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Le Bhâgavata Purâna/Livre III/Chapitre 25

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Traduction par Eugène Burnouf.
Imprimerie royale (tome 1p. 282-286).
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CHAPITRE XXV.

PRATIQUE DE LA DÉVOTION.


ÇÂUNAKA dit :

1. Bhagavat, l’Être incréé, est né de lui-même à l’aide de la Mâyâ dont il dispose, sous le nom de Kapila, le promulgateur de la doctrine Sâm̃khya, dans le but de faire connaître aux hommes ce que c’est que l’Esprit.

2. Mes sens ne peuvent se rassasier de la gloire de ce sage, le plus excellent d’entre les hommes, le plus parfait de tous les Yôgins, en qui le monde célèbre un Dieu

3. Expose-moi donc, car j’ai la foi, les actions si dignes d’être racontées qu’accomplit, à l’aide de sa Mâyâ, Bhagavat, qui est essentiellement indépendant.

SÛTA dit :

4. Voici ce que le bienheureux Mâitrêya, l’ami de Dvâipâyana, répondit, la joie dans le cœur, à Vidura qui, par une question semblable, lui demandait la science de l’Esprit.

5. Mâitrêya dit : Quand son père Kardama fut parti pour la forêt, Kapila, qui était Bhagavat lui-même, voulant satisfaire sa mère, fixa son séjour dans l’ermitage de Vindusaras.

6. À la vue de son fils qui, assis dans une inaction complète, montrait le terme de la voie des principes, Dêvahûti, se rappelant la parole du Dieu créateur, lui parla de la manière suivante.

7. Dêvahûti dit : Je suis fatiguée pour toujours, ô toi qui revêts tant de formes, de l’ardeur coupable des sens ; au moment où je l’ai satisfaite, je suis tombée dans une obscurité profonde.

8. Grâce à ta faveur, j’ai en ce jour, au terme de mes existences, obtenu, dans ta personne, une vue parfaite et capable de franchir ces ténèbres épaisses si difficiles à traverser.

9. Ô toi qui es Bhagavat, le premier des Esprits et le souverain Seigneur, toi l’œil du monde, tu es pour l’univers plongé dans les ténèbres comme le soleil qui vient de se lever.

10. Daigne donc, Être divin, dissiper mon ignorance, qui n’est que cette illusion qui nous fait dire à tort : « Moi et le mien, » illusion que tu as embrassée toi-même au sein de ce corps.

11. Aussi cherchant un asile auprès de toi qui es secourable, de toi qui abats, pour le bien de tes serviteurs, l’arbre du monde, j’adore, dans le désir de distinguer la Nature de l’Esprit, le plus parfait de ceux qui connaissent la loi des hommes vertueux.

12. Mâitrêya dit : Ayant appris par ces paroles le souhait irréprochable de sa mère, ce souhait qui augmente chez les hommes le désir de la délivrance, le Dieu qui est la voie des hommes vertueux et maîtres d’eux-mêmes, lui répondit, le cœur plein de satisfaction, et le visage embelli par un léger sourire.

13. Bhagavat dit : Le Yoga qui a pour objet l’Esprit suprême, est établi par moi comme le moyen qu’ont les hommes d’obtenir la béatitude absolue ; c’est là que se trouve le terme définitif du bonheur et du malheur.

14. Voilà la doctrine que je vais t’exposer ; c’est cette doctrine que je communiquai jadis, femme vertueuse, aux Rǐchis désireux de connaître le Yoga dans la perfection de toutes ses parties.

15. Le cœur est reconnu comme aussi propre à enchaîner l’âme individuelle qu’à la délivrer : attaché aux qualités, c’est un lien ; dévoué à Purucha, c’est un moyen de délivrance.

16. Lorsque délivré des souillures du désir, de la cupidité et des autres passions qui naissent du sentiment du moi et du mien, le cœur est pur, insensible à la peine comme au plaisir, égal pour tous,

17. Alors l’homme voit l’Esprit, absolu, supérieur à la Nature, uniforme, lumineux par lui-même, subtil, continu ;

18. Il le voit, dis-je, avec un cœur dévoué et détaché de toutes choses par la science, il le voit complètement impassible, et il reconnaît alors que la Nature est sans énergie.

19. Non, il n’y a pas pour les Yôgins de chemin qui puisse aussi heureusement les conduire à la possession de Brahma, que la dévotion qui s’applique à Bhagavat, l’âme de toutes choses.

20. Les sages savent que rattachement aux choses est la chaîne indestructible de l’âme ; mais cet attachement même, quand il se porte sur les hommes vertueux, est un moyen infaillible de salut.

21. Les hommes patients, pleins de compassion et de tendresse pour tous les êtres, qui n’ont pas d’ennemis et sont calmes, qui sont bons et dont la vertu est la parure ;

22. Qui, avec une affection exclusive, ont pour moi une dévotion profonde ; qui pour moi renoncent aux œuvres, renoncent à leurs parents et à leurs familles ;

23. Qui, après s’être purifiés, écoutent et racontent les histoires dont je suis l’objet ; qui sont affranchis des diverses espèces de douleurs, parce que leur cœur est dirigé vers moi ;

24. Ce sont là les hommes vertueux, ô ma mère, les hommes libres de tout attachement ; tu dois les rechercher, car leur commerce fait disparaître le péché de l’attachement au monde.

25. Par suite de l’attachement qu’on porte aux hommes vertueux, les histoires qui font connaître ma puissance, deviennent, pour les oreilles et pour le cœur, des sources de félicité ; et du goût que l’on aura pour ces récits naîtront bien vite la foi, l’amour et la dévotion à celui qui est la voie de la délivrance.

26. Étant parvenu à se détacher entièrement, par une dévotion qui songe exclusivement aux œuvres de ma puissance, du bonheur que donnent les sens dans ce monde et dans l’autre, l’homme qui pratique le Yoga devra employer toute son énergie à saisir son esprit par les voies directes de cette doctrine.

27. Avec de l’indifférence pour les qualités de la Nature, avec une science développée par le détachement de toutes choses, avec la pratique du Yoga et une dévotion dirigée sur moi, l’homme, même au sein de ce corps [mortel], parvient à me posséder, moi qui suis l’essence de l’âme individuelle.

28. Dêvahûti dit : Qu’est-ce que cette dévotion qui t’est due, et dis-moi comment il faut que je m’y livre, pour que je puisse posséder promptement ton état, qui est la délivrance suprême ?

29. Ce Yoga dont tu as parlé, ô toi qui es la délivrance même, ce Yoga qui a pour but Bhagavat, et d’où résulte la connaissance des principes, quel est-il et quelles en sont les parties ?

30. Expose-moi tout cela d’une manière distincte, ô Hari ! Pour que moi, qui ne suis qu’une femme, et dont l’intelligence est lente, je puisse comprendre aisément, par ta faveur, ce qu’il est si difficile de comprendre.

31. Mâitrêya dit : Connaissant ainsi l’intention de sa mère, Kapila, plein d’affection pour celle dans le sein de laquelle il avait pris un corps, lui enseigna la doctrine où sont énumérés les principes, que l’on nomme Sâm̃khya, et qui embrasse la dévotion et le Yoga.

32. Bhagavat dit : Quand les sens, ces organes lumineux dont l’office est de saisir les qualités, agissant conformément à l’Écriture, se dirigent, dans l’homme dont le cœur est inébranlable, vers l’Être dont la Bonté est la forme ; quand leur action est naturelle

33. Et désintéressée, c’est alors qu’existe la dévotion à Bhagavat, vertu plus importante que la perfection, et qui consume l’enveloppe de l’Esprit, aussi vite que le souffle de vie fait digérer les aliments.

34. Les hommes qui, sans désirer de s’unir à moi, sont livrés au culte de mes pieds, qui n’agissent qu’à mon intention, et qui, dévoués à mon culte, unis les uns aux autres [par la commune affection qu’ils me portent], vénèrent les œuvres de ma puissance ;

35. Ces hommes vertueux, ô ma mère, voient mes belles formes divines, source de tous les biens, ces formes qui, avec des yeux bruns et des visages bienveillants, leur font entendre cette voix [céleste], digne objet de leurs désirs.

36. Le cœur transporté et les sens ravis par la vue de ces membres aimables, par ces mouvements gracieux, par ce sourire et par ces regards si nobles, par ces belles et harmonieuses paroles, ces sages se sentent bientôt, sans qu’ils en aient conçu le désir, conduits par la dévotion à cet état [de béatitude] qui échappe aux sens.

37. Ensuite ils obtiennent sans les désirer, dans le monde où je réside, moi qui suis l’Être suprême, et la possession de ma puissance magique, et mes huit facultés surnaturelles, conséquences légitimes [de leur dévotion], et la félicité parfaite de Bhagavat.

38. Ceux qui me sont dévoués, ô toi dont l’extérieur est si calme, ne périront jamais ; mon glaive, l’arme de celui dont les yeux restent toujours ouverts, ne les dévorera pas, eux pour lesquels je suis, ô ma mère, comme leur âme, pour lesquels je suis un fils, un ami, un maître, un allié, une divinité tutélaire.

39. Ceux qui, après avoir renoncé à ce monde et à l’autre, à leur âme qui est faite pour les habiter également tous les deux, aux êtres qui sont sous leur dépendance, et aux biens de la terre, tels que les richesses, les troupeaux, les maisons ;

40. Ceux, en un mot, qui après avoir abandonné toutes choses, m’adorent avec une dévotion exclusive, moi dont la face est tournée de tous côtés, franchissent la mort par ma faveur.

41. Non, hors de moi qui suis Bhagavat, le maître de la Nature et de l’Esprit, et l’âme de toutes les créatures, hors de moi, le danger redoutable ne connaît pas de terme.

42. C’est par la crainte qu’il a de moi que le vent souffle, par la crainte qu’il a de moi que le soleil éclaire, qu’Indra verse la pluie, que le feu brûle, que le Dieu de la mort marche.

45. Les Yôgins, pour obtenir la béatitude, viennent, à l’aide de la pratique de la dévotion, accompagnée de la science et du renoncement au monde, se réfugier sous la plante de mes pieds, où l’on est à l’abri de tout danger.

44. Enfin ce qui, dans ce monde, assure aux hommes le bonheur, c’est uniquement un cœur qui se donne à moi et qui s’y attache d’une manière solide par la pratique d’une ardente dévotion.


FIN DU VINGT-CINQUIÈME CHAPITRE, AYANT POUR TITRE :
PRATIQUE DE LA DÉVOTION.