LEÇON ONZIÈME.
Suite de l’analyse des sections angulaires, ou l’on démontre les formules générales des tables données dans la leçon précédente.
Reprenons les expressions générales de et données dans la Leçon précédente ; faisant
on aura
Nous observerons d’abord que ces formules sont toujours vraies, quel que soit le nombre parce qu’elles ont été déduites de l’équation générale
élevée à la puissance Ainsi les doutes qui pourraient rester à cet égard disparaissent ici entièrement.
Tout se réduit donc à développer, suivant les puissances de l’expression
Comme les quantités et sont les deux racines de l’équation
je ferai usage du théorème que j’ai démontré dans la Note XI de la Résolution des équations numériques, sur la somme des puissances des racines des équations.
Suivant ce théorème, si l’on a une équation quelconque de la forme
où est l’inconnue, la formule
n’étant continuée que tant qu’il y aura des puissances négatives de donne la somme de toutes les racines élevées chacune à la puissance mais, étant continuée à l’infini, elle ne donne que la même puissance de la plus petite des racines. Les quantités sont le carré, le cube, etc. de et les traits appliqués aux parenthèses désignent les fonctions dérivées des fonctions de renfermées entre ces parenthèses.
Ainsi, dans notre cas, si l’on change en et qu’on divise l’équation par coefficient de elle deviendra
laquelle, étant comparée à
donne
donc
de manière que la série précédente deviendra
où il faudra faire après avoir pris les fonctions dérivées désignées par les traits appliqués aux parenthèses.
Or
Ainsi la série deviendra
Faisons maintenant et l’on aura la série
laquelle, étant continuée seulement tant qu’il y aura des puissances négatives de c’est-à-dire des puissances positives de exprimera la valeur de
à cause de
Ainsi, dans cet état, la série dont il s’agit donnera la valeur de ce qui s’accorde avec la formule de la Table (A).
Mais, si l’on continue la série à l’infini, alors elle ne donnera que la valeur de
puisque est la plus petite des deux racines ; ou, ce qui revient au même, elle donnera la valeur de
Pour nous convaincre en effet que la série précédente, prise dans toute son étendue, n’est que le développement de cette quantité, nous allons chercher ce développement par une marche directe, ce qui servira d’exemple de la manière d’employer les fonctions dérivées dans ces sortes de recherches.
Supposons donc qu’il s’agisse de développer l’expression
dans une série descendante de la forme
si l’on divise de part et d’autre par et qu’on fasse on aura
où l’on voit que la série ne peut avoir que des puissances paires de
Ainsi, en faisant on aura la fonction
à développer suivant les puissances de
Donc, par la formule générale donnée à la fin de la Leçon IX, si l’on fait
on aura
où sont les valeurs de lorsque et forment ici les coefficients
Ainsi l’on trouvera d’abord ensuite on aura
et de là
et ainsi de suite.
On peut de cette manière avoir successivement tous les coefficients de la série ; mais on n’en aura pas la loi, ce qui est le plus essentiel.
Pour la trouver d’une manière générale, je reprends la formule en et je la suppose égale à ce qui me donne l’équation
Je remarque maintenant qu’un des principaux avantages des fonctions dérivées est de pouvoir faire disparaître dans les équations les puissances et les radicaux. En effet, en prenant les fonctions dérivées par rapport à et regardant comme fonction de on a
cette équation, divisée par l’équation primitive, donne
multipliant en croix et carrant, on aura
Prenant de nouveau les fonctions dérivées par rapport à on obtiendra
d’où, en divisant par résulte cette équation du second ordre en et
laquelle étant, comme l’on voit, linéaire par rapport à et dégagée de radicaux, est très propre au développement de en série.
En effet, il n’y a qu’à substituer pour la série
et par conséquent pour
et pour
Ordonnant les termes suivant les puissances de on aura
Comme cette équation doit avoir lieu indépendamment de il faudra égaler à zéro le coefficient de chaque terme.
Le coefficients de disparaissant de lui-même, c’est une marque que le coefficient demeure indéterminé.
Le coefficient de se réduit à qui ne peut devenir nul à moins de faire Or, étant nul, il est facile de voir que les coefficients de ne pourront aussi devenir nuls qu’en faisant
Maintenant le coefficient de se réduit à
celui de se réduit de même à
et ainsi des autres.
On aura donc, en réduisant, les équations
lesquelles donnent la loi suivant laquelle les coefficients dépendent les uns des autres.
On tire de ces équations
Or nous avons vu que le premier coefficient est égal à ainsi on aura ce développement
qui s’accorde avec la série trouvée ci-dessus.
Cherchons de même le développement de Comme cette expression ne diffère de celle que nous venons de traiter que par le signe du radical, lequel ne se trouve plus dans l’équation dérivée en dont nous avons fait usage, il s’ensuit que la même formule, que nous venons d’obtenir, pourra encore s’appliquer à ce développement. Il faut seulement remarquer que, comme les premiers termes du radical sont le premier terme du développement dont il s’agit sera de sorte qu’ici il faudra prendre négativement et, comme l’équation dérivée en ne contient que on aura nécessairement la même série en changeant seulement en ce qui suit d’ailleurs aussi de ce que
on aura donc
Si maintenant on réunit ces deux séries, on aura la valeur de donc
C’est le développementcomplet de en puissances de pour une valeur quelconque de
Si maintenant on fait ici on a
où l’on voit que les deux séries se réduisent au premier terme
En donnant à d’autres valeurs entières et positives quelconques, on trouvera toujours que la seconde série, qui contient les puissances négatives de servira à détruire dans la première série tous les termes qui contiendront ces mêmes puissances ; c’est ce qu’on peut démontrer en général par la loi même des deux séries ; de sorte que le résultat se réduira aux seuls termes de la première qui contiennent des puissances positives de ce qui revient à ne conserver dans cette série que les termes où est élevée à une puissance positive, ou nulle, comme nous l’avons trouvé plus haut a priori.
Mais lorsqu’on donne à une valeur fractionnaire quelconque, les deux séries ne se détruisent plus, et leur réunion est nécessaire pour avoir la valeur complète de
En prenant la différence des deux séries au lieu de leur somme, on aurait la valeur de mais serait exprimé de cette manière par des séries infinies et imaginaires. Pour avoir une expression réelle, il suffit de considérer que la fonction dérivée de est et que celle de est puisque
de manière qu’en prenant les fonctions dérivées des séries trouvées
pour
on aura sur-le-champ, en changeant les signes et divisant par
Cette expression se réduit aussi à une forme finie, lorsque est un nombre entier, par la destruction mutuelle des termes qui contiendraient des puissances négatives de de sorte que, étant un nombre positif entier, il suffira de prendre dans la première série les termes qui contiendront des puissances positives de ce qui s’accorde avec la formule de la Table (B).
Lorsque est un nombre fractionnaire, les deux séries vont à l’infini, et, jointes ensemble, elles donnent la vraie valeur de développée suivant les puissances descendantes de comme cela a lieu pour la valeur de
Euler a le premier reconnu cette espèce d’imperfection des formules connues des Tables (A) et (B) ; il a fait voir, par une analyse à peu près semblable à celle que nous venons de donner, que ces formules, pour être générales et applicables à des valeurs quelconques de doivent être complétées par des valeurs semblables où l’exposant est négatif.
J’ai cru devoir entrer dans ce détail pour l’instruction des jeunes analystes, et surtout pour montrer que, si l’Analyse paraît quelquefois en défaut, c’est toujours faute de l’envisager d’une manière assez étendue et de la traiter avec toute la généralité dont elle est susceptible. (Voyez le Tome IX des Nova Acta de l’Académie de Pétersbourg.)
Nous venons de développer les expressions
suivant les puissances descendantes de on peut de même, et par le moyen de la même équation dérivée en les développer suivant les puissances ascendantes de ce qui nous donnera les formules des
Tables (C), (D), (E), (F), et pourra même servir à les compléter pour toutes les valeurs de
Supposons donc, en général,
Substituant dans la même équation, et ordonnant suivant les puissances de on aura
Égalant donc à zéro chacun des coefficients des puissances de on aura, en réduisant,
d’où l’on tire, en substituant successivement les valeurs précédentes,
Les coefficients et étant restés indéterminés, il faudra les déterminer par la nature de la fonction Or il est visible qu’on a
en faisant Ainsi, puisque la fonction est égale à
on aura d’abord, en faisant
Ensuite, en faisant dans la fonction dérivée trouvée ci-dessus, on aura
Substituant donc ces valeurs de et on aura le développement de l’expression
Pour avoir celui de l’expression
il n’y aura qu’à prendre le radical en moins ; mais, comme ce radical n’entre plus dans l’équation dérivée en par laquelle nous avons déterminé les coefficients de la série, il s’ensuit qu’on aura la même série pour cette dernière expression que pour la première, aux coefficients et près, qui pourront être différents ; et on trouvera ici, par le même procédé,
Donc, puisque la somme de ces deux expressions donne la valeur de comme on l’a vu plus haut, on aura cette valeur en substituantdans la série la place de et la somme des deux valeurs qu’on vient de trouver, c’est-à-dire en faisant
d’où il est facile de voir que, lorsque
est un nombre entier impair, on aura
et, lorsque
sera pair, on aura
Mais, pour avoir les valeurs de et dégagées d’imaginaires pour toutes les valeurs de il n’y a qu’à employer la formule générale
et y supposer égal à l’angle droit, car alors et ainsi, en adoptant l’angle droit pour l’unité des angles, et prenant le radical en et en on aura
et les valeurs de et deviendraient
On aura donc en général, pour un nombre quelconque
Tel est le développement complet de en série ascendante de ou On voit que, lorsque est un nombre entier, il y a toujours une des deux séries partielles qui se termine, et que l’autre qui irait à l’infini disparaît parce qu’elle se trouve toute multipliée par un coefficient ou qui devient nul. On a alors l’unc ou l’autre des Tables (C) et (E). Mais, lorsque est une fraction quelconque, les deux séries vont à l’infini, et leur réunion est nécessaire pour avoir la valeur complète de ce que personne, ce me semble, n’avait encore observé.
En prenant les fonctions dérivées, comme on a fait plus haut, pour déduire la valeur de de celle de on aura aussi, à cause de
pour le développement complet de quel que soit ou l’on voit que, lorsque est un nombre entier, on a les formules des Tables (D) et (F).
Il nous reste à considérer encore les développements de et suivant les puissances ascendantes de conformément aux Tables (G), (H), (I), (K).
Pour cela nous remarquerons d’abord qu’en faisant on a et les expressions générales de et deviennent
Il ne s’agit donc que de développer les formules
en puissances ascendantes de
Faisons
on aura, en prenant les fonctions dérivées par rapport à
Divisant cette équation par l’équation primitive, on a
multipliant en croix et carrant, on aura
Prenant de nouveau les fonctions dérivées et divisant par on obtiendra cette équation du second ordre en
qui est, comme l’on voit, entièrement semblable à l’équation en et trouvée plus haut.
Ainsi, en supposant
on trouvera les mêmes valeurs des coefficients ; mais, comme les deux premiers et demeurent indéterminés, ils pourront être différents, à raison de la diversité des fonctions et en et en
Pour trouver ici ces deux coefficients, ce qu’il y a de plus simple, c’est de chercher par le développementactuel les deux premiers termes de la série. Or, puisque donne
il est évident que les deux premiers termes de
sont ainsi l’on aura
Le développement de
sera le même en changeant seulement en ainsi l’on aura, relativement à ce développement,
Donc, pour avoir la somme des deux développements, il n’y aura qu’à prendre pour et la somme des deux valeurs correspondantes, ce qui donne
Et, pour avoir la différence des mêmes développements, on prendra la différence des valeurs correspondantes de et ce qui donnera
Faisant ces substitutions, on aura donc, en divisant par et par
Ces formules sont, comme l’on voit, les mêmes que celles des Tables (I) et (H) ; mais, par la manière dont nous venons de les trouver, on voit en même temps qu’elles sont générales pour des valeurs quelconques de Cependant, comme la première ne se termine que lorsque est un nombre entier pair, et que la seconde ne se termine que lorsque est un nombre entier impair, elles ne peuvent servir pour la section des angles que dans ces cas ; mais on peut, en prenant les fonctions dérivées, comme nous l’avons fait ci-dessus, déduire de ces mêmes formules d’autres formules qui se termineront justement dans les cas où celles-ci vont à l’infini. Pour cela, on se rappellera que les fonctions dérivées de et sont et et que celles de et sont et de sorte que les deux équations fourniront, par la dérivation, ces deux-ci :
qui répondent, comme l’on voit, aux formules des Tables (K) et (G), et qui sont par conséquent aussi générales pour des valeurs quelconques de Ainsi toutes les formules de ces différentes Tables sont démontrées d’une manière générale.
Le théorème de Cotes est si intimement lié à la théorie des sections angulaires, que nous ne pouvons nous dispenser d’en dire un mot ici.
On ignore comment Cotes l’a trouvé, et on en a donné après sa mort différentes démonstrations plus ou moins simples, et même plus ou moins rigoureuses. Sans avoir recours aux expressions imaginaires comme on le fait communément, on peut le déduire directement des formules mêmes données par Viète, que nous avons rapportées dans la Table (A) ; et il est vraisemblableque c’est ainsi que Cotes y est parvenu.
En effet, si l’on multiplie ces formules par et qu’on y suppose elles se réduisent à cette forme simple
d’où il est facile de conclure, en général,
Pour se convaincre d’une manière plus directe de la généralité de cette formule, il suffit de considérer que si, dans l’équation
on fait
et qu’on suppose que deux termes consécutifs et soient de la forme
elle donnera
Ainsi, pourvu que les deux premiers termes et soient de la forme en faisant et ce qui est en effet, tous les autres seront nécessairement de la même forme.
Maintenant les deux équations
donnent ces deux-ci
qui doivent donc avoir lieu en même temps ; par conséquent, il faut qu’elles aient une racine commune.
Ce dernier théorème a été donné par Moivre, sans démonstration, dans les Transactions philosophiques de 1722, année où a paru l’Harmonia mensurarum de Cotes, qui était mort six ans auparavant.
Soit maintenant la racine commune à ces deux équations ; comme elles demeurent les mêmes en y changeant en il s’ensuit que sera encore une racine commune aux mêmes équations ; mais l’équation
n’étant que du second degré, ne peut avoir que les deux racines
et
donc cette équation a toutes ses racines communes avec
par conséquent elle est nécessairement un diviseur de celle-ci.
Soit
il suit de ce qu’on vient de démontrer que la formule
a pour diviseur celle-ci :
étant un nombre quelconque entier.
Or, si est la circonférence ou l’angle de quatre droites, on sait que étant un nombre quelconque entier ; ainsi, en mettant à la place de et faisant successivement on en conclura que la formule
a pour diviseurs les formules suivantes :
De sorte que, comme ces diviseurs sont tous différentes entre eux et qu’ils sont au nombre de la formule en question du ième degré ne peut être que le produit de ces formules du second degré.
Le théorème de Cotes n’est, comme l’on sait, qu’un cas particulier de ce théorème général, lorsqu’on y fait ou ce qui donne et réduit la formule générale à
Le théorème général est dû à Moivre, comme on le voit par ses Miscellanea analytica.
Jusqu’ici nous-avons développé les cosinus et les sinus des angles multiples en puissances des cosinus ou des sinus de l’angle simple. On peut chercher réciproquement à développer les puissances des cosinus ou sinus de l’angle simple en cosinus ou sinus des angles multiples, et cette transformation, qui est toujours possible, est un des plus grands avantages de l’algorithme des sinus et cosinus, par la facilité qu’elle donne de passer des fonctions primitives aux fonctions dérivées, et de revenir de celles-ci aux primitives.
Nous pourrions la déduire des formules trouvées ci-dessus, mais nous aimons mieux la chercher directement par le moyen des fonctions dérivées, pour donner un nouvel exemple de leur usage dans la transformation des fonctions.
Considérons la puissance et supposons cette fonction de égale à nous aurons ainsi
et, prenant les fonctions dérivées par rapport à il viendra
cette équation, divisée par la précédente, donne
d’où l’on tire, en réduisant,
équation dérivée du premier ordre, qui a l’avantage de ne plus contenir la puissance indéterminée de
Supposons maintenant, en général,
les coefficients étant indéterminés, ainsi que L’équation précédente deviendra par cette substitution
savoir, en développant les produits des sinus et cosinus, et ordonnant les termes suivant les sinus multiples :
Égalant donc à zéro chacun des coefficients de ces différents termes, on aura
La première donne d’abord et, substituant cette valeur, les autres deviennent
Ainsi le premier coefficient demeure indéterminé ; ensuite on a
donc,
Ensuite,
On a donc en général, quel que soit l’exposant
Il reste à déterminer le coefficient pour cela, supposant on obtient
d’où l’on tire
Donc enfin, en multipliant toute l’équation par on aura
série fort simple qui se termine toujours, comme celle du binôme, lorsque est un nombre entier positif.
On peut déduire de cette formule un pareil développement pour en changeant simplement en l’angle droit étant pris pour l’unité des angles.
Ainsi on aura de même
Nous venons de donner une théorie complète des sections angulaires, et nous avons en même temps montré, par différents exemples, combien l’algorithme des fonctions dérivées est utile pour la transformation des fonctions, en faisant disparaître des équations les puissances et les radicaux, qui rendent les développements difficiles et font perdre la loi et la dépendance mutuelle des termes.
On voit que tout se réduit à former d’abord des équations dérivées d’après l’équation ou les équations primitives données, et à déduire ensuite de ces équations dérivées d’autres équations primitives, qui seront les transformées des premières. Il est donc important de bien connaître la théorie de ces équations, et de se rendre familiers les différents artifices qui peuvent en faciliter le calcul.
Commençons par exposer les principes généraux de cette théorie.