Le Capitaine Micah Clarke/3

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Traduction par Albert Savine.
P.-V. Stock, éditeur (p. 39-82).

III-Maître Stephen Timewell, Maire de Taunton.[modifier]

Tout était en mouvement, en agitation, dans l'Hôtel de Ville.

Sur un des côtés, à une table basse couverte de serge verte, étaient assis deux écrivains, ayant devant eux de grands rouleaux de papier.

Une longue procession de citadins défilaient devant eux.

Chacun déposait un rouleau ou un sac de pièces de monnaies qui était dûment enregistré par les receveurs.

Une caisse carrée, renforcée de fer, se trouvait à côté d'eux.

On y jetait l'argent et nous remarquâmes au passage qu'elle était à moitié pleine de pièces d'or.

Nous ne pûmes éviter de constater que parmi les donateurs, il y en avait beaucoup dont les doublets râpés et les figures amaigries montraient que les sommes si volontiers données par eux étaient le fruit de privations qu'ils s'étaient imposés jusque dans leur nourriture.

Beaucoup, parmi eux, accompagnaient leur offrande d'une courte prière, ou de la citation d'un texte bien choisi, où il est parlé du trésor qui ne se corrompt point, ou du prêt fait au Seigneur.

Le secrétaire de la ville, debout près de la table, délivrait les reçus pour chaque somme, et le mouvement incessant de sa langue emplissait la salle, lorsqu'il lisait les noms et les sommes, en y intercalant ses remarques:

-Abraham Willis, criait-il à notre entrée, inscrivez-le pour vingt-six livres dix shillings. Vous recevrez dix pour cent sur cette terre, Maître Willis, et je vous garantis qu'ensuite vous ne serez point oublié... John Standish, deux livres, William Simons, deux guinées... Tiens-bon Bealing, quarante-cinq livres. Voilà un fameux coup dans le flanc du Prélatisme, brave Maître Hoaling... Salomon Warren, cinq guinées; James White, cinq shillings, l'obole de la veuve, James!... Thomas Bakewell, cinq livres. Non, Maître Bakewell, avec trois fermes sur les bords de la Tone et des pâturages dans l'endroit le plus fertile d'Athelney, vous pouvez vous montrer plus libéral pour la bonne cause. Nous vous reverrons sans doute. L'Alderman Smithson, quatre-vingt-dix livres! Aha! voilà un soufflet sur la figure de la femme vêtue d'écarlate. Encore quelques autres comme celui-là, et son trône se changera en chaise à plongeon. Nous la démolirons, digne Maître Smithson, ainsi que Jéhu, le fils de Nimshi, démolit la demeure de Baal.

Et il bavardait, bavardait, faisant succéder éloges, conseils, reproches, bien que les graves et solennels bourgeois ne prêtassent guère attention à son vain jacassement.

À l'autre côté de la salle, il y avait plusieurs longues auges de bois, employées à loger les piques et les faux.

Des messagers spéciaux, des appariteurs avaient été expédiés pour battre le pays et réunir des armes.

Ceux-ci, à leur retour, avaient déposé là leur butin sous la surveillance de l'armurier en chef.

Outre les armes ordinaires des paysans, on voyait un tonneau à moitié plein de pistolets et de pétrinaux, sans compter un bon nombre de mousquets, de fusils à écrou, des fusils hollandais, canardières, carabines, ainsi qu'une douzaine de tromblons à canon de bronze, à gueule évasée, quelques armes de rempart d'antique façon, telles que sacres, couleuvrines, provenant des manoirs du comté.

On avait pris sur les remparts, tiré des greniers de ces vieilles demeures bien d'autres armes, que sans doute nos aïeux regardaient comme des objets de prix, mais qui paraîtraient bien étranges en ce temps-ci, où on peut tirer un coup de fusil toutes les deux minutes, et envoyer aussi une balle à une distance de quatre cents pas.

Il y avait des hallebardes, des haches de combat, des masses d'armes, des lances, et d'antiques cottes de mailles, capables encore aujourd'hui de mettre la vie d'un homme à l'abri d'un coup d'épée ou de pique.

Maître Timewell, le Maire, était debout au milieu de ces allées et venues, mettant de l'ordre dans toutes choses, en chef habile et prévoyant.

Je compris aisément la confiance et l'affection qu'éprouvaient pour lui ses concitoyens, quand je le vis à l'oeuvre, et faisant preuve de toute la sagesse de l'âge et de tout l'entrain de la jeunesse.

Il était tout entier à sa besogne.

Au moment de notre arrivée, il essayait le fonctionnement d'un falconnette, mais en nous apercevant, il s'avança et nous salua avec beaucoup de bienveillance.

-J'ai entendu parler beaucoup de vous, dit-il, et raconter comment vous avez maintenu ensemble les fidèles, et battu ainsi les cavaliers de l'usurpateur. Ce ne sera pas la dernière fois, je l'espère, que vous aurez vu leur dos. On m'a appris, Colonel Saxon, que vous avez beaucoup servi à l'étranger.

-J'ai été l'humble instrument de la Providence dans plus d'une bonne besogne, dit Saxon en s'inclinant. J'ai combattu avec les Suédois contre les Brandebourgeois, puis avec les Brandebourgeois contre les Suédois, mon temps étant expiré et mes conditions satisfaites avec ces derniers. Ensuite j'ai combattu avec les Bavarois contre les Suédois et les Brandebourgeois réunis, sans parler de la part que j'ai prise aux grandes guerres sur le Danube contre le Turc, et de deux campagnes dans le Palatinat avec les Messieurs, ce qui toutefois peut passer pour une distraction plutôt que pour de la guerre.

-De vrais états de service pour un soldat! s'écria le Maire, en caressant sa barbe blanche. J'ai entendu dire aussi que vous êtes puissant dans la prière et le chant. Vous êtes, ce que je vois, colonel, de la vieille race de mil six cent quarante, où les hommes passaient toute la journée en selle, et la moitié de la nuit à genoux. Quand reverrons-nous leurs pareils? Il ne reste plus que des débris tels que moi, le feu de notre jeunesse entièrement éteint, et n'offrant plus que des cendres léthargiques de la tiédeur.

-Non, non, dit Saxon, la position et l'occupation où vous voilà maintenant ne sont guère d'accord avec la modestie de votre langage. Mais voici des jeunes gens qui trouveront l'ardeur, si leurs anciens apportent le concours de leurs cerveaux. Voici le Capitaine Micah Clarke, le Capitaine Lockarby, et le Capitaine Honorable Sir Gervas Jérôme, qui sont venus de loin tirer leurs épées en faveur de la foi foulée aux pieds.

-Taunton vous souhaite la bienvenue jeunes messieurs, dit le Maire, en regardant un peu de travers, du moins je me le figurais, le baronnet qui avait tiré son miroir de poche et était occupé à se brosser les sourcils J'espère que durant votre séjour en cette ville, vous voudrez bien vous installer chez moi. C'est une maison sans façon, où la chère est simple, mais un soldat a peu de besoins. Et maintenant, colonel, je serais heureux de vous consulter au sujet de ces drags, et de savoir si après avoir été recerclés, ils peuvent encore servir, ainsi qu'au sujet de ces trois demi-canons, qui furent employés au temps ancien du Parlement et diront peut-être leur mot dans la cause du peuple.

Le vieux soldat et le Puritain s'enfoncèrent aussitôt dans une profonde et savante discussion sur les mérites des pièces de rempart, des petits canons, demi-couleuvrines, sacres, mignons, mortiers, faucons, pierriers, autant de types d'artillerie sur chacun desquels Saxon avait à exprimer des opinions bien tranchées, étayées de bien des aventures, de bien des expériences personnelles.

Il s'étendit ensuite sur les avantages des flèches à feu, des lances à feu, dans l'attaque ou la défense des places fortes.

Il termina par une longue dissertation sur les fortins, directis lareribus, sur les ouvrages en demi-lune, en ligne droite, horizontaux, obsculaires, avec tant de mentions des lignes de la Majesté Impériale, à Gran, qu'il semblait que ce discours ne dût jamais finir.

Nous nous esquivâmes pendant qu'il était en train de discuter sur les efforts que produisirent les grenades autrichiennes sur une brigade de piquiers bavarois à la bataille d'Obergranstock.

-Que je sois maudit, si je suis disposé à accepter l'offre de ce personnage, dit Sir Gervas à demi-voix. J'ai entendu parler des ménages puritains. Beaucoup de prières, peu de vin du Rhin, et de tous côtés des vols de textes aussi durs, aussi tranchants que des cailloux. On se couche avec le soleil, et un sermon est là qui vous guette pour peu qu'on regarde avec bienveillance la domestique, ou qu'on chantonne un refrain de chanson à boire.

-La maison peut être plus importante que celle de mon père, fis-je remarquer, mais elle ne peut pas être plus rigoureuse.

-Pour cela, je le garantis, s'écria Ruben. Quand nous allions à une danse moresque, quand nous organisions un jeu des samedis soir, comme la ronde aux baisers ou le curé qui a perdu son habit», j'ai vu Joe Côte de Fer nous jeter au passage un regard capable de geler le sourire sur nos lèvres. Je vous réponds qu'il aurait aidé le Colonel Pride à tuer les ours ou à abattre les maïs.

-Un tel homme eût commis un fratricide en tuant des ours, dit Sir Gervas, avec tout le respect que je professe pour votre honorable père, ami Clarke.

-Tout comme vous si vous aviez abattu un papegai, répondis-je en souriant. Quant à l'offre du Maire, nous ne pouvons maintenant nous dispenser d'aller à son repas, et si on le trouve ennuyeux, il vous sera aisé de trouver une excuse, et de vous tirer honorablement de là. Mais rappelez-vous ceci, Sir Gervas, ces intérieurs-là sont très différents de tous ceux que vous connaissez. Aussi donc réfrénez votre langue: sans quoi il pourrait y avoir quelqu'un de fâché. Si je fais hem! ou si je tousse, cela signifiera que vous ferez bien de vous tenir sur vos gardes.

-Convenu, jeune Salomon, s'écria-t-il. Il fait réellement bon avoir un pilote qui connaît comme vous ces eaux sacrées. Quant à moi, je ne me doutais pas combien j'étais près des récifs. Mais nos amis ont fini la bataille d'Ober... je ne sais pas quoi, et ils s'avancent vers nous. J'espère, Monsieur le Maire, que toutes les difficultés sont résolues?

-Elles le sont, répondit le Puritain. J'ai été extrêmement édifié par les propos de votre colonel, et je suis certain qu'en servant sous ses ordres vous ferez grand profit de sa mûre expérience.

-Très probable, monsieur, très probable! dit Sir Gervas d'un ton insouciant.

-Mais, reprit le Maire, il est près d'une heure, et notre faible chair demande à grands cris à manger et à boire. Je vous en prie, faites-moi la faveur de m'accompagner en mon humble demeure, où nous trouverons le repas de famille déjà servi.

En disant ces mots, il nous précéda pour sortir de la salle, et descendit lentement Fore Street, les gens s'écartant à droite et à gauche sur son passage et se découvrant respectueusement devant lui.

De place en place, ainsi qu'il nous le fit remarquer, des mesures avaient été prises pour barrer la route avec de fortes chaînes, destinées à rompre l'élan de la cavalerie.

Dans certains endroits, à l'angle d'une maison un trou avait été pratiqué dans la maçonnerie, et par là pointait la gueule noire d'une caronade ou d'une pièce de rempart.

Ces précautions étaient d'autant plus nécessaires, que plusieurs corps de cavalerie, sans compter celui que nous avions repoussé, étaient répandus dans les environs, on le savait, et que la ville, n'ayant plus ses remparts, était exposée à une incursion d'un chef audacieux.

La demeure du principal magistrat était une maison trapue, à façade carrée en pierre, située dans une cour qui s'ouvrait sur la rue de l'Est.

La porte de chêne, à imposte pointue, parsemée de gros clous de fer, avait un air sombre et maussade, mais le vestibule sur lequel elle s'ouvrait était clair et aéré.

Il avait un parquet de cèdre très poli et était lambrissé jusqu'à une grande hauteur, d'un bois de nuance foncée qui répandait une odeur agréable, analogue à celle de la violette.

Un large escalier partait de l'autre bout du vestibule.

Ce fut par là qu'arriva, d'une marche légère, au moment de notre entrée, une jeune fille à la figure douce, suivie d'une vieille dame chargée de lingerie blanche.

En nous voyant, la personne âgée battit en retraite, remontant l'escalier, pendant que la jeune personne descendait les marches trois à trois, entourait de ses bras le cou du vieillard, et l'embrassait avec tendresse, en le regardant bien en face, comme une mère regarde un enfant, quand elle craint quelque chose d'inquiétant.

-On s'est encore fatigué, grand-papa, encore fatigué, dit-elle en hochant la tête, et lui posant sur chaque épaule une petite main blanche. Vraiment, vraiment, ton courage est plus grand que tes forces.

-Non, non, petite, dit-il, en passant affectueusement la main à travers une opulente chevelure brune, l'ouvrier doit travailler jusqu'à ce que sonne l'heure du repos. Gentilshommes, voici ma petite fille Ruth, tout ce qui reste de ma famille, et la lumière de ma vieillesse. Tout le bosquet a été abattu, et il ne reste plus que le vieux chêne et le jeune rejeton. Ces cavaliers, ma petite, sont venus de loin pour servir la cause, et ils nous ont fait l'honneur d'accepter notre hospitalité.

-Vous êtes venus au bon moment, gentilshommes, répondit-elle en nous regardant bien en face avec un bienveillant sourire, comme celui d'une soeur accueillant ses frères. La maisonnée est réunie autour de la table, et le repas est prêt.

-Pas plus prêt que nous ne le sommes, s'écria le robuste vieux bourgeois. Conduis nos hôtes à leurs places, pendant que j'ôterai cette robe officielle, ma chaîne et mon col de fourrure, avant de rompre mon jeûne.

À la suite de notre jolie conductrice, nous entrâmes dans une chambre très grande et très haute, dont les murs étaient revêtus de panneaux de chêne et dont chaque extrémité était ornée d'une tapisserie.

Le parquet était en marqueterie à la façon française et couvert d'une quantité de peaux et de tapis.

À un bout de la pièce se dressait une grande cheminée de marbre, assez vaste pour former à elle seule une petite chambre, meublée, comme au temps jadis, d'un appui pour les ferrures, dans le centre, et pourvue de larges bancs en pierre sur les côtés.

Au-dessus du manteau de la cheminée, des rangées de crochets avaient servi, à ce qu'il me sembla, à supporter des armes, car les riches marchands anglais avaient coutume d'en avoir chez eux au moins en quantité suffisante pour équiper leurs apprentis et leurs ouvriers.

Mais elles avaient été enlevées, et il ne restait plus d'autre indice des temps de troubles, qu'un monceau de piques et de hallebardes entassées dans un coin.

Au milieu de la chambre s'étendait une longue table massive, autour de laquelle étaient assis trente ou quarante personnes, pour la plupart des hommes.

Ils étaient tous debout à notre entrée.

À l'extrémité la plus éloignée de la table, un individu à figure grave débitait avec une prononciation traînante des actions de grâce qui n'en finissaient pas.

Cela commençait par une formule de reconnaissance, pour la nourriture, mais se perdait dans des histoires d'Église et d'État, pour finir par une supplication en faveur d'Israël, qui venait de prendre les armes pour livrer les batailles du Seigneur.

Pendant tout ce temps-là, nous formions un groupe près de la porte, nu-tête, et nous nous occupions à observer la compagnie et nous pouvions le faire de plus près que la politesse ne nous eût permis de le faire, si les gens n'avaient pas tenu les yeux baissés, et si leur pensée ne s'était pas portée ailleurs.

Il y en avait de tous les âges, depuis les barbons jusqu'aux jeunes garçons ayant à peine dépassé les dix-huit ans.

Tous avaient sur les traits la même expression austère et solennelle.

Tous étaient vêtus de la même façon, de costumes simples et sombres.

À part la blancheur de leurs larges cols et de leurs manches, pas un cordon de couleur n'égayait la triste sévérité de leur habillement.

Leurs vestes et leurs gilets noirs étaient de coupe droite et collante, et leurs souliers de cuir Cordoue, qui, au temps de notre jeunesse, étaient d'ordinaire l'endroit préféré pour quelques menus ornements, étaient tous, sans exception, à bouts carrés et attachés avec des cordons de couleur foncée.

La plupart portaient des baudriers simples en cuir non tanné, mais les armes elles-mêmes, ainsi que les larges chapeaux de feutres et les manteaux noirs, étaient entassés sur les bancs, ou déposés sur les sièges le long des murs.

Ils tenaient les mains jointes, la tête penchée et écoutaient cette allocution inopportune, en témoignant de temps à autre, par un gémissement ou une exclamation, de l'émotion que les paroles du prédicant excitaient en eux.

Les trop longues actions de grâces se terminèrent enfin.

La troupe s'assit et se mit sans autre retard ni cérémonie à attaquer les gros quartiers de viande qui fumaient devant elle.

Notre jeune hôtesse nous conduisit au bout de la table, où une haute chaise sculptée, pourvue d'un coussin noir, indiquait la place du maître de la maison.

Mistress Timewell s'assit à la droite du Maire, ayant à côté d'elle Sir Gervas et la place d'honneur, la gauche, étant donnée à Saxon.

À ma gauche était assis Lockarby, dont j'avais vu les yeux se fixer avec une admiration visible et persistante sur la jeune Puritaine depuis le premier instant où il l'avait aperçue.

La table n'étant pas très large, nous pouvions causer d'un bord à l'autre malgré le fracas de vaisselle et des plats, malgré l'affairement des domestiques et le grave bourdonnement des voix.

-C'est le personnel de la maison de mon père, fit remarquer notre hôtesse, s'adressant à Saxon. Il n'y a ici personne qui ne soit à son service. Il a un grand nombre d'apprentis dans le commerce de la laine. Nous sommes ici quarante à chaque repas, tous les jours de l'année.

-Et un repas fameux, dit Saxon, en jetant un regard sur la table, du saumon, des côtes de boeuf, des croupes de mouton, des pâtés de veau, qu'est-ce qu'un homme peut désirer de plus? De la bière brassée à la maison, servie en abondance, pour faire descendre tout cela. Si le digne Maître Timewell trouve le moyen d'approvisionner l'armée de cette façon, je serai le premier à lui en être reconnaissant. Une tasse d'eau sale, et un morceau de viande enfilé sur une baguette de fusil et charbonnée plutôt que rôtie au feu du bivouac, voilà probablement ce qui succédera à ces douceurs.

-Ne vaut-il pas mieux avoir la foi? dit la jeune Puritaine. Le Tout Puissant ne nourrira-t-il pas ses soldats, tout de même qu'Élisée fut nourri dans sa solitude et qu'Agar le fut dans le désert?

-Oui, dit un jeune homme à la tignasse frisée, au teint basané, qui était assis à la droite de Sir Gervas, il pourvoira à nos besoins, tout de même qu'un ruisseau jaillit des endroits secs, tout de même que les cailles et la manne tombèrent en abondance sur le sol stérile.

-Je l'espère bien, mon jeune monsieur, dit Saxon, mais il ne nous faudra pas moins organiser un service d'approvisionnement, avec une escorte de chariots numérotés, et un intendant pour chacun, à la façon allemande. Ce sont là choses qu'il ne faut point laisser au hasard.

À cette remarque, la jolie Mistress Timewell leva les yeux d'un air presque effaré, comme si elle en était scandalisée.

Ses pensées auraient pris la forme de paroles, si à ce moment même, son père n'était entré dans la salle, où toute la compagnie se leva et salua, pendant qu'il gagnait sa place.

-Asseyez-vous, mes amis, dit-il, en faisant un geste de la main... Colonel Saxon, nous sommes des gens simples, et l'antique vertu du respect pour nos anciens n'est point entièrement éteinte chez nous. J'espère, Ruth, reprit-il que tu as pourvu aux besoins de nos hôtes?

Nous protestâmes d'une seule voix que nous n'avions jamais été l'objet d'autant d'attention et d'hospitalité.

-C'est bien, c'est bien, dit le bon tisseur de laine, mais vos assiettes sont nettes et vos verres vides. William, veillez à cela. Un bon travailleur sait toujours découper à table. Si un de mes apprentis n'arrive pas à faire plat net, je sais que je ne tirerai pas grand chose de lui quand il maniera l'outil à carder et le chardon à foulon. Les muscles et les nerfs se font avec des matériaux... Une tranche de ce quartier de boeuf, William... À propos de cette bataille d'Obergranstock, colonel, quel fut le rôle qu'y joua ce régiment de Pandous dans lequel vous aviez une commission?


Sur une question de ce genre, vous pouviez vous imaginer que Saxon avait bien des choses à dire.

Les deux hommes ne tardèrent pas à s'enfoncer dans une discussion animée où les incidents de la Dune de Roundway et de la bande de Marston furent mis en parallèle avec les résultats d'une vingtaine d'affaires aux noms impossibles à prononcer, dans les Alpes de Styrie et sur les bords du Danube.

Dans sa vaillante jeunesse, Maître Timewell avait commandé d'abord un escadron, puis un régiment, pendant les guerres du Parlement, depuis la bataille de Chalgrove jusqu'à la lutte finale à Worcester, en sorte que ces aventures militaires, sans avoir autant de diversité et d'étendue que celles de son interlocuteur, étaient suffisantes pour lui permettre de formuler et défendre des opinions précises.

Au fond, elles étaient les mêmes que celles du soldat de fortune, mais lorsque leurs idées différaient sur quelque détail, aussitôt s'engageait un feu croisé d'expressions militaires.

Il était tant question d'estacades, de palissades, de comparaisons entre la cavalerie légère et la grosse cavalerie, entre piquiers et mousquetaires, entre lansquenets et lanciers que l'oreille du profane était étourdie de ce torrent de mots.

Enfin, à propos d'un détail de fortification, le Maire traça le plan de ses ouvrages avancés avec des cuillers et des fourchettes, pendant que Saxon ouvrait ses parallèles avec des lignes de morceaux de pain, les poussait rapidement en traverses et chemins couverts, pour s'établir sur l'angle rentrant de la redoute du Maire.

De là partit une nouvelle discussion au sujet des contre mines, ce qui eût pour effet de donner au débat un redoublement d'ardeur.

Pendant que cette dispute amicale avait lieu entre les anciens, Sir Gervas Jérôme et Mistress s'étaient mis à causer d'un bout de la table à l'autre.

-Mes chers enfants, j'ai rarement vu une figure aussi belle que celle de cette demoiselle puritaine.

Elle était belle de cette sorte de beauté modeste et virginale où les traits doivent leur charme au charme de l'âme qui les illumine.

Le corps, dans sa perfection de forme, semblait n'être que l'expression de l'esprit accompli qui l'habitait.

Sa chevelure brun foncé tombait en arrière depuis son front large et blanc, qu'embellissaient deux sourcils fortement marqués, et de grands yeux bleus et pensifs.

L'ensemble de ses traits avait un caractère de douceur qui faisait songer à la tourterelle.

Néanmoins il y avait dans la bouche une fermeté, dans le menton une délicate saillie qui indiquaient qu'en des temps de trouble et de danger, la petite demoiselle saurait se montrer la digne descendante du soldat Tête-Ronde et du magistrat puritain.

Je suis certain qu'en des circonstances où des matrones, à la voix plus forte et plus autoritaire, se seraient vues réduites au silence, la jeune fille du Maire, avec sa douce voix, n'aurait pas été longtemps à perdre son accent de conciliation et à laisser apparaître l'énergie naturelle qu'elle cachait.

Je fus fort diverti en observant le mal que Sir Gervas se donnait pour causer avec elle, car la demoiselle et lui appartenaient à des mondes si profondément divers, qu'il lui fallait toute sa galanterie, tout son esprit, pour se maintenir sur un terrain où ses propos fussent intelligibles pour elle.

-Sans doute, Mistress Ruth, vous employez une grande partie de votre temps à la lecture, remarqua Sir Gervas, je me demande si vous pouvez faire autre chose, étant aussi loin de la Ville.

-De la ville? dit-elle d'un air surpris. Est-ce que Taunton n'est point une ville.

-Le Ciel me préserve de dire le contraire, répondit Sir Gervas et tout particulièrement en présence d'un aussi grand nombre de dignes bourgeois qui passent pour être assez susceptibles en ce qui regarde l'honneur de leur cité natale. Il n'en est pas moins vrai, belle Mistress, que la ville de Londres l'emporte sur toutes les autres villes à tel point qu'on la nomme la Ville, ainsi que je viens de le faire.

-Elle est bien grande alors, s'écria-t-elle, avec un joli étonnement. Mais on bâtit de nouvelles maisons à Taunton, en dehors des anciennes murailles, et de l'autre côté de Shuttern, et même sur l'autre bord de la rivière. Peut-être sera-t-elle aussi grande, avec le temps.

-Quand bien même on ajouterait toute la population de Taunton à Londres, dit Sir Gervas, personne n'y remarquerait le moindre accroissement.

-Mais non, vous vous moquez de moi, s'écria la petite provinciale. C'est contre toute raison.

-Votre grand-père confirmera mes paroles, dit Sir Gervas. Mais pour revenir à vos lectures, je parierais qu'il n'y a pas une page de Scudéry et de son Grand Cyrus que vous n'ayez lue. Sans nul doute vous connaissez très bien les choses sentimentales qui se trouvent dans Cowley, dans Waller, ou Dryden?

-Qui sont ces gens-là? demanda-t-elle. Dans quelle église prêchent-ils?

-Sur ma foi! s'écria le baronnet en riant, l'honnête John prêche dans l'église de Will Unwin, connue de tout le monde sous la dénomination de Chez Will», et bien souvent deux heures du matin sonnent avant la fin de son sermon. Mais pourquoi cette question? Croyez-vous que nul n'a le droit d'écrire sur du papier, à moins qu'il ne porte une robe et n'ait grimpé dans une chaire. Je me figurais que toutes les personnes de votre sexe avaient lu Dryden. Dites-moi, je vous prie, quels sont vos livres favoris.

-Il y a le Tocsin sonné aux Inconvertis d'Alleine, dit-elle. C'est un ouvrage qui vous remue, un ouvrage qui a opéré beaucoup de bien. N'avez-vous pas ressenti des fruits abondants à sa lecture?

-Je n'ai point lu l'ouvrage que vous désignez, avoua Sir Gervas.

-Point lu? s'écria-t-elle en levant les sourcils. Vraiment, je croyais que tout le monde avait lu le Tocsin. Alors, que pensez-vous des Combats du Fidèle?

-Je ne l'ai point lu.

-Ou bien des Sermons de Baxter? demanda-t-elle.

-Je ne les ai point lus.

-Et le Cordial de l'Esprit, par Bull?

-Je ne l'ai point lu.

Mistress Ruth le regarda en ouvrant de grands yeux, pleins d'un étonnement sincère.

-Vous trouverez peut-être qu'en parlant ainsi je manque d'éducation, mais je ne puis m'empêcher d'être surprise. Où donc avez-vous été? Qu'avez-vous fait pendant toute votre vie? Mais voyons, les enfants des rues eux-mêmes ont lu ces livres.

-La vérité, c'est que des ouvrages de cette sorte ne se rencontrent guère sur notre chemin, à Londres, répondit Sir Gervas. Une pièce de Georges Etheredge, des bouts-rimés de Sir John Suckling sont choses plus légères, bien qu'elles soient peut-être moins nourrissantes pour l'esprit. À Londres, on peut se tenir au fait de ce qui se passe dans le monde des lettres, sans avoir beaucoup de lectures à faire, car sans parler des commérages des cafés et des nouvelles à la main qu'on rencontre sur sa route, il y a les bavardages des poètes et les beaux-esprits dans les assemblées, puis de temps en temps, peut-être une soirée ou deux dans la semaine, le théâtre, avec Vanbrugh ou Farquhar. Ainsi on ne fausse pas longtemps compagnie aux Muses. Puis, après la pièce, si l'on se sent disposé à tenter la fortune au tapis-vert chez Groom Porter, on peut aller faire un tour au Cocotier» si l'on est Tory, ou à Saint-James, si l'on est un Whig. Il y a dix contre un à parier que la conversation tournera sur la façon de composer des alcaïques, ou sur la rivalité entre le vers blanc et le vers rimé. Puis, après un arrière-souper, on s'en ira chez Will ou chez Slaughter où l'on trouvera le vieux John, ainsi que Tickell, Congrève, et le reste de la troupe, en train de travailler ferme sur les unités dramatiques, ou sur la justice poétique, ou d'autres sujets analogues. J'avoue que mes goûts ne me portent guère dans cette direction, et qu'à cette heure-là, j'avais le tort de consacrer mon temps à la bouteille de vin, au cornet à dés, ou bien...

-Hem! Hem! fis-je très bruyamment pour le mettre sur ses gardes, car plusieurs des Puritains étaient aux écoutes, avec des mines qui exprimaient toute autre chose que de l'approbation.

-Ce que vous dites de Londres m'intéresse vivement, dit la jeune Puritaine, bien que ces noms et ces endroits n'aient pas beaucoup de sens pour mes oreilles d'ignorante. Mais vous avez parlé du théâtre. Assurément, personne ne s'approche de ces antres d'iniquité, de ces pièges que tend le Mauvais? Le bon et sanctifié Maître Bull déclara du haut de la chaire que ce sont là les lieux où se rassemblent les effrontés, les lieux que hantent de préférence les pervers Assyriens, et qui sont aussi dangereux pour l'âme qu'aucune de ces constructions papistes pourvues d'un clocher, où la créature est d'une manière sacrilège confondue avec le Créateur.

-Voilà qui est bien parlé, et qui est bien vrai, Mistress Timewell, s'écria le jeune et efflanqué Puritain de gauche, qui avait prêté une oreille attentive à toute la conversation. Il y a plus de choses mauvaises en ces maisons-là, qu'en toutes les cités de la plaine. Je ne doute point que la colère du Seigneur ne fonde un jour sur elles et ne les détruise entièrement, ainsi que les hommes dissolus et les femmes perdues qui les fréquentent.

-Vos opinions tranchées sont sans doute, mon ami, fondées sur une connaissance complète de votre sujet, dit avec calme Sir Gervas. Combien de fois, dites-moi, êtes-vous entré dans ces maisons que vous décriez?

-Grâce au Seigneur, je n'ai jamais été tenté de m'écarter du droit chemin jusqu'au point de mettre les pieds dans une seule. Je n'ai pas même pénétré dans ce vaste égout qu'on appelle Londres. Toutefois, j'espère, et avec moi d'autres fidèles, que nous arriverons un jour à nous mettre en marche dans cette direction, nos estocs au côté, avant que cette affaire-ci soit terminée, et alors, je vous en réponds, nous ne nous bornerons pas, comme fit Cromwell, à clore ces séjours du vice, mais nous n'en laisserons pas pierre sur pierre, nous sèmerons du sel sur leur emplacement, si bien qu'ils deviennent pour le peuple un proverbe et une occasion de siffler.

-Vous avez raison, John Derrick, dit le Maire, qui avait saisi au vol la fin de ces remarques. Toutefois m'est avis que de parler moins haut et de vous mettre moins en avant, vous siérait mieux, quand vous vous entretenez avec les invités de votre maître... À propos de ces mêmes théâtres, colonel, cette fois-ci, quand nous aurons le dessus, nous ne tolérerons pas que l'ivraie d'autrefois étouffe le nouveau froment. Nous savons quel fruit ont produit ces endroits-là au temps de Charles, les Gwynn, les Palmer, et toute la vile bande de parasites impurs, prostitués. Êtes-vous jamais allé à Londres, capitaine Clarke?

-Non, monsieur, je suis né et j'ai été élevé à la campagne.

-Vous n'en valez que mieux, dit notre hôte. J'y suis allé deux fois. La première, ce fut au temps du Parlement Croupion, lorsque Lambert amena sa division pour terrifier les Communes. Je fus alors logé à l'Enseigne des Quatre Croix dans Southwark, alors tenue par un digne homme, un nommé John Dolman, avec lequel j'eus plus d'un édifiant entretien au sujet de la prédestination. Tout était tranquille et bien réglé alors, je vous en réponds, et vous auriez pu aller à pied de Westminster à la Tour, en pleine nuit, que vous n'auriez pas entendu d'autre bruit que le murmure des prières et le chant des hymnes. Dès qu'il faisait sombre, on ne rencontrait dans les rues pas un ruffian, pas une péronnelle, rien que des citadins bien posés allant à leurs affaires, ou des hallebardiers de la garde. La seconde visite que je fis eut lieu au sujet de cette affaire de la démolition des remparts. Alors moi et l'ami Foster, le gantier, nous fûmes envoyés à la tête d'une députation de cette ville au Conseil Privé de Charles. Qui aurait cru que si peu d'années auraient pu produire un pareil changement? Toutes les mauvaises choses qu'on avait fait rentrer sous terre à coups de pieds avaient germé, pullulé, si bien qu'enfin cette vermine déborda dans les rues, et que les gens pieux furent réduits à fuir la lumière du jour. Apollyon en personne triompha vraiment pendant quelque temps. Un homme paisible ne pouvait parcourir à pied les rues sans être bousculé dans le ruisseau par des bravaches, des rodomonts, ou accosté par des femelles fardées. Brigands et volereaux, manteaux brodés, éperons sonores, bottes découpées à jour, grandes plumes, querelleurs, souteneurs, jurons et blasphèmes, je vous réponds que l'enfer s'enrichissait. Et jusque dans l'isolement de votre voiture, vous n'étiez pas à l'abri du larron.

-Comment cela, monsieur? demanda Ruben.

-Eh bien, tenez, voici comment. Comme c'est moi qui en ai pâti, j'ai mieux que tout autre le droit de conter la chose. Vous saurez qu'après avoir été reçus, d'une façon très froide-car nous étions aussi bien vus du Conseil Privé que le collecteur de l'impôt du foyer l'est de la ménagère villageoise-on nous invita par raillerie, je suppose, plutôt que par courtoisie, à la réception du soir au Palais de Buckingham. Nous n'aurions pas demandé mieux, que de nous en excuser, mais nous redoutions que notre refus ne fût regardé comme une offense gratuite, et qu'il ne fût nuisible au succès de notre mission. Mes habits de gros drap étaient un peu grossiers pour une telle circonstance, mais je résolus de les garder pour me présenter, en y ajoutant un gilet neuf de baye à devant de soie, et une bonne perruque, que je payai trois livres dix shillings au Haymarket.

Le jeune Puritain qui faisait vis-à-vis, fit des yeux blancs en murmurant quelques mots comme sacrifier à Dagon,» et qui heureusement ne furent pas entendus de l'énergique vieillard.

-Ce n'était là que vanité mondaine, dit le Maire, car avec toute la déférence possible, Sir Gervas Jérôme, la chevelure naturelle d'un homme, quand elle est arrangée avec un peu de goût, avec peut-être une pincée de poudre, est, à mon avis, l'ornement qui convient le mieux à sa tête. Ce qui a de la valeur, c'est le contenu et non le contenant. Après avoir disposé cette friperie, le bon Maître Foster et moi nous louâmes une calash, et on partit pour le Palais. Nous étions tout entiers dans une conversation sérieuse, et, je l'espère, profitable, pendant qu'on parcourait les rues interminables de la ville, lorsque soudain je sentis une violente traction à la tête, et mon chapeau fut lancé sur mes genoux. Je levai les mains: le croiriez-vous, elles touchèrent ma tête nue. La perruque avait disparu. Nous descendions à ce moment Fleet-Street, et il n'y avait dans la calash d'autre personne que l'ami Foster, qui était aussi abasourdi que moi. Nous regardâmes en haut, en bas, sur les sièges et par-dessous: pas la moindre trace de la perruque. Elle s'était évaporée sans laisser d'indices.

-Dans quel endroit, alors? demandâmes-nous d'une seule voix.

-C'était la question que nous cherchâmes à résoudre. Je vous assure que pendant un moment nous crûmes que c'était là une punition pour avoir accordé autant d'attention à de telles sottises charnelles.

Puis, il me vint à l'esprit que cela pourrait bien être le fait de quelque lutin malicieux, comme le tambour de Tedworth, ou ceux qui causèrent quelques désordres il n'y avait pas fort longtemps à la maison Gast, à Little Burton dans notre comté de Somerset.


Croyant cela, nous appelâmes le cocher, et lui dîmes ce qui était arrivé. L'homme descendit de son perchoir, et quand il eut entendu notre récit, il se répandit en propos des plus grossiers, passa derrière son calash, et nous fit voir qu'une fente avait été pratiquée dans le cuir dont la capote était faite.

Le voleur avait glissé sa main par là et avait fait passer ma perruque par le trou, en se tenant debout sur la barre de traverse de la voiture.

C'était chose assez commune, dit-il, et les voleurs de perruques formaient une corporation nombreuse. Ils se tenaient au guet dans les environs des boutiques des perruquiers, et lorsqu'ils voyaient un client sortir avec une emplette qui en valait la peine, ils le suivaient et si par hasard celui-ci partait en voiture, ils employaient ce moyen pour le voler.

Qu'il en soit ainsi ou autrement, je n'ai jamais revu ma perruque, et je fus obligé d'en acheter une autre, avant de me hasarder en présence du Roi.

-Voilà vraiment une étrange aventure, s'écria Saxon. Mais comment la chose tourna-t-elle pour vous dans la soirée?

-D'une façon fort piteuse, car la figure de Charles, qui avait le teint assez sombre en tout temps, s'assombrit encore à notre entrée, et son frère le Papiste ne se montra guère plus complaisant. On ne nous avait amenés là que dans le but de nous éblouir de leur clinquant, de leurs hochets, et pour que nous eussions à raconter de belles choses aux gens de l'Ouest.

Il y avait là des courtisans à l'échine souple, des nobles à la démarche guindée, des courtisanes aux épaules nues, et qui sans leur haute naissance, auraient été envoyées à Bridewell aussi bien que pas une des pauvres filles qu'on a promenées derrière une charrette. Puis, il y avait là les gentilshommes de la chambre, avec leurs habits couleur de cinnamome ou de prune, et un bel étalage de dentelle, d'or, de soie, de plumes d'autruche.

L'ami Foster et moi, nous nous faisions l'effet de deux corbeaux qui se seraient égarés parmi une troupe de paons. Mais nous avions présent à l'esprit Celui à l'image duquel nous avons été créés, et nous nous comportâmes, je l'espère, en citoyens anglais, indépendants.

Sa Grâce le Duc de Buckingham se permit de nous railler.

Rochester nous tint des propos narquois.

Les femmes minaudaient, mais nous présentâmes notre front de bataille, mon ami et moi, pour discuter, ainsi que je m'en souviens bien, les très précieuses doctrines de l'élection et de la réprobation, sans faire grande attention à ceux qui se moquaient de nous, non plus qu'aux gens qui jouaient, à notre gauche, ni aux gens qui dansaient à notre droite.

Nous tînmes bon ainsi pendant toute la soirée.

Alors s'apercevant que ces gens-là ne s'amuseraient guère à nos dépens, Milord Clarendon, le chancelier, nous fit signe de nous retirer, ce que nous fîmes sans nous presser, après avoir salué le Roi et la société.

-Non, pour cela, je ne l'aurais jamais fait, s'écria le jeune Puritain qui avait écouté attentivement le récit de son ancien. N'eût-il pas été bien plus à propos de lever vos mains et d'appeler la vengeance sur eux, ainsi que le fit le saint homme de jadis sur les cités criminelles.

-Plus à propos, dites-vous? répondit le Maire avec impatience. Ce qui est le plus à propos, c'est que la jeunesse se taise, jusqu'au moment où on lui demande son avis sur des affaires de ce genre. La colère de Dieu marche avec des pieds de plomb, mais elle frappe avec des mains de fer. Au moment propice qu'il s'est choisi, il a jugé quand serait pleine à déborder la coupe des iniquités de ces hommes-là. Ce n'est point à nous à l'en instruire. Ainsi que l'a dit le Sage, les malédictions ont l'habitude de revenir à leur perchoir. Mettez-vous cela dans l'esprit, Maître Derrick, et n'en soyez pas trop libéral.

Le jeune apprenti-car c'en était un-courba la tête d'un air maussade sous cette réprimande.


Puis le Maire, après un court silence, reprit son récit:

-Comme la nuit était belle, dit-il, nous décidâmes de regagner à pied notre logement, mais jamais je n'oublierai les scènes scandaleuses que nous vîmes en route. Le bon Maître Bunyan, d'Elstow, aurait pu ajouter quelques pages à sa description de la Foire aux Vanités, s'il s'était trouvé avec nous. Des femmes avec des mouches, aux cheveux teints, aux fronts d'airain, les hommes, aux allures désordonnées, tapageuses, et blasphémant, et les cris, et le maquerellage, et l'ivrognerie. C'était bien le royaume qui méritait d'être gouverné par une cour pareille. À la fin, nous passâmes par des rues plus tranquilles, et nous espérions en avoir fini avec nos aventures, quand tout à coup arriva au galop une troupe de cavaliers à moitié ivres, sortant d'une rue latérale, qui attaquèrent les passants à coups d'épée, comme si nous étions tombés dans une embuscade de sauvages en quelques pays de mécréants. Ils étaient, à ce que je supposais, de la même couvée que ceux au sujet de qui l'excellent John Milton À écrit: Fils de Bélial, gonflés d'insolence et de vin.» Hélas! ma mémoire n'est plus ce qu'elle était: car il fut un temps où j'aurais pu réciter par coeur des chants entiers de ce noble et pieux poème.

-Et comment vous êtes-vous tiré d'affaire avec ces querelleurs, monsieur? demandai-je.

-Ils nous assaillirent, nous et quelques autres honnêtes citadins qui regagnaient leur domicile. Brandissant leurs épées, ils nous sommèrent de poser les armes et de leur rendre hommage.

-À qui? demandai-je.

Ils montrèrent l'un d'eux qui était vêtu d'un costume plus voyant et était un peu plus ivre que les autres.

-Voici notre très souverain soigneur.

-Souverain de quoi? demandai-je.

-Souverain des Tityre-tu, répondirent-ils. Oh! très barbares et cocus de bourgeois, ne vous apercevez-vous pas que vous êtes tombés entre les mains de cet ordre très noble?

-Ce n'est point votre véritable monarque, dis-je, car celui-ci est enchaîné dans l'abîme, au-dessous de nous, et c'est là qu'un jour il réunira autour de lui ses fidèles sujets.

-Entendez-vous, il a tenu des propos de traître, crièrent-ils.

Sur quoi, sans autre préambule, ils foncèrent sur nous, l'épée et le poignard en main.

L'ami Foster et moi, nous nous adossâmes contre un mur, et nos manteaux roulés autour de notre bras gauche, nous jouâmes de nos armes, et fîmes si bien que nous atteignîmes un ou deux de ces fendants de la vieille ruelle de Wigan.

L'ami Foster, en particulier, piqua le Roi de telle façon que Sa Majesté s'enfuit dans la rue en hurlant comme un petit bouledogue qu'on saigne.

Mais nous étions accablés par le nombre, et notre mission aurait peut-être été terminée à ce moment et à cet endroit, si la garde n'était pas entrée en scène, pour faire tomber nos armes d'un coup de hallebarde, et n'avait ainsi arrêté toute la troupe.

Pendant qu'avait lieu cette échauffourée, les bourgeois des maisons voisines versaient de l'eau sur nous, comme sur des chats de gouttières, et si cela ne refroidit pas notre ardeur au combat, cela nous mit dans un état fâcheux et peu présentable.

Nous fûmes traînés ainsi au poste de garde, et nous y passâmes la nuit en compagnie de braillards, de voleurs et de marchandes d'oranges, mais je suis fier de pouvoir dire que mon ami Foster et moi-même nous dîmes à celles-ci quelques paroles de joie et de réconfort.

On nous relâcha dans la matinée, et secouant aussitôt de nos souliers la poussière de Londres, nous partîmes.

Et je souhaite de n'y jamais retourner, à moins que ce ne soit à la tête de nos régiments du Comte de Somerset, pour voir le Roi Monmouth poser sur sa tête la couronne, qu'il aura arrachée, dans une lutte loyale, au corrupteur papiste.

Lorsque Maître Stephen Timewell eut achevé son récit, il se fit un brouhaha général, et on se leva de tous côtés, ce qui annonçait la fin du repas.

La compagnie sortit en lent défilé par ordre d'ancienneté.

Tous avaient la même expression sombre et sérieuse, la démarche grave, les yeux baissés.

Ces façons puritaines m'étaient, il est vrai, familières depuis mon enfance, mais jusqu'alors je ne les avais point vu pratiquées par une maisonnée nombreuse, et je n'avais point remarqué leur effet sur un aussi grand nombre de jeunes gens.

-Vous resterez quelques instants encore, dit le Maire, au moment où nous allions les suivre. William, apportez un flacon de vieux vin du Rhin à cachet vert. Ces réconforts charnels, je ne les offre point devant mes jeunes gens, car ce qui leur convient le mieux, c'est le boeuf et une bière saine. À l'occasion toutefois, je partage l'opinion de Paul à savoir qu'un flacon de vin entre amis n'est point chose mauvaise pour l'esprit et le corps. Vous pouvez vous retirer maintenant, ma chérie, si vous avez quelque chose à faire.

-Est-ce que vous allez sortir de nouveau? demanda Ruth.

-Bientôt. Je dois aller à l'Hôtel de Ville. La revue des armes n'est pas terminée.

-Je tiendrai votre costume prêt, ainsi que les chambres de nos hôtes, répondit-elle.


Après quoi, nous adressant un joli sourire, elle partit de son pas léger.

-Je voudrais pouvoir gouverner la ville comme cette fillette dirige cette maison, dit le Maire. Il n'est pas une chose nécessaire à laquelle elle ne pourvoie, avant même qu'on n'en sente le besoin. Elle lit mes pensées et y conforme ses actes avant que mes lèvres aient eu le temps de les exprimer. S'il me reste encore quelque force à consacrer au service public, c'est parce que ma vie privée est toute pleine d'une paix reposante. N'ayez nulle crainte au sujet du vin du Rhin: il vient de chez Brooke et Hellier, d'Abchurch-Lane, et il mérite toute confiance.

-Ce qui prouve que du moins il vient de Londres une bonne chose, fit remarquer Sir Gervas.

-Oui, c'est vrai, dit le vieillard, en souriant. Mais que pensez-vous de mes jeunes gens, monsieur? Il faut qu'ils soient d'une classe très différente de celle que vous connaissez, si comme on me le dit, vous avez fréquenté le monde de la cour.

-Mais parbleu oui, ce sont de fort braves jeunes gens, sans doute, répondit Sir Gervas, d'un ton léger. M'est avis toutefois qu'ils manquent un peu de sève. Ce qu'ils ont dans les veines, ce n'est pas du sang, mais du petit lait aigri.

-Non, non, répondit le Maire avec chaleur. Sur ce point, vous ne leur rendez pas justice. Leurs passions, leurs sentiments sont soumis à un contrôle. C'est ainsi qu'un bon cavalier tient son cheval en main. Mais ils existent tout autant que dans l'animal il existe de la vitesse et de l'endurance. Avez-vous remarqué le pieux jeune homme qui était assis à votre droite, et que j'ai eu maintes fois sujet de réprimander pour son excès de zèle? C'est un bon exemple à citer pour faire voir comment un homme peut garder la haute-main sur ses sentiments, et les maintenir sous la règle.

-Et comment y est-il arrivé? demandai-je.

-Hé bien, entre amis, dit le Maire, ce fut seulement à la dernière Annonciation qu'il demanda la main de ma petite fille Ruth. Son temps est presque terminé, et son père, Sam Derrick, est un estimable ouvrier, en sorte que le mariage serait assez bien assorti. La jeune personne l'a pris en grippe-les jeunes filles ont aussi leurs caprices-et il n'a plus été question de rien. Et pourtant il demeure sous le même toit, il la coudoie du matin jusqu'au soir, sans jamais laisser rien percer de cette passion, qui n'a pas pu s'éteindre aussi vite. Deux fois mon magasin à laines a été détruit au ras du sol par l'incendie, et deux fois il s'est mis à la tête de ceux qui luttaient contre les flammes. Bien peu de gens, après avoir vu leur demande repoussée, auraient été capables de faire preuve d'autant de résignation et de patience.

-Je suis tout disposé à reconnaître la justesse de votre appréciation, dit Sir Gervas Jérôme. J'ai appris à ne pas prendre au mot les antipathies trop promptes, et j'ai présent à l'esprit ce distique de John Dryden:

Les erreurs, comme les brins de paille, flottent à la surface, Quiconque cherche des perles, doit plonger dans les profondeurs.

-Ou bien, dit Saxon, le digne Docteur Samuel Butler, qui dit, dans son immortel poème d'Hudibras:

Le sot ne voit que la peau; Le sage s'efforce de regarder à l'intérieur.

-Je m'étonne, Colonel Saxon, dit notre hôte d'un ton sévère, de vous entendre parler avec éloge de ce poème licencieux. D'après ce que j'ai ouï dire, il a été composé dans le but exprès de jeter le ridicule sur les gens pieux. Je n'aurais pas été plus surpris de vous entendre louer l'ouvrage criminel et sot de Hobbes, qui soutient cette thèse malfaisante: À Deo Rex, à Rege lex»: De Dieu vient le Roi, du Roi vient la loi.»

-Il est vrai que je méprise et dédaigne l'usage que Butler a fait de sa satire, dit adroitement Saxon. Toutefois je puis admirer la satire elle-même, tout comme je puis admirer une lame damasquinée, sans approuver la querelle pour laquelle on la tire.

-Ces distinctions-là, je le crains, sont trop subtiles pour ma vieille cervelle, dit l'énergique vieux Puritain. Cette Angleterre, notre patrie, est divisée en deux camps, celui de Dieu, et celui de l'Antéchrist. Quiconque n'est point avec nous est contre nous, et aucun de ceux qui servent sous la bannière du démon n'aura rien de moi, sinon mon mépris et le tranchant acéré de mon épée.

-Bien, bien, dit Saxon, en remplissant son verre, je ne suis point un Laodicéen, non plus qu'un adorateur du succès. La cause ne trouvera point en défaut ma langue ni mon épée.

-Pour cela, j'en suis bien convaincu, mon digne ami, répondit le Maire, et si j'ai parlé en termes trop secs, vous voudrez bien m'excuser. Mais j'ai le regret d'avoir à vous annoncer de mauvaises nouvelles. Je ne les ai point fait connaître au corps communal, de peur de le décourager, mais je sais que l'adversité sera simplement la pierre sur laquelle votre ardeur s'aiguisera et prendra un tranchant plus fin. Le soulèvement d'Argyle a échoué. Lui et ses compagnons sont tombés entre les mains de l'homme qui n'a jamais su ce que c'est que le pardon.

À ces mots, nous sursautâmes tous sur nos chaises, en échangeant des regards effarés, à l'exception de Sir Gervas Jérôme, dont la sérénité naturelle était à l'épreuve de toute perturbation.


Vous vous le rappelez sans doute, mes enfants quand j'ai commencé à vous raconter ces incidents de ma vie, j'ai dit que les espérances du parti de Monmouth reposaient en grande partie sur l'invasion des exilés écossais dans le comté d'Ayr.

On comptait y faire naître ainsi des troubles, tels qu'ils détourneraient une bonne partie des forces du Roi Jacques, ce qui rendrait notre marche sur Londres moins difficile.

On y comptait d'autant plus sûrement que les domaines d'Argyle étaient situés dans cette région de l'Écosse, où il pouvait lever cinq mille hommes armés de sabres parmi les gens de son clan.

En outre, il y avait, dans les comtés de l'Ouest, un très grand nombre de farouches zélotes, tout prêts à soutenir la cause du Covenant, et qui avaient prouvé, en maintes escarmouches, leurs brillantes qualités guerrières.

Il semblait certain qu'avec le concours des Highlanders et des Covenantaires, Argyle serait capable de résister, d'autant mieux qu'il avait emmené avec lui en Écosse le puritain anglais Rumbold, et un grand nombre d'autres gens de guerre habiles.

La nouvelle inattendue de sa défaite complète était donc un coup terrible, car il en résultait que nous aurions affaire à toutes les forces du Gouvernement.

-Tenez-vous cette nouvelle d'une source sûre? demanda Decimus Saxon, après un long silence.

-C'est une certitude qui n'admet pas de doute, répondit Maître Stephen Timewell. Toutefois je comprends bien votre surprise, car le Duc était entouré de conseillers dignes de confiance. Il y avait Sir Patrick Hume, de Polwarth.

-Tout en paroles, rien en action, dit Saxon.

-Et Richard Rumbold.

-Tout en action, rien en paroles, dit notre compagnon. M'est avis qu'il aurait dû faire en sorte qu'on parlât mieux de lui.

-Puis il y avait le Major Elphinstone.

-Un sot et un fanfaron.

-Et Sir John Cochrane.

-Un traînard captieux, à la langue longue, à l'intelligence courte, dit le soldat de fortune. Commandée par de tels hommes, l'expédition était condamnée dès le début. Pourtant je me figure que tout au moins, et en admettant qu'ils ne fissent rien de plus, ils auraient pu se jeter dans la région montagneuse, où ces caterans aux jambes nues auraient pu se maintenir parmi les nuages et les brouillards de leur pays natal. Tous pris, dites-vous? C'est une leçon, un avertissement pour nous. Je vous le dis, si Monmouth n'infuse pas plus d'énergie dans ses conseils, s'il hésite à pousser tout droit vers le coeur, s'il fait des passes, des feintes d'escrime aux extrémités, nous nous trouverons dans la situation d'Argyle et de Rumbold. Que signifient ces deux journées gaspillées à Axminster, en un temps où chaque heure a son prix? Faudra-t-il chaque fois qu'il se frottera contre un corps de milice et le rejettera de côté, qu'il se repose quarante-huit heures, pour chanter Te Deum» alors que Churchill et Feversham sont en route, je le sais, pour l'Ouest avec tous les hommes qu'ils ont pu ramasser, et que les Grenadiers hollandais pullulent comme les rats dans un magasin de grains?

-Vous avez parfaitement raison, Colonel Saxon, répondit le Maire, et j'espère que, quand le Roi arrivera ici, nous réussirons à lui inspirer une action plus rapide. Il a grand besoin de conseillers plus entendus à la guerre, car depuis le départ de Fletcher, il n'a guère autour de lui de gens qui aient appris le métier des armes.

-Bon, dit Saxon, d'un air bourru, maintenant qu'Argyle a disparu, nous voici face à face avec le Roi Jacques, sans pouvoir compter sur autre chose que nos bonnes épées.

-Sur elles et sur la justice de notre cause. Comment trouvez-vous ces nouvelles, jeunes messieurs? Est-ce qu'elles auraient fait perdre au vin tout son bouquet? Seriez-vous enclins à déserter le drapeau du Seigneur?

-Pour mon compte, dis-je, j'entends voir la chose jusqu'au dénouement.

-Et moi, dit Ruben Lockarby, je suivrai Micah Clarke partout où il ira.

-Quant à moi, dit Sir Gervas, la chose m'est parfaitement indifférente, tant que je suis en bonne compagnie et qu'il y a de quoi donner de fortes émotions.

-En ce cas, dit le Maire, ce qu'il y a de mieux à faire, c'est que chacun remplisse son rôle propre, et que nous nous tenions prêts pour l'arrivée du Roi. Jusqu'alors, j'espère que vous me ferez l'honneur d'agréer mon humble toit.

-Je crains, dit Saxon, de ne pouvoir accepter cette offre si bienveillante. Quand je suis sous les armes, je me lève tôt et me couche tard. J'établirai donc mon quartier-général à l'auberge, qui n'est pas très bien fournie au point de vue des victuailles, mais qui peut m'offrir la nourriture simple à laquelle se bornent mes besoins, avec mon quart de bière noire d'octobre, et ma pipe de Trinidad.

Saxon tenant ferme dans sa décision, le Maire cessa d'insister auprès de lui, mais mes deux amis s'empressèrent de se joindre à moi pour accepter l'offre du digne marchand de laines, et nous nous installâmes pour la durée de notre séjour sous son toit hospitalier.