Le 26e Congrès des instituteurs allemands et les écoles de la ville de Darmstad

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Le 26e Congrès des instituteurs allemands et les écoles de la ville de Darmstad
Revue pédagogique, second semestre 1885 (p. 50-55).

LE 26e CONGRÈS DES INSTITUTEURS ALLEMANDS
ET LES ÉCOLES DE LA VILLE DE DARMSTADT



Le 26e congrès des instituteurs allemands a eu lieu à Darmstadt (grand-duché de Hesse) du 25 au 28 mai dernier.

Deux mille instituteurs, institutrices, professeurs et directeurs d’écoles normales, inspecteurs, fonctionnaires scolaires de tout ordre, y ont pris part. Le plus grand nombre des membres du congrès étaient du grand-duché de Hesse-Darmstadt ; mais la Bavière, le Wurtemberg, la Saxe, Bade et les autres États y avaient envoyé des délégués. La Prusse n’était représentée que par un petit nombre d’instituteurs : le congrès n’y est plus vu d’aussi bon œil qu’il y a dix ans, quand M. de Bismarck saluait les instituteurs en les appelant ses « compagnons d’armes ».

La petite capitale s’était parée de ses habits de fête pour recevoir les instituteurs. Un grand nombre de maisons étaient pavoisées de drapeaux hessois mêlés aux couleurs noir-blanc-rouge de l’Empire. Tous les bourgeois avaient offert au comité local des chambres pour loger les membres du congrès, montrant ainsi en quelle haute estime on tient à Darmstadt l’instruction primaire et les instituteurs. Le premier bourgmestre, M. Ohly, et le comité d’organisation leur en avaient d’ailleurs donné l’exemple, et se sont multipliés pendant toute la durée du congrès pour faire à leurs hôtes les honneurs de la ville.

Une brochure que nous avons sous les yeux, et qui a été remise à chaque membre du congrès, rappelle avec une légitime fierté ce que la ville de Darmstadt à fait pour les écoles primaires, depuis le premier règlement scolaire du xvie siècle jusqu’au plus récent arrêté municipal (1879) qui fixe les traitements des instituteurs et des institutrices. Nous en extrayons les renseignements suivants, qui pourront avoir de l’intérêt pour les lecteurs de la Revue.

Le règlement de 1526 prescrit d’apprendre aux garçons les rudiments et l’écriture ; aux filles la religion, la lecture, la couture et le tricot (operari acu), afin de les habituer au travail et à l’exactitude, et d’en faire de bonnes femmes de ménage.

À côté de l’école fondée dès cette époque par la ville, le landgrave créa une école gratuite (Armenschule) dont l’instituteur recevait, aux termes du décret de fondation, un traitement annuel de 20 florins (43 francs), plus « deux habillements par an, c’est-à-dire 6 aunes de drap avec la doublure nécessaire, ou une indemnité égale à celle que nous donnons à nos autres domestiques », et enfin la nourriture fournie par la Cour pour le maître et les enfants. Ces enfants, orphelins pour la plupart, devaient fréquenter l’école pendant cinq ans, et être exercés à un métier honnête ou à d’autres travaux manuels pour lesquels ils auront du goût.

Dans l’édit promulgué en 1832, l’obligation scolaire, déjà décrétée en 1619, est étendue à tous les enfants de l’âge de 6 ans à celui de 14 ; plusieurs matières facultatives sont ajoutées au programme d’enseignement, la géographie, l’histoire, des notions usuelles sur les sciences et sur la mesure des surfaces et des volumes. De plus les garçons doivent être exercés à l’arboriculture et à l’horticulture : les filles doivent apprendre à filer, à coudre, à tricoter, à broder.

L’énumération des établissements d’enseignement que la capitale hessoise possède en ce moment nous donne une idée assez exacte de ce que font pour l’instruction publique les villes d’Allemagne. Darmstadt, dont la population est de 41,000 habitants, peut, sous ce rapport, servir de type. L’organisation est à peu de chose près la même partout.

À la base, pour les enfants d’âge scolaire, c’est-à-dire de 6 à 14 ans, il y a six grandes écoles primaires, comptant chacune de 11 à 16 classes, et recevant 4,500 élèves, soit en moyenne 750 par école.

Les quatre premières, deux pour les garçons et deux pour les filles, sont gratuites ; la ville fournit aux enfants le matériel d’enseignement et les livres. Les écoles de filles sont dirigées par des instituteurs ; les institutrices[1] ne donnent l’enseignement que dans les classes inférieures. Le personnel de ces quatre écoles se compose de 38 instituteurs, 8 institutrices, 143 maîtresses de travaux à l’aiguille, un maître de gymnastique, un maître de dessin, un maître de chant.

Les deux autres écoles, une pour les garçons et une pour les filles, sont payantes (30 francs par an) et destinées aux enfants de la classe moyenne. On consacre cinq heures par semaine au français ; la géométrie et le dessin y sont l’objet de soins tout particuliers ; le personnel se compose de 26 instituteurs, 5 institutrices, une maîtresse de dessin et 5 maîtresses de travaux à l’aiguille.

Les traitements des instituteurs et institutrices stagiaires varient de 1,000 à 1,125 francs, suivant qu’ils ont ou n’ont pas le certificat d’aptitude pédagogique ; après trois années de service, le chiffre est porté à 1,275 francs.

Pour les instituteurs titulaires, les traitements s’élèvent, par augmentations quinquennales, de 1,647 fr. 50 c. à 3,000 francs.

Les directeurs ont un supplément de 640 francs. Aucun maître n’est logé ; les indemnités de logement sont de 560 francs pour les instituteurs mariés ou veufs, de 310 francs pour les institutrices et les instituteurs célibataires, de 440 francs pour les stagiaires mariés, de 200 francs pour les stagiaires non mariés.

La classe d’adultes (Fortbildungsschule) est obligatoire pour tous les jeunes gens de 14 à 17 ans qui ne suivent pas une autre école. Elle a lieu quatre fois par semaine, de 8 à 10 heures du soir ; elle est gratuite. Les instituteurs reçoivent pour ce travail supplémentaire une indemnité de 2 fr. 50 c. par heure.

À côté de cette classe d’adultes obligatoire, il faut citer les cours facultatifs faits aux apprentis et ouvriers, qui ont lieu le soir de 8 heures et demie à 10 heures, et le dimanche de 8 heures à midi et de 2 à 4 heures. Ils sont payants (1 fr. 25 c. par mois) et suivis par 230 jeunes gens qu’on exerce à la composition, au calcul, à la géométrie, à la mécanique élémentaire, à la comptabilité, à la rédaction des devis, au dessin et au modelage.

Pour les jeunes filles, il existe une école professionnelle (Aliceschule, du nom de la fondatrice feu la princesse Alice), dans laquelle elles apprennent tous les travaux d’aiguille, la coupe et l’assemblage, le repassage, la tenue des livres, le calcul commercial, la correspondance, la peinture. Cette école est payante (la rétribution varie de 5 à 15 francs), et fréquentée par 168 jeunes filles.

Au-dessus des écoles primaires se trouvent :

L’école supérieure des filles, fréquentée par 470 jeunes filles de 6 à 16 ans, dans laquelle la rétribution scolaire est plus élevée (75 à 105 francs par an). Le personnel se compose d’un directeur, de 6 instituteurs, 6 institutrices, 3 maîtresses de travaux à l’aiguille, s maîtres auxiliaires. Une section normale, destinée à former des institutrices, est annexée à cette école ;

Une Realschule (école primaire supérieure de garçons) avec 220 élèves, de 9 à 16 ans ; écolage, 75 à 90 francs ;

Un Realgymnasium (lycée d’enseignement secondaire spécial) avec 451 élèves de 9 à 18 ans ; écolage, 75 à 105 francs. Cette école, de même que la Realschule, est un établissement de l’État : mais la ville supporte la moitié des frais, et fournit les locaux, l’éclairage et le chauffage ;

Un Gymnasium (lycée classique), avec 700 élèves de 9 à 18 ans ; écolage, 90 à 105 francs.

À chacun de ces trois derniers établissements sont annexées des classes préparatoires pour 450 enfants de 6 à 9 ans.

Les jardins d’enfants, les salles d’asile ou garderies sont des établissements privés entretenus par des sociétés.

C’est également une société qui a fondé un établissement destiné à recevoir, en dehors des heures de classe, les garçons appartenant à des parents indigents qui ne peuvent suffisamment surveiller leurs enfants. L’établissement les reçoit tous les jours de 4 à 7 heures ; ils sont occupés à des travaux d’agriculture et d’horticulture, et pendant les jours de pluie, au tressage de la paille et de l’osier. Les sommes gagnées par les enfants sont inscrites à leurs noms et servent surtout à leur acheter des habits ; 214 enfants sont reçus dans cet établissements.

Une institution semblable existe pour la surveillance et les travaux manuels des jeunes filles appartenant à des familles d’ouvrier.

Nous revenons au congrès.

Deux délégués étrangers à l’Allemagne y assistaient. Le ministère de l’instruction publique de France était représenté par M. Jost, inspecteur général de l’enseignement primaire ; le gouvernement serbe avait envoyé M. Petrovitch, directeur de l’enseignement primaire du royaume.

Le grand-duc de Hesse-Darmstadt a assisté à la première séance générale pendant toute la matinée, prenant un vif intérêt aux discussions.

Voici un résumé des questions discutées et des résolutions adoptées :

1. L’éducation, sa mission, son but, ses effets. — Rapporteur : M. Debbe, directeur d’école à Brême.

L’éducation, dans l’école primaire, doit veiller à la santé, et au développement régulier du corps ; exercer l’observation et la réflexion de l’enfant ; le munir de connaissances utiles : fortifier sa volonté et former son caractère ; développer chez lui le sentiment du beau, le rendre accessible à ce qui est noble et généreux ; cultiver le sentiment religieux et moral, plutôt que d’enseigner la religion ; ne conserver dans l’école que la partie historique de cet enseignement ; abandonner la partie dogmatique aux ministres du culte.

2. L’école non confessionnelle (die Simultanschule). — Rapporteur : M. Ries, instituteur à Francfort-sur-le-Mein.

Des raisons d’ordre politique, d’ordre national, d’ordre pédagogique militent en faveur de la substitution d’écoles communales, sans distinction de culte, aux écoles confessionnelles qui existent dans la plupart des États, et, en première ligne, en Prusse.

Cette question revient fréquemment à l’ordre du jour des congrès d’instituteurs allemands. Ils réclament à la presque unanimité la Simultanschule. Mais les gouvernements, et le gouvernement prussien surtout, ne sont nullement disposés à faire droit à ces vœux réitérés émis par les instituteurs.

3. La concentration des matières de l’enseignement primaire, et l’organisation des écoles, d’après les principaux pédagogues. — Rapporteur : M. Bartels, directeur d’école à Gera.

Impossibilité de grouper les différentes branches du programme autour d’une matière principale qui serait comme le centre de gravité de l’enseignement.

Chaque matière doit avoir sa place propre dans le programme, et être traitée pour elle-même et par elle-même.

Toutes les matières doivent être distribuées en cercles concentriques d’après l’aptitude de l’élève.

Le maître doit relier les matières qui se prêtent à un enseignement parallèle, de manière à ce qu’elles se complètent mutuellement, la géographie et l’histoire par exemple.

4. La législation sur le travail des enfants et des femmes dans les manufactures. — Rapporteur : M. Halben, professeur d’école normale à Hambourg.

Le congrès condamne l’école dite « de fabrique » (die Fabrikschule) ;

Il émet le vœu qu’aucun enfant ne puisse être admis dans les fabriques, les mines, les carrières, etc., s’il n’a quatorze ans révolus ;

Que les femmes mariées disposent du temps que réclament les soins et l’éducation de leurs enfants, et que, pendant qu’elles sont au travail, les enfants soient placés sous la surveillance de personnes commises à cet effet ;

Que les jeunes gens et les jeunes filles employés dans les fabriques soient tenus de fréquenter, de 14 à 18 ans, la classe d’adultes (Fortbildungsschule) deux fois par semaine, le jour, afin d’y compléter leur instruction générale et recevoir en même temps l’éducation spéciale que réclame leur profession.

5. L’école primaire et l’éducation. — Rapporteur : M. Weichsel, instituteur à Würtzbourg.

C’est l’école primaire qui doit donner aux enfants de toutes les classes l’instruction générale élémentaire indispensable à tous.

L’école primaire est un établissement d’instruction dans lequel les enfants recevront une éducation esthétique, religieuse, morale ; mais elle ne doit jamais perdre de vue qu’elle prépare en même temps à la vie pratique.

L’instruction civique et l’éducation politique du peuple doit commencer dès l’école primaire.

L’école primaire doit être commune à tous, la même pour tous, et la seule école préparatoire aux lycées et collèges.

L’école primaire publique doit être gratuite. (Cette dernière conclusion du rapporteur a été retirée sur la demande du président.)

6. Les colonies de vacances en faveur d’enfants de faible constitution. — Rapporteur : M. Veite, directeur d’école à Francfort-sur-le-Mein. Leur organisation doit varier suivant les pays et les besoins locaux. Il est du devoir des instituteurs de prêter leur concours aux associations créées dans le but de propager cette institution.

Le délégué français a pris part à la discussion de la deuxième question, les écoles non confessionnelles. Il a fait connaître l’économie et l’esprit de la loi française de 1882 : elle remet à la famille et aux églises l’enseignement religieux proprement dit, l’enseignement. dogmatique, mais elle confie à l’école, à l’instituteur, l’enseignement de la morale qui est le même pour tous, à quelque culte qu’ils appartiennent. Le programme de l’école commence par les devoirs de l’enfant dans la famille et finit par ses devoirs envers Dieu. La mission de l’instituteur consiste à fortifier, à enraciner dans l’âme de ses élèves, pour toute leur vie, ces notions essentielles de moralité humaine communes à toutes les doctrines. L’école donne l’éducation morale dans son acception la plus élevée, et l’éducation nationale dans ce qu’elle a de plus généreux ; mais elle ne s’immisce pas dans l’éducation confessionnelle, qui est l’affaire de la famille. Dans les instructions adressées à cette occasion aux instituteurs français, le ministre de l’instruction publique leur a dit : « Parlez à vos élèves comme vous voudriez que l’on parlât à votre propre enfant… Au moment de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; si non, parlez hardiment, car ce que vous allez communiquer à l’enfant, c’est la sagesse du genre humain, l’essence de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité. »

Cette communication a été accueillie par de chaleureux applaudissements ; elle a été beaucoup commentée dans les journaux pédagogiques allemands, qui depuis longtemps réclament la Simultanschule où pourront être reçus tous les enfants indistinctement.

Comme aux congrès précédents, le comité local avait cherché à couper les séances, les discussions sérieuses, par des fêtes offertes aux hôtes de la ville.

Ce fut d’abord le banquet, auquel 1,500 instituteurs ont pris part, et où, d’après la constante habitude de nos voisins, les toasts ont commencé au potage, et se sont continués tout le long du dîner, sans pour cela cesser au dessert.

Ce fut ensuite la représentation du Freyschütz que le grand-duc de Hesse-Darmstadt offrit aux membres du congrès dans son théâtre ; surprise bien agréable pour beaucoup d’instituteurs qui n’avaient jamais vu l’intérieur d’une salle de spectacle. Quand le prince fut arrivé dans sa loge, avec ses deux enfants, pendant le premier entr’acte, et que le président du congrès lui eut adressé, au milieu du silence de l’assemblée, l’expression de la reconnaissance du congrès, tous se levèrent, poussèrent les trois traditionnels « hoch » et entonnèrent, avec l’accompagnement de l’orchestre, l’hymne national allemand.

Un concert, une fête de nuit et une excursion dans l’Odenwald ont complété la série des réjouissances.


  1. Les institutrices sont toutes célibataires. Celles qui se marient sont obligées de se démettre de leurs fonctions.