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Le Boomerang/17

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P. Olendorff (p. 217-222).


CHAPITRE DIX-SEPTIÈME.Dans lequel, si la vertu n’est pas récompensée, aucun châtiment ne vient frapper le vice, contrairement à l’usage entretenu par certains moralistes, qui ne sont, au fond, que de louches hypocrites dans la vie privée desquels la moindre incursion vous ferait reculer d’horreur.


Un vieux dicton met en garde contre les périls qui vous guettent si vous jouez avec le feu.

Un autre vous prémunit du danger résultant du badinage et de l’amour.

Et tant d’autres proverbes, frappés au coin de la sagesse et l’expérience, et qui hélas ! ne servent à rien, tant les jeunes gens apportent d’incurie et de présomption à la marche de leur existence sentimentale.

Tel est le cas, sans aller plus loin, de notre vieux camarade, le négrier (?) javanais (?) Berg-op-Zoom.

À cette heure Berg-op-Zoom idolâtrait passionnément Marie-Blanche Loison.

Comment s’était produit ce phénomène ?

L’explication nous en apparaît des plus simples.

Veuillez plutôt, frivoles lectrices et vous aussi lecteurs superficiels, faisant violence à votre coutumière folâtrerie, tendre un peu votre attention mal exercée.

De l’état d’amoureux, d’amoureux sincère se dégage tout naturellement, inconsciemment, un curieux manège, parfois fort ridicule, mais auquel, à moins d’être la dernière des gourdes, la personne objet de cette passion ne se trompe pas.

Je n’insisterai pas, car il commence à se faire tard, sur les détails de ce manège, maintes fois décrits par les romanciers psychologues et autres rigolos.

(En des genres différents, Paul Bourget et Paul de Kock ont excellé dans cette sorte de peinture.)

Touchantes, alors qu’elles partent du cœur, ces simagrées sont purement odieuses lorsqu’elles ne sont que le fait du lâche séducteur, du simple fantaisiste dont le mobile souvent s’appelle vanité et plus souvent encore, hélas ! Sensualité, bellâtre qui, son coup perpétré, pirouette gaiement sur ses talons, se retire, une plume à son chapeau, fredonnant quelque ariette en vogue.

Chaque fois que l’occasion s’en présentera, nous n’hésiterons pas à flageller de tels errements, comme dit si bien M. Paul Leroy-Beaulieu.

Mais que dire d’un cas, tel celui qui nous occupe, la vanité, ou la sensualité, motifs après tout humains, ne sont même pas en jeu !

Une circonstance dans laquelle il ne s’agit que d’un misérable pari, une gageure, pour dire le vrai mot !

La Nature, qui possède cela de commun avec la Providence, jouit d’une peu commune impénétrabilité de desseins.

Sous des dehors un peu loufocs, la Nature sait ce qu’elle fait, d’où elle vient, où elle va.

Elle a sa morale à elle, morale assez différente de celle de ce vieux bandit de saint Vincent de Paule, morale dans laquelle l’Individu se trouve impitoyablement sacrifié, pour le plus grand profit de l’espèce.

Comme toutes les morales, celle de la nature s’accompagne de diverses sanctions dont la plus employée est ce que nous appellerons la mort sans phrase.

Quand un animal, pour une raison ou pour une autre, gêne les desseins de la nature, ah ! je vous prie de croire que cela ne traîne pas : le pauvre être a bientôt fait d’être boulotté, comme dit M. Alphonse Milne-Edwards, par plus fort que lui.

Capricieuse, comme c’est le droit d’une aussi jolie personne, des fois la nature s’amuse à faire des blagues à qui essaye de contrecarrer sa norme.

C’est ainsi qu’elle ressent le plus vif plaisir à ce que les faux amoureux, les inanes séducteurs, les secs godelureaux, se laissent prendre le cœur dans l’engrenage, j’ose m’exprimer ainsi, de leurs propres embûches.

La vieille sagesse des nations a fort bien noté ce fait, au moyen de plusieurs formules dont deux citées plus haut :

« Il ne faut pas jouer avec le feu. »

« On ne badine pas avec l’amour. »

Nous autres savants, nous appelons cela un phénomène de réversibilité.

L’amour détermine certaines manifestations extérieures.

Des manifestations extérieures identiques, engendrent l’amour.

C’est drôle, mais c’est ainsi.

Ce phénomène de réversibilité, plus répandu qu’on ne croit dans le monde sentimental, n’en est plus à compter ses applications sur le tapis de la mécanique industrielle.

Ainsi, pour ne parler que de certains dispositifs, employés dans les voitures automobiles…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mais, je crois que nous embardons, ne vous semble-t-il pas ?

Revenons donc à ce que nous appellerons, par euphémisme, un mouton.

Berg-op-Zoom, donc, s’était pris à ses propres lacs : à force de jouer avec le feu, voilà qu’il flambait ! Aussi quand Marie-Blanche Loison, pénétrant dans sa chambre, lui avait dit d’une pâle voix de victime résignée : « Me voici, je suis à vous ! », pour un Néerlandais estomaqué, on peut dire que ce fut un Néerlandais estomaqué !

Il s’attendait si peu à ce dénoûment !

Qu’auriez-vous fait à sa place ?

Allons, ne posez pas à la délicatesse, vous n’auriez pas agi autrement que lui et, fichtre, ce n’est pas moi qui vous en blâmerai !

Quand une jeune personne de la valeur physique de Marie-Blanche Loison entre dans votre chambre, en proie à de si bonnes dispositions, les plus nobles sentiments se taisent d’eux-mêmes, quitte à pousser bientôt l’âpre vocifération du remords, mais, pour l’instant, ils se taisent, et ils font aussi bien de se taire ; qui les écouterait ?