Leçons sur l’intégration et la recherche des fonctions primitives (première édition)/Préface

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PRÉFACE.


J’ai réuni dans cet Ouvrage les Leçons que j’ai faites au Collège de France, pendant l’année scolaire 1902-1903, comme chargé du cours fondé par la famille Peccot.

Les vingt Leçons que comprend ce Cours ont été consacrées à l’étude du développement de la notion d’intégrale. Un historique complet n’aurait pu tenir en vingt Leçons ; aussi, laissant de côté bien des résultats importants, je me suis tout d’abord limité à l’intégration des fonctions réelles d’une seule variable réelle ; le lecteur pourra rechercher si les résultats indiqués se prêtent facilement à des généralisations. De plus, parmi les nombreuses définitions qui ont été successivement proposées pour l’intégrale des fonctions réelles d’une variable réelle, je n’ai retenu que celles qu’il est, à mon avis, indispensable de connaître pour bien comprendre toutes les transformations qu’a reçues le problème d’intégration et pour saisir les rapports qu’il y a entre la notion d’aire, si simple en apparence, et certaines définitions analytiques de l’intégrale à aspects très compliqués.

On peut se demander, il est vrai, s’il y a quelque intérêt à s’occuper de telles complications et s’il ne vaut pas mieux se borner à l’étude des fonctions qui ne nécessitent que des définitions simples. Cela n’a guère que des avantages quand il s’agit d’un Cours élémentaire ; mais, comme on le verra dans ces Leçons, si l’on voulait toujours se limiter à la considération de ces bonnes fonctions, il faudrait renoncer à résoudre bien des problèmes à énoncés simples posés depuis longtemps. C’est pour la résolution de ces problèmes, et non par amour des complications, que j’ai introduit dans ce Livre une définition de l’intégrale plus générale que celle de Riemann et comprenant celle-ci comme cas particulier.

Ceux qui me liront avec soin, tout en regrettant peut-être que les choses ne soient pas plus simples, m’accorderont, je le pense, que cette définition est nécessaire et naturelle. J’ose dire qu’elle est, en un certain sens, plus simple que celle de Riemann, aussi facile à saisir que celle-ci et que, seules, des habitudes d’esprit antérieurement acquises peuvent la faire paraître plus compliquée. Elle est plus simple parce qu’elle met en évidence les propriétés les plus importantes de l’intégrale, tandis que la définition de Riemann ne met en évidence qu’un procédé de calcul. C’est pour cela qu’il est presque toujours aussi facile, parfois même plus facile, à l’aide de la définition générale de l’intégrale, de démontrer une propriété pour toutes les fonctions auxquelles s’applique cette définition, c’est-à-dire pour toutes les fonctions sommables, que de la démontrer pour les seules fonctions intégrables, en s’appuyant sur la définition de Riemann. Même si l’on ne s’intéresse qu’aux résultats relatifs aux fonctions simples, il est donc utile de connaître la notion de fonction sommable parce qu’elle suggère des procédés rapides de démonstration.

Comme application de la définition de l’intégrale, j’ai étudié la recherche des fonctions primitives et la rectification des courbes. À ces deux applications j’aurais voulu en joindre une autre très importante : l’étude du développement trigonométrique des fonctions ; mais, dans mon Cours, je n’ai pu donner à ce sujet que des indications tellement incomplètes que j’ai jugé inutile de les reproduire ici.

Suivant en cela l’exemple donné par M. Borel, j’ai rédigé ces Leçons sans supposer au lecteur d’autres connaissances que celles qui font partie du programme de licence de toutes les Facultés ; je pourrais même dire que je ne suppose rien de plus que la connaissance de la définition et des propriétés les plus élémentaires de l’intégrale des fonctions continues. Mais, s’il n’est pas indispensable de connaître beaucoup de choses avant de lire ces Leçons, il est nécessaire d’avoir certaines habitudes d’esprit, il est utile de s’être déjà intéressé à certaines questions de la théorie des fonctions. Un lecteur parfaitement préparé serait celui qui aurait déjà lu l’Introduction à l’étude des fonctions d’une variable réelle, de M. Jules Tannery, et les Leçons sur la théorie des fonctions, de M. Émile Borel.

Si l’on compare ce Livre aux quelques pages que l’on consacre ordinairement à l’intégration et à la recherche des fonctions primitives, on le trouvera sans doute un peu long ; j’espère cependant que tous ceux qui ont écrit sur la théorie des fonctions et qui savent les difficultés qu’il y a, en cette matière, à être à la fois rigoureux et court, ne s’étonneront pas trop de cette longueur ; peut-être même me pardonneront-ils d’avoir été, à leur gré, parfois trop diffus, parfois trop concis.

Pour la rédaction, j’ai eu surtout recours aux Mémoires originaux ; je dois cependant signaler, comme m’ayant été particulièrement utiles, outre les deux Ouvrages précédemment cités, les Fondamenti per la teorica delle funzioni di variabili reali, de M. Ulisse Dini, et le Cours d’Analyse de l’École Polytechnique, de M. Camille Jordan. Enfin j’ai à remercier M. Borel des conseils qu’il m’a donnés au cours de la correction des épreuves.


Rennes, le 3 décembre 1903.

Henri Lebesgue.