Aller au contenu

Le Bhâgavata Purâna/Livre III/Chapitre 27

La bibliothèque libre.
Traduction par Eugène Burnouf.
Imprimerie royale (tome 1p. 295-298).
◄  XXVI.
XXVIII.  ►

CHAPITRE XXVII.

DISTINCTION DE LA NATURE.


1. Bhagavat dit : L’Esprit, quoiqu’au sein de la Nature, n’est pas modifié par les qualités qui n’appartiennent qu’à elle, parce qu’il est inaltérable, qu’il n’agit pas, et qu’il est exempt de qualités ; c’est comme le soleil dont l’image est reproduite dans l’eau.

2. Mais quand il s’attache aux qualités de la Nature, alors, troublé par le sentiment de la Personnalité, il se figure qu’il est agent.

3. Aussi, déchu de sa perfection, parce qu’en agissant il contracte des souillures qui résultent de son attachement [pour la Nature], il entre malgré lui dans la voie du monde, en descendant au sein de matrices bonnes, mauvaises ou intermédiaires.

4. Car quoique la réalité ne se trouve pas plus dans le monde que dans un songe où tout est vain, la nécessité de la transmigration ne cesse pas pour celui qui ne pense qu’aux objets extérieurs.

5. Voilà pourquoi il faut que par la pratique d’une ardente dévotion et par le détachement absolu, l’homme se rende peu à peu maître de son cœur qui s’est attaché à la voie coupable des sens.

6. Doué de foi, exercé aux pratiques du Yoga, telles que l’observation des devoirs religieux, une affection sincère pour moi, l’attention qu’on doit à mes histoires,

7. Une égalité complète à l’égard de tous les êtres, la bienveillance, le détachement, la chasteté, le silence et l’accomplissement du devoir en vue de ce qu’il y a de plus élevé ;

8. Satisfait de ce qui se présente à lui de soi-même, sobre, vivant en solitaire, habitant dans un lieu retiré, calme, charitable, compatissant, maître de lui ;

9. Ne s’attachant pas aux fausses opinions que l’on se fait de ce corps et de tout ce qui en dépend, parce qu’il a reconnu par la science la nature véritable de Prakrĭti et de Purucha ;

10. Affranchi des conditions auxquelles est soumise l’intelligence, ayant rejeté bien loin la vue de toute autre chose [que l’âme], s’étant saisi lui-même avec son propre esprit, comme la vue atteint le soleil [dont elle n’est pas distincte], et se voyant face à face,

11. Le sage perçoit au sein de sa Personnalité, qui n’existe réellement pas, un reflet de l’Être, qu’il voit exempt d’attributs, allié à la cause, éclairant l’effet, contenu dans toutes choses et unique.

12. De même qu’en voyant [dans l’intérieur d’une maison fermée] le disque du soleil reproduit sur le mur, on reconnaît que ce doit être l’eau qui le réfléchit [du dehors], et que de ce dernier fait on conclut qu’il est dans le ciel ;

13. Ainsi la Personnalité, qui a une triple forme, est conclue de l’existence des éléments, des sens et du cœur qui en sont comme le reflet ; et de la Personnalité à son tour, au sein de laquelle se réfléchit l’Être existant, est conclu l’Esprit qui voit la vérité.

14. Lorsque, dans ce monde, les molécules élémentaires, les sens, l’Intelligence et les autres facultés ont été anéanties par le sommeil [profond], au sein de la cause qui n’existe pas [pour nos organes], l’homme qui alors échappe au sommeil et à la Personnalité,

15. Et qui croit, mais à tort, au moment où sa Personnalité disparaît, que son âme qui ne périt pas est anéantie, de même que celui qui se croit mort parce qu’il a perdu ses richesses ;

16. L’homme, dis-je, qui ramène ainsi sur soi sa réflexion, atteint sa propre essence, qui est la demeure du sujet doué de Personnalité, et qui le saisit dans son sein.

17. Dêvahûti dit : La Nature, ô Brâhmane, ne permet jamais à l’Esprit de se séparer d’elle, parce qu’ils sont unis l’un à l’autre, et qu’ils sont tous deux éternels.

18. De même que la terre et l’odeur n’ont pas une existence distincte l’une de l’autre, non plus que la saveur et l’eau, ainsi l’Intelligence et l’Esprit suprême n’existent pas séparément.

19. Dès qu’existent les qualités de la Nature auxquelles l’Esprit ne peut pas s’unir, sans être, quoiqu’il soit inactif, enchaîné à l’action, comment arriverait-il au milieu d’elles à son unité absolue ?

20. Le danger redoutable [de la transmigration] qu’a fait cesser un instant la considération de la vérité, reparaît de nouveau, parce que la cause qui le produit n’est pas définitivement détruite.

21. Bhagavat dit : Par l’accomplissement désintéressé du devoir, par la pureté du cœur, par une dévotion ardente que ne cesse de nourrir l’attention prêtée aux récits dont je suis l’objet ;

22. Par la science qui connaît les principes, par le détachement le plus complet de toutes choses, par la pratique du Yoga jointe à de rudes pénitences, et par la contemplation profonde de l’Esprit,

23. La Nature consumée pour ainsi dire, même en ce monde, disparaît chaque jour successivement aux yeux de l’Esprit, comme se détruit le bois de l’Araṇi qui est la source du feu.

24. Abandonnée par l’Esprit qui a joui d’elle, et qui connaît pour toujours ses défauts, elle ne peut être une cause de malheur pour cet Être souverain qui subsiste dans sa propre grandeur.

25. Car comme un songe qui n’apporte à un homme endormi que de vaines images, cesse au réveil de lui faire illusion ;

26. Ainsi la Nature ne peut plus désormais opprimer celui qui, après en avoir reconnu l’essence, s’est uni de cœur avec moi et trouve son bonheur en lui-même.

27. Quand pendant la durée de nombreuses existences, le solitaire est ainsi exclusivement occupé de l’Esprit suprême ; quand il conserve partout, depuis ce monde jusqu’à celui de Brahmâ, une indifférence complète pour toutes choses ;

28. Qu’il est plein de dévotion pour moi et qu’il connaît la vérité, alors il atteint, grâce à mon immense bienveillance, ce qui constitue sa nature propre, c’est-à-dire cet état de béatitude que l’on nomme la délivrance absolue, et que l’on trouve dans mon sein.

29. Plein de constance et tranchant tous les doutes avec son regard, il parvient bien vite ici-bas à cet état que ne quitte plus, pour revenir [en ce monde], le Yôgin désormais débarrassé de son enveloppe subtile.

30. Quand le cœur du Siddha parfait n’est pas esclave des facultés surnaturelles dont il s’est acquis la possession par la pratique du Yoga et qui n’ont pas d’autre origine, alors il obtient le salut éternel qu’on ne trouve qu’en moi et où s’arrête le rire de la Mort.


FIN DU VINGT-SEPTIÈME CHAPITRE, AYANT POUR TITRE :
DISTINCTION DE LA NATURE,
DANS LE TROISIÈME LIVRE DU GRAND PURÂṆA,
LE BIENHEUREUX BHÂGAVATA,
RECUEIL INSPIRÉ PAR BRAHMÂ ET COMPOSÉ PAR VYÂSA.