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Le Capitan/LVIII

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LVIII. À Meudon
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Il nous faut un moment nous attacher aux pas du duc d’Angoulême que nous avons laissé, à sa sortie de la Bastille, s’élançant vers la maison de la rue des Barrés, vers l’ancien hôtel de sa mère, Marie Touchet. C’était un rêve étrange, sa délivrance.

Il allait se tuer. Dans la chambre du numéro 14 de la tour du Trésor, il avait subi l’agonie du suicide. Il était parvenu jusqu’à la minute extrême où un simple geste sépare encore la vie de la mort. Ce geste, il allait l’exécuter. La tige de fer patiemment affûtée en poignard allait accomplir son œuvre et, à ce moment, les geôliers avaient ouvert sa porte, un officier lui avait dit de le suivre, on l’avait conduit dans une cour, on l’avait placé entre quatre gardes, on s’était mis en marche, on avait franchi le pont-levis, et l’homme qui le conduisait lui avait dit :

"Vous êtes libre !"

Et cet homme, c’était le chevalier de Capestang.

Oui, tout cela lui apparaissait comme une imagination créée par la fièvre ou l’espoir. Mais la première stupeur dissipée, la pensée qu’il allait revoir sa fille lui fit oublier tout le reste. Car sa fille ne pouvait être que là où il l’avait laissée : le castel de Meudon était sans doute surveillé ; plus encore l’hôtel de la rue Dauphine. Le duc heurta violemment le marteau en prononçant à voix basse le nom de Giselle. Dans le même instant, il s’aperçut que la porte était entrouverte. Pourquoi ? Il entra en criant : « Giselle ! » et rien ne lui répondit.

En quelques minutes, il eut parcouru la maison déserte, se heurtant aux meubles dans la nuit, appelant, criant, et, lorsqu’il fut bien convaincu de son malheur, il demeura atterré, la tête vide... Une idée soudaine le ranima :

Cinq-Mars ! Le fiancé, en l’absence du père, avait le droit de veiller sur la fille !... C’était Cinq-Mars qui avait emmené Giselle !

Il courut à l’hôtel de Cinq-Mars. Le suisse lui ouvrit, non sans avoir parlementé, et, le reconnaissant après l’avoir fait entrer dans la loge, le salua respectueusement. Il se trouvait que ce suisse n’était pas de la force du sieur Lanterne en bêtise. Ce n’est pas lui qui eût dit Mme la marquise en parlant de Marion Delorme. L’arrivée soudaine de cet homme que tout le monde croyait à la Bastille, le désordre de sa physionomie firent trembler le digne homme.

"Conduis-moi au comte de Cinq-Mars, dit le duc.

— Pardon ! monseigneur, M. le marquis, à cette heure ! Le père de monsieur a rendu son âme à Dieu.

— Mort ! fit sourdement le duc. Cinq-Mars est mort !"

Un instant, il songea que le vieux Cinq-Mars était presque la tête de la conspiration, et que sans lui... mais il secoua la tête : sa fille, d’abord !

"C’est bien, dit-il, conduis-moi à ton maître.

— Parti, monseigneur. L’hôtel est vide.

— Parti ? balbutia le duc qui sentit sa tête s’égarer. Parti... seul ? Réponds ! La vérité ?

— Seul, monseigneur... ou presque, dit le suisse.

— Presque ! Que signifie ? Voyons, tu m’as l’air d’un honnête homme. Je sors de la Bastille. Comprends-tu cela ? Et je suis à la recherche de mon enfant. Ton maître est parti sans doute pour mettre sa fiancée en sûreté ?"

L’homme secoua la tête. Angoulême lui saisit le bras.

"Monseigneur, dit le suisse, pardonnez-moi d’être le messager d’une mauvaise nouvelle : nous n’avons pas vu Mlle votre fille. M. le marquis n’est pas parti avec elle.

— Et avec qui, alors ! Tu as dit : presque seul. Qui l’accompagne ? Une femme ?

— Monseigneur, vous me ferez chasser !

— Je te prends à mon service.

— Monseigneur, vous me demandez de trahir mon maître.

— Je te demande d’avoir pitié d’un père, voilà tout. Parle hardiment, mon brave. Tu as ma parole de gentilhomme que rien de mal ne peut arriver de ce que tu diras.

— Eh bien, monseigneur, dit le suisse avec fermeté, vous avez dit la vérité : M. le marquis est parti avec une femme qu’on nomme Marion Delorme."

Le duc d’Angoulême s’en alla. Il titubait. Il souffrait dans son amour et dans son orgueil paternel. Cinq-Mars, le fiancé de Giselle d’Angoulême, parti avec une femme ! Il sentait que tout croulait dans sa vie.

"Lâche ! oh ! le lâche !"

Il répétait sourdement cette insulte tout en courant ; il ne s’apercevait pas que c’était là le cri de son ambition déçue autant que le cri de son orgueil paternel. Et il ne voyait pas qu’il songeait tout autant à la conspiration qu’à sa fille perdue. Et il ne voyait pas qu’il courait à l’hôtel de Guise !

Là, on était bien loin de se douter que le duc de Guise était en ce moment à la Bastille ! Comment eût-on pu imaginer l’aventure survenue à celui que tous considéraient comme le maître de demain ?

À l’hôtel de Guise, Charles d’Angoulême vit s’écarter de lui, avec une sorte d’inexplicable embarras. tous les gentilshommes qui l’avaient acclamé à la réunion de la Pie-Voleuse. L’un d’eux, enfin, après l’avoir félicité de sa délivrance, finit par lui apprendre la vérité : qu’il avait fallu choisir un nouveau chef, qui était M. le duc de Guise ; et que tout était prêt pour une lutte suprême ; qu’en ce moment, M. de Guise était à l’hôtel de Condé, où il s’entendait avec les derniers partisans du prince embastillé ; qu’enfin M. de Guise irait au Louvre le lendemain, à la tête de mille gentilshommes soutenus par cent mille Parisiens.

Angoulême écouta ces nouvelles. Il ne trouva pas un mot à dire. Il sortit, silencieux, lent, la tête basse, écrasé par cette pitié même qu’il avait devinée chez celui qui lui avait parlé. Seulement, une fois dehors, il pleura.

Le jour commençait à poindre et accrochait des lueurs aux armes des bourgeois qui déjà occupaient les rues. Charles ne put supporter ce spectacle et courut s’enfermer dans cet hôtel de la rue Dauphine où il avait été saisi par Concini, et où, peut-être, sans doute même, il risquait d’être saisi ce jour par les gardes du duc de Guise devenu roi de France !

Trahi par Cinq-Mars ! Trahi par Guise ! Souffleté dans son ambition paternelle, bafoué dans son ambition politique, plus de partisans, plus d’amis, plus de fille, plus rien ! Il regretta la Bastille ! Il regretta la minute où il allait mourir. Une sorte de prostration morale s’empara du duc d’Angoulême. Pendant quelques heures, il ignora le sens de la vie, il s’abandonna à la mortelle consolation de ne plus penser. Le souvenir de sa fille même fut impuissant à le galvaniser. La pensée était morte en lui.


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Sans doute de longues heures s’écoulèrent. Lorsque le duc d’Angoulême se réveilla de sa torpeur, la nuit s’était faite. Mais il ne songea pas à allumer quelque flambeau ; les ténèbres, au contraire, lui formaient une sorte de cuirasse contre les impressions extérieures. Les rumeurs de Paris s’étaient éteintes, et il se dit :

"À cette heure, cette révolution qui eût dû se faire pour moi est accomplie et c’est un autre qui en profite. En ce moment, Guise reçoit au Louvre l’hommage de ces mêmes gentilshommes qui m’avaient juré fidélité. Misérables ! je..."

Dans cette nuit terrible, il repassa sa vie. Il chercha les minutes de bonheur parmi tant d’années de souffrances. Et alors, à mesure que ces instants du bonheur passé revivaient dans son imagination, il voyait se préciser la touchante figure de celle qu’il avait tant aimée aux jours radieux de sa jeunesse et qu’il avait peu à peu délaissée, dédaignée, oubliée : Violetta, duchesse d’Angoulême.

Un inexprimable attendrissement le pénétra. Ses larmes finirent par couler. Et ce n’étaient plus les larmes de rage, les larmes corrosives qu’arrache l’ambition déçue ; c’étaient les larmes rafraîchissantes du repentir et de l’amour qui sommeillait au fond de son cœur, sous les ruines. Son esprit s’apaisa. Il entrevit la possibilité d’être heureux encore...

Recommencer sa vie ! La reprendre au moment où, de l’amour, il avait bifurqué vers l’ambition !... Oui, c’était une solution claire, et cette pensée lui vint comme un rayon de soleil. Il lui restait un million. Il était donc riche... Il irait retrouver Violetta à Meudon. Ensemble, ils rechercheraient leur fille. Puis il oublierait Cinq-Mars, Guise, la royauté, tout, pour vivre tout bêtement heureux entre sa femme et son enfant. Et c’était la suprême sagesse.

Vers trois heures du matin, le duc d’Angoulême se mit en route pour aller à Meudon. La pensée que Giselle, ne s’étant trouvée ni rue des Barrés ni rue Dauphiné, avait dû se réfugier à Meudon ne lui venait pas. Mais pour Violetta, il était sûr de la retrouver là, dans cette chambre aux meubles antiques, aux tapisseries fanées où elle se plaisait...

Il arriva à Meudon vers quatre heures et demie. D’instinct, et avant même que d’entrer dans le vieux castel, il alla frapper à la porte de la Pie-Voleuse, persuadé que dame Nicolette lui dirait ce qui se passait dans la mystérieuse maison où, au début de ce récit, nous avons fait entrer le lecteur. Un valet tout endormi vint ouvrir ; puis, ce valet, sur l’ordre du duc, alla réveiller la maîtresse du logis. Au bout d’un quart d’heure, dame Nicolette apparut. Elle poussa un grand cri et joignit les mains ; Angoulême regardait en souriant cette femme qui lui était aveuglément dévouée.

"Eh bien ! fit-il, on dirait, dame Nicolette, que ma présence vous étonne ?

— Il y a de quoi, monseigneur ! Vous étiez à la Bastille. Il faut donc que le roi Louis vous ait fait grâce ?

— Non, dit le duc assombri et poussant un soupir, et je ne crois pas que Louis XIII ait plus jamais occasion de gracier ou d’enfermer qui que ce soit. Mais, ma pauvre Nicolette, il ne s’agit pas de moi. Je veux savoir ce qui s’est passé au castel pendant mon absence, et...

— Attendez, monseigneur, interrompit Nicolette tout effarée, attendez une minute."

Et, laissant le duc étonné, elle se retira en levant les bras au ciel.

"Cette bonne femme perd la tête ! gronda le duc dont l’esprit fut traversé d’une mauvaise pensée. Sans doute elle ne sait pas que Guise est roi ! Allons, il faut que j’aille tout droit au castel. Et si elle n’est pas là ? ajouta-t-il en pâlissant, si ce dernier malheur m’était réservé..."

Il s’assit sur un escabeau, n’osant plus maintenant, et cherchant des prétextes.

"Elle est là, sûrement ! Mais il vaut mieux que Nicolette la prévienne d’abord de mon retour : sa tête est si faible. Pauvre petite ! C’est pourtant moi, c’est mon égoïsme... non ! oh non, ce n’est pas seulement mon égoïsme qui a fait de Violetta une malheureuse démente..."

Et, d’un trait, la scène d’Orléans mille fois racontée par Violetta, la tentative de Concini se retraça à son esprit. Et alors, il comprit ce qu’il y avait eu de hideux dans cette sorte d’alliance qu’il avait consentie, dans ce pacte qui, un moment, l’avait enchaîné à Concini ! Il souhaita la vengeance. La colère se déchaîna en lui. Il se jura de ne prendre ni trêve ni repos avant d’avoir châtié Concini...

À ce moment, la porte par où était sortie dame Nicolette s’ouvrit ; deux femmes entrèrent. Charles d’Angoulême fut agité d’un long frémissement de joie pure et vivifiante. Il se dressa, tout pâle, les bras tendus ; l’instant d’après, dans ses bras, il serrait Giselle, sa fille, et Violetta, sa femme, tandis que l’hôtesse s’essuyait les yeux du coin de son tablier. Ce fut une heure de félicité pendant laquelle tout fut oublié ; la première émotion passée, commencèrent mille questions, mille réponses qui se croisèrent au hasard. Puis vinrent les projets de départ fiévreusement exposés par le duc. Pas un mot ne fut dit de Cinq-Mars. Giselle, de son côté, songeait peut-être à Capestang, mais elle gardait pour elle. Seulement, quand son père, faisant allusion à l’abandon de Cinq-Mars, lui dit :

"Je te consolerai, mon enfant. Toute ma vie, maintenant, est à vous deux seules. Je te chercherai, je te trouverai quelque noble et beau gentilhomme plus digne de toi que celui qui nous a trahis.

— Mon père, répondit Giselle, je me suis juré de n’épouser que l’homme capable par son courage de nous venger de Concini, de venger ma mère !

— Ce soin me regarde ! fit d’Angoulême les dents serrées. Ta mère sera vengée, je te le jure ! Pauvre femme ! Pauvre chère Violetta ! Oh ! si des années d’amour et de dévouement peuvent lui rendre la raison...

— Regardez-la, mon père ! Regardez ses yeux !" dit Giselle.

Jusqu’à ce moment, en effet, Violetta n’avait prononcé que peu de paroles. Elle gardait cette attitude timide et presque apeurée, qu’elle avait pris l’habitude de conserver, depuis bien longtemps, en présence de l’homme qui jadis l’avait adorée. Le duc prit la main de Violetta, et, comme le lui avait sa fille, la regarda dans les yeux. Alors, au bout d’une minute de silencieuse contemplation, il se mit à trembler.

Quel bouleversement s’était opéré dans le cerveau de Violetta ? Quelle mystérieuse secousse avait enfin brisé les liens qui avaient enchaîné cette pensée ? Il ne savait !... Mais ce qu’il savait, ce qu’il voyait clairement, c’est que les yeux de Violetta avaient pris cette limpidité, cette lucidité que donne la raison reconquise, et que les brumes de la démence enfin s’étaient dissipées. Le duc tomba à genoux.

"Guérie !" cria-t-il en couvrant de baisers les mains de sa femme.

Violetta, doucement, releva le duc, et jetant un regard à sa fille éperdue de bonheur, elle prononça mystérieusement :

"Maintenant, le marchand d’herbes du Pont-au-Change est pardonné !..."


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Le jour était venu ; il était environ sept heures du matin. Le duc d’Angoulême, Violetta et Giselle se préparèrent à passer dans leur maison : il n’y avait que la route à traverser. Au moment où le duc donnait son bras à Violetta radieuse, plus jeune que jamais, Giselle l’arrêta par cette question :

"Mon père, vous nous avez dit comment vous êtes sorti de la Bastille, mais vous ne nous avez pas dit le nom de votre sauveur..."

Un nuage passa sur le front d’Angoulême. Que de fois, au fond de sa cellule, il s’était affirmé que sa fille aimait Capestang ! Et à chaque fois, il s’était juré que, lui vivant, sa fille à lui, à lui, un des premiers seigneurs du royaume, ne pouvait devenir l’épouse de cet intrigant, de cet aventurier, de ce fier-à-bras vantard ! Il lui fallait donc avouer maintenant que c’était le pauvre Capitan qui l’avait sauvé ! Jamais !

"Oui, insista Violetta en s’arrêtant, le nom de ce héros, afin que je l’aille remercier à genoux, mon Charles."

Le duc d’Angoulême pâlit. Il regarda tour à tour sa fille et sa femme. Il les vit haletantes. Une seconde, il hésita : puis, secouant rudement la tête :

"Le nom de cet homme ? fit-il sourdement. Plus tard, peut-être ; pas maintenant !"

Violetta demeura interdite. Comment et pourquoi Charles parlait-il avec une sorte de haine inavouée de l’homme qui l’avait sauvé ? Quant à Giselle, toute frémissante, elle ferma les yeux. Un instant, la flamboyante image passa dans son imagination de celui qu’elle avait vu, un jour, un beau jour d’été, dans ces bois de Meudon, se dresser entre elle et Concini. Et tout au fond d’elle-même, Giselle balbutia, éperdue :

""C’est lui ! oh ! c’est lui qui a sauvé mon père !"


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Dame Nicolette fut chargée de faire mettre en état un carrosse de voyage qui, depuis longtemps, attendait à tout hasard, dans les remises de l’auberge : à huit heures du matin, les voyageurs devaient se mettre en route, après avoir pris dans le castel quelques papiers précieux et la somme d’or qui y était enterrée. Le duc, Violetta et Giselle sortirent.

Il est bon de dire ici que la porte de l’antique maison donnant sur la route ne servait que très rarement. Les hôtes du castel, sauf en quelques circonstances exceptionnelles, passaient toujours par le parc : pendant toute la période de conspiration, il avait été en effet nécessaire que la maison passât pour abandonnée. Cette porte avait un secret, ce qui, à ces époques de trouble, n’était pas une rareté. On appuyait sur un bouton extérieur : la porte s’ouvrait pour se refermer ensuite d’elle-même, grâce à un ressort très simple.

C’est vers cette porte que se dirigea rapidement Giselle qui marchait en tête. À quelques pas derrière elle, plus lentement, venaient le duc et Violetta, heureux tous deux en cette inoubliable minute, d’un bonheur sans nuages. Au moment où Giselle allait poser son doigt sur le bouton qui manœuvrait le ressort, elle entendit tout à coup derrière elle une rumeur étrange, puis, dans le même instant, un cri déchirant, un râle. Dans cette seconde, elle se retourna, et demeura éperdue d’épouvante, la pensée submergée d’horreur.

De toutes les maisons avoisinant l’auberge, des hommes s’élançaient, l’épée à la main ! Ils étaient plus de vingt, pareils à des ombres qui bondissent, rapides, actifs, silencieux. Giselle n’eut le temps ni de pousser un cri, ni de faire un geste : dans la seconde même où elle se retourna, elle vit le duc d’Angoulême bâillonné, saisi, porté, entraîné, jeté dans un carrosse ; elle vit sa mère entourée par un autre groupe d’assaillants, également bâillonnée, jetée dans le même carrosse, et déjà celui-ci, entouré de sept ou huit cavaliers, conduits par Louvignac, le seul des chefs spadassins de Concini qui eût survécu, était enlevé au galop de ses chevaux, lorsque Giselle, avec un cri de terreur folle, eut un mouvement pour s’élancer en avant...

"Au Louvre !" hurla une voix au moment où le carrosse s’ébranlait.

Dans ce moment, Giselle vit venir à elle un groupe à la tête duquel marchait un homme à la physionomie bouleversée par un rictus de triomphe, livide, terrible...

"Concini !" bégaya Giselle qui se sentit vaciller.

Concini n’était plus qu’à trois pas de la jeune fille. Déjà il précipitait sa marche pour la saisir. Une suprême révolte galvanisa Giselle qui s’appuya à la porte.

"Au nom du roi !" cria Concini.

Dans le même instant, il poussa une furieuse imprécation ; la porte venait de s’ouvrir ! Giselle avait disparu dans l’intérieur, et la porte se refermait !

"Des madriers pour enfoncer cette porte ! hurla Concini.

— Monseigneur, dit près de lui la voix narquoise de Rinaldo, monseigneur, il y a une deuxième issue à cette maison : celle par où nous pénétrâmes un soir, s’il vous en souvient. Je vais faire défoncer la porte. Quant à vous, si vous ne voulez que la pie vous échappe encore, et cette fois pour longtemps peut-être, courez au parc, monseigneur, courez !"

Déjà Concini n’écoutait plus. Dès les premiers mots, il avait compris, et, avec son sifflet, avait jeté un signal : les vingt ou trente spadassins qui l’entouraient coururent à une ruelle d’où, l’instant d’après, ils revinrent avec leurs chevaux. Concini se mit en selle, écumant, blême de rage.

"La moitié des hommes ici ! ordonna-t-il d’un ton rude. Que les autres me suivent !"

Il s’élança, suivi d’une quinzaine de cavaliers qui, quelques minutes plus tard, occupaient le parc. Quant à Rinaldo, il prit aussitôt ses dispositions. Des madriers furent apportés. Bientôt un coup sourd ébranla la porte, puis un autre. Au dixième coup, la porte se fendit. Au vingtième coup, tout un vantail s’abattit à grand fracas.

"En avant ! dit Rinaldo de sa voix joyeuse. Corpo di Cristo, pour le coup, nous allons prendre la pie au nid !"

Toute la bande se rua dans l’intérieur.


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À ce moment, de la cour de la Pie-Voleuse, sortit un carrosse tout attelé, son conducteur sur le siège. Cet homme, sorte de colosse, dévoué serviteur de l’hôtesse, avait sans s’inquiéter des bruits qu’il entendait, exécuté l’ordre reçu. On lui avait dit de mettre en état le carrosse de voyage de monseigneur et, une fois attelé, de le sortir sur la route et de s’y tenir prêt à tout événement. Simplement, il avait obéi.

Et maintenant, effaré de ce qu’il voyait, mais esclave de la consigne, il attendait là, comme on lui avait dit.