l’adoucir d’une main légère et tendre. L’élasticité d’une riche nature le sauva, et de cette douleur dont il croyait mourir, qui devait tout au moins être éternelle, il ne restait plus bientôt qu’un attendrissement religieux, la mélancolie des convalescences du cœur.

C’est le grand et sérieux événement de la vie de Lamartine à cette époque, c’est ce qui achevait en lui le poète. Jusque-là, il avait cherché, il n’avait pas trouvé ; il se jouait dans les vers comme dans un artifice séduisant de l’esprit ; désormais il avait senti, il avait aimé ; c’est en lui-même qu’il portait la source d’une nouvelle et pathétique inspiration. « Ma voix était changée, a-t-il écrit un jour ; toutes mes fibres attendries de larmes pleuraient ou priaient au lieu de chanter. Je n’imitais plus personne, je m’exprimais moi-même… Je ne pensais à personne en écrivant çà et là des vers, si ce n’est à une ombre et à Dieu. Ces vers étaient un gémissement ou un cri de l’âme : je n’étais pas devenu plus poète, j’étais devenu plus sensible, plus sérieux et plus vrai… » Ce que je veux montrer, c’est cette formation du plus facile et du plus expansif descentes contemporains, c’est ce travail courant et mystérieux où tout se réunit, éducation, influences bienfaisantes, voyages, accidens de cœur, pour colorer, émouvoir et féconder une imagination naturellement puissante, et c’est ainsi que Lamartine arrivait à cette heure de 1820 où les Méditations éclataient comme l’expression souveraine et imprévue d’une inspiration nouvelle, où se dégageait subitement une destinée dont nul regard n’aurait pu mesurer l’essor.

Heure légendaire de cette fortune naissante ! À ce moment, Lamartine touchait à la trentième année, il avait tous les dons extérieurs de la séduction et de la grâce. Les derniers orages de la jeunesse laissaient sur son front haut et pur je ne sais quel voile de mélancolie attachante. Par son éducation, par ses idées premières, comme par ses goûts et par ses instincts, il était tout entier de ce monde de la restauration où il avait achevé de grandir ; par son génie, il dépassait le cercle des salons et des réunions élégantes, il se révélait comme le poète de tous les sentimens intimes du cœur, il exprimait sous une forme harmonieuse les aspirations idéales, les rêveries, les inquiétudes des générations nouvelles venues à la vie avec la secrète et invincible tristesse des grandes commotions publiques. C’était un Byron adouci, sans révolte et sans amertume, un René plus jeune et moins orageux que le premier. Les Méditations renouvelaient le succès du Génie du christianisme au commencement du siècle. D’un seul coup, Lamartine entrait dans la gloire littéraire par ce petit livre, qui mettait une auréole sur son nom, et dans la politique par ce titre de secrétaire d’ambassade avec lequel il partait pour Naples, où M. de Narbonne représentait alors la France.

Tout lui souriait à la fois. Poète, il trouvait « des soupirs pour écho et des larmes pour applaudissement. » Secrètement ambitieux d’action sous une apparence nonchalante, il allait dans les plus belles contrées du monde servir un gouvernement qu’il aimait. Au même instant il s’unissait à une jeune Anglaise, séduisante et riche, par un mariage dont l’un des témoins était le comte Joseph de Maistre en personne, et qui s’accomplissait en Savoie, dans ces lieux mêmes où l’image flottante d’EIvire lui apparaissait moins comme un remords que comme un attendrissant souvenir. Son existence se fixait sous un rayon doré. Ces années de la restauration si brillantes encore et destinées à finir dans un orage populaire, Lamartine les passa en Italie, tantôt à Naples, tantôt à Florence, où il resta chargé d’affaires après la mort du spirituel et aimable marquis de La Maisonfort. Il vivait loin de la France, de cette vie large et facile qui était dans ses goûts, et où Paris lui renvoyait comme une image de sa jeune renommée grandissante. C’étaient des années heureuses et fécondes, années de fermentation et de renaissance universelle, où toutes les forces de l’esprit éclataient en France d’un même élan, où, au bruit de l’éloquence politique retentissant dans les tribunes, l’histoire, la philosophie, la critique, la poésie, se réveillaient et se renouvelaient à la fois. Victor Hugo montrait déjà ce que peut la volonté alliée à une forte imagination ; Alfred de Vigny, ce Vauvenargues de l’art moderne, laissait entrevoir ses figures d’Eloa, de Dolorida, de Moïse, et faisait passer comme un frisson dans ses vers l’accent triste du cor au fond des bois ; Sainte-Beuve, poète et critique, s’essayait bientôt dans Joseph Delorme à l’analyse des réalités de la vie avant d’arriver à la mélopée intime des Consolations. Alfred de Musset allait paraître, commençant par ces pétulances de verve qui devaient finir dans les douloureux déchiremens de la passion. Sous toutes les formes, une poésie nouvelle naissait à travers la mêlée des écoles et des talens. Lamartine, lui, de loin, dans ce qu’il appelait « son doux exil des bords de l’Arno, » était comme la gloire neutre et pure de ce mouvement, s’élevant au-dessus des bruyantes luttes départis, auxquelles il restait étranger, et ici il est bien facile de voir déjà le trait caractéristique de cette nature, qui a toujours été beaucoup moins faite pour combattre que pour régner.

Ce n’était pas un poète de plus dans la sonore et tumultueuse armée romantique, c’était le poète par excellence, l’inspiration souveraine et intarissable, solitaire et indépendante ; Certainement Lamartine n’appartenait à aucune école, à l’école libérale moins qu’à toute autre ; il était lui-même royaliste de cœur, novateur littéraire sans préméditation et sans calcul, par la grâce d’un génie privilégié. Pendant que se livraient à Paris les batailles romantiques, il était, lui, dans la période de libre et heureuse expansion, allant de ses premiers vers aux secondes Méditations, au Dernier chant du pèlerinage d’Harold, aux Harmonies poétiques et religieuses. Ces Harmonies, qui paraissaient à la veille même de la révolution de 1830, au moment où Lamartine allait être nommé ministre à Athènes par M. de Polignac, et où l’Académie française, par la voix de Cuvier, le recevait comme un hôte bienvenu dont on avait entendu de loin « les chants doux et mélodieux, » ces Harmonies n’avaient pas peut-être le frémissement intime, la pureté, la grâce sobre des premières Méditations ; elles avaient plus d’abondance et d’éclat, elles éblouissaient par l’opulence des couleurs, et, suivant une expression de Sainte-Beuve, par ces courbures de cygne décrivant ses cercles sacrés au plus haut des airs, elles révélaient aussi une âme déjà émue des problèmes du siècle. Joignez-y Jocelyn, qui ne vint que quelques années plus tard, et qui n’est encore que ce courant d’inspiration élargi : en définitive, la poésie de Lamartine est là tout entière, chant des mélancolies, des souvenirs du passé et des aspirations du cœur, poème de l’infini dans les cieux et des splendeurs de la terre, méditation en strophes toujours nouvelles sur tout ce qui fait palpiter l’âme humaine.

Elle a bercé une génération et elle garde une éternelle jeunesse, cette poésie qui, en réalité, n’est que l’expression imagée d’une merveilleuse nature morale, où se retrouve tout ce qui a été en quelque sorte l’essence de ce génie, influences maternelles, culte de la terre natale, religion de l’enfance, amour, instinct idéal, illusions, sentiment des grandeurs alpestres et des paysages d’Italie. Assurément dans cette poésie nouvelle qui naissait après les Méditations, il y a eu plus d’une note émouvante, plus d’un accent qui retentit encore. Chaque talent a eu son originalité et ses dons particuliers. Victor Hugo ressemble à un puissant ouvrier forgeant ses strophes, pliant et tordant la langue, faisant jaillir les images comme des éblouissemens d’étincelles autour de lui ; il arrive au génie par la volonté et souvent à l’effet par l’étonnement qu’il inspire, par l’effort, qui n’est même pas toujours invisible dans ses pages les plus gracieuses. Alfred de Musset, le plus français peut-être des poètes modernes, a l’inspiration vive et prompte, l’impétuosité dans la grâce, le cri perçant dans la passion. C’est une poésie toute nerveuse qui saisit, remue et ne se prolonge pas. Alfred de Musset est peut-être le seul qui ne dise plus rien quand il n’a plus rien à dire. Alfred de Vigny a toujours l’air de sortir d’un sanctuaire ou de cette tour d’ivoire qu’on lui donnait un jour pour demeure. L’inspiration de Lamartine est comme sa nature ; elle a la fraîcheur de l’extase, la facilité, l’abondance, la spontanéité continue. On dirait que l’auteur du Lac n’a qu’à ouvrir son âme et son imagination pour que la poésie coule de source et s’épanche en inépuisables torrens d’harmonie. Qu’il soit à Milly, la maison de son enfance, ou à Saint-Point, l’asile de sa maturité, qu’il soit dans un bois de pins, sur un promontoire du golfe de Gênes, à Vallombreuse, sur ces sommets de l’Apennin où viennent se confondre les souffles des deux mers, de la Méditerranée et de l’Adriatique, le chant naît sur ses lèvres et s’élance sans effort. Hymnes de la nuit et du matin, prière de L’enfant à son réveil, ivresse de la beauté et de l’amour, cantiques de bonheur ou désespoirs s’exhalant dans le Crucifix, dans les Novissima verba, tout se mêle et se succède en s’idéalisant. Ce n’est point par l’originalité ou par l’étonnante grandeur des sentimens et des pensées que brille Lamartine ; il exprime le plus souvent les croyances et les idées de tout le monde, ce qu’il y a de plus simple dans l’âme humaine, le christianisme du foyer, le culte de la maison de famille, la pensée des morts, l’élan vers l’infini ou l’amour terrestre. Il transforme en poésie ce que les enfans et les femmes sentent comme les hommes, et c’est pour cela qu’il a parlé à tous les cœurs, c’est ce qui lui a fait cette enivrante popularité des premières années de son avènement. N’y a-t-il point parfois quelque monotonie dans cette intarissable effusion, dans cette symphonie qui recommence sans cesse ? Le poète ne se complaît-il pas aussi un peu trop dans la contemplation de lui-même ? N’importe, le chant se prolonge en ondes infinies, et malgré soi on se laisse aller à ce caressant murmure, à ce courant de sensibilité et d’harmonie. C’est le dernier mot du lyrisme intime. et, pathétique s’inspirant de Dieu, de l’âme et de la nature.

Qui croirait cependant, si on ne le savait, qu’au moment où Lamartine arrivait ainsi au sommet de l’inspiration lyrique et de la popularité, il se considérait lui-même, du haut de sa grandeur de diplomate, comme un amateur, un curieux en littérature, qu’il ne voyait dans la poésie, par laquelle il était tout, « qu’un accident, une aventure heureuse, une bonne fortune de sa vie, » qu’il se croyait destiné à d’autres travaux, « qu’il aspirait à tout autre chose ? » C’était là surtout ce qui l’occupait à la veille de la révolution de 1830. Cet enfant gâté de toutes les admirations se lassait d’être toujours appelé un grand poète, et ici commence un autre homme, ou, pour parler plus vrai, c’est bien toujours le même homme sous une autre forme ; c’est le même homme avec ses illuminations, ses mobilités, ses faiblesses, ses instincts transportés sur un autre théâtre où ce qui fait le poète n’est pas précisément ce qui fait le politique.


II

Qu’eût fait Lamartine, à quel avenir était-il destiné dans cette « haute politique, » qu’il a complaisamment appelée sa « véritable et constante passion, » si la monarchie traditionnelle eût continué à vivre ? Par quelle évolution d’idées, de sentimens et de conduite est-il passé de la position et des opinions qu’il avait en 1830 au rôle de chef improvisé et éphémère de la république de 1848 ? L’a-t-il jamais bien su lui-même ? A-t-il jamais vu clair dans ce mystère de sa propre destinée morale ?

Au moment où la restauration, ce gouvernement de sa jeunesse, s’écroulait sur la tête d’un vieux roi, naïf provocateur de catastrophes, Lamartine avait quarante ans. Il aimait ces Bourbons, qu’il se représentait toujours le testament de Louis XVI dans une main et la charte dans l’autre main ; il n’avait pas même une invincible répugnance pour M. de Polignac, qu’il défendait volontiers de toute pensée de coup d’état. Sans doute, par une intuition des grands mouvemens publics, il avait le pressentiment des dangers que courait la restauration, et il ne restait pas indifférent à la puissance croissante du parti libéral ; il a raconté un dîner qu’il avait fait vers cette époque avec M. Thiers au Palais-Royal, et où il avait vu dans le regard du jeune historien de la révolution française, du brillant polémiste du National, la flamme qui allait incendier la monarchie. Au fond, il ne croyait pas à un désastre si prochain. Si la royauté des Bourbons avait vécu, Lamartine l’eût servie sans doute dans quelque grand poste diplomatique : il serait bientôt revenu, en passant par Athènes, à Vienne ou à Rome. Peut-être aussi serait-il entré dans les chambres, et vraisemblablement, par attrait d’intelligence, au contact des hommes et des partis, il se serait laissé aller à un certain libéralisme qui aurait toujours eu néanmoins pour limite le respect affectueux de la royauté. Il aurait pu être un Lainé plus jeune, plus littéraire, plus libéral, représentant les générations nouvelles dans un gouvernement de tradition monarchique. La révolution de 1830 l’atteignait subitement dans son royalisme, dans sa fidélité aux Bourbons. Il n’avait pas conspiré d’opinion pour cette révolution, il ne triomphait pas avec elle, et il tint à marquer dès le premier instant sa situation en refusant de rester dans la carrière diplomatique qu’on lui promettait d’élargir et d’agrandir devant lui. Il obéissait, a-t-il dit, à « cette délicatesse de sentiment, peut-être plus chevaleresque que civique, qui semblait commander à un royaliste de naissance de tomber avec son roi qui tombe et de ne pas passer avec la fortune du camp du vaincu au camp du vainqueur. » Par le fait, cette révolution de 1830, qui arrivait si promptement à se contenir en se fixant dans une politique de transaction entre les opinions extrêmes, cette révolution avait pour Lamartine cet étrange et double résultat de briser en quelque façon le cadre naturel de leur vie première, et de les jeter par une sorte de réaction intime dans une carrière indéfinie pleine de tentations et d’illusions. C’était une crise morale en même temps que politique, épreuve inattendue et peut-être dangereuse pour l’intelligence, pour le caractère, pour l’esprit de conduite des hommes engagés dans un ordre d’événemens nouveaux.

La révolution de 1830 était pour Lamartine plus que pour tout autre un de ces coups qui ébranlent l’imagination, qui changent une destinée. Elle le jetait des fonctions régulières de la diplomatie dans l’indépendance, elle le surprenait à cette heure de sa vie où une ambition singulière fermentait en lui. Le poète aspirait à passer homme d’état, orateur, tribun de parlement. La politique, c’est l’éternelle tentation de ces magiciens de génie, de ces glorieux enivrés de popularité qui ont pris le goût de toutes les dominations retentissantes, qui se figurent qu’en charmant les hommes ils ont conquis le droit de les gouverner. Lamartine aurait voulu être député, il aurait voulu « monter sur la brèche pour y défendre la société européenne, assaillie par les partis de la guerre universelle et par les partis de la turbulence anarchique au dedans. « Il se présentait à la fois dans deux collèges électoraux, dans le Var et dans le département du Nord ; il ne réussit pas, il ne fut élu que deux ans plus tard, et ces deux années de retraite, de méditation, il les passait en Orient ; il faisait ce voyage un peu fastueux où il trouvait un grand deuil de cœur par la mort de son unique enfant, mais qui lui était apparu comme une sorte d’expédition d’Égypte d’où il se flattait de revenir, à la façon du général Bonaparte, avec un prestige agrandi par l’absence. Ce n’est qu’au retour de ce voyage que Lamartine, élu à Dunkerque, entrait décidément au parlement français, et, lorsqu’on lui demandait où il irait s’asseoir dans cette chambre, il répondait : « Au plafond, car je ne vois de place politique pour moi dans aucun de ces partis. »

Le fait est qu’il ne laissait pas d’être embarrassé au premier moment. Il ne voulait pas s’affilier aux défenseurs de la monarchie nouvelle ; il se faisait un point d’honneur, comme il l’a dit depuis, de « garder à cette monarchie les rancunes décentes d’un royaliste tombé, avec les regrets de 1830. » Légitimiste lui-même, il voulait encore moins suivre le parti légitimiste, « fourvoyé dans toutes les impasses et dans toutes les coalitions contre nature par des chefs éloquens, mais sans vues. » Par ses instincts conservateurs et humanitaires, il était encore plus éloigné des partis démocratiques et belliqueux, de ceux qu’il appelait les grognards de 1792 et de l’île d’Elbe, déjà conjurés contre la royauté qu’ils avaient faite. Il était séparé de tous les partis, il ne se rattachait à aucun. Que lui restait-il à faire ? Il allait s’asseoir au sommet de la droite, sur un banc isolé, regardant d’en haut les luttes parlementaires, essayant quelquefois de s’y mêler, supportant toujours avec une secrète impatience cette glorieuse défaveur qui depuis Platon s’attache au nom de poète en politique, et, lorsqu’un de ses amis l’interrogeait, il lui répondait : « Tu ne peux pas me comprendre en entier, personne ne peut me comprendre en entier, parce que je ne peux m’expliquer qu’au jour le jour pour ne pas effrayer le milieu sur lequel je veux agir. »

Le désintéressement apparent de Lamartine cachait une étrange ambition et, si j’osais ajouter le mot, une infatuation naïve. Je ne dis certes pas qu’il n’eût le droit de secouer la proscription de Platon et d’entrer dans la politique ; mais, pour s’expliquer ce qu’il a fait, ce qu’il a été, il faut bien savoir ce qu’il entendait par la politique, avec quelles dispositions il entrait dans les luttes parlementaires, quel rôle il se dessinait à lui-même dans les hardiesses d’une imagination qui, sans en avoir l’air, allait à toutes les extrémités. Lamartine n’était pas homme à borner ses rêves, à se contenter d’un rôle simple, actif et brillant, qui eût pu suffire encore à une ambition légitime. Il caressait dans sa pensée je ne sais quel inconnu, je ne sais quelle destinée exceptionnelle. Dans un de ces entretiens qu’il multipliait au soir de sa vie et qui sont souvent des fragmens de mémoires bien plus qu’un cours familier de littérature, Lamartine raconte qu’un matin de 1831, avant son voyage d’Orient, se trouvant à Londres, il était allé voir le prince de Talleyrand occupé à négocier la paix de la révolution de juillet avec l’Europe. Talleyrand ne recevait pas seulement avec bienveillance l’auteur des Méditations, il le « recherchait, » car tout le monde, bien entendu, a recherché Lamartine. Le prince mettait toute sa coquetterie à séduire le poète, il s’efforçait de rattacher cette brillante recrue à la nouvelle royauté, et, voyant qu’il ne réussissait pas, il aurait dit : « Vous ne voulez pas vous rallier à nous, je n’insiste pas, je crois vous comprendre : vous voulez vous réserver pour quelque chose de plus entier et de plus grand que la substitution d’un oncle à un neveu sur un trône sans base ; vous y parviendrez. La nature vous a fait poète, la poésie vous fera orateur, le tact et la réflexion vous feront politique… Je me connais en hommes, j’ai quatre-vingts ans, je vois plus loin que ma vue ; vous aurez un grand rôle dans les événemens qui succéderont à ceci… Laissez les vers, bien que j’adore les vôtres, ce n’est plus l’âge. Formez-vous à la grande éloquence d’Athènes et de Rome. La France aura des scènes de Rome et d’Athènes sur ses places publiques. J’ai vu le Mirabeau d’avant, tâchez d’être celui d’après… » Et voilà certainement de quelle façon Lamartine aimait qu’on lui parlât ; il aurait fait lui-même le discours qu’il ne l’aurait pas mieux imaginé.

Ce qu’il met dans la bouche de Talleyrand, il l’a exprimé du reste sous une forme plus directe en retraçant un jour l’idéal ou le programme de sa vie, tel qu’il l’avait conçu dès sa plus tendre enfance et qu’il l’avait communiqué à ses amis bien avant d’être un personnage dans le monde. Ce n’était pas un mince idéal, vous allez le voir. Les années qui lui seraient accordées, il devrait les employer à trois grandes choses qui sont, selon lui, les trois missions de l’homme d’élite ici-bas. Sa jeunesse, elle, était destinée d’avance à la poésie, « cette rosée de l’aurore, » aux vers, « idiome de l’espérance qui colore le matin de la vie, de l’amour qui enivre, du bonheur qui enchante, de la douleur qui pleure, de l’enthousiasme qui prie. » Et puis ? ah ! c’est ici que le programme s’étend et prend des proportions merveilleuses. « Quand j’aurai chanté pour moi-même et pour quelques âmes musicales comme la mienne, poursuit-il avec une ineffable candeur, je passerai ma plume rêveuse à d’autres plus jeunes. Je chercherai dans les événemens passés ou contemporains un sujet d’histoire ; le plus vaste, le plus philosophique, le plus tragique sera celui que je choisirai, et j’écrirai cette histoire dans le style qui se rapprochera le plus, selon mes forces, du style métallique, nerveux, profond, pittoresque, palpitant de sensibilité, éclatant d’images, sobre, mais chaud de couleurs, jamais déclamatoire et toujours pensé, autant dire, si je le peux, dans le style de Tacite… Quand j’aurai écrit ce livre d’histoire, complément de ma célébrité littéraire de jeunesse, j’entrerai résolument dans l’action, je consacrerai les années de ma maturité à la guerre, véritable vocation de ma nature, qui aime à jouer avec la mort et la gloire ces grandes parties où les vaincus sont des victimes, où les vainqueurs sont des héros… Et si la guerre me manque, je monterai aux tribunes, ces champs de bataille de l’esprit humain, je tâcherai de me munir, quoique tardivement, d’éloquence, cette action parlée qui confond dans Démosthène, dans Cicéron, dans Mirabeau, dans Vergniaud, dans Chatam, la littérature et la politique, l’homme du discours et l’homme d’état, deux immortalités en une… »

Il parlait ainsi avec cette éternelle abondance que rien n’a jamais pu tarir. On pourrait croire que c’est là un de ces romans refaits après coup par une imagination complaisante pour mettre l’unité et la logique dans une vie ; mais non, ces étranges idées de grandeur en toute chose, Lamartine les portait au plus profond de lui-même et les caressait en secret avant de mettre le pied sur la scène publique ; il les laissait entrevoir dans son discours de réception à l’Académie française, aux premiers jours d’avril 1830, lorsque par un pressentiment mystérieux il décrivait ces sublimes interrègnes où tout change, où « le même homme soulevé par l’instabilité du flot populaire aborde tour à tour les situations les plus diverses, les emplois les plus opposés, » où « la fortune se joue des talens comme des caractères, » où « il faut des harangues pour la place publique, des plans pour le conseil, des hymnes pour les triomphes… » Cet académicien arrivant de Florence se voyait déjà chef de quelque gouvernement inconnu dans un naufrage public ; « on cherche un homme, son mérite le désigne ; .. l’esprit de cet homme s’élargit, ses talens s’élèvent, ses facultés se multiplient, chaque fardeau lui crée une force, chaque emploi un mérite… » Et pendant son voyage en Orient Lamartine ne se faisait-il pas prédire par lady Esther Stanhope les destinées les plus hautes et les plus éclatantes ? Il serait un de ceux qui réaliseraient la mission de la France dans une Europe finie, il avait du soleil dans la pose de sa tête, toutes les étoiles étaient en harmonie pour le servir… — La poésie, la politique, la guerre, la gloire sous toutes les formes, Mirabeau, Vergniaud, Tacite, César ou Napoléon, tout cela réuni et combiné dans un seul être mortel ! C’était à coup sûr un merveilleux idéal ; seulement il est bien clair que la vie ainsi conçue n’est plus qu’un songe enflammé qui peut être suivi de terribles réveils, que la politique ainsi comprise n’est plus de la politique. C’est encore et toujours de la poésie, et la plus dangereuse des poésies, puisque les affaires humaines ne sont plus qu’un thème livré à une imagination inassouvie, capable sans doute des plus grands élans et malheureusement capable aussi des plus grandes faiblesses.


CHARLES DE MAZADE.