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Le Bhâgavata Purâna/Livre II/Chapitre 10

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Traduction par Eugène Burnouf.
Imprimerie royale (tome 1p. 147-152).
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CHAPITRE X.

ÉNUMÉRATION DES DIX CARACTÈRES.


1. Çuka dit : La création, la création secondaire, la conservation, la nourriture, les tissus, les Manvantaras et les récits relatifs au Seigneur, l’anéantissement, la libération, la demeure dernière, [tels sont les dix caractères de ce Purâṇa.]

2. Les sages, d’après les passages [cités] des Vêdas et l’objet [de chaque partie du Purâṇa], décrivent avec raison les neuf premiers caractères comme destinés à l’Intelligence complète du dixième.

3. On appelle création, la naissance des éléments, des molécules élémentaires, des sens et de l’Intelligence, création produite par Brahma, au moyen du mélange inégal des qualités ; la création secondaire vient de Purucha [devenu Virâdj].

4. On appelle conservation, le triomphe du Dieu qui habite le Vâikuṇṭha ; et nourriture, la faveur de ce Dieu. On appelle Manvantara, la loi des hommes vertueux ; et tissus, l’image des cérémonies reproduite par la mémoire.

5. On appelle récits relatifs au Seigneur, le récit des incarnations de Hari, et l’histoire des hommes qui suivent sa voie, ainsi que les nombreux épisodes qui y sont entremêlés.

6. On appelle anéantissement, le sommeil de l’âme [individuelle] s’endormant avec ses facultés [au sein de Hari] ; et libération, l’état de l’esprit une fois qu’il est rentré dans sa propre essence, après avoir abandonné toutes les autres formes.

7. On appelle demeure dernière, l’Être duquel se manifeste la création et l’anéantissement ; c’est cet Être qui reçoit les noms de Brahma suprême et de Paramâtman.

8. Ce Purucha, qui possède la spiritualité, possède aussi la divinité ; et outre ces deux attributs distincts l’un de l’autre qu’il réunit en lui-même, il possède encore la matérialité.

9. Comme nous ne concevons pas un de ces attributs sans admettre en même temps l’un des deux autres, celui qui les voit tous trois réunis [dans son sein], c’est l’Esprit [suprême], qui est la demeure dernière, et qui n’a d’autre asile que sa propre essence.

10. Purucha ayant divisé en deux parties l’œuf [de Brahmâ], lorsqu’il en sortit au commencement, réfléchit à se faire un lieu où il pût se mouvoir ; et pur, il créa les eaux pures.

11. Il habita sur ces eaux créées par lui, pendant mille années ; de là vient qu’il reçoit le nom de Nârâyaṇa, parce que les eaux qui sont nées de Purucha [sont appelées Nârâ].

12. Cet Être par la faveur duquel existent la matière, l’action, le temps, la disposition naturelle et l’âme individuelle, tandis que rien de tout cela n’existe plus quand il s’en retire,

13. Ce Dieu unique, songeant à devenir multiple, après s’être levé du lit de la méditation, produisit, à l’aide de Mâyâ, un germe de couleur d’or divisé en trois portions.

14. La divinité, la spiritualité, la matérialité, ces trois attributs sont l’Être suprême ; c’est ainsi que le germe unique de Purucha fut divisé en trois portions : voilà ce que tu dois apprendre.

15. De l’éther contenu dans le corps de Purucha qui se livrait à des mouvements variés, naquirent la vigueur [des sens], l’énergie [du cœur], la force [du corps], et ensuite le souffle de vie, le premier de tous les souffles.

16. Quand se meut le souffle de vie qui anime toutes les créatures, les sens se meuvent avec lui ; quand il cesse de se mouvoir, les sens cessent également, soumis à son empire comme des esclaves aux ordres d’un roi.

17. Du souffle de vie mis en mouvement, naquit au sein de l’Être suprême la faim et la soif ; et aussitôt qu’il eut éprouvé la soif et la faim, la bouche fut le premier organe qui s’ouvrit.

18. De la bouche se sépara le palais ; le goût y prit naissance ; du goût naquirent les saveurs diverses qui sont perçues par la langue.

19. L’Être qui prend tant de formes voulut parler : et de sa bouche sortit le feu, la voix, et la parole qui dépend de l’un et de l’autre ; mais l’extinction [de la voix] naquit bientôt dans son gosier,

20. Le mouvement répété de la respiration divisa les narines ; le vent, véhicule des odeurs, y parut avec l’odorat qui prit naissance dans le nez, quand le besoin de flairer se fit sentir.

21. Tout était obscur dans l’Être primitif ; il voulut se voir lui et les choses : et les yeux s’ouvrirent, et le soleil y prit place avec la vue qui perçoit l’attribut de la forme.

22. Réveillé par le son des Vêdas, il voulut saisir la cause de son réveil : et les oreilles s’ouvrirent, et les divers points de l’espace y entrèrent avec l’ouïe, qui perçoit l’attribut du son.

23. Il voulut percevoir la rudesse, le poli, la légèreté, la pesanteur, la chaleur et le froid des corps : et la peau prit naissance, et à sa surface naquirent les poils et les montagnes ; le vent, avec l’attribut tangible que perçoit la peau, l’enveloppa à l’extérieur comme à l’intérieur.

24. Le désir de faire des actions diverses souleva ses mains : et Indra vint s’y placer avec la force, et avec l’action de prendre en qui résident à la fois Indra et la force.

25. Il voulut se diriger vers l’endroit où son désir l’entraînait : et les pieds parurent ; c’est, en effet, au moyen des pieds que les hommes exécutent, avec des cérémonies, le sacrifice qui est Yadjña lui-même.

26. Il désira des enfants, le plaisir et l’immortalité : et l’organe de la génération s’ouvrit, et le sens de cet organe y parut avec le plaisir de la jouissance en qui résident [le Dieu de l’organe et le sens].

27. Il voulut se débarrasser du résidu des substances contenues dans son corps : et les organes excrétoires s’ouvrirent, puis vinrent s’y placer le sens de ces organes, Mitra, et l’émission même en qui résident [le Dieu de l’organe et le sens].

28. Voulant sortir du corps qu’il habitait pour aller dans d’autres corps, il poussa au dehors sa respiration : et la porte du nombril s’ouvrit ; et le souffle expiré y parut, puis Mrĭtyu, puis la séparation (la mort) en qui résident [le Dieu de l’organe et le sens].

29. Il voulut boire et manger : et le ventre avec les veines et les entrailles prit naissance ; les fleuves et les océans s’y placèrent avec l’alimentation et la nutrition dans lesquelles résident [le Dieu de chacun de ces organes et le sens].

30. Il voulut méditer sur sa Mâyâ : et le cœur s’ouvrit ; puis le sentiment y parut, puis Tchandra (la lune), avec la volonté et le désir.

31. Les sept substances dont se compose le corps, savoir, l’épiderme, la peau, la chair, le sang, le suc de la chair, la moelle, les os, sont formées de la terre, de l’eau et du feu ; le souffle de vie l’est de l’éther, de l’eau et du vent.

32. Les sens sont formés des attributs élémentaires ; les attributs élémentaires eux-mêmes dérivent du principe des éléments ; le cœur est l’essence de toutes les transformations ; l’intelligence a pour forme la connaissance distincte.

33. Ce que je viens de te décrire, c’est la forme solide de Bhagavat, laquelle est entourée, à l’extérieur, par les huit enveloppes de la terre et des autres principes.

34. Mais il est une autre forme distincte de celle-là, essentiellement subtile, insaisissable aux sens, privée d’attributs, sans commencement, ni milieu, ni fin, permanente, qui échappe à l’intelligence et au langage.

35. De ces deux formes de Bhagavat que je viens de te décrire, les sages n’admettent pas plus l’une que l’autre [comme réellement existantes], parce qu’elles sont toutes deux l’œuvre de Mâyâ.

36. Sous la forme de Brahmâ, Bhagavat, doué des attributs du nom et de ce qui doit être nommé, donne naissance aux noms aux formes et aux actions, supérieur et réellement étranger à l’action, quoiqu’il s’y livre [en apparence].

37. C’est ainsi qu’il crée séparément les Pradjâpatis, les Manus, les Dêvas, les Rĭchis, les troupes des Pitrĭs, les Siddhas, les Tchâraṇas, les Gandharvas, les Vidyâdharas, les Asuras et les Guhyakas,

58. Les Kinnaras, les Apsaras, les Nâgas, les Sarpas, les Kim̃puruchas et les Uragas, les Mâtrǐs, les Rakchas et les Piçâtchas, les Prêtas, les Bhûtas et les Vinâyakas,

59. Les Kûchmâṇdas, les Unmâdas et les Vêtâlas, les Yâtudhânas et les Grahas, les volatiles, les quadrupèdes, les animaux domestiques, les végétaux, les montagnes, les animaux qui rampent ;

40. Les êtres habitant le ciel, la terre et les eaux, qui se meuvent ou ne se meuvent pas, et qui naissent de quatre manières différentes ; enfin les voies qui résultent des œuvres, c’est-à-dire, la bonne voie, la mauvaise voie, et la voie intermédiaire.

41. Aux trois qualités, de la Bonté, de la Passion et des Ténèbres, correspondent trois voies, celle des Suras, celle des hommes et celle des Enfers ; et chacune de ces voies à son tour est triple, selon que la qualité qui lui est propre est effacée par une des deux autres.

42. Bhagavat est encore le soutien du monde, lui qui, sous la forme de la justice, fait prospérer cet univers, qu’il conserve en revêtant les apparences variées de l’animal, de l’homme et du Dieu.

43. Puis, sous les formes de Kâla, du feu et de Rudra, cet univers qu’il a créé de lui-même, il l’anéantit, quand le temps est venu, comme le vent dissipe les nuages amoncelés.

44. Telle est la forme sous laquelle la tradition représente Bhagavat, le plus parfait de tous les êtres ; mais les sages ne doivent pas voir l’Être suprême dans cette forme.

45. Car elle n’appartient pas à l’Être suprême se livrant aux actes de la création, de la conservation et de la destruction de l’univers ; on ne la lui attribue que pour nier qu’il soit actif, puisqu’elle est uniquement le produit de Mâyâ.

46. Or, c’est là ce qu’on résume sous le nom de Kalpa de Brahmâ, y compris les subdivisions nommées Vikalpas, périodes pendant lesquelles ont lieu les créations primitives et les créations secondaires, élément commun de tous les Kalpas.

47. Je t’exposerai plus bas la mesure de la durée, et la forme et les subdivisions d’un Kalpa ; tu apprendras ainsi ce que c’est que le Kalpa appelé Pâdma.

ÇÂUNAKA dit :

48. Tu nous as dit, ô Sûta, que le guerrier Vidura, le plus parfait des serviteurs de Bhagavat, visita les étangs sacrés de la terre, ayant abandonné ses parents, ce qu’il est si difficile d’abandonner :

49. Où donc eut lieu, entre Vidura et Kâuçâravi (Mâitrêya), l’entretien relatif à l’Esprit suprême ? Quelle vérité ce bienheureux sage, interrogé par le guerrier, lui enseigna-t-il ?

50. Raconte-nous, ami, l’histoire de Vidura, la cause pour laquelle il abandonna sa famille, et pourquoi il revint ensuite.

SÛTA dit :

51. Ce que le grand solitaire Çuka, interrogé par le roi Parîkchit, répondit à ses demandes, écoutez, je vais vous le redire, en suivant l’ordre des questions du roi.


FIN DU DIXIÈME CHAPITRE, AYANT POUR TITRE :
ÉNUMÉRATION DES DIX CARACTÈRES,
DANS LE DIXIÈME LIVRE DU GRAND PURÂṆA,
LE BIENHEUREUX BHÂGAVATA,
RECUEIL INSPIRÉ PAR BRAHMÂ ET COMPOSÉ PAR VYÂSA.