Le Bhâgavata Purâna/Livre IV/Chapitre 2

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CHAPITRE II.

IMPRÉCATION DE DAKCHA.


1. Vidura dit : Comment Dakcha, qui aimait Satî, fit-il, au mépris de ce qu’il devait à une fille si chère, un affront à Bhava, le plus excellent des êtres doués de vertu ?

2. Comment quelqu’un pourrait-il haïr le maître de ce qui se meut comme de ce qui ne se meut pas, celui qui est sans inimitié, dont le corps est la quiétude même, qui trouve en lui-même son bonheur, celui qui est la grande Divinité de l’univers ?

3. Raconte-moi, ô Brâhmane, la haine du beau-père et du gendre, haine qui obligea Satî à renoncer à cette vie que l’on abandonne si difficilement.

4. Mâitrêya dit : Jadis les Rĭchis suprêmes, toutes les troupes des Immortels, les solitaires avec leurs disciples, et les Agnis, se trouvaient réunis au sacrifice célébré par les Créateurs de l’univers.

5. Là, en voyant entrer Dakcha, qui semblable par sa splendeur au soleil étincelant, illuminait de son éclat cette grande assemblée,

6. Les Rǐchis qui se trouvaient présents, l’esprit frappé de tant d’éclat, se levèrent tous de leurs sièges, en même temps que les Agnis, à l’exception de Viriñtcha et de Çarva (Çiva).

7. Le bienheureux Dakcha, traité avec le respect convenable par les chefs de l’assemblée, après s’être incliné devant Adja, le précepteur du monde, s’assit avec sa permission.

8. Mais voyant Mrǐḍa (Çiva) déjà assis avant lui, il ne put supporter ce manque de respect de sa part, et le regardant de travers comme s’il eût voulu le consumer, il s’écria :

9. Ô vous tous, Brahmarchis, Agnis et Dêvas, apprenez de moi quelle est la conduite des gens de bien ; car mes paroles sont exemptes d’ignorance et d’envie.

10. Cet être sans pudeur détruit la gloire des Gardiens du monde, lui qui, dans sa grossièreté, transgresse la règle suivie par les hommes vertueux.

11. Il est devenu mon disciple, puisqu’en présence du feu et des Brâhmanes, il a pris, comme aurait fait un homme vertueux, la main de ma fille, semblable à Sâvitrî.

12. Ce Dieu aux yeux de singe, qui a reçu la main de ma fille dont les yeux sont ceux d’une jeune gazelle, ne m’a pas même adressé une parole de respect, lui qui devait se lever à mon approche et venir me saluer.

13. J’ai donné, quoique malgré moi, ma fille à ce contempteur des cérémonies, à cet impur, à cet orgueilleux, à ce violateur de toutes les lois, comme on donne à un Çûdra la parole ravissante du Vêda.

14. Voyez-le entouré de Prêtas et de troupes de Bhûtas, semblable à un insensé, nu, les cheveux en désordre, riant et pleurant tour à tour, errer dans les demeures terribles des morts,

15. Et faisant ses ablutions avec la cendre des bûchers, ayant pour guirlande le collier des Prêtas, pour ornements des os humains, se prétendre Çiva (heureux), lui, ce misérable, ce fou, qui n’est aimé que des fous, ce chef des Pramathas et des Bhûtas, dont la nature n’est que ténèbres.

16. C’est cependant à ce chef d’insensés, à cet impur, à ce maniaque que j’ai donné ma fille vertueuse, cédant ainsi aux conseils du Très-Haut.

17. Après avoir de cette manière injurié Giriça qui ne répondait pas, Dakcha, portant de l’eau à ses lèvres, commença, dans sa colère, à le maudire.

18. Que ce Bhava, [s’écria-t-il,] le dernier de la troupe des Dieux, ne prenne pas avec Indra, Upêndra et les autres Divinités, sa part du sacrifice des Dêvas !

19. Mais, arrêté par les chefs de l’assemblée, Dakcha, après avoir lancé sa malédiction contre Giritra, sortit enflammé de colère, ô fils de Kuru, pour se rendre dans sa demeure.

20. De son côté, Nandîçvara, chef des serviteurs de Giriça, qui avait entendu l’imprécation, lança, le visage altéré par la rougeur de la colère, un anathème redoutable contre Dakcha et contre les Brâhmanes qui avaient approuvé les injures adressées à Çiva.

21. Qu’il se détourne de la vérité l’ignorant qui, préférant ce mortel et croyant Çiva différent [du principe suprême], injurie ce Dieu qui ne répond pas à l’injure !

22. Qu’attaché, dans les maisons, à de vils devoirs, il accomplisse, pour obtenir un bonheur vulgaire, la succession des cérémonies, privé d’intelligence par les déclarations du Vêda !

23. Que cet animal dont la pensée, absorbée par ce qu’il y a de plus bas, a perdu le souvenir de la voie de l’Esprit, que Dakcha soit toujours adonné aux femmes, et qu’il ait bientôt une tête de bélier !

24. Celui qui, au sein de l’ignorance que produit l’action, pense que c’est là la science, celui-là est un être stupide ; que ceux qui suivent ce contempteur de Çarva soient condamnés à rester ici-bas dans le cercle de la transmigration !

25. Que les ennemis de Hara, l’esprit égaré par le violent parfum de la liqueur enivrante qui sort des paroles fleuries du Véda, soient livrés à l’erreur !

26. Que ces Brâhmanes, mangeant toute sorte d’aliments, ne tenant à la science, aux mortifications et aux œuvres que pour en vivre, ne trouvant de plaisir que dans le corps, les sens et les richesses, parcourent le monde en mendiant !

27. Aussitôt qu’il eut entendu les malédictions qu’avait proférées Nandîçvara contre la race des Brâhmanes, Bhrǐgu lui répondit en lui lançant une imprécation, cette arme du Brâhmane qu’il est si difficile d’éviter.

28. Que ceux, [s’écria-t-il ,] qui observent les pratiques de Bhava et que ceux qui suivent leur exemple, soient des hérétiques, ennemis de la sainte Écriture !

29. Impurs, l’esprit égaré, couverts d’os et de cendres, les cheveux nattés, qu’ils aillent sacrifier à Çiva, dans les lieux où l’on se fait un Dieu de la liqueur spiritueuse et du suc qui fermente !

30. Parce que vous avez injurié les Brâhmanes et le Vêda, cette digue qui retient les hommes dans le devoir, à cause de cela vous êtes tombé dans l’hérésie.

31. Le Vêda, en effet, est pour les hommes la seule voie éternelle et heureuse ; c’est celle qu’ont suivie les anciens, celle dont Djanârdana est le fondement.

32. Après avoir blâmé ce Vêda suprême, pur, qui est la voie éternelle des gens de bien, marchez dans la doctrine hérétique dont le roi des Bhûtas, celui que vous suivez, est le Dieu.

33. Pendant que Bhrǐgu prononçait cette imprécation, le bienheureux Bhava sortit de l’assemblée, accompagné de sa suite, et paraissant un peu troublé.

34. Ensuite, ô guerrier habile à lancer la flèche, les Créateurs de l’univers, après avoir célébré durant mille années le sacrifice où Hari, le premier des êtres, doit être adoré,

35. Prirent le bain qui termine la cérémonie, au lieu où la Gag̃gâ s’unit à la Yamunâ, et, l’esprit exempt de passion, ils regagnèrent chacun leur demeure.


FIN DU SECOND CHAPITRE, AYANT POUR TITRE :
IMPRÉCATION DE DAKCHA,
DANS LE QUATRIÈME LIVRE DU GRAND PURÂṆA,
LE BIENHEUREUX BHÂGAVATA,
RECUEIL INSPIRÉ PAR BRAHMÂ ET COMPOSÉ PAR VYÂSA.