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Leçons de géologie (Delamétherie)/Tome II/Section neuvième

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DE LA MASSE DES EAUX À LA SURFACE DU GLOBE, POSTÉRIEUREMENT À SA FORMATION ET DE LEUR DIMINUTION.

Tous les phénomènes géologiques, que nous avons exposés jusqu’ici, prouvent, de la manière la plus évidente, que la masse des eaux, à la surface du globe, dans les premiers instans de sa formation, était assez considérable ; mais, depuis cette époque, elles ont constamment diminué. Le niveau des eaux des mers s’est abaissé de plusieurs milliers de toises. Ce sont ces faits que nous allons exposer ; nous tacherons ensuite d’en assigner les causes.

Tous les géologues conviennent que les eaux ont couvert la surface entière du globe. Les sommets des montagnes les plus élevées, où aient pénétré des naturalistes instruits, tels que le Mont-Blanc, le Mont-Rose… élevés de plus de 2,400 toises, les montagnes au Thibet, de 4,000 toises, sont composés de substances cristallisées dans les eaux, comme feldspath, quartz, mica, hornblende…

Les eaux se sont donc abaissées d’une quantité considérable, depuis la formation de ces montagnes.

Cet abaissement s’est opéré successivement, dans des durées que nous n’avons aucuns moyens d’estimer, même par approximation.

Mais, depuis 2500 à 3000 ans, c’est-à-dire, depuis la fondation de Marseille et d’Alexandrie, le niveau des eaux n’a pas changé d’une manière sensible.

Nous allons examiner ces faits en détail.


LA MASSE DES EAUX, À LA SURFACE DU GLOBE, N’A-T-ELLE PAS VARIÉE.


Cette question peut être envisagée sous différens rapports, et la masse des faits n’est peut-être pas encore assez considérable pour la résoudre.

Plusieurs géologues pensent que la masse des eaux, qui étaient à la surface de la terre n’a pas varié. Elles ne font que changer de place et se porter, disent-ils, d’une contrée à l’autre.

D’autres géologues pensent que cette masse d’eau, qui était primitivement à la surface du globe, a beaucoup diminué, mais qu’une portion s’est enfoncée dans les cavernes intérieures du globe… Ainsi le globe contient toujours la même quantité d’eau, dans cette opinion.

Quelques autres ont dit que les eaux de la surface du globe terrestre ont pu passer en d’autres globes…

Enfin, ceux qui croyent que, primitivement, la surface de la terre était à peu près plane, et que les montagnes ont été formées ou par soulèvement, ou par affaissement, supposent que la masse des eaux a peu varié. Elle se sont réunies dans les grandes vallées creusées par le soulèvement des montagnes.

Il est déjà prouvé, par tous les faits que nous avons rapportés, que cette dernière opinion ne saurait se soutenir ; on doit, par conséquent, chercher la cause de l’abaissement du niveau des eaux, dans une des autres suppositions dont nous venons de parler.


DES PREUVES GÉOLOGIQUES, ET HISTORIQUES DE LA DIMINUTION DES EAUX, À LA SURFACE DU GLOBE.


Puisque les sommets des plus hautes montagnes ont été couverts par les eaux, et qu’aujourd’hui, le niveau de ces mêmes eaux se trouve à plus de trois ou quatre mille toises au-dessous de ces sommets, on en doit conclure que ce niveau s’est abaissé au moins de ces trois à quatre mille toises ; je dis au moins, parce qu’il n’est pas douteux que ces eaux surpassèrent beaucoup ces sommets.

Un autre fait fournit une preuve qui n’est pas moins concluante, pour constater la diminution des eaux des mers. Toutes les substances minérales de la croûte du globe ont été dissoutes par différens menstrues aqueux, et ont cristallisé, soit d’une manière régulière, soit d’une manière confuse. Or, elles exigent une quantité considérable d’eau pour être tenues en solution. Une partie de gypse n’y est tenue que par 600 d’eau ; une partie de spath calcaire exige peut-être plus de 2000 parties d’eau, pour être tenue en solution. L’appatit, le witherite, le barytite, le quartz, le feldspath… en exigent de grandes quantités.

Néanmoins, toute la masse des eaux des mers actuelles répandues sur la surface du globe ; n’y formerait qu’une couche de 700 ou 800 pieds environ. Elle eût, par conséquent, été insuffisante, pour tenir en solution toutes les substances minérales. Il s’ensuit donc que le volume des eaux qui ont été primitivement sur la surface du globe, était beaucoup plus considérable qu’il ne l’est aujourd’hui, et que, par conséquent, elles ont diminué d’une quantité prodigieuse.

La tradition confirme également cet abaissement du niveau des mers. Les témoignages des auteurs anciens ne laissent aucun doute à cet égard. Le lecteur voyant les preuves historiques réunies aux faits physiques, se convaincra de plus en plus des vérités que j’ai cherché à lui développer.

Nous avons deux mers principales, dont la retraite des eaux, ou l’abaissement de leur niveau, est assez bien établie par les témoignages historiques. Ce sont la mer Caspienne et la Méditerranée, parce que des peuples policés ont habité leurs bords, et nous ont transmis ces faits.

Hérodote rapporte, livre second, que les prêtres de Vulcain lui dirent :

« Que, du tems de Menès, toute l’Égypte était un marais, excepté le pays de Thèbes ; qu’il ne paraissait rien au delà de l’étang de Mœris, jusqu’où il y a sept journées de chemin, en remontant la rivière ».

Persuadé de la vérité de l’opinion des prêtres d’Égypte, Hérodote rapporte, pour prouver que la mer avait couvert une partie de ces contrées, qu’elles sont remplies d’eaux salées, lesquelles rongent les bases des pyramides, qui sont au-dessus de Memphys.

« Ainsi, les prêtres me disaient continuellement, ajoute-t-il, que tout cet espace qu’on voit, entre les montagnes dont j’ai parlé (les deux chaînes qui bordent le fleuve, l’une du côté de la mer Rouge, et l’autre du côté de la Lybie), était un accroissement que la rivière avait fait pour l’Égypte. En effet, il me semble que tout cet espace, qu’on voit entre les montagnes dont j’ai parlé, et qui sont au-dessus de Memphys, a été autrefois un bras de mer.

« J’ai le même sentiment des campagnes qui sont à l’entour d’Ilion, de Theutrame, d’Éphèse, et de la plaine du Méandre ».

« Il y a, dans l’Arabie, non loin de l’Égypte, un bras de mer, qui sort de la mer Rouge, qui est long et étroit… Il a, de longueur, quatre journées. Il s’y fait, chaque jour, un flux et reflux, et même un combat des eaux avec les eaux. Au reste, je crois qu’il y en avait un tout de même, qui traversait l’Égypte, et qui allait de la mer Septentrionale vers l’Ethiopie, comme celui dont j’ai parlé, du midi de la Syrie. Il s’en fallait peu que ces deux bras n’eussent la même étendue, et ils n’étaient séparés l’un de l’autre que par un petit espace de terrain ».

Diodore de Sicile avait la même opinion. « Les Ethiopiens disent que les Égyptiens, sont une de leurs colonies, qui fut menée en Égypte par Osiris. Ils prétendent que ce pays n’était, au commencement du monde, qu’une mer ». Diodore, liv. 3. chap. 2.

Auprès du temple de Jupiter Ammon, on voit encore différentes dépouilles de vaisseaux brisés, et des petites colonnes ornées de dauphins, avec cette inscription :

Cyrénéens partis pour les grands jeux.

Or, ce temple est aujourd’hui éloigné de la mer, de trente à quarante lieues.

Toute la côte de Barbarie, depuis Maroc, jusques en Égypte, est couverte de sables, et ces sables se trouvent quelquefois à une distance Ide plus de cinquante à soixante lieues de la mers.

Il y a également des sables, dans l’intérieur de l’Afrique, à la distance de plusieurs centaines de lieues de la mer.

Des sables s’étendent de la Syrie à l’Euphrate, en Perse.

Nous pouvons donc en tirer les mêmes conséquences que Hérodote, ou plutôt les Égyptiens, et dire que ces sables indiquent le séjour des eaux dans ces contrées.

Il ne paraît pas moins certain que l’étendue de la mer Caspienne a été beaucoup plus considérable qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Strabon dit que la mer Caspienne communiquait avec l’Occéan septentrional.

Pline avait la même opinion. Voici ses paroles : Erumpit ex schitico Oceano in aversa Asia.

Le savant géographe Delisle a donné, dans les mémoires de l’Académie des Sciences de Paris, année 1721, une dissertation fort savante, sur l’étendue de la mer Caspienne. Il y a joint une carte de cette mer, d’après les observations rapportées dans l’almageste de Ptolomée. Cet astronome donnait à la mer Caspienne vingt-trois degrés et demi, d’orient en occident, c’est-à-dire, quatre fois plus qu’elle n’a aujourd’hui ; tandis que du nord au sud, il lui donnait presque moitié moins que ne trouvent les géographes modernes.

Ptolomée avait déterminé l’embouchure du Volga, dans cette mer, à 49 degrés de latitude ; et aujourd’hui on ne la trouve qu’à 46 degrés.

Abufden, auteur arabe, qui vivait dans le dixième siècle, détermina les dimensions de la mer Caspienne. Il lui donna moins d’étendue d’orient à l’occident que les anciens géographes ; mais il lui en donne beaucoup plus qu’eux du nord au sud, et moins que les modernes,

Pomponius Mela dit que la mer Caspienne est formée par un détroit qui a beaucoup de longueur.

Les observations les plus récentes et les plus exactes qu’on ait sur cette mer, ont été faites par Beauchamp. Il lui donne ’beaucoup plus de longueur du nord au sud, et moins de l’orient. à l’occident, qu’aucune des mesures anciennes.

On ne peut guère douter, d’après l’inspection des lieux actuels, que le lac Aral ne fît anciennement partie de la mer Caspienne : ce qui avait fait dire aux anciens que l’Oxus se déchargeait dans cette mer ; au lieu qu’aujourd’hui son embouchure est dans le lac Aral, lequel n’est plus contigu avec la Caspienne.

Nous rapporterons ailleurs des faits nombreux qui prouvent que ces deux mers ont été, dans des tems antérieurs, beaucoup plus étendues qu’elles ne le sont aujourd’hui.

Plusieurs faits paraissent également indiquer que la Caspienne communiquait à la Méditerranée.
Le capitaine Wilford a fait voir[1] que L’Indoustan a dû, dans des tems antérieurs, former une île, comme le fait Ceylan aujourd’hui. « La première des sept grandes îles, dit-il, dont se compose le système des Hindoux, est Yambou, ou l’Inde, qui effectivement paraît, à l’inspection de sa forme, avoir été une île véritable. » Les eaux des mers se joignaient par le lit actuel de la Yomma, par les bassins où coulent l’Indus et le Gange.

Tous ces faits ne permettent pas de douter que le niveau des mers ne se soit abaissé.

Mais la vérité exige que nous rapportions d’autres faits qui paraitraient prouver que le niveau des mers s’élève plutôt qu’il ne s’abaisse.

Les habitans de Ceylan disent que leur île a été séparée du continent par une éruption des eaux, et que dans ce moment la mer envahit plus de 30 à 40 lieues à l’Ouest de l’île.

Les Malabares assurent que les maldives tenaient autrefois au continent. Ils en apportent comme une preuve évidente l’existence de cocotiers, qui sont dans ce moment sous les eaux, et dont il se détache de tems à autre des cocos qui viennent nager sur leur côtes.

Calecut était une ville florissante, il n’y a pas longtems, et aujourd’hui les barques mouillent sur une partie de ses ruines.

Les eaux de l’océan paraissent aussi envahir sur les côtes du Mexique : le grand enfoncement de ce golfe, la multitude d’îles qu’il renferme, sont autant de témoignages de l’invasion des eaux.

On pourrait même dire en général que toutes les îles qui sont si nombreuses entre les tropiques, depuis les côtes orientales de l’Asie, jusqu’aux côtes occidentales de l’Amérique, et ensuite celles qu’on trouve dans le golfe du Mexique, dans l’Océan atlantique, et jusques sur les côtes occidentales de l’Afrique, sont les sommets élevés des terrains qui sont submergés sous les eaux.

La mer Rouge est, suivant tous les voyageurs, plus élevée que la Méditerranée ; ils assurent que si on ouvrait entre ces deux mers l’isthme de Suez, la première verserait ses eaux dans la seconde : nous avons vu que cette élévation paraît être environ de trente pieds.

La même chose s’observe au détroit de Gibraltar : il y a un courant qui vient de l’Océan et emporte les eaux dans la Méditerranée.

Plusieurs faits paraîtraient prouver que le niveau des eaux de la Méditerranée s’élèvent.

Antise, Pharos et Tyr étaient autrefois des îles, suivant Pythagore, et tiennent aujourd’hui au continent, disait Ovide.

Le détroit de Messine avait été ouvert par des secousses de tremblement de terre, suivant d’anciennes traditions rapportées par Pythagore.

Manfredi a observé qu’à Venise et à Ravenne les eaux sont plus hautes aujourd’hui qu’elles n’étaient il y a quelques siècles. On a été obligé d’élever le pavé de la cathédrale de Ravenne, ainsi que celui de la place de Saint-Marc, à Venise. Tous les bas du palais ducal, à Venise, sont aujourd’hui dans les eaux.

Plancus a également constaté aux digues du port de Venise que la mer s’y est élevé.

Bridome a fait la même observation sur les côtes de l’île de Malte. Des chemins creusés dans le roc, pour arriver à la mer sont aujourd’hui baignés de ses eaux.

Pini dit que les eaux gagnent sur les côtes de l’île d’Elbe. Il vu les restes d’une petite maison qui se trouve actuellement dans les eaux de la mer. Le pavé de l’ancien temple de Sérapys, proche Pouzol, est trois pieds au-dessous du niveau des eaux de la mer, suivant Barral ; et le temple des Nymphes, près du même endroit, est au milieu des flots.

Gensane rapporte que sur la côte de Provence, il y a aujourd’hui plusieurs ouvrages de main d’hommes ensevelis dans la mer. Cauvy faisait creuser dans l’étang de Thau pour des ouvrages publics. On trouva, à quinze pieds de profondeur, de la résistance. Les plongeurs qu’on y fit descendre assurèrent que c’étaient les murs d’un canal navigable. Il est à présumer qu’il y a eu sur le terrain de cet étang une ville considérable. (Histoire du Languedoc, tome II, pages 157 à 160).

Pockoke dit qu’à deux milles d’Alexandrie on aperçoit dans la mer les ruines d’un ancien temple. (Voyage en Égypte, tom 1, pages 4 et 80.)

La mer paraît avoir anticipé sur l’île de Délos. « L’eau étant claire, nous eûmes la commodité de voir les restes de beaux édifices en des endroits, où les poissons nagent à leur aise, sur lesquels les petits vaisseaux des contrées voguent pour arriver à la côte. » (Voyage en France et en Italie.)

Fortis a recueilli un grand nombre de faits, qui prouvent l’élévation des eaux sur les côtes de la Dalmatie. (Voyage en Dalmatie.)

Auprès de Makarska, dit-il, on voit sur les rochers une inscription romaine, qui annonce qu’il y avait des jardins, un vignobles…, et aujourd’hui cette inscription est à moitié dans les eaux, et il n’existe rien de ce qu’elle indique.

Tout le long du golfe de la côte de Myscène, et des baies, dans la mer de Naples, on voit des preuves non-équivoques que les eaux de la mer s’y sont élevées.

Les mêmes phénomènes se présentent sur nos côtes de l’Océan. On observe distinctement que le niveau des eaux paraît s’y être élevé dans plusieurs endroits depuis Saint-Jean-de-Luz jusqu’à Embden.

Palassou (Voyage aux Pyrénées) dit que Saint-Jean-de-Luz manqua d’être submergé en 1777, et ses digues, ajoute-il, ne pourront conserver long-tems cette malheureuse cité, et la préserver d’une ruine totale.

L’île de Noirmoutier, proche la sables d’Olonne, ne peut défendre des flots que par ses digues, qui sont sans cesse entamées.

Bomare rapporte qu’auprès de la Tranche, dans le ci-devant Poitou, la mer s’est tellement avancée, qu’on a été obligé d’en abandonner l’église. (Dictionnaire d’Histoire Naturelle.)

Toutes les parties élevées de cette côte sont rongées par les flots.

Dicquemare a observé qu’auprès du Havre la mer s’avance dans les terres. La butte, sur laquelle est placé le fanal, est sans cesse dégradée par les lames de la mer.

La Hollande serait submergée sans ses digues. On a même vu souvent la mer les surmonter, et inonder une partie de ce beau pays. Les habitans conservent le triste souvenir de ces différentes irruptions, qui ont coûté la vie à un grand nombre de leurs concitoyens.

Le comté de Kent, en Angleterre, a subi de pareilles inondations.

Dans le même tems que la mer semble envahir à l’équateur, et dans les Zones tempérées, continuent ces mêmes physiciens, elle abandonne du côté des pôles : la Baltique, sur laquelle les savans du Nord ont fait de nombreuses observations, diminue suivant eux, et s’abaisse journellement.

Celsius a recueilli un grand nombre de faits qui lui ont paru constater cette diminution. Plusieurs détroits, par lesquels ou passait autrefois, sont aujourd’hui impraticables. Des rochers qui étaient à fleur d’eau, ou sous l’eau, sont actuellement fort élevés au-dessus des eaux.

Plusieurs terrains, qui étaient des îles, sont actuellement au milieu des continens. On voit à Nodhen, en Bohus, des anneaux de fer, auxquels on attachait les vaisseaux.

« Le célèbre Linné, a vu les mêmes faits que Celsius, et il y en a ajouté de nouveaux[2] ; il dit article 33 : « Les habitans de la Bothnie septentrionale ont observé sur des pierres, que leur mer décroît tous les siècles de quatre pieds cinq doigts, d’où il s’ensuit que cette mer était, il y a six mille ans, plus élevée de 240 pieds qu’aujourd’hui. »

Le Limfiord, qui communiquait, il y a quelques siècles, de la mer Baltique à la mer d’Allemagne, en coupant le Holstein, est aujourd’hui entièrement fermé (Mallet, Histoire de Danemarck).

Nous avons vu une multitude de faits, qui ne permettent guère de douter que le nord de l’Asie a été couvert par les eaux, soit par la mer du Nord, soit par la mer Caspienne, et la mer Noire,

Les grands lacs, qui existent encore dans les parties septentrionales de l’Europe, de l’Asie et de l’Amérique, annoncent que les mers ne s’en sont retirées que depuis un certain nombre de siècles. Car autrement ces lacs auraient disparu déjà, comme il en disparaît tous les jours, soit qu’ils se comblent, soit qu’ils coupent leurs digues.

Enfin, le courant constant des eaux des mers du Nord, vers le Midi, le transport de leurs glaces dans la même direction… confirment que les eaux abandonnent le Nord, pour envahir les contrées situées entre les tropiques…

Tels sont les principaux faits sur lesquels s’appuient les géologues, qui soutiennent que les eaux abandonnent les contrées polaires, pour se porter vers l’équateur et inonder les régions équinoxiales.

Mais plusieurs de ces faits ont été contestés par de bons observateurs. Ils en ont opposé d’autres, qui paraissent contraires à ceux-ci. Il faudrait donc que des gens éclairés et impartiaux vérifiassent de nouveau tous ces faits et en fissent un rapport exact.

Aux faits que nous venons de rapporter, pour prouver que les eaux s’élèvent journellement dans les zones équinoxiales et tempérées, on en oppose d’autres qui paraissent contraires à cette opinion. Carthage, Alexandrie, Aigues-Mortes… ports célèbres il y a plusieurs siècles, sont aujourd’hui plus ou moins éloignés de la mer.

Mais les conséquences qu’on pourrait tirer de ces derniers faits sont détruites par un autre fait, qui est positif, et qui prouve que dans ces régions le niveau des eaux de la méditerranée n’a pas changé depuis quelques siècles. Le port de Marseille est construit depuis environ deux mille trois cents ans. Les eaux paraissent néanmoins s’y tenir à peu près à la même hauteur, et leur niveau ne paraît ni avoir baissé, ni avoir hausse d’une manière sensible.

Dolomieu a fait la même observation à Alexandrie ; le niveau des eaux du port ne lui a pas paru avoir changé d’une manière sensible depuis Alexandrie[3].

Ces faits, qui sont bien constatés, assurent que depuis plus de vingt-cinq siècles le niveau des eaux de la Méditerranée n’a pas changé sensiblement sur ces côtes. Il ne saurait par conséquent avoir changé d’avantage sur les autres. Tous les faits, qu’on pourrait citer comme contraires à ceux-ci, doivent donc dépendre d’autres causes. Je vais en assigner quelques-unes.

La première dépend des attérissemens. Cette cause est très active, et on doit lui attribuer plusieurs faits célèbres, qu’on regardait comme des preuves évidentes de la diminution des eaux des mers, et de leur abaissement.

Carthage, Alexandrie, Aigues-Mortes… étaient des ports considérables, il y a peu de siècles ; et aujourd’hui ils sont à une distance plus ou moins éloignée du rivage. Mais il n’est pas douteux que cet éloignement apparent n’est dû qu’aux attérissemens et aux sables accumulés sur la côte : car en creusant dans ces sables, on y pratique des canaux qui amènent l’eau à leur ancien niveau, comme cela se pratique à Aigues-Mortes. Ainsi il n’est pas douteux que le niveau des eaux n’y a pas changé sensiblement. C’est le torrent de Vistre, d’un côté, et les flots de la mer de l’autre, qui ont produit l’attérissement d’Aigues-Mortes.

A Alexandrie, le Nil d’un côté, et les vagues de la Méditerranée de l’autre, ont comblé une partie de l’ancien port.

En Hollande, les grands fleuves d’un côté, et de l’autre, les sables apportés par l’Océan, forment les dunes de ces contrées, comblent le Zuiderzée, et produisent ces bancs de sables, qui s’étendent jusques sur les côtes de l’Écosse.

Il n’est donc pas plus prouvé que les eaux se soient retirées ou élevées à Alexandrie, qu’il n’est prouvé qu’elles se sont élevées ou abaissées sur les côtes de Hollande.

Et ce qui paraît bien confirmer cette opinion, c’est que sur la même côte, la mer paraît s’élever dans un endroit, et s’abaisser dans un autre. Ainsi sur les côtes de France, les eaux paraissent s’élever à Saint-Jean-de-Luz, et s’éloigner à Bayonne : elles paraissent s’élever au Havre, à Boulogne, et s’abaisser à Dunkerque. Plusieurs causes concourrent à ces abaissemens ou élévations apparentes.

1°. À l’action des flots de la mer sur les côtes.

Blondeau, qui avait beaucoup travaillé aux digues construites sur ces rivages de l’Océan, fait voir tous les effets opposés qui sont produits par cette cause. « Il est de notoriété publique à Calais, dit-il, que la mer s’éloigne et se retire de tous les endroits où la côte est platte, par la quantité de sable que les flots y apportent ; tandis qu’elle gagne dans les lieux où la côte est fort escarpée. Elle y bat avec force, ses flots rongent, démolissent… ces buttes, et avancent dans les terres. » (Journal de Physique.)

Les flots, dans les mouvemens de tempête, ou de gros tems, apportent, sur la côte qui est platte, une grande quantité de sables qu’ils y abandonnent, et dès-lors la côte paraît être élevée ; les eaux, dans leurs mouvemens ordinaires, ne peuvent atteindre cette hauteur…, et il semble que la mer se retire et s’éloigne du rivage.

2°. L’affaissement de terrains marécageux peut encore produire des effets qui induiraient en erreur l’observateur peu attentif.

À Venise, le palais ducal, la place de Saint-Marc… sont enfoncés dans les eaux ; on a été obligé de relever le sol de cette dernière. Or, on sait que Venise a été construite sur un terrain fangeux. On ne peut donc douter que ce terrain ne se soit affaissé.

Ravennes est dans le même cas. Son sol ancien, qui paraît être plus bas que le niveau actuel des eaux, paraît s’être affaissé.

On en peut dire autant de la Hollande, dont tout le terrain est marécageux et rempli de tourbes.

3°. L’action des commotions souterraines, opérées par les volcans et les tremblemens dé terre, a pu également abaisser des terrains et en soulever d’autres sur les côtes des mers, ce qui, au premier coup-d’œil, fait croire que le niveau des eaux a changé.

Toutes les côtes de l’Italie méridionale ont été singulièrement tourmentées par les feux souterrains et les tremblemens de terre. On ne doit donc pas être surpris que tel terrain paraisse s’être affaissé, tandis que tel autre paraît s’être élevé.

« On peut faire, dans le golfe de Baja (près Naples), dit Breislac[4], des observations propres à démontrer également vraies, trois opinions bien contradictoires : la première, que du commencement de l’ère chrétienne, jusqu’à ce jour, le niveau de la mer est resté le même ; la seconde, que ce niveau s’est fort exhaussé ; la troisième, qu’il s’est beaucoup abaissé.

« a. La première opinion s’appuie sur ces antiques fabriques du rivage de Baja, dont la construction prouve qu’elles étaient destinées à prendre des bains de mer (du tems des anciens), usage auquel elles pourraient encore servir aujourd’hui.

« b. La seconde se soutient sur les faits suivans :

« Dans le golfe de Baja, et assez loin du rivage, on voit, sous les eaux, une ancienne voie.

« Près du lac Lucrin, sont d’antiques édifices appartenans au Port Jules construit par Agrippa, qui sont aujourd’hui couverts par la mer.

« Au pied du Monte-Nuovo, se voyent dix colonnes de granit, encore en pied sur leurs bases, qui, vraisemblablement, appartenaient au temple des Nymphes, et sont aujourd’hui presqu’entièrement couvertes par la mer.

« Le niveau du temple de Serapys est maintenant un peu plus bas que le niveau de la mer, dans les hautes marées, en sorte que, pour en évacuer les eaux, qui se rassemblent dans son enceinte, par l’effet des pluies, il a fallu y établir une pompe.

« c. La troisième opinion, diamétralement contraire à la précédente, a en sa faveur les observations suivantes qui paraîtraient prouver que le niveau de la mer s’est exhaussé.

« À la base de Monte-Nuovo sont des ruines de fabriques antiques, probablement dépendantes du port Jules, à la surface desquelles, jusqu’à environ deux mètres au-dessus du niveau actuel de la mer, on voit des coquilles et dépouilles de corps marins. Beaucoup de ces testacés sont dans des niches faites dans le tuf et dans le ciment des murs ; et comme les orifices de ces cavités sont moindres que le volume de la coquille qu’elles logeaient, il est clair que ces animaux y sont nés et grandis, et que la mer, conséquemment, couvrait ces fabriques à cette hauteur. Cette observation est due au naturaliste Pini.

« Dans le temple de Serapys, sont trois grandes colonnes de marbre cypolin, encore debout sur leurs bases, qui présentent des trous de corps marins, à une hauteur de 5 mètres 19 millimètres (seize pieds), au-dessus du niveau actuel de la mer ».

Diodore de Sicile dit que, sur le côtes de la Samothrace (île de Délos), des pêcheurs tiraient de leurs filets des chapitaux de colonnes.

Sur la côte de Délos, on distingue, au fond de la mer, des vestiges de bâtimens.

Gensone croit que l’étang de Thau, sur les bords de la Méditerranée, et qui n’est pas éloigné d’Aigues-Morte, était le cratère d’un volcan, et qu’il s’est affaissé.

Les Maldives, et une partie de l’Archipel indien, ont été très-agitées par des feux souterrains et des tremblemens de terre. Quelques endroits ont donc pu s’y affaisser, tandis que d’autres s’y seront élevés.

4o. Des causes locales peuvent faire paraître le niveau de telle mer plus élevé que celui de telle autre…

Le niveau de la mer Rouge paraît plus élevé de trente pieds, que celui de la Méditerranée ; et les eaux de la première se verseraient dans la seconde, si on ouvrait un canal de communication par l’isthme de Suèz. On en peut trouver la cause physique dans la position de la mer Rouge. Elle doit être regardée comme un golfe profond, dont l’entrée est très-étroite, et située à douze degrés de l’équateur. Cette mer est agitée par des vents violens qui portent les eaux des environs de l’équateur vers le fond du golfe, et les y tiennent élevées. Les hautes marées qui s’y font sentir produisent le même effet. Il n’est donc pas surprenant que ses eaux, à Suèz, ne soient plus élevées que celles de la Méditerranée. On a estimé que cette élévation est environ de trente pieds.

5°. L’action des vents variables produit les mêmes effets sur plusieurs côtes.

Il est prouvé que les invasions des eaux de la mer, sur les côtes de la Hollande, sont produites par l’action de vents violens.

La même action produit des phénomènes analogues sur plusieurs autres côtes…

Nous pouvons tirer de tous les faits qui viennent d’être exposés deux conséquences importantes.

1°. La première est que les eaux ont diminué d’une quantité très-considérable à la surface du globe, et que leur niveau. est abaissé de plusieurs milliers de toises.

2°. La seconde conséquence que nous pouvons tirer de ces faits, est que depuis deux à trois mille ans environ cet abaissement du niveau des eaux des mers n’a pas été sensible, puisque le niveau des eaux n’a pas changé depuis cette époque dans les ports d’Alexandrie, de Thyr, de Marseille, de Cette…

3°. Des circonstances locales ont produit dans divers endroits des effets qui paraissent opposés.


DE LA CAUSE DE L’ABAISSEMENT DU NIVEAU DES EAUX DES MERS.


Puisque tous les faits que nous venons d’exposer ne permettent pas de douter de l’abaissement du niveau des eaux des mers, il faut chercher les causes de ce singulier phénomène. C’est un des problèmes des plus difficiles de la Géologie. Il n’est donc pas surprenant que les savans n’aient point encore d’opinions fixées à cet égard. On peut réduire leurs sentimens à sept principaux.

1. Les uns soutiennent que la masse des eaux a peu varié parce qu’elle abandonne des terrains pour en envahir d’autres.

2. D’autres pensent que les eaux peuvent se changer en terre.

3. Ceux-ci veulent que les eaux puissent se changer en airs.

4. Ceux-ci veulent que les eaux puissent demeurer suspendues dans l’atmosphère.

5. Ceux-là croient que les eaux se sont enfouies dans le sein, du globe.

6. Enfin de sixièmes pensent que les eaux ont passé dans d’autres globes.

7. Il reste une septième question à examiner, c’est de savoir si cette retraite des eaux s’est faite précipitamment, ou si elle s’opère lentement et successivement.

Nous allons examiner ces différentes, opinions.


LA MASSE DES EAUX À LA SURFACE DE LA TERRE A ÉPROUVÉ DE GRANDES VARIATIONS.


Tous les faits que nous avons rapportés ne permettent pas de douter que la masse des eaux, à la surface du globe, n’ait éprouvé de grandes variations. Il serait inutile de les exposer de nouveau.


LES EAUX PEUVENT-ELLES SE CHANGER EN AIR ?


Différens physiciens croient que l’eau peut se convertir en airs, et qu’elle est composée de 0,85, ou 0,87, d’air inflammable, et de 0,15 ou 0,11, d’air pur. On pourrait donc supposer qu’une partie de l’eau s’est décomposée, et s’est répandue, sous forme de ces airs, dans l’atmosphère, dont elle a augmenté la masse et le volume.

Mais l’atmosphère entière n’équivaut en poids qu’à une couche de trente deux pieds d’eau. Ainsi, en supposant même que l’eau peut se convertir en airs, cela ne résoudrait point la question.

On sait que je regarde cette opinion de la composition de l’eau, comme dénuée de preuves suffisantes.


LES EAUX PEUVENT-ELLES SE CHANGER EN TERRES ?


Un grand nombre de savans a cru, et croit encore que l’eau peut changer de nature.

Les uns ont dit qu’une portion des eaux qui sont sur le globe ; s’était changée en terre. C’était l’opinion de Boyle, de Newton, et de la plupart des physiciens de cette époque. Cette hypothèse ne pourrait résoudre la difficulté, car, en admettant même cette conversion de l’eau en terre, cette terre occuperait la même place que les eaux, et aurait dès-lors comblé toutes les vallées qui étaient remplies par les eaux.

On peut objecter à la vérité, que la densité de l’eau est inférieure à celle des pierres et des terres, et que, par conséquent, ces terres et ces pierres, qui auraient été produites par la conversion de l’eau en terres, occuperaient moins d’espace que ne faisait l’eau elle-même.

Je réponds que la différence n’est pas assez considérable puisque ces terres et ces pierres ne sont environ que deux ou trois fois plus pesantes que l’eau. Par conséquent, elles occuperaient toujours une grande partie de l’espace où les eaux, dans cette hypothèse, étaient autrefois contenues.

Mais il est inutile d’insister sur cette hypothèse, puisque toutes les expériences actuelles paraissent indiquer que l’eau ne saurait se convertir en terre.

Il n’a donc dû disparaître d’autre eau que celle de cristallisation, c’est-à-dire, celle qui entre dans la cristallisation des différentes pierres, et des différens minéraux, et, pour lors, ces substances occupent la place que remplissait cette eau.

Mais l’eau de cristallisation des différentes substances minérales, n’est pas considérable, d’après toutes les analyses qu’on en a faites.


UNE PARTIE CONSIDÉRABLE DES EAUX PRIMITIVES PEUT-ELLE DEMEURER SUSPENDUE DANS L’ATMOSPHÈRE ?


Les faits, que nous venons de rapporter, ne permettent pas de soutenir cette opinion. Car nous avons vu que le poids entier de l’atmosphère n’équivaut qu’à trente-deux pieds d’eau. La portion d’eau, qui pourrait y être suspendue, serait donc très-peu considérable.


LES EAUX DE LA SURFACE DE LA TERRE PEUVENT-ELLES PASSER EN D’AUTRES GLOBES ?


Maillet a avancé que les eaux ont pu passer en d’autres globes.

Il a dit, tome 2, page 112, Telliamed :

« La diminution des eaux de nos mers procède d’une véritable évaporation, qui les élève vers d’autres globes ».

On a cru assez généralement que cela n’est pas possible, dans l’état actuel des choses, parce que, à une petite distance de la surface du globe, il règne un froid excessif, qui ne paraîtrait. pas permettre l’évaporation. Cependant, nous avons plusieurs faits qui semblent contraires à cette hypothèse.

1°. L’atmosphère terrestre à une plus grande élévation qu’on ne le suppose ordinairement, ainsi que nous l’avons prouvé. Elle pourrait donc favoriser l’évaporation d’une plus grande quantité d’eau, qu’on ne le suppose ordinairement.

2°. Le froid n’empêche point l’évaporation ; car la glace, la neige, et l’eau elle-même, perdent considérablement par l’évaporation, même pendant les froids les plus vifs.

3°. L’évaporation de l’eau peut même avoir lieu dans un air très-raréfié ; car l’eau s’évapore sous le récipient de la machine pneumatique, où on a fait le vide le plus parfait qu’on puisse faire. On en doit conclure que l’eau pourrait encore s’évaporer au-delà des dernières limites de l’air atmosphérique.

Si on suppose que l’atmosphère terrestre est contigue avec l’atmosphère des autres globes, qu’elle en soit enveloppée de toutes parts, et que celles-ci puissent vraisemblablement, comme elle, favoriser l’évaporation de l’eau, on sentira qu’il est encore moins difficile de supposer que l’eau, qui est sur notre globe, puisse s’évaporer hors de la sphère de l’atmosphère terrestre.

Mais en supposant que cette évaporation ait lieu, il est difficile d’en déterminer les limites ; car nous n’avons aucunes données à cet égard.

Newton suppose que des vapeurs peuvent s’élever du soleil, des étoiles, des comètes… se condenser ensuite, et retomber sur les planètes :

Les vapeurs peuvent s’élever des planètes et par conséquent de la terre…

Mais cette hypothèse de Newton n’est pas appuyée sur des faits suffisans…

On peut donc conclure de ces faits que les eaux de la surface de la terre ne peuvent pas passer dans les autres globes, au moins en une certaine quantité.


LES EAUX DE LA SURFACE DE LA TERRE SE SONT ENFOUIES DANS L’INTÉRIEUR DU GLOBE.


Il faut donc revenir à la première hypothèse que nous avons rapportée, et dire que la majeure partie des eaux, qui a disparu de dessus la surface de la terre, s’est enfouie dans les cavernes intérieures. Je suppose que cet enfouissement s’est opéré plus particulièrement à mesure que le globe s’est refroidi, parce que sa surface a dû dans ces momens se fendre en plusieurs directions.

Car il faut distinguer deux espèces de cavernes dans le globe. Les unes ont été produites lors de la cristallisation générale de sa masse : les autres l’ont été postérieurement par des causes locales.

La formation des cavernes primitives présente des difficultés assez considérables ; car, soit que la cristallisation générale ait été aériforme, ainsi que nous l’avons prouvé, soit qu’elle ait été opérée dans la masse des eaux, on peut concevoir qu’il ait pu se former dans l’intérieur du globe des cavernes où l’eau n’ait pas pénétré, et qui soient remplies de fluides élastiques.

Car on peut supposer que la chaleur centrale du globe était assez considérable dans les parties les plus profondes pour réduire l’eau à l’état aériforme. Cette hipotbèse n’est point contraire aux faits.

Il est encore possible que ces cavernes aient été remplies de fluides aériformes d’une autre manière. Quelques-unes de ces cavernes auront pu être fermées à leur partie supérieure et ouvertes à leur partie inférieure ou latérale. Supposons les remplies d’eau. Dans l’action réciproque d’un aussi grand nombre de substances, il doit s’opérer des dégagemens de fluides aériformes. Si des acides puissans, par exemple, viennent à rencontrer des combinaisons d’acides plus faibles, des pierres calcaires, des fluors… ces derniers acides seront dégagés par l’action des premiers ; ces acides, réduits à l’état aériforme, pourront, par des circonstances locales, pénétrer dans les cavernes dont nous venons de parler. Ils en chasseront les eaux, dont ils prendront la place.

Ces fluides élastiques ainsi enfermés, pourront ensuite perdre de leur volume par plusieurs causes.

1°. La plupart des fluides élastiques sont absorbés par l’eau dans un tems plus ou moins considérable : l’air pur, l’air inflammable, l’air impur, le gaz acide carbonique, et la plupart des acides à l’état aériforme… éprouvent des diminutions plus ou moins considérables, lorsqu’ils séjournent sous l’eau.

A mesure que ces fluides perdront de leur volume, l’eau occupera leur place, et par conséquent diminuera à la surface de la terre.

2°. Ces mêmes fluides élastiques, enfermés dans ces cavernes, seront comprimés par tout le poids de l’eau supérieure : ils feront effort contre les parois de ces cavernes ; et s’il s’y fait quelques crevasses, ils s’en échapperont, et produiront des vents… comme dans les volcans d’air…

3°. Enfin, le froid fait éprouver aux fluides aériformes une condensation beaucoup plus considérable qu’aux autres corps. Or, la masse du globe se refroidissant continuellement, ces fluides se condenseront par conséquent d’une quantité plus ou moins considérable, et occuperont moins d’espace.

Mais indépendamment de ces cavernes intérieures, qui auraient été produites dans les instans de la première cristallisation du globe, il a dû s’en former d’autres postérieurement, par différentes causes.

a. Le refroidissement du globe, surtout à ses parties extérieures, a été suffisant pour produire des vides, et des cavernes, où se seront placées les eaux qui ont disparues à sa surface : car le centre du globe conservant plus longtems sa chaleur, la surface aura dû se gercer, et il s’y sera creusé des fentes plus ou moins considérables dans lesquelles les eaux auront pu s’enfouir.

Il est certain qu’une sphère de 2865 lieues de diamètre, comme le globe terrestre, qui a un assez haut degré de chaleur, et qui se refroidit à son extérieur, doit se gercer à cette surface, et qu’il doit s’y produire des fentes considérables, ou de grands écartemens, qui pénétreront à une profondeur plus ou moins grande, et produiront des vides considérables.

Ces fentes auront été produites par les mêmes causes que celles qui produisent des fentes dans les glaciers (tom 1, page 114).

Cette cause a pu produire des vallées plus ou moins profondes, et des écartemens, tels que ceux qui servent aujourd’hui de bassins à différentes mers : soit Méditerranées, comme la mer Rouge, la Méditerranée, la Baltique, le sein Persique… soit à de grandes mers, comme l’Atlantique.

Ces écartemens et ces fentes produites par cette cause s’étendirent à une profondeur plus ou moins considérable dans le sein du globe, et les eaux extérieures s’y précipitèrent. Ils auront pu être suffisants pour contenir toutes celles qui ont disparu de dessus la surface de la terre, ou au moins une portion.

b. L’autre partie aura été reçue dans les cavernes intérieures, celles qui ont été faites lors de la cristallisation générale du globe.

c. Enfin, les cavernes, suites des vides produits par les éjections volcaniques, pourront encore absorber des portions des eaux. Ces effets doivent avoir lieu surtout dans les explosions des volcans sousmarins…

De tous ces faits nous devons conclure que les eaux qui ont disparu de dessus la surface du globe ne l’on fait que successivement, et à mesure que le globe se refroidissait.


CET ABAISSEMENT A ÉTÉ FAIT SUCCESSIVEMENT.


Plusieurs physiciens croient que l’abaissement du niveau des eaux des mers s’est fait d’une manière subite et prompte. Mais cette opinion n’est appuyée d’aucunes preuves. Tous les faits me paraissent, au contraire, prouver que l’abaissement du niveau des eaux des mers s’est opéré lentement et successivement, pendant une longue suite de siècles.

Toutes les grandes vallées, où coulent les fleuves qui se rendent dans le sein des mers, sont encombrées, sur une largeur considérable, de pierres roulées, de galets… depuis leur origine, jusqu’à l’Océan : quelques-unes de ces vallées, telles que celles du fleuve des Amazones, de la Plata, du Mississipi, du Danube, du Rhin… ont plusieurs centaines de lieues de longueur. Ces amas immenses de pierres roulées n’ont pu être produits par la petite quantité actuelle d’eau qui se trouve dans ces fleuves. Il me paraît donc qu’il en faut rechercher ailleurs l’origine.

Prenons pour exemple la vallée de la Seine. Les galets en occupent le centre, sur une largeur qui surpasse quelquefois une lieue. On retrouve ces galets quelquefois à une assez grande hauteur, par exemple, aux environs de Paris, sur la route d’Orléans, du côté de l’avenue de la barrière du Maine, c’est-à-dire, à environ 140 pieds au-dessus des eaux moyennes de la rivière. Ces galets n’ont pu être apportés à cette hauteur par la rivière telle qu’elle est actuellement.

Je suppose donc que les eaux de l’Océan couvraient, à cette époque, le sol de Paris. L’embouchure de lai rivière était alors, comme elle est aujourd’hui, au Hâvre, d’une largeur plus ou moins considérable. Les sables et les galets qu’elle roulait, étaient arrêtés par la mer, et couvraient tout ce terrain. Ils pouvaient se déposer à cette hauteur.

Les eaux des mers, se retirant successivement, et peu à peu, les mêmes effets se reproduisaient tout le long de la vallée.

Des effets semblables sont encore bien plus sensibles à Lyon. Tous les côteaux, le long du Rhône, sont composés de cailloux roulés, et à une assez grande hauteur, de deux cents pieds environ.

La plaine du Dauphiné est également encombrée de cailloux roulés, sur une surface de plus de cent lieues carrées.

Tous ces cailloux proviennent des Hautes-alpes, de la débâcle, vraisemblablement, d’un des lacs situés dans ces cantons.

Mais, pourquoi ces cailloux roulés se sont-ils arrêtés à Lyon et dans les plaines voisines du Dauphiné ? Ce ne peut être que parce qu’à cette époque, les eaux des mers couvraient tous ces cantons. Elles arrêtèrent le cours impétueux des eaux qui charriaient tous ces débris, comme elles le font à l’embouchure de tous les fleuves, ce qui en forme ce qu’on appelle la barre.

Ces amas forment même souvent des îles plus ou moins nombreuses, plus ou moins considérables à l’embouchure de tous les grands fleuves, comme l’île de la Camarque, à l’embouchure du Rhône, comme cette multitude d’îles qu’il y a à l’embouchure du fleuve des Amazones…

Ces faits ne permettent donc pas de douter que les eaux des mers ne se sont retirées que successivement de dessus les continens.


LES EAUX DES MERS ABANDONNENT-ELLES CERTAINES CONTRÉES POUR EN ENVAHIR D’AUTRES ?


Différens faits paraîtraient prouver que les eaux des mers abandonnent certaines contrées pour en envahir d’autres. Aussi cette opinion a-t-elle été soutenue par plusieurs géologues, ainsi que nous l’exposerons ailleurs. Néanmoins, lorsqu’on examine la question plus attentivement, on reconnaît bientôt qu’aucun fait ne prouve ce déplacement successif des eaux des mers. Les faits que rapportent ceux qui soutiennent cette opinion, tiennent à des circonstances locales.

Nous verrons effectivement que des circonstances locales peuvent produire des invasions particulières des eaux des mers sur quelques continens.

a. Des vents violens soulèvent sur quelques côtes les eaux des mers. Elles inondent ces terrains, comme cela arrive souvent en Hollande… Mais ces vents venant à changer, cette élévation des eaux cesse…

b. Des commotions souterraines produisent également des élévations momentanées des eaux, et des inondations locales.

Mais aucun fait ne prouve qu’un mouvement général des eaux des mers leur fasse abandonner des contrées pour en envahir d’autres.

On doit donc regarder toutes ces opinions comme des hypothèses vagues, dénuées de fondement.


LES EAUX DES MERS ONT-ELLES COUVERT LES CONTINENS À DIVERSES ÉPOQUES ?


Les géologues sont partagés sur cette question, comme sur plusieurs autres.

Les uns croyent que les eaux des mers continuent de s’abaisser graduellement et successivement, et qu’il n’y a que quelques circonstances locales, comme des tremblemens de terre… qui les ramènent accidentellement sur des continens qu’elles avaient abandonnés.

D’autres, au contraire, pensent que les eaux des mers reviennent, à différentes époques, couvrir des terrains qu’elles avaient abandonnés, sans néanmoins en assigner aucunes causes.

Werner, par exemple, pour expliquer l’origine des filons, suppose que les mers sont revenues, à différentes époques, sur, les continens. Une montagne, par exemple, contient deux filons qui se coupent, ou à angle droit, ou sous un angle quelconque : il suppose que la montagne s’est d’abord fendue, dans une direction à peu près verticale, et que les eaux y ont déposé les substances d’un des filons.

La montagne a ensuite été renversée postérieurement. Une nouvelle fente verticale s’est formée, et a coupé la première, c’est-à-dire, le filon qui y était déposé. Les eaux des mers sont revenues, pour former, dans cette seconde fente, un nouveau filon.

Si la montagne contient un troisième filon, qui coupe les deux autres, il suppose un second renversement de la montagne. Une troisième fente y a été produite, et un troisième filon y a été déposé…

On sent que ces hypothèses ne peuvent être appuyées sur aucun fait, comme nous l’avons fait voir, en parlant de l’origine des filons.

Aucun fait n’autorise donc à supposer que les eaux des mers soient venues, à différentes époques, envahir les continens. Ceci n’a pu arriver accidentellement que par quelques circonstances locales.


TOUS LES PHÉNOMÈNES GÉOLOGIQUES PEUVENT ÊTRE EXPLIQUÉS SANS SUPPOSER QUE LES EAUX AIENT COUVERT LE GLOBE À DIFFÉRENTES ÉPOQUES.


La dernière question qui nous resté à examiner, est de savoir si on peut expliquer tous les phénomènes géologiques sans supposer que les eaux aient couvert nos continens à différentes époques. Elle est déjà résolue par tout ce que nous avons dit ; car il me paraît qu’aucun fait constaté ne suppose ces submersions du globe à différentes époques : et il n’est aucun fait géologique dont on ne puisse donner une explication satisfaisante, en supposant une retraite lente et successive de la masse des eaux qui ont couvert le globe.

a. Nous venons de prouver que tous les phénomènes géologiques, se présentent à la surface du globe terrestre, peuvent être expliqués sans supposer de nouvelles invasions des eaux des mers sur les continens qu’elles avaient abandonnés.

b. Les causes qu’on a assignées pour expliquer ce phénomène supposé, sont purement hypothétiques.

Cependant cette opinion du retour des eaux des mers sur les continens, à différentes époques, paraît avoir été appuyée sur les phénomènes d’inondations plus ou moins considérables. Nous allons donc rapporter les faits connus à cet égard.


DES INONDATIONS PRODUITES PAR DIFFÉRENTES CAUSES LOCALES.


On retrouve chez les anciens peuples, des traditions de déluges, ou inondations plus ou moins considérables. Quoique les détails que nous en fournit l’histoire n’aient pas toujours les degrés de probabilité qu’une critique sévère désirerait, cependant cet accord universel de tous les peuples, sur ces grands évènemens, mérite la plus sérieuse attention de la part du philosophe.

On doit distinguer deux espèces d’inondations mentionnées chez les peuples.

Les inondations particulières ;
Les inondations générales.

Les inondations particulières peuvent être produites par plusieurs causes.

1°. Par des pluies de longue durée.

2°. Par des vents violens long-tems continués dans la même direction.

3°. Par des commotions souterraines.

4°. Par la chute des grandes masses de montagnes.

5°. Par des débâcles de lacs.

6°. Par des comètes.

Quant aux inondations générales, ou déluges universels, ils ne sont prouvés par aucun fait ; et aucune cause n’aurait pu les produire d’après les connaissances actuelles.

Nous allons examiner l’action de chacune de ces causes en particulier.


DES INONDATIONS PRODUITES PAR LES PLUIES.


Les pluies abondantes et de longue durée causent des inondations partielles, qui peuvent couvrir d’eau des terrains bas, des plaines étendues. C’est ainsi que des fleuves, tels que le Niger, le Ménan, l’Orénoque… débordent tous les ans par des pluies abondantes, et inondent des contrées plus ou moins étendues… Ces débordemens ne s’appellent point déluges, parce qu’ils arrivent régulièrement chaque année.

Mais si un fleuve considérable, qui n’a pas des crues périodiques de cette espèce, en éprouvait une accidentelle, qui inondât une contrée entière, les habitans ne manqueraient pas de lui donner le nom de déluge. C’est ainsi que les Chinois parlent d’un déluge arrivé sous Niu-Hoa. « Lorsque des eaux immenses inondaient tout, disent-ils, que les pluies ne discontinuaient pas… »

La plupart des déluges dont il est question chez les anciens peuples, étaient les effets de pluies long-tems continuée.

Ces inondations accidentelles étaient d’autant plus considérables à ces époques, que le cours des eaux, le bassin des fleuves, étaient encombrés d’une foule d’obstacles : des arbres étaient entraînés et jonchés dans leurs lits ; les terrains de leurs rivages s’éboulaient ; des sables, des galets s’amoncelaient, et formaient des barres…

Les sociétés humaines formées commencèrent à lever ces obstacles, et à former à chaque fleuve un bassin qui facilita le cours de ses eaux… L’histoire rapporte que ça été la première occupation des premiers chefs des nations civilisées. C’est ce qu’on voit à la Chine, en Égypte…


DES INONDATIONS PRODUITES PAR DES VENTS VIOLENS.


Des vents violens qui soufflent de la pleine mer sur des côtes basses, peuvent causer des inondations locales. Ils soulèvent les flots, les élèvent à plusieurs pieds, et submergent tous les pays peu élevés au-dessus du niveau des eaux.

« En 1164, il y eut un déluge si considérable dans la Frise, que toutes les côtes maritimes furent submergées avec plusieurs milliers d’hommes.

« En 1228, il y eut une autre inondation qui fit périr cent mille hommes aussi bien qu’en 1530.

« Il y a plusieurs autres exemples de pareilles inondations, comme celle de 1604, en Angleterre. (Buffon, tome 11, et 12, page 450.)

« En 1646, une pareille inondation fit périr plus de cent mille personnes sur le territoire de Dordrecht, et plus de cent mille autour du Dullant. En Frise, en Zélande, il y eut plus de deux ou trois cents villages submergés. On voit encore les sommets de leurs tours et les pointes de leurs clochers qui s’élèvent un peu au-dessus des eaux. (Ibidem, page 424.)

» En 1682, il y eut une pareille inondation dans la province de Zélande, qui submergea plus de trente villages, et causa la perte d’une infinité de monde et de bestiaux, qui furent surpris la nuit par les eaux. Ce fut un bonheur pour la Hollande que le vent de sud-est gagna sur celui qui était opposé ; car la mer était si enflée, que les eaux étaient de dix-huit pieds plus hautes que les terres les plus élevées de la province, à la réserve des dunes. » (Ibidem, page 426.)

Florus parle d’un déluge qui chassa les Teutons, les Cimbres et les Tiguriens de leurs pays, l’an de Rome 644. Cimbri, Teutoni, atque Tigurini ab extremis germaniæ profusi cum, terras eorum inunderet occanus, novas sedes toto orbe quærebant. (Lic. 3, cap. 4.)

Or, ce déluge ne peut avoir été occasionné, comme ceux de Hollande, que par un vent impétueux qui aura soulevé les eaux de l’Océan sur cette côte, soit le long du Véser, sur la côte d’Embden, soit le long de l’Elbe, sur les côtes de Hambourg, soit le long de l’Oder, sur les côtes de Stetin, soit le long de la Vistule, sur les côtes de Dantzick…

Les sables favorisent beaucoup ces espèces de déluges. La mer apporte sur ces côtes beaucoup de sable et de galets : les fleuves y en charrient de leur côté. Il se forme des dunes qui s’élèvent sur la côte : les terrains situés derrière ces dunes se trouvent plus bas, et au niveau de la surface de la mer. Lors du gros tems, d’une tempête violente… les flots sont poussés avec force vers la dune : ils s’élèvent quelquefois au-dessus, coupent ces digues, et vont s’épancher sur les terrains qui sont derrière la dune. Les eaux ne peuvent plus se retirer, parce que la dune fait une espèce de levée qui les retient ; et ces terrains demeurent submergés, quoique réellement ils ne soient pas au-dessous du niveau des eaux des mers.

Quelquefois ces terrains marécageux se sont affaissés, et se trouvent ainsi réellement au-dessous du niveau des mers.

Ne pourrait-on pas même dire que sur les côtes où les vents soufflent constamment, et où la plage est très-plate et se termine en pente douce, ces eaux peuvent s’y soutenir continuellement un peu au-dessus de leur niveau ?

La côte de Hollande, par exemple, est très-plate et se termine par des bancs de sable, qui se prolongent en pente douce, bien avant dans la mer.

Des vents du Nord soufflent constamment sur cette plage.

Il est donc très-probable que les eaux se soutiennent assez constamment sur la côte de Hollande, à une hauteur au-dessus de leur vrai niveau ; et il est vraisemblable que ces eaux se retireraient beaucoup de la côte, si toutes ces causes extérieures cessaient, qu’il n’y eût point de marées, point de vents, point de courans des eaux du Nord au Midi.

Nous avons déjà vu que sur les côtes de Provence, sur celles de Venise… les eaux se retirent dans le mois d’août, lors des grandes sécheresses… C’est que dans cette saison les vents du Nord règnent long-tems, et chassent les eaux en haute mer.

« Sur les côtes occidentales de France, d’Espagne et d’Afrique, dit Buffon, il règne des vents d’ouest durables et violens, qui poussent avec impétuosité les eaux vers le rivage sur lesquel il s’est formé des dunes en quelques endroits : de même les vents d’est, lorsqu’ils durent long-tems, chassent si fort les eaux des côtes de la Syrie et de la Phénicie, que les chaînes de rochers qui sont couverts d’eau, pendant les vents d’ouest, demeurent alors à sec. » (Buffon, tom. 11, p. 434.)

Les mêmes phénomènes s’observent sur toutes les côtes où il règne des vents violens et durables. Les eaux y sont soutenues constamment au-dessus de leur niveau, et elles se retirent aussitôt que cette cause cesse.

Mais tous ses évènemens dépendent des circonstances locales.


DES INONDATIONS PRODUITES PAR LES EXPLOSIONS DES FEUX SOUTERRAINS.


D’autres inondations locales, ou inondations particulières, sont produites par les explosions des feux souterrains.

Le 22 juillet 1782, il y eut une inondation presque totale de l’île Formose. Les flots furent soulevés avec beaucoup de force, et traversèrent presque toute la surface de l’île.

Il paraît que ce mouvement des flots fut dû à un tremblement de terre sousmarin, qui souleva les eaux de la mer avec violence.

En 1755, lors du tremblement de terre qui renversa Lisbonne, la mer se souleva auprès de Cadix, et inonda toute la chaussée qui conduit de la ville au continent.

Le même jour, à la Corogne, la mer s’enfla, monta et baissa sept fois.

À Madère, le même jour, la mer s’éleva à une hauteur extraordinaire ; elle baissa ensuite si considérablement, qu’on aperçut des rochers dont on n’avait aucune connaissance

Il y eut un tremblement de terre, en 1740 environ, à Lima et à Callao. La mer, dans cette dernière ville, éprouva des mouvemens si violens, que tous les édifices furent couverts par les eaux (Buffon, tome 11, page 306).

Lors de la grande éruption du volcan d’Awatcha, en 1737, les eaux de la mer furent repoussées deux fois loin du rivage mais à une troisième elle revint avec force sur elle-même, et s’éleva à deux cents pieds de hauteur. On sent quelle inondation elle aurait produit sur des côtes basses, comme sur celles de la Manche : les flots eussent pu remonter jusqu’à Paris.

Il n’y a pas de tremblement de terre violent sur les côtes, qui ne produise de grands mouvemens dans les eaux des mers. Ces secousses les élèvent et les abaissent successivement pendant un tems plus ou moins considérable. On peut consulter, à cet égard, tous les recueils d’observations.


DES INONDATIONS PRODUITES PAR LA CHUTE DES MONTAGNES.


Des causes moins puissantes que celles dont nous venons de parler, peuvent encore produire de petits déluges, ou inondations locales. La chute d’une montagne qui repose sur des lacs souterrains, causera un déluge en occupant la place de ces eaux, et les forçant de s’épancher.

« En 1678, dit Buffon (tome 11, page 366), il y eut une grande inondation en Gascogne, causée par l’affaissement de quelques morceaux de montagnes dans les Pyrénées, qui firent sortir les eaux qui étaient contenues dans les cavités souterraines de ces montagnes.

En 1680, il arriva une inondation considérable en Islande, qui avait aussi pour cause l’affaissement d’une montagne dans des cavernes remplies d’eau. »

L’histoire rapporte plusieurs inondations locales, qui ont été produites par des causes semblables, Ces chutes de montagnes. sont le plus souvent occasionnées, comme nous l’avons vu, par des tremblemens de terre.

En 1783, lors du tremblement de terre qui bouleversa la Calabre, une partie du rocher de Scilla, sur la côte, s’écroula dans la mer, et y causa un mouvement d’ondulation si prodigieux, qu’il inonda une partie des côtes voisines en Calabre et en Sicile. Nous avons vu qu’il y eut de noyées plus de douze cents personnes qui s’étaient retirées près de ce rocher.


DES INONDATIONS PRODUITES PAR LES DÉBORDEMENTS DES LACS.


L’histoire fait mention d’un grand nombre de déluges produits par des débordemens de lacs.

Berose parle d’un déluge arrivé en Arménie, et dit que les habitans se retirèrent sur la montagne des Cordyens.

Nicolas de Damas parle aussi de ce déluge, il dit que les habitans se retirèrent sur la montagne de Berin. (Eusèbe, Préparation Évangélique).

Syncelle dit (Eusèbe, Préparation Évangélique, livre 10, chapitre 12) qu’Abydene parle d’un déluge arrivé en Chaldée du tems de Sisuthrus. Saturne, ajoute-t-il, avertit Sisuthrus de ce déluge. L’époque à laquelle est arrivé ce déluge n’est pas facile à déterminer.

Eusèbe pense que le déluge d’Ogyges est le premier des déluges. Il arriva lorsque Phoronée régnait à Argos. Il inonda l’Attique, et une partie des contrées voisines. Il y eut une nuit de neuf mois et quelques jours, dit Sollin, d’après des autorités anciennes que nous ne connaissons pas.

Varron rapporte, suivant Saint-Augustin, qu’on vit alors Venus changer de couleur et de grandeur, et que son orbite parut dérangée.

Si ce fait est vrai, il est probable qu’en prit alors une comète pour Venus.

Le plus grande partie des chronologistes fixent l’époque du déluge d’Ogygés à l’an 1759, avant l’ère vulgaire, c’est à dire 230 ans avant le déluge de Deucalion.

Les Phrygiens parlaient d’un déluge arrivé chez eux sous leur roi Annac.

Le déluge de Deucalion a été très-fameux dans l’antiquité. Les marbres de paros en fixent la date à l’année de leur ère 53, ou 1529 ans avant notre ère.

Diodore de Sicile parle de ce déluge (liv. 5 cap. XLIX.) « Le déluge de Deucalion, dit-il, ayant fait périr un grand nombre d’hommes sur la terre, dépeupla aussi l’île de Lesbos ».

Ovide et Lucien ont laissé d’assez grands détails sur cet événement célèbre.

Deucalion, scythe d’origine, était un homme vertueux, qui régnait en Thessalie. Le pays fut tout-à-coup inondé. Deucalion se sauva avec sa femme Pyrrha, sur le mont Geranée, suivant quelques-uns, ou sur le mont Parnasse, suivant Ovide : c’est la que s’arrêta la petite barque qui les portait.

Les Syriens parlent aussi d’un déluge fort ancien. Voici ce qu’en dit Lucien dans son dialogue de la déesse de Syrie, de dea Syra.

« La Syrie possède plusieurs beaux temples : mais il n’en n’est aucun comme celui d’Hiérapolis. Ce temple, disent les habitans, fut élevé par Deucalion, après le déluge qui arriva de son tems. Il se fit à la terre une ouverture prodigieuses, par laquelle toute l’eau fut absorbée. Ce fut au-dessus de cette couverture que Deucalion bâtit le temple. »

On faisait voir en beaucoup d’autres endroits des gouffres semblables à celui d’Hiérapolis.

Pausanias dans ses Attiques, rapporte que les prêtres de Jupiter Olympien, à Athènes, faisaient aussi voir une ouverture souterraine située dans un bois derrière le temple de ce dieu. Ils disaient que c’était par cette ouverture que s’étaient écoulées les eaux du déluge de Deucalion. Tous les ans ils jetaient dans ce gouffre un gâteau de farine pétrie avec du miel.

Sanchoniaton le Phénicien, dit dans sa cosmogonie, « que dans le commencement tout était humide, que l’esprit uni avec la matière produisit moth, que ce moth était, suivant les uns, le limon premier. »

L’Égypte a éprouvé un déluge fameux, connu sous le nom de déluge de Prométhée. Voici ce qu’en rapporte Diodore de Sicile (liv. 1, sect. I, chap. IX).

» Ce fut alors (du tems d’Osiris) et au lever de la canicule, que le Nil qui croît tous les ans dans cette saison, rompit ses digues et se déborda d’une manière si furieuse, qu’il submergea presque toute l’Égypte, et particulièrement cette partie dont Prométhée était gouverneur ; l’impétuosité de ce fleuve lui fit donner alors le nom d’Aigle. Prométhée voulait se tuer de désespoir, lorque Hercule se surpassant lui-même dans cette occasion, entreprit par un effort plus qu’humain, de réparer les brèches que le Nil avait faites à ses digues, ou de le faire rentrer dans son lit. Voilà le fondément de la fable qui dit qu’Hercule tua l’aigle qui rongeait le foie de Prométhée. Ce fleuve fut appelé dans le commencement Océames, mot que les Grecs ont traduit par celui d’Océan ».

On a ensuite donné à la mer le nom d’Océan.

« Les Ethiopiens, suivant le même Diodore de Sicile (liv. 3, cap. 2), disaient que les Égyptiens étaient une de leurs colonies qui fut menée en Égypte par Osiris. Ils prétendent même que ce pays n’était au commencement du monde qu’une mer. »

Plutarque, dans son traité d’Isis et d’Osiris, dit que le serpent Python, en Égypte, rappelle un déluge, contrz lequel Osiris ou le soleil combat.

Du tems d’Inachus, il y eut un déluge en Boétie, qui inonda beaucoup de terrain.

Les commencemens de l’histoire des Chinois sont remplis de détails sur différens déluges.

Le Choukin (chap. Yaotien) fait dire à Yao les paroles suivantes :

L’empereur fait dire aux quatre Yao : « Les eaux immenses du déluge se sont répandues, et ont tout inondé et submergé. Les montagnes ont disparues dans leur sein ; les collines y sont été ensevelies, leurs flots mugissans semblaient menacer le ciel. Les peuples poussent des soupirs : qui pourra les secourir ? »

« Hoai-Nan-Tsée, Lie-Tsée et les autres Toa-Sée (savants), parlent d’un déluge arrivé sous Niu-Hoa, lorsque des eaux immenses inondaient tout, que les pluies ne discontinuaient pas, et que, comme dit Tong-Sou-Tong, Niu-Hoa vainquît l’eau par le bois, et fit un vaisseau propre à aller fort loin. »

Lopi (art. Soui-Tchi), après avoir rapporté que les saisons furent changées, que les jours et les nuits furent confondus ajoute : « Il y eut alors de grandes eaux dans tout l’univers… qui réduisirent les hommes à la condition de poissons. » (Mémoire sur les Chinois, par les missionnaires, vol. 1, page 157 et 158).

Le célèbre Koug-In-Ta ajoute que ces eaux avaient submergé les animaux, les maisons (Chou-King).

les Han-Lins commentateurs de Kou-King ; rapportent d’après Tchin-Sée que « dans cet ancien tems il y avait peu d’habitans : chacun habitait à son grè sur les hauteurs : les eaux répandues dans les vallées ne nuisaient pas : mais les hommes se multipliant, on songea à étendre les habitations, et faire couler les eaux (Ibid. page 159). »

« L’inondation n’était pas arrivée du tems de Yao, mais remontait jusqu’au commencement. Les eaux n’avaient pas encore pu s’écouler. Yu y travailla » (Ibid. page 159).

L’histoire de la Chine parle encore d’une grande inondation arrivée sous Peyrum, dans des tems bien postérieurs à Yao. Mais il est assez difficile d’en fixer l’époque.

Toutes les histoires des commencemens des sociétés, parlent d’inondations ou de déluges plus ou moins considérables.

Si on recherche la cause de la plus grande partie de ces déluges, on la trouvera dans l’écoulement des mers particulières, ou de lacs considérables. Diodore de Sicile nous a laissé un passage précieux à cet égard. Il parle d’un déluge qui inonda une partie de la Samothrace (l’île de Samos) vis-à-vis Éphèse (lib. 5, § 40).

« Les historiens de Samothrace disent, qu’avant les déluges des autres pays, elle en avait souffert un très-grand par les eaux qui étaient venues d’abord de la séparation des Cyanéens (détroit de Constantinople), qui s’étendirent jusqu’à l’Hellespont (détroit de Gallipoli). On dit que la mer du Pont (mer Noire), autrefois fermée comme un lac, fut pour lors tellement grossie par les eaux des fleuves qui s’y jetèrent, qu’elle s’éleva impétueusement par dessus ses rivages, et répandit sur les campagnes d’Asie les eaux qui forment aujourd’hui la Propontide (Mer de Marmane.). On ajoute qu’une grande partie de la Samothrace ne fut submergée de telle sorte que long-tems après, quelques pêcheurs tiraient encore de leurs filets des châpitaux de colonnes, qui marquaient que cette mer couvrait des ruines de ville. Les lieux les plus élevés de l’île servirent seuls de refuge contre ce débordement. Par là il est clair que la Samothrace a été habitée avant le dernier de nos déluges ».

Ces derniers mots de Diodore, avant le dernier de nos déluge. prouvent que les anciens reconnaissaient plusieurs déluges successifs.

Il paraît, par ce passage de Diodore, que le déluge de la Samothrace, ou île de Samos, fut produit par l’irruption de la mer Noire, qui s’ouvrit un passage par le détroit de l’Hellespont, pour se verser dans la Méditerranée. Cette irruption fut prompte, et exhaussa momentanément les eaux, jusqu’à ce qu’elles furent mises de niveau avec celles de cette dernière mer. Toutes les basses terres furent donc inondées, soit du côté de l’Asie, soit du côté de l’Europe, ainsi que les îles nombreuses qui sont dans ces contrées.

Enfin, toute la côte d’Afrique fut également submergée ; c’est à cette époque qu’on doit attribuer un des déluges d’Égypte. La Méditerranée dut communiquer avec la mer Rouge, et peut-être avec le sein Persique.

C’est peut-être à cette époque qu’elle s’ouvrit un passage dans l’Océan, par les colonnes d’Hercule, ou détroit de Gibraltar.

Tournefort, dans son voyage au Levant, rapporte un grand nombre de faits, qui prouvaient que la mer Noire était séparée de la Méditerranée, au détroit des Dardanelles. Elle brisa cette digue, fit une irruption qui inonda toutes les côtes, et s’éleva jusqu’au sommet des plus hautes montagnes de la Samothrace.

Pallas a confirmé tous ces faits. Il a prouvé que la mer Caspienne et la mer Noire étaient autrefois beaucoup plus élevées qu’elles ne le sont aujourd’hui.

« Cette multitude de coquillages, dit-il (tome V, in-8o, page 188), déposés sur les steppes de l’Iaïk, du pays des Calmouks et du Volga, et qui sont absolument les mêmes que ceux qu’on trouve dans la mer Caspienne, sans avoir la moindre ressemblance avec ceux des deux fleuves ; cette unformité de terrains dans les steppes, qui, à l’exception des endroits couverts de sable mouvant, n’est partout qu’un sable lié avec le limon de la terre, ou bien une glaise jaune, sans le moindre gazon ; la nature saline du sol, qui provient en plus grande partie d’un sel marin, et qui est générale ; ces innombrables fonds salins ; la coupe et la forme de ces immenses déserts ; tous ces objets, enfin, sont des témoignages. incontestables que cette étendue de pays a été autrefois couverte par la mer Caspienne. Quoiqu’il y ait des siècles incalculables que les eaux se sont écoulées de ces contrées, ces plaines ne sont pas encore couvertes de terre végétale, ni de gazon, et n’ont encore produit ni bois, ni buissons.

Il est tout aussi évident que ce haut pays, situé le long de la Sarpa, entre le Don et le Volga, ainsi que les montagnes de l’Obtscheï-Sirt, qui s’étendent entre ce dernier fleuve et l’Iaïk, formaient anciennement les rivages de la vaste mer Hircanienne (mer du Nord)… On ne voit plus ici les coquillages de la mer Caspienne, et en remontant le long du Volga, le terrain devient plus montueux : l’on ne trouve que des bancs de coquilles et de coraux, qui proviennent d’une inondation plus ancienne et plus considérable que celle que nous avons déjà soupçonnée. Les productions marines de ces couches horizontales (de ces contrées) sont généralement des espèces que l’on ne rencontre que dans l’Océan. La mer Caspienne et la mer Noire n’en offrent pas de semblables.

«… La mer Noire était de plusieurs toises plus haute qu’elle n’est aujourd’hui, avant son débordement dans la Méditerranée, par le détroit de Constantinople… Il s’ensuivrait donc de cette ancienne suréminence, que les steppes de la Crimée, du Kauman, du Volga, de l’Iaïk, et le plateau de la Grande Tartarie, jusqu’au lac Aral inclusivement, ne forment qu’une mer qui arrosait la pointe septentrionale du Caucase, et avait deux golfes immenses, l’un, dans la mer Caspienne, et l’autre, dans la mer Noire. »

Toutes ces preuves géologiques, jointes aux témoignages historiques que nous avons vus, ne permettent pas de douter que la mer Caspienne ne fut autrefois beaucoup plus étendue qu’elle ne l’est aujourd’hui, et qu’elle ne couvrit une partie de la Tartarie et de l’Europe. Car elle devait s’étendre le long du Niester, du Bog, du Danube… et couvrir une partie de la Moldavie, de la Valachie, de la Transylvanie, de la Servie, de la Hongrie…

Il paraît que l’abaissement de cette mer se fit subitement, et qu’elle s’écoula dans la Méditerranée. Celle-ci en fut prodigieusement enflée, ce qui produisit une inondation, ou déluge, sur tous ses rivages.

Mais il paraît, en même tems, que la Haute-Tartarie, entre ï le Don et le Volga, a été, dans des tems antérieures, couverte d’une mer différente de la Caspienne, puisque les débris des êtres organisés qu’on y rencontre, ne se trouvent point dans la Caspienne.

Ce que Diodore de Sicile suppose avoir eu lieu, relativement à la mer Noire, qui était un lac, a dû arriver dans un grand nombre d’autres circonstances. Des lacs, plus ou moins élevés, rompant subitement leurs digues, se sont écoulés avec une grande impétuosité, et ont causé des inondations plus ou moins considérables, en raison du volume de leurs eaux et de la rapidité de leur chute. Plusieurs des déluges particuliers, dont l’histoire fait mention, sont dus à cette cause.

Supposons que les lacs, qui se trouvent aujourd’hui à l’origine du Nil, surtout le lac Gambea, eussent été autrefois très-étendus, ce qui est fort vraisemblable ; supposons que ces lacs aient renversé subitement leurs digues, et se soient écoulés en grande masse, il est certain qu’ils auront inondé une partie de l’Égypte. C’est ce qui paraît être arrivé, lors du déluge de Prométhée.

Cette débâcle d’une portion du lac Gambéa, ou de quelque autre lac, aura excavé le lit du Nil, dans la Haute-Égypte. On rapporte qu’il est bordé, des deux côtés, de falaises élevées qui, sans doute, sont dues à cette cause.

Des lacs, dans les montagnes de la Thessalie, qui auront également rompu subitement leurs digues, produisirent un déluge local dans la vallée du fleuve Pénée. C’est ce qui produisit le déluge connu sous le nom de Deucalion : à moins qu’on aime mieux, croire que ce déluge est le même que celui qu’a du produire l’éruption du Pont-Euxin, ou mer noire, dans toutes ces contrées.

Néanmoins il me paraît plus vraisemblable que le déluge produit par l’irruption du Pont-Euxin est celui qui a produit le déluge d’Ogygés, lequel est antérieur à celui de Deucalion, et qui inonda l’Attique 230 ans avant celui de Deucalion.

Strabon rapporte que l’Araxe formait autrefois un grand lac en Arménie ; que Jason en rompit les digues en ouvrant les montagnes, ce qui fit que l’embouchure de ce fleuve se trouvai ensuite dans la mer Caspienne.

C’est à cette cause, ou quelqu’autre analogue, que sont dus les déluges de ces contrées dont parlent Berose et Nicolas de Damas, comme nous venons de le dire.

Le déluge qui eut lieu sous Sisuthrus a également été dû à quelque cause semblable, l’écoulement de quelques lacs qui existaient dans la partie du Taurus, d’où sortent le Tigre et l’Euphrate.

Les nouvelles recherches que viennent de faire plusieurs savans, sur la mer Noire, sur la Caspienne… nous donneront des notions précises sur tous ces phénomènes…

L’histoire des Chinois fait voir tous leurs premiers chefs, Yao, Yu… occupés à faciliter l’écoulement des eaux et des lacs, qui inondaient le pays, le rendaient marécageux, et produisaient des déluges locaux.

Les Mexicains parlent aussi d’un déluge qui inonda leur pays, et força les habitans à se retirer sur les montagnes. Ce déluge fut produit par l’irruption de quelques lacs.

On sait que le lac du Mexico est sujet à des crues considérables, qui, quelquefois, inondent tous ses rivages. Les Espagnols, peu de tems après s’être emparés de ce pays, creusèrent un grand canal pour faciliter l’écoulement de ses eaux.

Les habitans de la Floride rapportent qu’il y eut dans leurs contrées un déluge produit par le débordement du lac Théomi. C’était sans doute un lac qui existait dans les monts Apalaches.

Les Groenlandais eux-mêmes parlent d’un déluge. « Dans la ai suite des tems, disent-ils, le monde fut noyé par un déluge… Une des preuves existantes du déluge universel, ce sont les débris de coquilles, de poissons qu’on trouve partout bien avant dans la terre, à une profondeur où l’homme n’habita jamais, et des os de baleine, qui couvrent les montagnes les plus élevées » (Crantz, Histoire du Groenland, Histoire des Voyages, tome 19 in-4o. page 105.)

Supposons que les lacs nombreux ; que traverse le fleuve Saint-Laurent, rompissent leurs digues subitement au saut de Niagara, par exemple, il y aurait une prodigieuse quantité d’eau dans toute la partie basse du Canada. On pourrait l’appeler un déluge.

Un pareil déluge a dû avoir lieu au-dessous du lac de Genève, qui a vraisemblablement rompu ses digues au-dessous du Fort-l’Ecluse. On n’en connaît point les détails, parce qu’il n’y avait point d’historiens dans ces tems reculés. Mais quand on voit l’immense quantité de galets dont sont couvertes les plaines du Dauphiné, et que ces galets se retrouvent à plus de cent ou deux cents pieds sur les côteaux de Lyon et du Dauphiné…, on ne saurait douter qu’il n’y ait eu une débâcle de quelque lac de la Suisse, vraisemblablement de celui de Genève, qui a produit ces phénomènes.

Jefferson parle d’une pareille débâcle qui a dû avoir lieu en Virginie. « La Shenandoah a suivi les montagnes l’espace de cent milles pour chercher une issue. Sur sa gauche s’approche la Patowmack, qui cherche de même un passage. Au moment de leur réunion ; elles se précipitent contre la montagne qui se sépare devant elles, pour donner à leurs eaux un libre cours vers l’Océan.

« Cette scène fait naître au premier coup d’œil l’idée que la » terre n’a été créée que par époques ; que les montagnes ont été formées d’abord, et que les rivières n’ont commencé à couler que dans un tems postérieur ; que dans cet endroit particulier les eaux retenues par la digue des montagnes Bleues, formaient un Océan (un lac) derrière elles ; que leurs poids croissant à mesure que leur niveau s’élevait, elles ont enfin forcé le passage, et fendu la montagne du sommet à la basse. Les masses des roches entassées de part et d’autre, surtout du côté de la Shenandoah, les marques évidentes d’un déchirement violent opéré par les plus puissans agens de la nature, fortifient cette idée. »

Le voyageur instruit et attentif retrouve partout des preuves évidentes de pareilles débâcles de lacs. Nous en avons déjà rapporté un grand nombre d’exemples.


RÉSUMÉ.


En résumant tous les faits que nous venons de rapporter sur les déluges locaux, et en ne nous écartant pas des causes physiques qui nous sont connues, on peut dire qu’ils ont été produits par les causes suivantes.

1°. Les débâcles de lacs. La retraite des eaux qui ont couvert le globe, a laissé de grands lacs, soit à la surface de la terre, soit dans le sein des montagnes. Plusieurs de ces lacs, brisant subitement leurs digues par des causes quelconques, ont inondé les terrains qui étaient au-dessous d’eux, et les ont submergés. Ça été la cause de plusieurs déluges particuliers, tels que celui d’Ogygés, produit par la rupture des digues de la mer Noire ; celui de Deucalion, produit par la rupture des digues d’un lac qui existait dans la Thessalie ; celui de Prométhée, produit par la rupture des digues de quelques lacs dans l’Abbissinie.

. . . . . . . . . . .

2°. Des vents violens, qui auront soulevé les flots de la mer, auront causé de grandes inondations dans des terrains bas, comme dans la Hollande.

3°. Des violens tremblemens de terre, soit sur les côtes de la mer, soit sous la mer, soulèvent quelquefois les flots, et causent des inondations particulières.

4°. La chute d’une montagne peut produire des inondations particulières et locales, si elle reposait sur un lac souterrain.

5°. La chute subite d’une portion considérable de terrain, tel serait l’affaissement de l’île Atlantique, aurait produit un mouvement prodigieux d’ondulation dans les mers voisines. Les lames immenses qui en seraient résultées, auraient inondé momentanément toutes les terres basses qui se seraient trouvées dans les environs.

6°. Des pluies trop long-tems continuées…

7°. Quant à l’action que des comètes auraient pu produire sur ces phénomènes, nous en parlerons ailleurs.


DES INONDATIONS GÉNÉRALES, OU DES DÉLUGES UNIVERSELS.


Mais, y a-t-il eu un ou plusieurs déluges universels, qui aient couvert toute la surface du globe, ou au moins la plus grande partie de cette surface ? C’est une opinion qui a été soutenue par la plus grande partie des anciens peuples. Voici ce qu’en dit Platon (liv. 3 des Lois).

« Le genre humain a été détruit plusieurs fois par des Déluges, des maladies, et d’autres accidens semblables, qui n’ont épargné qu’un très-petit nombre de personnes… Représentons nous donc quelques-unes de ces catastrophes générales ; par exemple, celle qui a été autrefois causée par un déluge… Ceux qui échappèrent à la désolation universelle ; étaient, pour la plupart, des pâtres, habitans des montagnes, sur le sommet desquelles il se conserva quelques faibles étincelles du genre humain. Ils étaient dans une ignorance presqu’entière de tous les arts, de toutes les inventions que l’avarice et l’ambition ont imaginées dans les villes, et de mille autres expédiens dont les hommes policés se sont avisés pour s’entre-détruire… Posons donc pour certain que toutes les villes situées en rase campagne, et sur les bords de la mer, furent entièrement submergées dans ce tems-la… Que toutes les découvertes dans les arts, dans la politique, dans les sciences… furent perdues sans qu’il en restât le moindre vestige. Aussi, ne fait-on pas remonter à plus de mille ou deux mille ans, les découvertes qu’on attribue à Dédale, à Orphée, à Palamède, à Olympus, à Amphyon…

» Telle était donc à la situation des affaires humaines, au sortir de cette désolation générale. Partout s’offrait l’image d’une vaste et affreuse solitude. Des pays immenses étaient sans habitans. Tous les autres animaux ayant péri, quelques troupeaux peu nombreux de bœufs et de chèvres étaient la seule ressource qui restait aux hommes d’alors, pour subsister ».

Ce passage de Platon prouve qu’il pensait, avec les Égyptiens, chez qui il avait puisé cette doctrine, que la surface de la terre avait éprouvé les plus grandes catastrophes ; que le genre humain avait été presqu’entièrement détruit, à différentes époques, ainsi que les animaux, et que ces accidens avaient été produits particulièrement par des déluges ; que ces déluges avaient submergé toutes les plaines et les basses terres, et que les seules montagnes élevées n’avaient pas été inondées ; que les hommes et les animaux s’étaient retirés sur ces hautes sommités.

Lucien, dans son dialogue de la déesse Syriene, de dea Syra, parle d’un déluge universel arrivé sous Deucalion. Voila, ajoute-t-il, ce qu’en disent les Grecs : « La race actuelle des hommes ne fut pas la première, mais la génération qui la précéda périt entièrement. Ces hommes, qui commettaient toutes sortes de crimes, en furent punis par un événement terrible. Tout-à-coup, la terre vomit de son sein une immense quantité d’eau. De grandes pluies survinrent ; les fleuves se gonflèrent ; la mer s’accrut à un tel point, que la terre fut entièrement inondée. Tous les hommes périrent, excepté Deucalion ».

Sénèque parle fort au long d’un déluge universel, qui doit arriver, et il en peint fort éloquemment toutes les circonstances. Il fait plus, il cherche à en assigner les causes physiques. Ce sont, suivant lui,

1°. Les pluies,

2°. L’irruption de la mer,

3°. Des tremblemens de terre.

Mais, écoutons-le parler lui-même, dans ses Questions naturelles, livre III, chapitre XXIX.

« D’autres prétendent que la terre s’ébranle, et que le sol entr’ouvert découvre de nouvelles sources de fleuves, dont les eaux coulent plus abondamment, comme provenant de réservoirs immenses.

« Bérose, l’interprète de Bélus, dit que ces grandes révolutions sont amenées par le cours des astres. Il en est si sûr, qu’il fixe même le tems de la conflagration et du déluge futur. Il dit que la terre sera réduite en cendres, quand tous les astres, qui suivent aujourd’hui des routes différentes (les planètes), seront réunies dans le signe du Cancer, et placées les unes sous les autres, tellement que la même ligne traverse tous les centres. Il ajoute que l’inondation générale aura lieu, quand les mêmes astres seront rassemblés dans le Capricorne.

« Ne disons donc pas que le déluge sera produit par la pluie ; mais qu’il y aura des pluies ; par l’irruption de la mer, mais que la mer sortira de ses bornes ; par les tremblemens du terre, mais qu’il y aura des tremblemens de terre. La nature s’aidera de tout, pour exécuter ses arrêts.

« Les inondations sont aussi conséquentes aux lois du monde que l’hiver et l’été ».

On trouve d’autres témoignages qui parlent d’un déluge universel, qui aurait inondé toute la surface du globe.

Mais un événement d’un aussi grand intérêt, ne peut être admis qu’autant qu’il serait fondé sur les faits les plus authentiques. Or, nous sommes bien éloignés d’avoir des faits de cette nature qui le constatent.

Platon a toujours cherché à embellir les sujets qu’il traitait, en les représentant sous des vives couleurs. Il a supposé que des déluges particuliers avaient été des déluges généraux. D’ailleurs son récit n’est fondé que sur les traditions qu’il tenait des prêtres d’Égypte, lesquels se cachaient avec art vis-à-vis des philosophes de la Grèce,

Sénèque et Lucien sont trop modernes pour des événemens semblables. Ils n’ont pu puiser dans des sources authentiques, Lucien appelle le déluge de Deucalion, un déluge général, tandis que tous les auteurs les plus anciens disent que ce fut un déluge particulier.

Mais examinons les causes physiques qui auraient pu concourir pour produire un déluge universel. Nous verrons qu’il n’en est aucunes connues capables d’un effet aussi considérable.

I. Les pluies.

Nous avons vu que l’atmosphère entier n’équivaut qu’à une colonne de trente-deux pieds d’eau. Ainsi, quand on la supposerait se résoudre toute en pluie, elle ne produirait que ce même exhaussement dans les eaux.

II. L’irruption des eaux des mers.

On a supposé différentes manières dont les eaux de l’Océan pouvaient se répandre sur la surface de la terre. Ecoutons encore Sénèque, à cet égard, (Questions naturelles, livre III, chapitre XXVII).

« L’eau est un élément aussi abondant que l’air ou le feu, et bien plus abondant encore dans l’intérieur de la terre. Ces eaux, une fois mises en mouvement par le flux, ou plutôt par la volonté du destin, dont le flux n’est que, l’agent, soulèvent et chassent devant elles le vaste sein des mers, puis, s’élèvent elles-mêmes à une hauteur prodigieuse, et surpassent les montagnes les plus élevées, qui servent d’asile aux hommes ; ce qui n’est pas difficile aux eaux, puisque, dans leur état naturel, elles sont aussi élevées que la terre. Qu’on mesure la hauteur perpendiculaire des plus hautes montagnes, le niveau de la mer est aussi élevé, puisque la terre doit partout se ressembler… »

La plupart des auteurs qui ont parlé d’un déluge universel, ont supposé que les eaux des mers y ont influe, et chacun les a fait agir d’une manière différente.

Sénèque suppose, dans le passage que nous venons de rapporter, que les eaux de l’Océan, dans les hautes mers, sont au-dessus de leur niveau sur les côtes, et se trouvent aussi élevées que les plus hautes montagnes.

Iberti, qui a soutenu la même opinion[5], dit que les eaux, dans les hautes mers, sont comme une goutte d’eau, ou de mercure, ou de tout autre fluide, laquelle est toujours beaucoup plus élevée à son centre qu’à ses extrémités.

Sénèque suppose encore que le simple mouvement du flux, ou des marées, peut élever les eaux au-dessus des plus hautes montagnes. Mais il est bien prouvé aujourd’hui que les marées sont produites par l’action du soleil et de la lune, qui ne peuvent élever les eaux que de quelques pieds. Si le flux s’élève à une plus grande hauteur sur quelques côtes, c’est par des circonstances locales ; car dans les grandes mers, entre les tropiques, il n’est que de trois pieds environ.

Bélus supposait que toutes les planètes se trouvant en conjonction sous les tropiques du capricorne, pourraient élever les eaux des mers à une hauteur beaucoup plus considérable que les simples marées.

Cette idée est également contraire à toutes les lois de physique que nous connaissons. En supposant que toutes les planètes fussent en conjonction avec le soleil et la lune, elles pourraient peut-être un peu augmenter les marées : mais ce ne serait certainement que d’une très-petite quantité.

Dolomieu suppose avec Sénèque, qu’il a pu y avoir des marées assez considérables pour s’élever sur de hautes montagnes, et par conséquent produire des déluges d’une grande étendue.

Mais il ne dit pas quelle a pu être la cause de pareilles marées, et nous n’en connaissons aucune.

Pallas a supposé que les eaux des mers des Indes ont été soulevées par l’action des feux souterrains à une hauteur capable de leur faire surmonter les sommets des montagnes altaïques, qui séparent l’Asie méridionale de l’Asie septentrionale. Il suppose que la même chose a pu avoir lieu relativement aux différens continens : ce qui aurait produit des inondations ou déluges immenses dans plusieurs contrées.

Mais nous ne connaissons point de volcans capables de produire d’aussi grands effets. Les tremblemens de terre sousmarins seraient absolument insuffisans. Les plus fortes commotions n’élèvent pas les eaux à plus de deux cents à trois cents pieds.

Les eaux de quelques mers pourraient être augmentées d’une certaine quantité, et par conséquent inonder les pays qui sont sur leurs bords, par une débacle de plusieurs lacs. Il existe à la surface de la terre un assez grand nombre de ces lacs. Si plusieurs de ces lacs s’écoulaient subitement, ils produiraient une petite augmentation des eaux dans les mers ou ils se jetteraient, jusqu’à l’instant que l’équilibre serait rétabli dans la masse générale des mers.

Il peut aussi se trouver dans le sein des montagnes des lacs intérieurs, dont la débacle produite par des causes quelconques produirait le même effet.

Mais toutes ces causes se borneraient à des inondations locales, à des déluges particuliers, et seraient bien éloignées de pouvoir produire un déluge universel, ainsi que nous l’avons vu en parlant des déluges d’Ogygès, de Deucalion, de Prométhée… produits par des irruptions de la mer Noire, d’un lac dans la Thessalie, d’un autre dans la haute Égypte…

La seule cause qui pourrait soulever les eaux des mers à une grande hauteur, serait l’accélération du mouvement de rotation du globe. Les jours devenant plus courts, la force centrifuge augmenterait : les eaux de la surface se porteraient vers l’équateur et la zone torride, en abandonnant les régions. polaires ; mais les eaux contenues dans l’intérieur du globe sortiraient de leurs cavernes, et se réunissant à celle des mers, pourraient peut-être couvrir toute la surface du globe…

Il paraît que c’était la doctrine des prêtres d’Égypte, lorsqu’ils disaient que les eaux pouvaient inonder la surface de la terre, en sortant de l’abyme ou cavernes intérieures.

Un physicien nommé Lebrun fit, environ en 1780, une expérience publique au Louvre, pour soutenir cette opinion. Il renferma de l’eau dans un globe, qui avait différentes ouvertures fermées par des soupapes. Ce globe était renfermé dans un autre globe de verre. On imprima un mouvement donné de rotation à ces globes. L’eau ne sortit point de ses réservoirs. Mais on augmenta peu à peu la vitesse de rotation : alors l’eau força les soupapes et s’épancha sur toute la surface de l’intérieur du globe… Il en conclut que la même chose pouvait avoir lieu sur la surface de la terre, en supposant son mouvement de rotation accéléré.

Il n’est pas douteux que si le mouvement directe de la terre s’accélérait, les eaux de l’intérieur pourraient s’épancher sur sa surface. Mais nous avons vu que suivant les théories astronomiques adoptées aujourd’hui, la rotation du globe terrestre ne peut éprouver que de très-petites variations, et qui seraient absolument insuffisantes pour produire d’aussi grands effets.

Enfin, d’autres physiciens ont fait intervenir l’action d’une comète pour produire un déluge universel.

Newton fournit un grand argument à cette hypothèse, en disant que les comètes étaient des corps semblables aux planètes, excepté qu’elles se mouvaient dans des ellipses plus allongées.

Halley fit l’application de cette doctrine à la comète de 1680 : Il calcula que la période de cette comète devait être à peu près de 575 ans. D’où il s’en suivrait qu’elle a dû paraître en 1106 et 531 ensuite, 44 ans avant l’ère vulgaire ; puis en 619, en 1194. (Il paraît qu’Homère parle de cette apparition, Illiade, livre 4, v. 75). En 1769 et enfin en 2344, année à peu près du déluge universel rapporté par Moïse. Il y aurait peut-être une perturbation de 5 années, suivant Whiston, qui suppose que ce déluge n’arriva qu’en 2349.

Whiston suppose que cette comète aurait dû passer assez près de la surface de la terre, pour que sa queue atteignit notre globe et l’enveloppât. Les vapeurs dont était remplie cette queue furent condensées, comme le sont, par exemple les nuages sur nos plus hautes montagnes, et versèrent une quantité d’eau suffisante pour couvrir toute la surface du globe.

D’un autre côté l’attraction de la comète agit sur les eaux de l’intérieur du globe, et les fit sortir de leurs abîmes…

Nous avons vu que Sollin rapporte qu’à l’époque du déluge de Deucalion il y eut une nuit de neuf mois et quelques jours. Cette nuit prétendue n’aurait pu être occasionnée que par des nuages très-épais.

Varron dit qu’alors Venus changea de couleur et de grandeur, et que son mouvement fut altéré. Il est beaucoup plus vraisemblable qu’on prit une comète pour Venus.

Nous discuterons ailleurs cette opinion de Whiston ; nous ferons voir que quoiqu’il ne soit peut-être pas impossible qu’une comète eût produit les effets qu’il suppose, cette hypothèse est néanmoins contraire aux probabilités.


RÉSUMÉ SUR L’ABAISSEMENT DU NIVEAU DES MERS.


Tous les faits que nous avons rapportés dans cette section, établissent plusieurs faits intéressans que nous allons rapprocher.

1°. Les eaux ont couvert tout le globe, et ont surpassé de plusieurs milliers de toises les montagnes les plus élevées.

2°. Le niveau des eaux s’est abaissé au point où nous le voyons aujourd’hui.

3°. Cet abaissement s’est fait successivement, et lentement.

4°. Les eaux ne se sont point converties en terre.

5°. En supposant qu’elles puissent se convertir en airs, ce n’en serait qu’une très-petite portion.

6°. Il n’a pu en passer que quelques légères portions dans les autres globes.

7°. Mais il est vraisemblable que la plus grande partie de ces eaux qui ont disparu de dessus la surface du globe, s’est enfouie dans ses cavernes.

8°. Aucun fait ne prouve qu’elles puissent se déplacer en grandes masses à la surface du globe, et abandonner des contrées entières pour en envahir d’autres.

9°. Aucun fait ne prouve qu’elles aient pu couvrir la surface du globe à différentes époques.

10°. Il y a eu, à la vérité, des inondations particulières, des déluges locaux, produits par différentes causes.

11°. Mais aucun fait ne prouve qu’il y a eu un déluge général qui aurait inondé toute la surface du globe.


LES EAUX DES MERS CONTINUERONT À DIMINUER SUR TOUTE LA SURFACE DU GLOBE.


En suivant les analogies, on ne peut guère douter que le niveau des eaux des mers ne continue à s’abaisser sur toute la surface du globe : car les agens, quels qu’ils soient, qui ont au opéré jusqu’ici cette diminution, continueront d’agir, et nous ne connaissons pas de causes qui puissent suspendre leur action.

Mais les faits actuels ne peuvent nous donner aucunes notions fixes sur les progrès de cette diminution de l’abaissement des eaux.

Les générations humaines futures occuperont leurs loisirs à constater les progrès de cette diminution du niveau des eaux des mers. Leur intérêt personnel leur en fera un devoir.




  1. Journal de physique, tom. 63, pag. 116.
  2. De telluris incremento.
  3. Journal de Physique, tom. 40.
  4. Voyage dans la Campanie, tom. 2, pag. 159.
  5. Journal de Physique.