Le Bhâgavata Purâna/Livre IV/Chapitre 20

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CHAPITRE XX.

ÉLOGE DE PRǏTHU.


1. Mâitrêya dit : Bhagavat lui-même, l’être indestructible, chef à la fois et objet du sacrifice, satisfait des offrandes convenables du roi, [lui apparut] accompagné de Maghavan, et lui parla ainsi.

2. Bhagavat dit : Celui qui a interrompu ton centième sacrifice, sollicite son pardon ; consens à le lui accorder.

3. Les sages, ô roi, les gens de bien et les hommes vertueux évitent en ce monde de faire du mal aux créatures, parce que le corps n’est pas l’âme.

4. Si des hommes tels que toi se laissent égarer par la divine Mâyâ, le culte constant que l’on doit aux vieillards n’est plus désormais qu’une peine inutile.

5. Aussi l’homme qui sait que ce corps est le produit de l’ignorance, du désir et des œuvres, éclairé alors, ne s’y attache plus.

6. Quel est le sage qui, une fois détaché, irait dire mien de son corps, de la maison qu’il a élevée, de ses enfants et de ses biens ?

7. L’Esprit qui est un, pur, lumineux par lui-même, indépendant des qualités dont il est l’asile, qui pénètre partout, qui est absolu, qui est le témoin intérieur, et au dedans duquel il n’y a pas une autre âme, cet Esprit est distinct du corps.

8. L’homme qui reconnaît ces caractères à l’Esprit qui est en lui, reste indépendant des qualités de la Nature, quoiqu’il se trouve au milieu d’elles ; en effet il réside en mon sein.

9. Celui qui, plein de foi, me rend sans cesse, en accomplissant son devoir, un culte désintéressé ; sent peu à peu, ô roi, le calme pénétrer dans son cœur.

10. Détaché des qualités, fidèle aux bonnes doctrines, pur de cœur, il jouit de ce calme qui est mon état, qui est Brahma, qui est la délivrance absolue.

11. Celui qui reconnaît dans cet Esprit immuable un spectateur indifférent placé au milieu des éléments, des organes de la connaissance et du cœur, celui-là obtient l’éclat [suprême].

12. Le courant des qualités n’entraine que le corps subtil, ce composé distinct [de l’Esprit] que constituent la matière, les organes, la personnalité et l’intelligence. Aussi les sages restent-ils également inaltérables dans la prospérité et dans le malheur, parce que leur affection s’est attachée à moi.

13. Toujours égal, envisageant du même regard les positions élevées, moyennes et inférieures, maître de ton cœur et de tes sens dans la peine comme dans le plaisir, prépare-toi à protéger l’univers, entouré de tous les ministres que j’ai créés pour [te servir].

14. Le bonheur suprême pour un roi, c’est la défense de son peuple, parce qu’il assure ainsi la sixième partie des mérites que recueilleront ses sujets dans le monde futur ; mais s’il leur enlève l’impôt sans les protéger, il contacte leurs fautes, et ces fautes lui ravissent les fruits de sa propre vertu.

15. C’est pourquoi, attentif à la loi transmise par l’assentiment et par les usages des premiers d’entre les Brâhmanes, protège la terre avec un entier détachement ; et bientôt devenu pour le monde un objet d’amour tu verras arriver les Siddhas dans ta maison.

16. Demande-moi, chef des hommes, la faveur que tu désires, car je suis enchainé par tes qualités et par tes vertus. On ne m’obtient pas aisément à l’aide des sacrifices, des austérités ou du Yoga, parce que je me tourne vers ceux qui possèdent l’égalité d’âme.

17. Mâitrêya dit : Ainsi éclairé par tes conseils de Vichvaksêna, du Précepteur des mondes, le roi vainqueur reçut en inclinant la tête les instructions de Hari.

18. Embrassant avec affection Çatakratu, qui, honteux de sa conduite, s’inclinait à ses pieds, il bannit de son cœur tout ressentiment.

19. Ensuite Bhagavat, l’âme de l’univers, après avoir reçu tes honneurs de l’hospitalité de Prĭthu, qui embrassait avec les transports d’une ardente dévotion le lotus de ses pieds,

20. Manifesta l’intention de s’éloigner ; mais à la vue du roi, le Dieu aux yeux de lotus, retenu par son affection pour les hommes vertueux qu’il aime, ne put se décider à partir.

21. Tenant ses mains jointes, le premier des rois, les yeux baignés de larmes, ne put regarder Hari ; il ne put, avec sa voix étouffée par les sanglots, prononcer aucune parole, et il resta immobile, embrassant en son cœur le Dieu qu’il y retenait.

22. Puis essuyant ses larmes et ouvrant les yeux, il s’adressa ainsi à Purucha, pendant que ses regards contemplaient sans se lasser le Dieu dont les pieds touchaient la terre, et dont la main reposait sur l’épaule élevée de l’oiseau ennemi des serpents.

23. Prĭthu dit : Ô Seigneur ! Ô toi qui es le premier des êtres généreux ! Comment un sage pourrait-il te demander des faveurs réservées aux Dieux qu’anime le sentiment de la personnalité, et même aux mortels condamnés à l’Enfer ? Non, je ne les ambitionne pas, ô souverain maître de la délivrance absolue.

24. Je n’aimerai jamais, Seigneur, les lieux où l’on ne voit pas le nectar du lotus de tes pieds tomber de la bouche des sages magnanimes qui le laissent échapper de leurs cœurs. Donne-moi dix mille oreilles [pour les entendre] ; c’est là la faveur que je sollicite.

25. Le vent qui accompagne une seule goutte de l’ambroisie du lotus de tes pieds, ô toi dont la gloire est excellente, au moment où elle tombe de la bouche des sages, réveille la mémoire des mauvais Yôgins même qui marchent dans l’oubli de la vérité. Quant à nous, nous n’avons pas besoin d’autres faveurs.

26. Comment, ô Dieu glorieux, l’homme qui, dans une assemblée respectable, a entendu, ne fût-ce qu’une fois et en passant, ta gloire fortunée, pourrait-il, s’il en connaît les vertus et s’il n’est pas un animal stupide, cesser de l’écouter, quand on voit Çrî, dans son ardeur à réunir tous les mérites, préférer à tout cette gloire ?

27. Aussi te recherché-je, toi le meilleur de tous les Esprits, toi l’asile des qualités, avec un empressement égal à celui de la Déesse dont la main tient un lotus ; et quoique nous poursuivions tous deux le même époux, il n’y a pas entre nous de jalousie, parce que nous n’avons l’un et l’autre qu’une même pensée pour tes pieds.

28. Mais ; ô Seigneur de l’univers ! Si celle qui a engendré les mondes me fait obstacle, parce que je désire te servir comme elle, le Dieu qui aime les pauvres sait grandir ce qui est petit ; et d’ailleurs quel besoin a de la Déesse celui qui est satisfait de sa propre majesté ?

29. C’est pour cela que les gens de bien te recherchent, ô toi qui échappes au trouble que produisent les qualités de Mâyâ. En effet, ô Bhagavat, nous ne voyons, pour les hommes vertueux, d’autre cause [de bonheur] que le souvenir de tes pieds.

30. Oui, elles sont faites pour séduire les mondes, ces paroles que tu as dites à ton serviteur, quand tu l’as engagé à demander une grâce. Si l’homme n’était pas enchaîné par le lien de ta parole, comment, toujours trompé, se livrerait-il aux œuvres ?

31. Puisque séparé de toi par ta Mâyâ, Seigneur, de toi qui es la vérité même, l’ignorant désire autre chose que toi, consens à faire toi-même notre bien, comme un père fait celui de son enfant.

32. Mâitrêya dit : Ainsi loué par le premier des rois, celui dont le regard embrasse tout lui dit : Aie pour moi de la dévotion ; tu es heureux d’avoir conçu de moi une idée telle que tu as pu échapper à l’Illusion, si difficile à dissiper, dont je m’enveloppe.

33. Accomplis attentivement, ô chef des êtres, ce que je te commande ; celui qui exécute mes ordres acquiert partout de l’éclat.

34. Ayant ainsi approuvé les paroles sensées du royal fils de Vêna, Atchyuta, honoré par lui, songea à le quitter, après lui avoir témoigné sa faveur.

35. Les Dêvas, les Rĭchis, les Pitrĭs, les Gandharvas, les Siddhas, les Tchâraṇas, les Pannagas, les Kinnaras, les Apsaras, les hommes, les oiseaux, et la foule nombreuse des êtres,

36. Se retirèrent tous, à la suite de Vâikuṇṭha, après avoir reçu du roi, qui songeait au Chef du sacrifice, des paroles honorables, des richesses, et le salut de l’Añdjali.

37. Le bienheureux Atchyuta, emportant en quelque sorte avec lui le cœur de ce Rĭchi des rois et de son précepteur, partit pour son divin séjour.

38. Et le roi, après avoir adressé son hommage à l’Être invisible qu’il venait de contempler, à Vâsudêva, au Dieu des Dieux, rentra dans la ville qu’il habitait.


FIN DU VINGTIÈME CHAPITRE, AYANT POUR TITRE :
ÉLOGE DE PRĬTHU.
DANS L’HISTOIRE DE PRĬTHU, AU QUATRIÈME LIVRE DU GRAND PURÂṆA,
LE BIENHEUREUX BHÂGAVATA,
RECUEIL INSPIRÉ PAR BRAHMÂ ET COMPOSÉ PAR VYÂSA.