Le Célibataire (Désaugiers)

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LE CÉLIBATAIRE



Jeunes gens, qui, sans raisonner,
N’aspirez qu’à vous enchaîner,
Suivez votre amoureuse envie ;
Mais voulant jouir de la vie,
Moi, messieurs, j’ai toujours chanté :
« Pas de bonheur sans liberté. »
Ce que j’en dis n’est pas que je vous blâme ;
Car j’aime beaucoup que l’on prenne une femme,
Car j’aime que l’on prenne une femme.

Votre moitié sans doute aura
Grâces, vertus, et cœtera ;
Mais si vous découvrez qu’une autre
En a plus encor que la vôtre,
Certain regret va vous saisir…
Garçon, je puis toujours choisir…
Ce que j’en dis, etc.

Vous jurerez d’aimer toujours
Ces traits charmants, ces doux contours,
Mais leur fraîcheur, leur grâce extrêmes,
Pourront bien n’être plus les mêmes
À leur soixantième printemps :
Ma maîtresse a toujours seize ans.
Ce que j’en dis, etc.

Vos dames seront des moutons ;
Cependant donnez-vous les tons

De ne rentrer qu’avec l’aurore,
Le tendre agneau qui vous adore
Boudera, grondera, criera.
Moi mon chien me caressera.
Ce que j’en dis, etc.

De vos feux pour un court trajet,
Quittez le légitime objet…
Voilà qu’une fièvre jalouse
Vient, loin de votre chère épouse,
Tourmenter vos jours et vos nuits ;
Ma femme est partout où je suis.
Ce que j’en dis, etc.

Un jeune tendron vous séduit ;
Chez lui le désir vous conduit.
Mais s’il apprend que l’hyménée
Enchaîne votre destinée,
Son cœur pour vous devient glaçon ;
Et la fille est pour le garçon…
Ce que j’en dis, etc.

Conduisez-vous madame au bal,
N’en déplaise au nœud conjugal,
Il faut, de peur du ridicule,
Souffrir que votre effet circule,
Le bon ton vous en fait la loi.
Elle est à Pierre, à Paul, à moi…
Ce que j’en dis, etc.

Enfin, le premier feu passé,
L’un de l’autre bientôt lassé,
Pour couronner gaîment l’affaire,
On finit, messieurs, par vous faire…

Mais je vous vois déjà trembler !
De quoi vais-je me mêler ?
Ce que j’en dis, n’est pas que je vous blâme ;
Car j’aime beaucoup que l’on prenne une femme,
Car j’aime que l’on prenne une femme.