Le Batteur d'estrade (Duplessis)/I/XVIII

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A. Cadot (Tome IIp. 33-36).

XVIII

LE SERMENT DE VENGEANCE.


Tandis que miss Mary engageait conditionnellement Grandjean à son service, Joaquin Dick continuait son récit.

Aussitôt après le départ du Canadien, il avait repris la parole.

— Comte, dit-il, si J’avais l’intention de capter votre bienveillance, je n’aurais pas glissé aussi rapidement que je l’ai fait sur la double déception qui, en amour et en amitié, détruisit toutes les illusions de ma jeunesse. Je vous aurais raconté mes entretiens avec Carmen, heures chastes et délirantes qui élevaient mes pensées et mes sensations au-dessus des pensées et des sensations humaines, et me laissaient pressentir l’ineffable bonheur dont les élus jouissent au ciel !… Je vous aurais dévoilé les trésors de dévouement, d’abnégation et de tendresse que contenait mon cœur ! Si je n’ai point procédé de la sorte, c’est que j’ai voulu laisser le calme à votre esprit, l’impartialité à votre jugement. L’épisode seul des humiliations et de la misère que j’eus à subir à Mexico aurait suffi, si je m’étais appesanti sur les détails, pour me valoir votre pitié !… Ce que j’attends de vous, ce n’est ni de la sévérité ni de l’indulgence, c’est la vérité. Je continuerai donc mon récit avec une rapidité brutale !

Arrivé en Californie, je m’engageai comme chasseur de loutres dans une compagnie d’aventuriers américains. J’échangeai mon bâton de voyageur contre un rifle, mon costume de mendiant contre une casaque de cuir, et je m’élançai bravement, presque joyeusement, dans le désert, car on m’avait prévenu que la moitié des nouveaux trappeurs succombaient avant la fin de leur rude apprentissage, et j’espérais être bientôt débarrassé de tous les ennuis de ce monde !…

Vous ne sauriez vous faire une idée, comte, du pénible noviciat de l’homme qui se voue à la vie nomade de la Prairie ; eh bien, malgré les privations inouïes et les dangers sans nombre que j’avais à supporter, je trouvais un certain plaisir à cette épouvantable existence ; les souffrances de mon corps calmaient les souffrances de mon cœur ; et puis, il était une pensée qui souriait singulièrement à ma misanthropie, celle que personne ne s’intéressait, ou, pour être plus exact, ne feignait plus de s’intéresser à mon sort. Je me sentais si abandonné, si seul, que, par moments, je me demandais si j’appartenais bien, en effet, à la famille humaine ! Je parcourais la Prairie depuis près d’une année, lorsque mes compagnons d’aventures attaquèrent une tribu d’Indiens avec lesquels ils étaient en paix, mais qu’ils soupçonnaient possesseurs d’assez grandes quantités de poudre d’or. Cette attaque, ou, pour mieux dire, ce massacre, eut lieu pendant une fête improvisée exprès pour accomplir cet acte d’insigne mauvaise foi et de sauvage barbarie !… Les suites de cet odieux attentat furent horribles ; on soumit à d’épouvantables tortures les malheureux Indiens blessés qui tombèrent en notre pouvoir ; pas un seul d’entre eux ne consentit à racheter sa vie par un aveu. Tous moururent la tête fière et haute, le sourire aux lèvres, l’injure et le mépris à la bouche ! Ce sont parfois dé nobles et vaillantes natures que ces Indiens !… Emporté par mon indignation, je ne gardai aucune mesure vis-à-vis de mes compagnons, je voulus prendre la défense des infortunées victimes de leur cupidité. Vingt canons et crosses de carabine se levèrent contre moi. Comment échappai-je à ce danger, je ne saurais vous le dire. Ce fut un véritable et triste miracle. Une vieille carabine, une livre de poudre, quelques poignées de balles et le désert devant moi, telles étaient mes ressources ; quant à ma position, elle n’était guère plus brillante, j’avais à mes trousses vingt bandits qui avaient juré ma mort. Il faut avouer que, pour être encore vivant aujourd’hui, il faut que je n’aie pas eu de chance. Le lendemain du massacre des Indiens, je rencontrai le dernier Peau-Rouge de cette tribu. C’était un fier et courageux vieillard : il ne pleurait plus ; il songeait déjà à la vengeance. « Frère, me dit-il, j’ai été témoin hier de tes généreux efforts pour sauver mes enfants ! Tu n’es face pâle que de visage, Dieu t’a donné le cœur d’un Indien… Veux-tu rester avec moi ? je serai ton père ! » Je ne croyais plus à rien, et cependant j’eus confiance en la parole de cet infortuné. « Oui, lui répondis-je, je resterai avec toi et je t’aiderai à te venger. » L’Indien secoua la tête en signe de doute. « Tu es brave, me dit-il, mais tu es encore bien jeune. J’ai vu des tigres devenir la proie des renards ! Non, à nous deux nous ne serions pas assez forts pour punir les assassins de mes enfants !… Je connais un homme qui vaut à lui seul une armée ; un homme juste et bon pour les Peaux-Rouges… Allons le trouver ! S’il nous accorde son appui, pas un des assassins blancs n’échappera au châtiment ! » Nous nous mîmes aussitôt en route.

J’étais tellement dégoûté de la vie, si indifférent à tout ce qui pouvait m’arriver, que je ne questionnai pas même l’Indien : je me contentai de le suivre.

Ce fut après trois jours de marche que nous parvînmes à rencontrer l’homme que nous cherchions, et si nous pûmes le rejoindre, ce fut seulement parce qu’il se montra à nous et qu’il nous attendit.

Cet homme était et est encore la créature la plus extraordinaire, l’individualité la plus étrange qui existe ici-bas ; du reste, il n’est pas une personne dans toute la Californie qui ne le connaisse de nom, car peu de gens peuvent se vanter de l’avoir vu, et le bruit de sa mort a déjà circulé cent fois.

Quel est l’âge de cet homme, je devrais dire de ce phénomène ? Nul ne le sait. Peut-être bien l’ignore-t-il lui-même. Voilà plus de quarante années que son nom retentit dans le désert, et cet être inexplicable est resté doué de toutes les facultés corporelles de la jeunesse ! Son agilité dépasse de beaucoup celle de la panthère, sa force celle du tigre, son regard celui de l’aigle. Quant à son adresse, elle reste sans point de comparaison. Là où son œil distingue un objet, la balle de sa carabine arrive !… On prétend qu’il est Américain de naissance ; on se trompe, il est né de parents anglais.

Le phénomène écouta gravement, et sans l’interrompre par aucun signe d’horreur, le lamentable récit du Peau-Rouge.

— Tu peux compter sur moi, lui répondit-il.

Puis, m’adressant la parole en mauvais anglais :

— Veux-tu te joindre à nous ?

— Oui.

Un mois plus tard, des trente et quelques aventuriers qui avaient massacré la tribu indienne, il ne restait plus un homme debout.

— Adieu, me dit notre terrible auxiliaire, si tu as jamais besoin de mon rifle, tu le trouveras toujours à ton service. Je me nomme Lennox.

Le comte d’Ambron interrompit Joaquin Dick.

— Quoi ! ce Lennox si populaire et dont on raconte des choses si merveilleuses, existe donc en effet ? Je l’avais pris jusqu’à ce jour pour Un personnage de légende.

— J’ai eu de ses nouvelles ce matin même ! Je continue. Dans la dernière escarmouche que nous avons livrée aux aventuriers américains, le Peau-Rouge avait été légèrement atteint d’une balle. Soit que la fatigue eût aggravé sa blessure, soit plutôt que l’apparence extérieure de la plaie n’annonçât pas les ravages intérieurs produits par le plomb, toujours est-il que le malheureux se trouvait, deux semaines après, réduit à la dernière extrémité. « Enfant, me dit-il avant de mourir, il y a à présent entre ta race et toi une mer de sang. Tu es devenu un Indien ; jure-moi que tu resteras toujours fidèle à tes nouveaux frères ! Tu le jures ? bien. Maintenant, j’ai un grand secret à te confier ; prête-moi toute ton attention : Tu sais quelle a été la cause de la destruction de toute ma tribu ; les faces pâles prétendaient que nous avions de l’or, beaucoup d’or, et ils avaient raison. Je me hâte, car je sens que je vais mourir… Je suis le dernier descendant des anciens rois ou chefs aztèques de ce pays. Quand les faces pâles traversèrent les mers pour nous voler nos terres et nous réduire à l’esclavage, mes aïeux cachèrent leurs richesses et s’enfuirent dans les déserts. La grandeur de ma tribu disparut, mais l’or de nos ancêtres nous resta. Afin de ne pas éveiller la féroce cupidité des faces pâles, le secret de l’asile qui contient nos trésors était confié par le chef de notre tribu à son fils aîné seul. Aujourd’hui, tu es mon unique enfant : à toi mon or ! » L’Indien me donna alors les indications les plus minutieuses. Puis, sentant la mort approcher : « Enfant, me dit-il, que cet or te serve à venger tes frères. Quand ton tour viendra de quitter la terre, tu emporteras ton secret avec toi ! »

— Et cet Indien, en parlant ainsi, n’avait-il pas le délire, señor Joaquin ? demanda le comte d’Ambron.

— Cet Indien disait vrai.

— Ainsi, ce trésor des anciens chefs ou rois aztèques…

— Je le trouvai ; il m’appartient.

Un assez long silence suivit la réponse du Batteur d’Estrade.

— Réellement, señor Joaquin, dit enfin M. d’Ambron, si je ne vous savais pas incapable de passer votre temps à me débiter des contes à dormir debout, si je n’avais pas été témoin, à Paris, de vos scandaleuses dépenses, je me figurerais que vous voulez vous divertir aux dépens de ma crédulité. Ces descendants des rois aztèques, réduits à l’état de vagabonds nomades… ce secret transmis de génération en génération… ce trésor enfoui… des millions sans doute…

— Oui, comte, des millions !…

— Tout cela, permettez-moi de vous le dire, ressemble singulièrement à un roman, et même à un roman de la bonne vieille école !

— Vous trouvez, comte ! Eh bien, en ce cas, j’irai plus loin encore. Je vous apprendrai que la basse et la haute Californie abondent en trésors cachés par les Indiens aux premiers temps de la conquête… Je conçois fort bien que ces révélations vous causent un certain étonnement, à vous surtout qui n’avez jamais vécu qu’en Europe, c’est-à-dire dans un pays tellement peuplé que chacun de ses habitants est, pour ainsi dire, parqué et numéroté à sa place… et encore y découvre-t-on assez souvent des trésors… mais ici, c’est bien différent. Nos immenses déserts, qui restent des années entières sans être foulés par les pieds de l’homme, présentent des ressources et une sécurité qui ne pouvaient manquer d’être utilisées par la crainte ou la défiance. Il y a très-peu de banques et de sociétés industrielles dans le désert… Les aventuriers américains sont de fort braves gens, sans doute, mais enfin ils ne sauraient servir de notaires ou d’agents de change… L’Indien, embarrassé du placement de ses fonds, pour me servir du langage d’Europe, creuse un trou dans la terre. Cette opération, assez primitive, pèche, je le reconnais volontiers, par le côté financier… le Peau-Rouge ne touche pas d’intérêts, c’est vrai, mais aussi, en revanche, il n’a pas une faillite à craindre. Il y a aujourd’hui en Europe des gens, devenus fort gueux après avoir été très-riches, qui n’auraient pas perdu leur fortune s’ils avaient été arriérés comme des sauvages… J’ajouterai un mot… c’est que la place où mes millions dorment depuis si longtemps, et où ils reposent encore actuellement, est indiquée sur la plupart des anciennes cartes géographiques… La dernière carte, dressée il y a quelques années, par ordre du sénat mexicain, l’indique par ces simples mots : Antigua residencia de los Aztecas. Seulement, comme les savants sont des pionniers de cabinet, ils ont commis une erreur grossière dans leur indication ! Je reprends mon récit. La vue des immenses richesses que je découvris ne me causa d’abord aucune émotion. Cet or me semblait un sable brillant et inutile. Peu à peu cependant un singulier changement s’opéra en moi. Je me mis à rêver à ma fortune… j’étais troublé, inquiet, agité ! Je ne souhaitais rien, je ne désirais rien, je ne tenais plus par aucun lien à la vie ordinaire des hommes, et cependant j’éprouvais comme un impérieux besoin d’utiliser mes richesses, de faire acte de puissance. Plus tard enfin, mes aspirations prirent une forme, devinrent une idée. C’était parce que j’avais perdu ma fortune que Carmen avait, sans doute, trahi ses serments ; je voulus savoir si le malheur qui m’avait frappé était une exception ou bien un événement logique, fatal, inévitable ; si l’or n’exerce pas sur les femmes une fascination irrésistible, qu’elles confondent avec l’amour. Et puis, j’avais à me venger. La pensée que des hommes se croyaient aimés, que des femmes prétendaient les aimer, me causait de véritables accès de fureur. Je voulais que tout le monde fût malheureux. Ce sentiment injuste ne tarda pas à se modifier ; il fit place à un projet :

Si je parviens à acquérir la conviction que les femmes donnent la préférence à l’or sur tous les sentiments humains, pensais-je, il est possible que, tout en méprisant la vie terrestre, j’en arrive à ne plus autant souffrir. À l’œuvre ! Je jure qu’excepté la violence et le mensonge, j’emploierai, pour réussir auprès des femmes, toutes les séductions, tous les moyens que procure la richesse. Je ne me laisserai prendre ni aux sourires, ni aux protestations, ni aux larmes. Je resterai un froid, un implacable observateur ; j’expérimenterai sur les âmes comme les médecins font sur les corps !… À l’œuvre ! Et je partis.

Mon premier voyage en Europe me confirma plus que jamais dans mon opinion… Partout mon or triompha ! Celles qui n’acceptèrent pas mes onces, m’aimèrent parce qu’elles me savaient riche, ou, comme on dit dans le style de l’amour civilisé, parce que j’étais un magnifique parti !… Je vous le répète, partout l’influence de mon or triompha !… Pourtant j’avais beau me plonger dans le tourbillon des plaisirs, le souvenir de Carmen me poursuivait toujours sans pitié et sans trêve. L’adorable et trompeur visage de celle que j’avais si éperdument aimée m’apparaissait au milieu de l’orgie, et glaçait le rire sur mes lèvres !… Peu à peu je me pris à regretter mon existence du désert. La satiété se faisait sentir. Je repartis pour la Californie !… Ce que la dissipation n’avait pu me donner, l’oubli, je le demandai à la fatigue. On ignorait mes richesses, je me fis batteur d’estrade. Alors commença pour moi une nouvelle existence. Allié à la plupart des tribus indiennes, disposant, par mon or de tous les aventuriers dont je pouvais avoir besoin, je devins en peu d’années le maître absolu du désert. Je me mêlais avec une fiévreuse activité à toutes les intrigues, à toutes les entreprises, à tous les combats ; je recherchais les fortes émotions du danger et de la violence, de même qu’un voyageur, haletant de soif, aspire après une source d’eau vive. Combien de crimes qui, sans moi, seraient restés impunis, ont été suivis d’un châtiment mystérieux et terrible !

Que vous dirai-je, comte ? ce rôle de Providence finit par me paraître monotone. Je résolus de retourner en France. Ce second voyage ne différa en rien du premier ; j’obtins le même résultat dans mes expériences. Mon or finissait fatalement par avoir raison. Depuis cette époque jusqu’à ce jour, je me suis arrangé et j’ai mené une double existence : je dépense mes immenses richesses en Europe, où l’on me connaît comme millionnaire, et je reviens me guérir de la satiété au désert. Ici, du moins, on ne sait de moi que ma réputation de batteur d’estrade. Je cesse d’être obsédé par les courtisans et les parasites. Il y a même, par-ci par-là, quelques pauvres Indiens qui sont assez contents quand je vais frapper à la porte de leur wigwam. Ils m’offrent le calumet, me donnent de l’eau-de-vie et m’appellent leur frère ! Ce sont d’assez braves gens… Ils s’égorgent bien un peu entre eux, mais, du moins, ils possèdent un esprit de dignité et d’indépendance qui les rend bien supérieurs aux Européens ! Quant à leurs femmes, je les tiens en grande estime… Ce sont de véritables bêtes de somme… Elles ne parlent jamais de sentiment.

À mesure que Joaquin Dick avançait dans son récit, sa parole devenait de plus en plus brève et railleuse ; enfin il s’arrêta.

— Et maintenant, señor Joaquin, dit le comte d’Ambron, êtes-vous parvenu à vous affranchir du souvenir de Carmen ?

— Carmen ! je n’y pense plus ! J’ai trouvé depuis lors tant de Carmen !

Le Batteur d’Estrade fit cette réponse d’un ton dégagé ; mais presque aussitôt des larmes mouillèrent ses paupières.

— À quoi bon mentir ? murmura-t-il : Carmen, cette infâme qui a brisé mon avenir, qui, de bon que m’avait fait Dieu, m’a rendu méchant et cruel… eh bien ! je l’aime comme jamais je ne l’ai plus aimée aux jours de ma jeunesse… je l’aime à ce point, que je suis presque jaloux de vous entendre prononcer son nom ; je l’aime encore tellement que, devant vous, un homme, je ne puis ni retenir mes larmes ni dissimuler ma honteuse faiblesse. Oh ! qui me délivrera de son souvenir !… L’oublier… non… je ne le voudrais pas !

Depuis que Joaquin Dick avait terminé son récit, le comte d’Ambron avait un air de froideur qui ne lui était pas habituel : il pensait que le Batteur d’Estrade n’avait pas dit un mot d’Antonia, dont la ressemblance avec Carmen était si extraordinaire, et ce silence lui fournissait matière à de graves pensées.

Il se disposait à aborder résolument cette question si délicate et si brûlante, lorsque plusieurs coups de marteau lui annoncèrent l’arrivée d’un visiteur.

Peu après, miss Mary faisait son entrée dans le salon.

Les deux hommes se levèrent et la saluèrent.

— Ne vous dérangez pas, messieurs, dit miss Mary, sans accepter le siège que M. d’Ambron lui offrait, je n’ai que peu de mots à dire. Restez, señor Joaquin, je vous prie.

La jeune fille fit une légère pause, puis s’adressant directement au comte d’Ambron :

— Le marquis de Hallay m’a appris hier soir, monsieur, après votre départ, qu’il avait eu une querelle avec vous, et il a ajouté que, craignant que le motif de cette altercation ne fût mal interprété par la société de San-Francisco, il me serait infiniment obligé si je parvenais à vous faire agréer ses excuses… C’est cette commission que je viens remplir… Il reste donc bien entendu, monsieur le comte, car j’ai foi en votre générosité, que cette affaire n’aura aucune suite et sera considérée comme non avenue.

Les deux hommes se regardèrent ; M. d’Ambron ne cachait pas son étonnement, Joaquin Dick ne dissimulait pas son sourire.

— Je vous avouerai, miss Mary, répondit le jeune homme, que j’étais loin de m’attendre au plaisir et à l’honneur de votre visite, et bien moins encore au message dont vous avez bien voulu vous charger. Si M. le marquis se déclare satisfait, soit, cela le regarde : c’était lui qui me demandait une réparation. Permettez-moi, néanmoins, de trouver étrange, au point de vue de la régularité et des convenances, qu’il ait cru devoir vous choisir pour être l’intermédiaire de ses intentions. Quant à vous, miss Mary, veuillez agréer, je vous en conjure, toutes mes excuses et tous mes remercîments pour le dérangement, bien involontaire au reste, que je vous ai occasionné.

La jeune fille fit une légère inclination de tête et se dirigea vers la porte ; M. d’Ambron s’empressa de la reconduire.

— Monsieur, lui dit-elle en arrivant dans la rue, j’aurai besoin aujourd’hui d’un cavalier pour m’accompagner dans une excursion aux environs de San-Francisco, et j’ai compté sur vous. Ai-je eu tort ?

— Je suis absolument à vos ordres, miss Mary.

— Merci, monsieur. Je vous attendrai à deux heures. Nous sortirons à cheval.

Lorsque le jeune homme remonta dans le salon, il vit Joaquin Dick, son chapeau à la main, et prêt à s’éloigner.

— Vous partez, señor Joaquin ? lui demanda-t-il.

— Oui. Je vais à mon rendez-vous avec le sorcier… Voulez-vous savoir son nom ?

— Quel nom ? celui de votre sorcier ?

— Oui.

— Dites.

— Il se nomme Lennox !… À bientôt, comte !