Aller au contenu

Le Bonheur conjugal (Pert)/Avant-propos

La bibliothèque libre.
Librairie universelle (p. 1--).

AVANT-PROPOS

C’est un vendredi, vers la fin de l’une de mes réceptions, tandis qu’une fine et bonne odeur de thé et de cakes emplissait mon grand salon ensoleillé du boulevard Malesherbes, que prit naissance l’idée d’écrire ce livre.

Cela germa au milieu du cercle de celles qu’en riant je nomme « mes poupoules », cette vingtaine de jeunes femmes qui sont toute la famille, l’unique intérêt restant dans ma vie de femme de soixante ans, deux fois veuve, sans enfants, ayant perdu de bonne heure tous les siens et jouissant d’une large aisance qui lui retire le souci — souvent bienfaisant — de l’existence matérielle.

Elles étaient là une dizaine ; les autres déjà parties pour des villégiatures hâtives, ou dispersées, éloignées, souffrantes, empêchées, — deux, mortes. Il faut une raison majeure pour que mes fidèles me manquent.

Comment ce projet naquit-il ?… Qui le proposa d’abord ? Je l’ignore. À peine fut-il éclos que toutes le saisirent et me l’imposèrent.

J’eus beau protester :

— Je ne suis pas un écrivain, chères petites, l’on se moquera de moi !

Toutes m’affirmèrent que je n’avais point besoin d’être un professionnel de la plume, puisque j’allais simplement tracer des histoires vraies, remuer des sentiments que, cent fois, mille fois, j’avais exprimés devant elles…

Louise, ma préférée, me décida. Ses deux mains serrant les miennes, ses jolis yeux doux de crucifiée fixés sur les miens, elle me dit, grave :

— Songez, chère marraine — c’est le titre qu’elles me donnent — que vous pouvez faire tant de bien !… Elles sont de par le monde myriades celles qui, comme nous, auraient besoin de vos conseils, de votre expérience ; de votre intuition de la vie, et jamais vous n’arriverez jusqu’à elles… Par la parole directe, à peine atteindrez-vous encore une dizaine d’âmes féminines meurtries, désemparées, préserverez-vous des jeunes filles se lançant dans l’existence sans aucune science du mariage, au lieu que, par l’écriture, c’est par foule qu’augmenteront celles qui vous nomment leur bienfaitrice, leur providence morale… Vous ne connaîtrez pas vos nouvelles « poupoules », mais elles seront quand même vos amies, et elles peupleront l’univers.

Je cédai.

— Soit ! mais avez-vous songé que pour que mes paroles aient quelque poids, prennent quelque sens, il faut que je montre votre histoire à toutes, que je dévoile vos souffrances, vos révoltes, vos pauvres petites joies, votre âme et votre cœur ?

Elles me répondirent simultanément qu’elles l’entendaient bien ainsi et qu’elles offraient avec joie leur intimité comme exemple à celles que ce livre de leur calvaire avertirait et préserverait peut-être.

Voici donc, sous des noms d’emprunt et relatées comme dans les livres de médecine, les observations » pathologiques, l’histoire cruellement véritable de nombreuses petites âmes féminines que j’étudiai le scalpel à la main, qui vinrent à moi et eurent quelquefois l’illusion d’un soulagement, parce qu’elles sentirent mon cœur battre à l’unisson du leur et souffrir avec elles.

Sans remords, avec l’espoir de faire un peu de bien à des inconnues, je livre ces pages vécues au public, suppliant les âmes indifférentes ou sceptiques de s’abstenir de leur lecture, car elles n’y rencontreraient qu’ennui, déception et sujet d’ironie.