Le Bossu/I/II/7

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Le Bossu — 2e partie
A. Dürr (p. 63-80).


VII

— Le prince de Gonzague. —


La chambre à coucher de Gonzague, riche et de plus beau luxe, comme tout le reste de l’hôtel, s’ouvrait, d’un côté, sur un entre-deux servant de boudoir, qui donnait dans le petit salon où nous avons laissé nos traitants et nos gentilshommes ; de l’autre côté, elle communiquait avec la bibliothèque, riche et nombreuse collection qui n’avait pas de rivale à Paris.

Gonzague était un homme très-lettré, savant latiniste, familier avec les grands littérateurs d’Athènes et de Rome, théologien subtil à l’occasion et profondément versé dans les études philosophiques.

S’il eût été seulement honnête homme avec cela, rien ne lui eût résisté.

Mais le sens de la droiture lui manquait. — Plus on est fort quand on n’a point de règle, plus on s’écarte de la vraie voie.

Il était comme ce prince des contes de l’enfance qui naît dans un berceau d’or entouré de fées amies. Les fées lui donnent tout, à cet heureux petit prince, tout ce qui peut faire la gloire et le bonheur d’un homme. — Mais on a oublié une fée ; celle-ci se fâche ; elle arrive en colère et dit : « Tu garderas tout ce que nos sœurs t’ont donné, mais… »

Ce mais suffit pour rendre le petit prince malheureux entre les plus misérables.

Gonzague était beau, Gonzague était puissamment riche, Gonzague était de race souveraine ; il avait de la bravoure, ses preuves étaient faites ; il avait de la science et de l’intelligence ; peu d’hommes maniaient la parole avec autant d’autorité que lui ; sa valeur diplomatique était connue et cotée fort haut ; à la cour, tout le monde subissait son charme ; mais…

Mais il n’avait ni foi ni loi et son passé tyrannisait déjà son présent.

Il n’était plus le maître de s’arrêter sur la pente où il avait mis le pied dès ses plus jeunes années ; fatalement, il était entraîné à mal faire pour couvrir et cacher ses anciens méfaits.

C’eût été une riche organisation pour le bien ; c’était pour le mal une machine vigoureuse. Rien ne lui coûtait. Après vingt-cinq ans, il ne sentait point encore de fatigue.

Quant au remords, Gonzague n’y croyait pas plus qu’à Dieu.

Nous n’avons pas besoin d’apprendre au lecteur que dona Cruz était pour lui un instrument, instrument fort habilement choisi et qui, selon toute apparence, devait fonctionner à merveille.

Gonzague n’avait point pris cette jeune fille au hasard. Il avait hésité longtemps avant de fixer son choix. Dona Cruz réunissait toutes les qualités qu’il avait rêvées, y compris certaine ressemblance assez vague assurément, mais suffisante pour que les indifférents pussent prononcer ce mot si précieux : « Il y a un air de famille. »

Cela vous donne tout de suite à l’imposture une terrible vraisemblance.

Mais une circonstance se présentait tout à coup, sur laquelle Gonzague n’avait point compté.

En ce moment, malgré l’étrange révélation que dona Cruz venait de recevoir, ce n’était pas elle qui était la plus émue.

Gonzague avait besoin de toute sa diplomatie pour cacher son trouble.

Et, malgré toute sa diplomatie, la jeune fille découvrit le trouble et s’en étonna.

La dernière parole de Gonzague, tout adroite qu’elle était, laissa un doute dans l’esprit de dona Cruz. Le soupçon s’éveilla en elle. Les femmes n’ont pas besoin de comprendre pour se défier.

Mais qu’y avait-il donc pour émouvoir ainsi un homme, fort surtout par son sang-froid ? Un nom prononcé !

Qu’est-ce qu’un nom ?

D’abord, comme l’a dit notre belle recluse, le nom était rare. — Ensuite, il y a des pressentiments.

Les athées croient à tout, sauf à Dieu. Gonzague était d’Italie et très-dévot aux pressentiments.

Ce nom l’avait violemment frappé. — C’était l’appréciation même de la violence du choc qui troublait maintenant Gonzague superstitieux.

Il se disait :

— C’est un avertissement !

Avertissement de qui ?

Gonzague croyait aux étoiles, ou du moins à son étoile. Les étoiles ont une voix. Son étoile avait parlé.

Si c’était une découverte, ce nom, tombé par hasard, les conséquences de cette découverte étaient si graves, que l’étonnement et le trouble du prince ne doivent plus être un sujet de surprise.

Il y avait dix-huit ans qu’il cherchait !

Il se leva, prenant pour prétexte un grand bruit qui montait des jardins, mais en réalité pour calmer son agitation et composer son visage.

Sa chambre était située à l’angle rentrant formé par l’aile droite de la façade de l’hôtel donnant sur le jardin et le principal corps de logis. En face de ses fenêtres étaient celles de l’appartement occupé par madame la princesse de Gonzague.

Là, d’épais rideaux retombaient sur les vitres de toutes les croisées closes.

Dona Cruz, voyant le mouvement de Gonzague se leva aussi et voulut aller à la fenêtre. Ce n’était chez elle que curiosité d’enfant.

— Restez, lui dit Gonzague ; — il ne faut pas encore qu’on vous voie.

Au-dessous de la fenêtre et dans toute l’étendue du jardin dévasté, une foule compacte s’agitait.

Le prince ne donna pas même un coup d’œil à cela.

Son regard s’attacha, pensif et sombre, aux croisées de sa femme.

— Viendra-t-elle ! se dit-il.

Dona Cruz avait repris sa place d’un air boudeur.

— Quand même !… se dit encore Gonzague ; la bataille serait au moins décisive !

Puis, prenant son parti :

— À tout prix, il faut que je sache…

Au moment où il allait revenir vers sa jeune compagne, il crut reconnaître dans la foule cet étrange petit personnage dont l’excentrique fantaisie avait fait sensation ce matin dans le salon d’apparat, — le bossu, adjudicataire de la niche de Médor.

Le bossu tenait un livre d’heures à la main et regardait, lui aussi, les fenêtres de madame de Gonzague.

En toute autre circonstance, Gonzague eût peut-être donné quelque attention à ce fait, car il ne négligeait rien d’ordinaire. — Mais il voulait savoir.

S’il fût resté une minute de plus à la croisée, voici ce qu’il aurait vu. Une femme descendit le perron de l’aile gauche, une camériste de la princesse ; elle s’approcha du bossu, qui lui dit rapidement quelques mots et lui remit le livre d’heures.

Puis la camériste rentra chez madame la princesse et le bossu disparut.

— Ce bruit venait d’une dispute entre mes nouveaux locataires, dit Gonzague en reprenant sa place auprès de dona Cruz. — Où en étions-nous, chère enfant ?

— Au nom que je dois porter désormais.

— Au nom qui est le vôtre… Aurore… Mais quelque chose est venu à la traverse… Qu’est-ce donc ?

— Avez-vous oublié déjà ?… fit dona Cruz avec un malicieux sourire.

Gonzague fit semblant de chercher.

— Ah ! s’écria-t-il ; — nous y sommes… une jeune fille que vous aimiez et qui portait aussi le nom d’Aurore…

— Une belle jeune fille… orpheline comme moi…

— Vraiment !… Et c’est à Madrid…

— À Madrid.

— Elle était Espagnole ?

— Non… elle était Française.

— Française ? répéta Gonzague, qui jouait admirablement l’indifférence.

Il étouffa même un léger bâillement.

Vous eussiez dit qu’il poursuivait ce sujet d’entretien par simple complaisance.

Seulement, toute son adresse était en pure perte. L’espiègle sourire de dona Cruz aurait dû l’en avertir.

— Et qui prenait soin d’elle ? demanda-t-il d’un air distrait.

— Une vieille femme…

— Et qui payait la duègne ?

— Un gentilhomme.

— Français aussi ?

— Oui…, Français.

— Jeune ou vieux ?

— Jeune… et très-beau.

Elle le regardait en face. — Gonzague feignit de réprimer un second bâillement.

— Mais pourquoi me parlez-vous de ces choses qui vous ennuient, monseigneur ? s’écria dona Cruz en riant ; — vous ne connaissez pas la jeune fille… vous ne connaissez pas le gentilhomme… je ne vous aurais jamais cru si curieux que cela.

Gonzague vit bien qu’il fallait prendre la peine de jouer plus serré.

— Je ne suis pas curieux, mon enfant, répondit-il en changeant de ton ; — vous ne me connaissez pas encore… Il est certain que je ne m’intéresse personnellement ni à cette jeune fille ni à ce gentilhomme… quoique je connaisse beaucoup de monde à Madrid… Mais quand j’interroge, j’ai mes raisons pour cela… Voulez-vous me dire le nom de ce gentilhomme ?

Cette fois, les beaux yeux de dona Cruz exprimèrent une véritable défiance.

— Je l’ai oublié, répondit-elle sèchement.

— Je crois que si vous le vouliez bien…, insista Gonzague en souriant.

— Je vous répète que je l’ai oublié !…

— Voyons… en rassemblant vos souvenirs… Cherchons tous deux…

— Mais que vous importe le nom de ce gentilhomme ?

— Cherchons, vous dis-je, — vous allez voir ce que j’en veux faire… Ne serait-ce point… ?

— M. le prince, interrompit la jeune fille, j’aurais beau chercher, je ne trouverais point.

Cela fut dit si résolûment que toute insistance devenait impossible.

— N’en parlons plus, fit Gonzague ; c’est fâcheux, voilà tout… et je vais vous dire pourquoi cela est fâcheux… Un gentilhomme français établi en Espagne ne peut être qu’un exilé… il y en a malheureusement beaucoup… Vous n’avez point de compagne de votre âge ici, ma chère enfant ; et l’amitié ne s’improvise pas… Je me disais : « J’ai du crédit… Je ferai gracier le gentilhomme, qui ramènera la jeune fille… et ma chère petite dona Cruz ne sera plus seule. »

Il y avait dans ces paroles un tel accent de simplicité vraie, que la pauvre fillette en fut touchée jusqu’au fond du cœur.

— Ah ! fit-elle, — vous êtes bon !

— Je n’ai pas de rancune, dit Gonzague en souriant ; — il est temps encore.

— Ce que vous me proposez là, dit dona Cruz, — je n’osais pas vous le demander, mais j’en mourais d’envie !… ma pauvre belle Aurore !… mais vous n’avez pas besoin de savoir le nom du gentilhomme… vous n’avez pas besoin d’écrire en Espagne… j’ai revu mon amie.

— Depuis peu ?

— Tout récemment.

— Où donc ?

— À Paris.

— Ici ? fit Gonzague.

Dona Cruz ne se défiait plus. — Gonzague gardait son sourire, mais il était pâle.

— Mon Dieu ! reprit la fillette sans être interrogée, — ce fut le jour de notre arrivée… Depuis que nous avions passé la porte Sainte-Honoré, je me disputais avec M. de Peyrolles pour ouvrir les rideaux, qu’il tenait obstinément fermés… il m’empêcha ainsi de voir le Palais-Royal, et je ne le lui pardonnerai jamais… Au détour d’une petite rue, non loin de là, le carrosse frôlait les maisons… j’entendis qu’on chantait dans une salle basse… M. de Peyrolles avait la main sur le rideau, mais sa main se retira, parce que j’avais brisé dessus mon éventail !… J’avais reconnu la voix ; je soulevai le rideau… Ma petite Aurore, toujours la même, mais bien plus belle, était à la fenêtre de la salle basse.

Gonzague tira ses tablettes de sa poche.

— Je poussai un cri, poursuivit dona Cruz ; — le carrosse avait repris le grand trot ; — je voulus descendre… je fis le diable… ah ! si j’avais été assez forte pour étrangler votre Peyrolles !…

— C’était, dites-vous, interrompit Gonzague, une rue aux environs du Palais-Royal ?

— Tout auprès ?

— La reconnaîtriez-vous ?

— Oh ! fit dona Cruz, — je sais comment on l’appelle !… mon premier soin fut de le demander à M. de Peyrolles.

— Et comment l’appelle-t-on ?

— La rue du Chantre… Mais qu’écrivez-vous donc là, monseigneur ?

Gonzague traçait en effet, quelques mots sur ses tablettes. Il répondit :

— Ce qu’il faut pour que vous puissiez revoir votre amie.

Dona Cruz se leva, le rouge du plaisir au front, la joie dans les yeux.

— Vous êtes bon ! répéta-t-elle, vous êtes donc véritablement bon !

Gonzague ferma ses tablettes et les serra !

— Chère enfant, vous en pourrez juger bientôt… répondit-il. Maintenant, il faut nous séparer pour quelques instants… vous allez assister à une cérémonie solennelle… ne craignez point d’y montrer votre embarras ou votre trouble… c’est naturel… on vous en saura gré.

Il se leva et prit la main de dona Cruz.

— Dans une demi-heure, tout au plus, reprit-il, vous allez voir votre mère.

Dona Cruz mit la main sur son cœur.

— Que dirai-je ?… fit-elle.

— Vous n’avez rien à cacher des misères de votre enfance… rien, entendez-vous… vous n’avez rien à dire, sinon la vérité… la vérité tout entière.

Il souleva une draperie derrière laquelle était un boudoir.

— Entrez ici, dit-il.

— Oui, murmura la jeune fille ; — et je vais prier Dieu… pour ma mère !

— Priez, dona Cruz, priez… cette heure est solennelle dans votre vie.

Elle entra dans le boudoir. La draperie retomba sur elle après que Gonzague lui eut baisé la main.

— Mon rêve !… pensait-elle tout haut : — ma mère est princesse !

Gonzague, resté seul, s’assit devant son bureau, la tête entre ses deux mains. C’est lui qui avait besoin de se recueillir : un monde de pensées s’agitait dans son cerveau.

— Rue du Chantre !… murmura-t-il. — Est-elle seule ?… l’a-t-il suivie ?… Ce serait audacieux !… mais est-ce bien elle ?

Il resta un instant les yeux fixés dans le vide.

Puis il s’écria :

— C’est ce dont il faut s’assurer tout d’abord !

Il sonna ; personne ne répondit.

Il appela Peyrolles par son nom. — Nouveau silence.

Gonzague se leva et passa vivement dans la bibliothèque, où d’ordinaire le factotum attendait ses ordres : la bibliothèque était déserte.

Sur la table, seulement, il y avait un pli à l’adresse de Gonzague. Celui-ci l’ouvrit.

Le billet contenait ces mots :

« Je suis venu ; j’avais beaucoup à vous dire. Il s’est passé d’étranges choses au pavillon. »

Puis, en forme de post-scriptum :

« M. le cardinal de Lorraine est chez la princesse. Je veille. »

Gonzague froissa le billet.

— Ils vont tous lui dire, murmura-t-il : — « Assistez au conseil… pour vous-même… pour votre enfant, s’il existe… » Elle se roidira… elle ne viendra pas !… c’est une femme morte… Et qui l’a tuée ?… s’interrompit-il, le front plus pâle et l’œil baissé.

Il pensait tout haut, malgré lui :

— Fière créature autrefois… belle au-dessus des plus belles !… douce comme les anges… vaillante autant qu’un chevalier !… c’est la seule femme que j’eusse aimée, si j’avais pu aimer une seule femme !

Il se redressa, et le sourire sceptique revint à ses lèvres.

— Chacun pour soi ici-bas ! fit-il ; — suis-je cause, moi, que la loi humaine soit faite ainsi ? est-ce ma faute si, pour s’élever au-dessus de certain niveau, il faut mettre le pied sur des marches qui sont des têtes ou des cœurs ?

Comme il rentrait dans sa chambre, son regard tomba sur les draperies du boudoir où dona Cruz était renfermée.

— Celle-là prie, dit-il en riant ; — eh bien, j’aurais presque envie de croire maintenant à cette billevesée qu’on nomme la voix du sang… Elle a été émue, mais pas trop… pas comme une vraie fille à qui on eût dit les mêmes paroles : « Tu vas voir ta mère. » Bah !… une petite bohémienne !… elle a songé aux diamants… aux fêtes… on ne peut pas apprivoiser les loups !

Il alla mettre son oreille à la porte du boudoir.

— C’est qu’elle prie, s’écria-t-il, tout de bon !… C’est une chose singulière ! tous ces enfants du hasard ont, dans un coin de leur extravagante cervelle, une idée qui naît avec leur première dent et qui ne meurt qu’avec leur dernier soupir : l’idée que leur mère est princesse… Tous !… ils cherchent, la hotte sur le dos, le roi leur père… Celle-ci est charmante ! se reprit-il, — un vrai bijou !… comme elle va me servir naïvement et sans le savoir !… Si une bonne paysanne, sa vraie mère, venait aujourd’hui lui tendre les bras, palsambleu ! elle se fâcherait tout rouge !… Nous allons avoir des larmes au récit de son enfance… La comédie se glisse partout !

Sur son bureau, il y avait un flacon de cristal plein de vin d’Espagne et un verre. Il se versa une rasade et but.

— Allons, Philippe ! dit-il en s’asseyant devant ses papiers épars, — ceci est le grand coup de dé !… nous allons jeter un voile sur le passé aujourd’hui ou jamais !… Belle partie ! bel enjeu ! les millions de la banque de Law peuvent faire comme les sequins de Mille et une nuits et se changer en feuilles sèches… mais les immenses domaines de Nevers… voilà le solide !

Il mit en ordre ses notes préparées longtemps à l’avance.

Peu à peu, son front se rembrunissait comme si une pensée terrifiante se fût emparée de lui.

— Il n’y a pas à se faire illusion, dit-il en cessant de travailler pour réfléchir encore : — la vengeance du régent serait implacable… il est léger, il est oublieux, mais il se souvient de Philippe de Nevers, qu’il aimait plus qu’un frère… j’ai vu des larmes dans ses yeux quand il regardait ma femme en deuil… la veuve de Nevers ! — Mais quelle apparence !… s’interrompit-il. Il y a dix-neuf ans… Et pas une voix ne s’est élevée contre moi !…

Il passa le revers de sa main sur son front comme pour chasser cette obsédante pensée.

— C’est égal ! conclut-il, — j’aviserai à cela… je trouverai un coupable… et, le coupable puni, tout sera dit : je dormirai tranquille !

Parmi les papiers étalés devant lui et presque tous écrits en chiffres, il y en avait un qui portait :

« Savoir si madame de Gonzague croit sa fille morte ou vivante. »

Et au-dessous :

« Savoir si l’acte de naissance est en son pouvoir. »

— Pour cela, il faudrait qu’elle vînt, pensa Gonzague ; je donnerais cent mille livres pour savoir seulement si elle a l’acte de naissance… ou même si l’acte de naissance existe ; car, s’il existait je l’aurais. — Et qui sait ? reprit-il emporté par ses espoirs renaissants, — qui sait !… les mères sont un peu comme ces bâtards dont, je parlais tout à l’heure et qui voient partout leurs parent… Les mères voient partout leurs enfants… je ne crois pas le moins du monde à l’infaillibilité des mères… Qui sait ? trompée elle-même la première, elle va peut-être ouvrir les bras à ma petite gitana. — Ah ! par exemple, s’interrompit-il, — victoire ! victoire en ce cas-là !… des fêtes, des cantiques d’actions de grâces, des banquets… salut à l’héritière de Nevers !…

Il riait. — Quand son rire cessa, il poursuivit :

— Puis, dans quelques semaines, — tout doucement, — sans bruit, — mort d’une jeune et belle princesse… il en meurt tant de ces jeunes filles !… deuil général… oraison funèbre par un archevêque… — Sur ma foi ! s’écria-t-il, — les uns meurent pour que les autres vivent !… La jeune et belle princesse me laissera héritier d’une fortune énorme… et que j’aurai bien gagnée !

Deux heures de relevée sonnèrent à l’horloge de Saint-Magloire. C’était le moment fixé pour l’ouverture du tribunal de famille.