Le Batteur d'estrade (Duplessis)/II/XX

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A. Cadot (Tome IVp. 41-44).

XX

LE CONSEIL DE GUERRE.


Le Batteur d’Estrade ouvrit le premier la discussion. Il s’exprima en anglais, langue native de Lennox et de Grandjean, et que le comte d’Ambron comprenait et parlait également bien.

— Avant de combiner un plan et de nous arrêter à un parti définitif, dit-il, il est indispensable que nous sachions, Lennox, quelles sont les forces dont tu disposes. L’arrivée dans le désert de la troupe de M. de Hallay n’a pu te trouver désarmé, puisque tu connaissais longtemps à l’avance les intentions et les projets de cet homme !… Combien de guerriers ont répondu à ton appel ?

— Cinquante.

— Quoi ! pas davantage ? Tu n’as donc pas fait circuler la flèche rouge parmi toutes les tribus amies pour les convoquer à la bataille ?

— J’ai porté la flèche moi-même, Joaquin, et partout où je me suis présenté j’ai entonné mon chant de guerre. Mais, la plupart du temps, ma voix est restée sans écho… Que veux-tu ! les Peaux-Rouges, quoique très-supérieurs aux Européens, ne sont pas exempts non plus de défauts !… Leur cœur connaît l’envie… ma supériorité les blesse : ils sont jaloux de moi !

— Et ces cinquante guerriers que tu es parvenu à réunir, où sont-ils ?

— Ainsi que font les panthères pour les troupeaux, ils suivent l’ennemi pas à pas, dans l’ombre, profitant de ses imprudences et s’enrichissant de ses dépouilles, plus d’un dormeur isolé, plus d’une sentinelle avancée, plus d’un retardataire paresseux est déjà devenu la proie de mes enfants ! Oh ! je t’assure, Joaquin, que si nous n’étions pas pressés par les circonstances, si nous avions du temps devant nous, ces cinquante hommes nous suffiraient pour anéantir l’armée entière de de Hallay.

— Oui, mais nous n’avons pas le temps.

— Et c’est réellement dommage, car il n’existe pas pour le brave expérimenté une distraction plus agréable que celle d’avoir à détruire, avec une poignée de guerriers, un ennemi qui lui est dix fois supérieur par le nombre. Je n’approuve pas, moi, ces grandes boucheries humaines où le sang coule à flots. Il me semble que j’assiste à un monstrueux repas, où les convives se gorgent outre mesure de viande sans songer à leur nourriture du lendemain. L’excès qui amène la privation est une sottise. Aussi, pour éviter l’inaction et l’ennui, ai-je toujours eu soin de ménager mes ennemis ; de cette façon, ma carabine reste rarement oisive.

— Enfin, quelle est ton opinion, Lennox ?

— Mon opinion, Joaquin, est que tu partes à l’instant même pour aller chercher des renforts. Rien ne te sera plus facile que de réunir en peu de jours un nombre considérable de combattants, car ton pouvoir dans le désert est presque sans bornes. J’ignore quels sont les moyens que tu emploies ; ce qui est certain, c’est que pas une tribu indienne n’oserait discuter tes ordres.

— Et vous, monsieur d’Ambron, reprit le Batteur d’Estrade en se retournant vers le comte, quel est votre avis ?

In triste sourire glissa sur les lèvres décolorées du jeune homme.

— À quoi bon une pareille question, Joaquin ? dit-il, vous savez à l’avance quelle sera ma réponse.

— Moi, oui, c’est possible, mais Lennox l’ignore. Parlez !

— Ma conviction est que Dieu protège souvent les grandes témérités et les change parfois en miracles, quand elles ont pour unique mobile le triomphe de la justice et la punition des coupables ! Je suis intimement persuadé que cinquante Indiens, robustes, agiles et déterminés, qui se jetteraient à l’improviste sur les bandits du marquis, parviendraient à délivrer Antonia ! J’ajoute que si mon projet n’est pas pris en considération, je suis décidé à en courir personnellement la chance !…

Le Batteur d’Estrade s’adressa alors au Canadien :

— Et toi, Grandjean, que penses-tu ?

— Moi, monsieur ! dame ! je n’ose le dire.

— Pourquoi cela ?

— Parce que mon opinion n’est conforme ni à celle du seigneur Lennox, ni à celle du comte mon maître. Le respect me ferme la bouche.

— Parle ! lui dit M. d’Ambron.

Le Canadien, au lieu d’obéir tout de suite, consulta Lennox du regard : le vieux trappeur répondit à cette muette et respectueuse interrogation par un signe affirmatif de tête.

— Eh bien ! reprit Grandjean, je crois que le seul parti sage et sensé que nous ayons à suivre est celui de la retraite. Nous sommes à la veille de la saison des pluies et des froids : le gibier va devenir rare ; les chemins, envahis par la neige, seront bientôt impraticables ; qui sait si dans un mois le retour nous sera encore possible. Ah ! permettez monsieur d’Ambron, voici que vos yeux lancent la flamme et que vous allez vous mettre en colère… Vous auriez tort. N’est-ce pas vous-même qui m’avez ordonné de m’expliquer ? Je ne tenais nullement à prendre part à votre discussion. Qu’est-ce que cela me rapporte ?… pas un dollar ! Voulez-vous maintenant que je me taise ?… Soit ! je ne demande pas mieux.

— Continue, Grandjean, interrompit Joaquin Dick. Il te reste à nous apprendre quel est, selon toi, le moyen le plus efficace, si toutefois tu en entrevois un, pour délivrer la comtesse.

— Certes, seigneurie, je l’entrevois, ce moyen !… Seulement il est si simple, si peu ingénieux, que vous ne daignerez même pas le discuter !… Vous me traiterez d’idiot.

— Qu’importe !… dis toujours !…

— Au fait, cela, importe peu ! Seulement, permettez-moi, je vous en supplie, de procéder à ma guise. Une minute ou deux de perdues ne changeront en rien la position des choses, et donneront bien plus de clarté à mon raisonnement !

— Explique-toi comme tu voudras !

— J’ai beaucoup réfléchi, depuis : quinze jours, seigneurie, aux événements qui se sont passés au rancho de la Ventana, et j’en suis arrivé à la conviction inébranlable que M. de Hallay n’a pas enlevé doña Antonia par amour, mais simplement par cupidité.

— Par cupidité ? Qu’entends-tu par ce mot ?

— J’entends par ce mot, señor Joaquin, ce qu’il signifie. Cupidité veut dire pour moi, comme pour tout le monde, amour de l’argent : pas autre chose.

Joaquin tressaillit, et un éclair brilla dans ses yeux. Une idée subite venait, ainsi qu’un choc électrique, de faire vibrer son cerveau.

— Très-bien ! continue, dit-il froidement. Fais-nous connaître le motif ou la cause de ta conviction.

— Le bon sens ne me permet pas d’admettre que M. de Hallay ait été assez fou pour s’embarrasser, sans une puissante raison, de doña Antonia pendant la durée de sa longue expédition. Il n’ignorait pas que l’enlèvement de cette enfant devait, non-seulement lui valoir des ennuis sans nombre, mais encore lui susciter de puissants ennemis ! L’amour est certes capable, j’en conviens, de conduire les esprits faibles à de déplorables et ridicules résolutions, mais mon ancien maître, M. de Hallay, est, soyez-en convaincu, une forte tête ! S’il a emmené doña Antonia avec lui, s’il la retient toujours prisonnière, c’est qu’il espère retirer d’elle une énorme rançon. Ah ! permettez, monsieur d’Ambron ; si vous m’interrompez, au lieu de deux minutes, ce sera une demi-heure que je vous ferai perdre. Du reste, je n’ai plus que quelques mots à ajouter. À présent, je suppose que M. de Hallay ait cédé à un entraînement de l’amour. Il n’ignore pas, en admettant que son accès ne soit pas encore tout à fait passé, qu’un jour ou l’autre il faudra bien qu’il finisse par se séparer de doña Antonia. Comment croire qu’avec une telle certitude il serait assez insensé pour retenir sa prisonnière si on lui offrait une bonne somme d’argent ? Je sens, moi, que, si j’avais le malheur d’aimer une femme, je n’hésiterais pas à m’en défaire pour dix piastres. Mon opinion est donc qu’avant d’engager une lutte dans laquelle nous n’aurons assurément pas le dessus, car notre infériorité numérique est trop marquée, l’on tâche d’entrer en arrangement avec l’ennemi.

Il avait fallu que M. d’Ambron déployât toute sa force de caractère et se rappelât sans cesse quel homme était Grandjean, pour ne pas laisser éclater toute son indignation.

À peine le géant eut-il cessé de parler, que le comte interpella le Batteur d’Estrade.

— Terminons-en promptement, Joaquin, s’écria-t-il. Il ne nous reste plus qu’à connaître votre opinion. De grâce, ne me faites pas languir ; j’ai hâte de passer du discours à l’action. Êtes-vous d’avis d’attaquer tout de suite, ainsi que je le propose, ou bien d’attendre des renforts, ainsi que le conseille Lennox ?

Joaquin Dick eut un singulier et profond sourire, qui rendit pour un instant la sérénité et comme un reflet de jeunesse à son visage flétri et ravagé par la douleur.

— Comte, dit-il lentement, Lennox a consulté sa prudence ; vous, vous avez parlé avec votre cœur ; mais Grandjean seul nous a fait entendre le langage de la raison. Je le range donc entièrement à son avis et je vais me rendre sur l’heure auprès de M. le marquis de Hallay.

Un assez long silence suivit cette réponse. M. d’Ambron, en proie à un étonnement extrême, se demandait si les paroles qui bourdonnaient encore à ses oreilles étaient bien réellement sorties des lèvres de Joaquin Dick, ou s’il n’était pas plutôt lui-même sous l’empire d’une hallucination ; il doutait du témoignage de ses sens.

Le vieux chasseur, ses yeux fixés sur le Batteur d’Estrade, le front soucieux, l’air plus solennellement rogue que jamais, réfléchissait profondément. Quant au Canadien, il n’était pas le moins du monde surpris de la preuve de pénétration qu’il achevait de donner : il avait si bien étudié le cœur humain depuis deux semaines !

Joaquin Dick, après s’être levé, allait partir sans entrer dans aucune autre explication, lorsque Lennox, se plaçant devant lui :

— Où vas-tu ainsi ? lui demanda-t-il en lui barrant le passage.

— Je te l’ai déjà dit, trouver le marquis de Hallay.

— Non, Joaquin, tu n’iras pas !

— Qui m’en empêchera ?

— Ta loyauté…

— Ma loyauté !… Comment cela ?

— Oh ! n’affecte pas cet air surpris, tu sais parfaitement bien ce que je veux dire.

— Non !

La spontanéité et le ton de franchise de cette négation parurent diminuer la méfiance de Lennox, mais non pas la dissiper entièrement.

— Joaquin, reprit-il, lorsque le nom d’Antonia, que tu as prononcé tout à l’heure par hasard, nous a fait rengainer nos couteaux et, au lieu d’en venir aux mains, souscrire une mutuelle alliance, j’ai compris que si je te sacrifiais mes intentions, toi, de ton côté, tu t’engageais à me laisser ma vengeance !…

— Tu as bien compris !

— Alors, pourquoi veux-tu te rendre auprès de de Hallay ?…

— Mais, je te le répète, pour traiter de la rançon d’Antonia.

— Et si, comme je n’en doute pas, il le refuse ?

— Ce sera tant pis pour lui.

— Tu le tueras ? tu vois !

— Pas du tout ! je m’éloignerai sans rien tenter contre sa personne.

— Tu me le jures, Joaquin ?

— Je te le jure !

— Mais, en ce cas, votre démarche est aussi inutile pour Antonia que dangereuse pour vous, señor ! s’écria M. d’Ambron.

— Pourquoi donc, comte ?

— Parce que vous savez parfaitement que M. de Hallay, quelque déchu qu’il soit, n’est pas encore tombé assez bas pour accepter un si honteux marché !… Il y a dans sa dégradation la fougue et l’énergie qui font les assassins, et non pas la lâcheté qui fait l’ignoble et vil coquin !…

Joaquin sourit, comme il souriait jadis lorsque son cœur, ulcéré par la prétendue trahison de Carmen, était si hostile à la nature humaine, si peu croyant à la vertu !

— Cher comte, dit-il, avant de prétendre que le de Hallay repoussera ma proposition, vous auriez dû vous informer d’abord du taux de la rançon que je dois lui offrir ! Les chiffres ennoblissent singulièrement certaines transactions !… Rappelez-vous le mot naïf et profond de la reine Anne d’Autriche !… « Vous m’en direz tant ! » Certes, le don de quelques dollars isolés constitue une insulte, mais l’hommage de beaucoup de dollars réunis et qui s’appellent alors million, c’est différent ! Les périphrases pompeuses abondent pour motiver et honorer ces grands mouvements de capitaux !… Le de Hallay a de vives passions et une haute intelligence. Il acceptera…

Cette explication, qui aurait dû combler de joie le jeune homme, puisqu’elle présentait pour Antonia une sérieuse chance de succès dans un avenir très-prochain, avait amené, au contraire, un nuage sur son front. Il se disposait à répondre, lorsque Joaquin, lui prenant les mains et baissant la voix :

— Cruel enfant, lui dit-il, qui ne veut pas que le salut d’un ange serve de réhabilitation à un cœur coupable et repentant ! Ce n’est pas de la magnanimité, Luis, c’est de l’orgueil !

Il y avait tout à la fois dans la parole du Batteur d’Estrade une si touchante et imposante expression de reproche, de tendresse et d’autorité, que M. d’Ambron se sentit attendri et subjugué. Il lui serra longuement la main.

— Joaquin, lui répondit-il, vous êtes grand dans tout ce que vous faites, grand dans le vice comme dans la vertu. J’accepte. Merci.

— Au revoir ! s’écria le Batteur d’Estrade, en s’adressant tant au comte qu’à Lennox et au Canadien. Vous aurez bientôt, demain sans doute, des nouvelles de la pauvre prisonnière. Lennox, ne perds pas une minute pour amener tes Peaux-Rouges ; Grandjean, n’oublie point que j’ai donné à M. d’Ambron droit de vie et de mort sur toi. Vous, comte, tâchez de bien dormir ce soir ; car vous êtes faible encore, et il est probable que d’ici à longtemps vous n’aurez plus une nuit entière de repos !

— Où retrouverons-nous votre seigneurie ? demanda Grandjean.

— Ne vous inquiétez pas de moi. Vous me reverrez lorsque le moment d’agir sera venu. En attendant, suivez avec prudence la piste des bandits. Au revoir.

Le Batteur d’Estrade ramassa sa carabine, qu’il avait déposée à terre, la jeta en bandoulière derrière son épaule droite, et s’enfonça dans l’intérieur du bois. Après un quart d’heure d’une marche aussi aisée et rapide que s’il eût parcouru une plaine, Joaquin s’arrêta et se mit à écouter avec attention. Bientôt un doux sourire, à peine ébauché, glissa sur ses lèvres.

— Brave ami ! murmura-t-il, il m’attend toujours !…

Le Batteur d’Estrade modula alors un sifflement tout particulier, dont les notes ténues et prolongées devaient, quoiqu’elles ne fussent pas éclatantes, s’entendre de fort loin.

Presque aussitôt, la tête fine et nerveuse du cheval Gabilan apparut, méfiante et soupçonneuse, au-dessus d’un épais buisson.

Le noble animal, à la vue de son maître, poussa un hennissement contenu, mais joyeux, et s’élançant vers lui, le rejoignit en quelques bonds.

Joaquin passa sa main droite dans l’épaisse crinière de Gabilan, puis de la gauche il se mit à lui caresser le garot.

Gabilan, quoique évidemment flatté de cette marque de tendresse, paraissait inquiet ; le cou recourbé par un mouvement de cygne, il flairai de ses naseaux élastiques et mobiles l’épaule de son maître.

— Il se passe en toi quelque chose d’extraordinaire, mon bon Gabilan ; tu as l’esprit tout agité, lui dit Joaquin, absolument du même ton qu’il aurait pris en parlant à une personne. Ah ! je devine ! Fi ! le vilain jaloux, qui s’imagine que je lui ai donné un remplaçant ! Non, Gabilan, je n’ai point revu Tordo ; tu es toujours mon seul, mon unique, mon préféré compagnon de combats et d’aventures.

Au tressaillement nerveux qui agita les flancs noirs, lustrés et polis comme du marbre de l’admirable bête, ou eût été tenté de croire qu’elle comprenait et admettait la justification de son maître. Cette scène bizarre, qui reliait par une mystérieuse et sympathique affinité deux organisations placées à des échelons si différents dans l’ordre de la création, l’homme et la brute, formait un petit tableau de genre d’une sauvagerie pleine d’élégance et de fraîcheur. Joaquin détacha d’abord la bride, qu’avant de laisser errer son cheval dans le bois il avait roulée autour de son cou, afin de lui laisser une plus grande liberté de mouvements et ne pas l’exposer à être retenu prisonnier par les lianes ; il plaça ensuite sur le dos de Gabilan une espèce de manteau-couverture imperméable et de couleur sombre, puis s’élançant enfin sur cette selle improvisée, il prit la direction de la rivière Gila.

Dix minutes plus i « M, Gabilan, averti par une double et presque insensible pression des genoux de son maître, sautait vaillamment de la berge dans l’eau, et, nageant avec une force et une aisance incroyables, ne tardait pas à prendre pied sur la rive opposée.

Il était alors environ cinq heures ; le jour décroissait avec cette rapidité qui, dans l’Apacheria, annule pour ainsi dire le crépuscule. L’endroit où Joaquin et Gabilan avaient abordé était une plaine crevassée de fondrières et bosselée de monticules irréguliers. De nombreux et gros blocs de pierres granitiques, aux formes étranges, s’étendaient à une distance considérable. Vus de loin à travers le crépuscule, ils ressemblaient à une légion de monstres fantastiques chargés de la garde des frontières indiennes.

Le Batteur d’Estrade fit gravir à sa monture une éminence assez élevée, puis il s’arrêta. Il apercevait brûler, à deux milles dans le lointain, et s’accroissant de seconde en seconde, une grande quantité de feux isolés et tremblants. Ces feux éclairaient le campement de la troupe du marquis. Joaquin étudia longtemps et avec soin la façon dont ils étaient disposés.

— Il y a parmi ce ramassis de bandits des gens habitués à la vie nomade et aux aventures du désert, murmura-t-il après son examen ; ce campement irréprochable ne saurait être l’effet d’un heureux hasard. Combien de sentinelles ?… Huit… Je passerai !… et d’hommes de garde pour les soutenir en cas de besoin ?… Une vingtaine… Ce ne serait pas assez pour soutenir une attaque sérieuse !

Le Batteur d’Estrade redescendit dans la plaine, mit pied à terre, et sifflant doucement son cheval qui se mit à le suivre avec l’intelligente docilité d’un chien de chasse, il s’avança dans la direction du campement.

Après avoir franchi une distance de plus d’un mille, il fit une nouvelle pause : il se trouvait alors au milieu d’un colossal amas de roches.

— Attends-moi ici sans bouger, Gabilan, dit-il à demi-voix.

Le cheval, entendant la voix de son maître, avait baissé les oreilles et allongé le cou, comme s’il eût craint de perdre un seul mot de ce qu’on allait lui dire.

Joaquin Dick sangla la ceinture de cuir qui lui serrait la taille, se recueillit un instant, et appuyant fortement ses deux mains sur son cœur pour en comprimer les battements désordonnés :

— Ô mon Dieu ! murmura-t-il, prenez en pitié les souffrances sans nom que j’ai endurées depuis quinze jours, et permettez que je revoie encore une fois mon enfant !