Le Bonheur conjugal (Pert)/8

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Librairie universelle (p. 149--).

LA CAMARADE

Faire de la femme sa camarade est le rêve d’un petit nombre d’hommes. C’est tout ce qu’il y a de plus périlleux pour la femme, à tous points de vue.

On sait ce que, lors de liaisons d’hommes, signifie ce terme. Un camarade n’est pas un ami ; on partage avec lui ses distractions, ses plaisirs, tout ce qu’il y a de superficiel en soi. Sous la grande familiarité qui règne entre vous deux, il n’y a aucun réel abandon, nulle confiance, nulle affection. La camaraderie est provoquée par une rencontre fréquente, une communauté d’occupations, une sympathie banale et, ordinairement, une parité d’âge, elle peut tourner en une amitié réelle et durable ; elle peut aussi s’éteindre sans laisser de traces dès que les événements vous séparent.

On peut donc comprendre que le mot camarade appliqué à l’épouse, que le fait de rechercher la camaraderie dans le mariage veut dire que l’homme est moins disposé à partager avec sa femme ses pensées les plus hautes, ses préoccupations les plus graves, qu’à l’initier à ses joies, à ses délassements plus ou moins vulgaires.

Lorsque je fis mes débuts de romancier, j’écrivis précisément l’histoire malheureuse d’une femme que j’approchai intimement et dont le mari, dans une intention semi-égoïste, semi-affectueuse, avait eu la prétention de faire sa camarade.

Le drame qui se passa entre eux m’impressionna vivement et, si je le racontai avec une fatale inexpérience littéraire, j’y mis peut-être une part de l’émotion que je ressentis, si j’en crois des lettres d’inconnus que je reçus à cette époque et qui supposaient que cette histoire était la mienne pour m’avoir inspiré des paroles aussi sincères. Je n’avais pourtant tracé que la silhouette d’une amie fraternellement plainte.

RENÉE,
ou la faute purificatrice.

Elle était née dans un milieu très honnête, très prude, très fermé, très à l’ancienne mode : Elle avait, à dix-neuf ans, lorsqu’elle épousa Louis Chaper, tout un bagage homogène et bien ordonné d’idées sur la morale, les convenances, thème de préjugés tenaces qu’avaient gravé en elle, non seulement l’exemple et les préceptes de parents irréprochables, mais l’atavisme d’une indéfinie lignée bourgeoise pourvue des mêmes qualités.

Louis, esprit dogmatique, féru d’idées nouvelles qu’il accommodait selon ses gouts personnels estimait que le mari comprend d’ordinaire fort mal l’éducation qu’il est appelé à donner à sa femme, ainsi que l’allure qu’il imprime à son ménage.

Intimement lié avec tout un cercle d’amis célibataires dont il aimait le contact journalier, les relations sans façon, Louis tint à ne point leur fermer sa maison et à mettre sa femme en tiers, en compagnon dans leurs réunions.

Il s’ingénia pour que, devant elle, l’on ne châtiât pas le langage de fumoir que ces sept ou huit hommes tenaient d’ordinaire entre eux ; que l’aspect moral et matériel, de tous gardât son débraillé. Il voulut que l’on ne vît point en elle une femme, son épouse, mais un nouveau camarade plus jeune, que l’on tâcherait de mettre très vite en communion avec l’ambiance.

Docile, désireuse de plaire à son mari, Renée accepta gaiement l’épreuve : elle ne se doutait pas de ce que celle-ci pouvait être.

Ces conversations libres, ces théories de jeunes arrivistes développées sans contrainte, la brutalité de leur pensée, la trivialité de leurs termes, le cynisme tranquille avec lequel ils envisageaient la vie, l’amour, la femme, la famille, la société, bouleversèrent profondément la jeune femme. C’était le renversement de tout ce qu’elle avait appris à respecter, la négation du fond et de la surface de tout ce qu’elle regardait comme le bien, le naturel, l’infranchissable. C’était pour elle la révélation d’un monde inconnu, troublant, aux effrayantes profondeurs ténébreuses qui lui paraissait la menacer.

Ceux parmi lesquels on l’avait jetée n’étaient cependant ni des monstres, ni des gredins, ni des exceptions. C’étaient des jeunes gens ordinaires ; mais Renée les apercevait tels qu’ils se montrent entre eux, dépouillés du masque que l’homme prend dans la famille, le monde, devant la femme honnête, mère, sœur ou épouse. Ces visages et ces âmes nues la terrifièrent, la révoltèrent. Et, loin de l’aguerrir ; loin de substituer à sa morale délicate, une autre morale plus rude, quoique solide, ce contact avec l’âme masculine ruina tout en elle sans rien réédifier. Elle douta de tout, oscilla amère, découragée, sans cesse désabusée, jusqu’au jour où elle glissa dans la faute, par besoin de se purifier.

Ceci qui, à première vue, peut paraître un paradoxe, est pourtant d’une stricte vérité. Le hasard mit Renée en relations avec un garçon très jeune, chaste, élevé avec autant de réserve qu’elle-même. Ils s’aimèrent ; elle se jeta à lui, en un élan de reconnaissance, dans un soulagement du cauchemar au milieu duquel elle vivait. Leur amour naïf ; enthousiaste, la lavait dés impuretés, des cynismes, des scepticismes de son entourage.

Donc, ici, l’essai que fit le mari de « garçonniser sa femme, s’adressant à une jeune créature délicate, timorée, pleine d’illusions, aboutit après plusieurs évolutions à l’horreur du mari, à l’amour pour la femme en dehors du mariage.

J’ai pu étudier la femme-camarade dans un autre milieu, le caractère de la jeune fille étant tout l’opposé de celui de Renée, et j’ai constaté que les résultats ne furent pas plus heureux, quoique amenés par des causes différentes.

Maud,
ou le dérèglement légitime.

Autant Renée était peu faite pour se familiariser sans effroi et sans répugnance avec la grossièreté et le cynisme de l’homme en état de camaraderie, autant Maud semblait au contraire faite pour s’y déployer à l’aise.

Fille d’un officier à qui sa nature de troupier, sa nullité, ses grosses soûleries n’avaient pas permis de dépasser le grade de chef d’escadrons, elle avait grandi parmi les ordonnances, les bonnes égrillardes, dans un intérieur dont la façade seule offrait quelque correction, grâce aux efforts de la mère, M. B…, qui, après bien des désillusions, s’était résignée à n’essayer de sauver que les apparences de son foyer en désordre.

À seize ans, jolie à l’extrême, brunette à taille souple, aux yeux d’Arabe, Maud flirtait ferme avec les lieutenants, se laissait faire une cour serrée par les hommes mariés, faisait baver d’admiration les vieux généraux, ce qui ne l’empêchait pas d’échanger des œillades avec de simples plantons, dont la jeunesse blonde ou brune, l’ardeur sincère lui semblaient tout aussi appréciables que celle de leurs supérieurs hiérarchiques.

Si, à vingt ans, elle apporta un corps absolument vierge à Léopold R…, son mari, cela provint de ce que, très coquette, extrêmement vaine, follement enivrée par les hommages, elle n’était sensuelle que cérébralement ; l’amour ne la troublait pas du tout, du moins, l’amour relativement simple qui se pressait autour d’elle.

Il fallait le vice à cette singulière nature féminine pour amener un émoi en cette chair blasée avant d’avoir ressenti, rassasiée à jeun, avertie par on ne sait quel phénomène mystérieux.

Or l’histoire secrète de son fiancé offrait un de ces cas extraordinaires que, volontiers, nous rejetons dans la fiction ; devant lesquels nous nous écrions, incrédules : « Voyons, c’est du roman ! »

Seul fils survivant d’une de ces opulentes familles bourgeoises de province, dont la fortune va s’accroissant de génération en génération, au rebours de la santé de ses membres, c’était un pitoyable dégénéré atteint d’une foule d’infirmités, dont la plus visible, la seule avouable — congénitale comme toutes les autres — consistait en l’absence du voile du palais.

Depuis sa naissance, le malheureux était contraint de porter un palais artificiel, et ce n’était pas en lui le seul organe qui fût postiche.

Si peu fait qu’il fût pour l’amour et le mariage, son tempérament était des plus ardents, touchait même à l’hystérie érotique, Et moins il lui était donné d’aimer normalement, plus sa rage de passion s’exaspérait.

Il avait eu de nombreuses maîtresses ; il était à la tête du monde de la « noce » à P…, mais ses disgrâces étaient trop notoires dans la contrée pour qu’il trouvât femme aisément, car il avait la prétention de n’épouser qu’une jolie fille, et il se détournait avec dédain des laiderons qui, tentées par sa fortune, eussent accepté le monstre les yeux fermés.

Maud le rendit éperdument amoureux et, chose étrange, mais strictement vraie, elle l’aima. L’extérieur de Léopold ; sans annoncer la santé, n’avait rien de désagréable, et la connaissance qu’avait cette bizarre fille des tares de son amoureux cinglait sa curiosité au lieu de lui inspirer de l’éloignement.

Leur union eut des réalités hideuses, dont l’écœurement précipita Maud dans une maladive exaltation des sens. Pour que le dégoût que lui inspirait son mari ne prévalût pas, il fallait qu’un érotisme vicieux transformât en piment les nauséeux détails de l’intimité conjugale.

Dès leurs fiançailles, Léopold et Maud avaient formé un plan d’existence qu’ils exécutèrent par la suite dans toute son intégrité, amusés et gouailleurs devant la clameur que leur audacieuse bravade de l’opinion publique souleva dans la ville de province.

Ils avaient convenu qu’ils sacrifieraient aux convenances jusqu’au lunch inclusivement ; puis, qu’à partir du moment où le coupé les emporterait ils étonneraient et : scandaliseraient leur entourage sans céder désormais d’une ligne sur leur programme.

Rayées les visites, les relations avec les familles de la « société », avec les parentés sans fin provinciales ; supprimés, rejetés tous les actes qui, dans le monde sont considérés comme des obligations auxquelles nul ne peut se soustraire !…

Le résultat fut que, trois mois plus tard, Léopold avait entièrement rompu avec sa famille consternée et que lui et Maud ne frayaient qu’avec le monde joyeux et plutôt équivoque que fréquentait le jeune homme quand il était garçon.

La fortune qu’on avait assurée à Léopold au jour de son mariage lui permettait de n’agir qu’à sa tête.

Et Maud se montra ravie du milieu où il lui était permis de déployer toute sa fantaisie, tous ses caprices, toutes ses excentricités.

Lorsque le jeune couple n’était pas à Paris ou à Monaco, leur petit hôtel du faubourg d’A…, illuminé à outrance, bruyant, ne désemplissait pas, jetant insoucieusement au dehors son bruit de fête sans trêve.

Un petit cercle intime entourait étroitement Maud, composé de cinq ou six célibataires de l’âge de Léopold, de deux vieux noceurs hauts fonctionnaires du lieu et de quatre ménages équivoques, dont deux étaient illégitimes et deux parfaitement légaux. L’un de ces derniers était celui d’un violoncelliste du théâtre, un garçon beau comme Adonis, artiste de talent, un moment très en vogue dans les salons parisiens, et qu’une aventure scandaleuse l’ayant amené sur les bancs de la correctionnelle avait forcé de s’exiler en province ; le second était celui, d’un jeune employé de la Banque marié à la fille bien dotée d’une cocotte locale, connue de toute la ville.

Sur ce fond d’assidus, couraient une foule de parasites, d’étudiants, d’officiers, de propriétaires mariés, mais farceurs, venant en cachette de leurs épouses, de petites actrices, des filles, des grisettes amenées par leurs amis et dont on s’amusait quelquefois cruellement.

Le scandale s’étalait impudent ; Léopold et Maud étaient pour jamais au ban de la prude société de P… Les contes qui se colportaient sur eux variaient à l’infini ; quelques-uns véridiques, beaucoup grotesques et sans aucun fondement.

Deux fois, la police avait cru devoir intervenir ; mais, malgré tout, la situation de famille de Léopold en imposait et l’affaire n’avait pas eu de suites. Les personnes indulgentes affectaient de regarder les jeunes gens comme des aliénés.

Il y avait déjà trois ans qu’ils étaient mariés lorsque, par hasard, je me trouvai dans le rapide de Bordeaux en face de Maud. J’avais été liée autrefois avec sa mère ; quant à elle, je ne la reconnus point, l’ayant seulement entrevue alors qu’elle avait dix ans. Je ne sais comment elle avait gardé le souvenir de mes traits, et, sans hésitation, me nomma. Elle me parla avec animation de deux de mes livres qu’elle avait lus et me pressa avec tant d’instance de descendre chez elle à P… durant quelques jours, qu’intriguée par on ne sait quoi de mystérieux, d’anormal que je sentais planer sur ce jeune ménage, flairant un cas psycho-pathologique curieux, je cédai ; j’interrompis ma route qui, d’ailleurs, ne dépendait que de ma volonté, pour les suivre.

Je restai chez eux six bonnes semaines, retenue par les supplications de mes hôtes et l’intérêt douloureux que ces dévoyés m’inspiraient.

D’abord, visiblement, on avait voulu m’« épater » : il restait du provincial dans ces snobs du vice. Puis, comme je demeurais absolument de marbre devant des spectacles qui, en somme, n’avaient rien de bien neuf, ils s’ingénièrent à déployer leur âme devant le romancier que j’étais, dans un besoin complexe de vanter leur originalité, de m’intéresser et aussi d’épancher la souffrance latente en eux, qu’ils essayaient désespérément de noyer, en leur course haletante et forcée aux joies sans sincérité.

Les moments les plus féconds pour mon étude sur le vif de ces deux êtres étaient les deux heures que je passais le matin dans la chambre de Maud, alors qu’elle procédait à sa toilette ; puis, les instants de l’après-midi où Léopold m’emmenait en tête à tête dans la voiture découverte qui, deux ou trois heures durant, le promenait hors de la ville, hiver comme été, quelque temps qu’il fît.

Sans cette provision quotidienne d’oxygène, il y a longtemps que je serais claqué, déclarait-il.

À cette époque-là, on était au printemps, — un printemps vif, parfumé, avec de chaudes rayées de soleil particulier à cette région déjà méridionale de la France. La campagne, monotone, n’offrait rien de remarquable : les paroles de Léopold restent dans mon souvenir avec pour seul cadre inséparable la splendeur d’un ciel lumineux sans être encore éblouissant, la caresse continue de l’air, qui sentait la terre, la résine et le fenouil.

Frileusement tapi sous sa couverture de fourrure, une casquette anglaise rabattue sur ses oreilles, les yeux extraordinairement agiles et brillants dans le masque réduit du visage exsangue, Léopold ressemblait à un de ces singes cajolés que les soins et l’affection de leur maître ne parviennent pas à empêcher de s’étioler et de mourir dans nos climats.

Peu à peu, il m’avait découvert la totalité de son âme bizarre et inquiète, révélé l’une après l’autre ses tares physiologiques et, après avoir pendant, quelque temps soutenu son rôle d’insouciance, d’insensibilité, d’étrangeté vicieuse, qu’il se jouait à lui-même, il en était arrivé à me laisser voir en toute son étendue la plaie à vif qu’était son âme entière.

Maintenant, j’embrassais la vie pitoyable de cet avorton pourvu d’intelligence, de cœur et de sens, qui, à l’âge de la réflexion, avait dû envisager dans toute son horreur l’existence tronquée, misérable, torturée qui serait la sienne.

Des amis, moi ? s’écriait-il avec amertume. Est-ce que fait comme je suis, incapable d’aucun travail, d’aucune occupation, sans but possible, je puis avoir autre chose autour de moi que des parasites, des valets, d’imbéciles compagnons de fête !… Mes maîtresses, je leur faisais horreur !… et ma femme, pour qu’elle me supporte, il lui faut de l’éther, de la morphine, tout un cortège de poisons, toute une préparation de débauche compliquée !… Et le jour viendra, tenez, où tout ceci l’écœurera… où elle rejettera tout ce vide factice, où elle me quittera avec dégoût et colère pour courir à un amour normal quelconque… elle se jettera aux bras d’un cocher ou d’un soldat !… Alors, moi, qu’est-ce que je deviendrai ?… Car, je ne sais pas si vous l’avez vu, mais je l’aime… Ah ! j’en suis fou !…

Dans ses yeux enfiévrés, dès larmes scintillèrent ; il continua, avec une angoisse croissante :

— Ah ! l’aimer… si je pouvais l’aimer sans toute cette comédie de débauche !… l’aimer simplement, sainement !… être un mari normal… avoir des enfants !…

Sa misère m’apparaissait en toute sa nudité désolée, irrémédiable. Et sa conscience obscure de l’avenir n’était que trop bien corroborée pour moi par ce que j’avais observé chez Maud.

Devant moi, elle aussi ; elle se dépouillait peu à peu de l’enveloppe mauvaise, souillée, dont elle tirait orgueil d’ordinaire. Involontairement, elle quittait la fébrilité du vice cherché, entretenu.

Mais le besoin intense d’amour que son existence déréglée avait mis en elle ne la possédait que plus impérieusement…

Lorsque je les quittai, je pressentais qu’un dénouement était proche. Quel serait-il ?… Je n’aurais su le dire. Mais il était évident qu’au point où était parvenue leur existence il fallait qu’un désastre la vint détendre.

Trois mois plus tard, de lugubres échos me parvenaient de P… Léopold R…, après une orgie en compagnie de ses fidèles, s’était suicidé ; tandis que Maud, dans la même nuit, s’enfuyait avec le violoncelliste, dont la femme ivre-morte avait dû être conduite à l’hôpital,’où l’on disait qu’elle se mourait.

Puis une autre version courut. Suivant ces on-dit, un duel, ou plutôt une bataille sauvage aurait eu lieu entre l’amant de Maud et Léopold, que la mort de ce dernier avait terminée. Quant à la femme de l’artiste, décidément morte, certains prétendaient qu’elle avait été empoisonnée.

Enfin, on racontait que, tandis que le mort gisait sur les débris du souper, la maison avait été pillée par les convives. La famille de Léopold accusait Maud d’avoir emporté des sommes, des valeurs au porteur, considérables, auxquelles le décès de son mari intestat ne lui donnait aucun droit.

À la longue, tous ces bruits s’éteignirent, et jamais plus à P… l’on n’entendit parler de Maud :

Il m’était donné de la revoir, environ quinze ans plus tard. Ce fut elle encore qui me reconnut et m’aborda.

C’était à Paris, dans une rue avoisinant le faubourg Montmartre, je ne me rappelle plus laquelle.

Elle avait engraissé ; elle était toujours jolie, avec quelque chose de tranquille, de reposé, de serein en sa physionomie. Par la main, elle tenait une jolie blondine de huit à dix ans.

— C’est votre fille ?

— Oui.

— Alors ?… Vous l’avez épousé ?

Elle rougit et balbutia, soudain embarrassée :

— Non, non ! Oh ! tout cela est si loin !… À présent, je suis la femme d’un commissionnaire en marchandises… Je me nomme Toutin… Je demeure près d’ici… Vous viendrez me voir, n’est-ce pas ?… J’aimerais tant causer avec vous… Je sais votre adresse, mais je n’ai jamais osé aller vous voir… Cependant quand je vous ai aperçue, je n’ai pu résister au désir de vous parler.

Un rendez-vous d’affaires impérieux m’interdisait de m’arrêter. Je pris son adresse, je promis de lui écrire, de lui donner rendez-vous. Mais je ne sais plus par quelle suite de circonstances je ne pus tenir ma promesse, et je l’ai tout à fait perdue de vue.