Le Capitan/XXXV

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XXXV. La bataille du "Grand-Henri"
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Le chevalier de Capestang sortit du Louvre au moment où dix heures sonnaient. Il se mit à marcher d’un pas rapide, dans la nuit profonde, tantôt trébuchant comme un homme ivre, tantôt s’arrêtant pour se frapper le front. Où allait-il ? C’est à peine s’il le savait. Hérissé, haletant, la sueur au front, il était terrible. A un moment, dans une ruelle, il se heurta à quelqu’un qui lui dit :

"La bourse ou la vie !..."

Capestang tira furieusement sa bourse qui était pleine d’or et, à toute volée, en assomma à moitié le tire-laine qui tomba, étourdi sous le coup.

"La voilà, la bourse ! vociféra Capestang. Tiens ! prends ! Gorge-toi Soûle-toi ! Et quant à ma chienne de vie, je te bénis si tu la prends aussi.

— Merci, monseigneur !" grogna le truand qui, pendant des années devait demeurer étonné de cette aventure, de cette royale aumône dont cet inconnu l’avait assommé – moralement et physiquement.

Un peu soulagé d’esprit et tout à fait soulagé d’argent, le chevalier reprit son chemin en grondant :

"Qu’ai-je à faire de pistoles, maintenant ? Ah ! triple brute ! Ah ! faquin ! Ah ! bélître !"

C’est à lui-même qu’il adressait ses épithètes, et non au roi ni au truand comme on pourrait le supposer. Il était furieux, exaspéré, mais contre sa propre attitude.

"Je n’avais qu’à me laisser faire ! continua-t-il. Je tenais la fortune. Comment ! J’ai la chance inouïe d’amener au Louvre le prétendant que tout Paris acclamait ! Le hasard fait de moi le sauveur d’une monarchie ! Je n’avais qu’à me taire ! Et demain, tu étais le premier du royaume ! Demain tu pouvais te présenter devant le père de Giselle et lui dire en toute assurance : « Votre fille m’aime, et je l’aime. Maintenant que je suis quelqu’un, arrachez-la à Cinq-Mars, qui n’est qu’un pauvre petit marquis de rien et donnez-la-moi ! »"

Comme il disait ces mots, il s’arrêta en frissonnant : il venait de s’apercevoir qu’il était rue des Barrés ! devant la maison de Marie Touchet ! devant la maison de Giselle ! Il était venu là, d’instinct, sans s’apercevoir qu’il y venait.

"Que suis-je venu faire ici ? songea-t-il. N’est-elle pas l’épouse de Cinq-Mars ? Ce mariage n’a-t-il pas dû s’accomplir, à minuit ? Il est vrai qu’elle m’a dit qu’elle m’aime. Il est vrai qu’elle ne donnera à Cinq-Mars que son nom ! Et sans doute, elle attend que j’accomplisse ma promesse de la conquérir de haute lutte ! Mais où en suis-je ? Que puis-je espérer, puisque je ne sais pas profiter des chances que m’offre la fortune !"

Non, il n’avait plus rien à espérer. Le roi lui-même était maintenant son ennemi !

Il se leva, se recula et, avec un inexprimable découragement, considéra la maison. Elle était à peine visible dans les ténèbres. Elle était silencieuse, avec une face obscure. Puis il se remit en route. Il erra ainsi de longues heures, tournant à droite ou à gauche, virant, revenant sur ses pas, au hasard, véritable épave ballottée – très malheureux. Si malheureux que la pensée lui vint, ou plutôt se précisa en lui, de se tuer.

"Aussi bien, réfléchit-il, je ne ferai que devancer de quelques jours le moment d’aller voir ce qui se passe ad patres."

Il ne croyait pas si bien dire. Car Montreval et Louvignac l’avaient suivi dans toutes ses évolutions et étaient décidés à le suivre jusqu’à ce qu’il s’arrêtât quelque part : moment auquel Montreval monterait la faction devant son logis quel qu’il fût, tandis que Louvignac irait prévenir les forces concentrées à l’hôtel d’Ancre.

Toute la question, pour Capestang, se réduisait donc à choisir un genre de mort qui lui parût convenable. Il les passa en revue, rapidement, puis soudain :

"Ah ! j’ai trouvé, cette fois !"

Il s’arrêta, haletant, flamboyant d’audace.

"Ce que j’ai dit au roi, je le ferai ! C’est moi qui ai fait mettre un gentilhomme à la Bastille. C’est moi qui l’en ferai sortir ! Et comme dans ce duel gigantesque entre la Bastille et moi, c’est la Bastille qui m’écrasera, je trouverai ce que je cherche, c’est-à-dire une mort glorieuse, et je retrouverai ce que j’ai perdu en remplissant le rôle de sbire, c’est-à-dire l’honneur ! Cette fois-ci, voilà la bonne idée, c’est la chance !"

Et ces deux mots qu’il venait de prononcer : la guigne, la chance, appelant une naturelle association d’idées, il se remit en route d’un pas plus ferme en murmurant :

"Où est Cogolin ? Où est ce cuistre ! Il n’est jamais là quand j’ai besoin de lui ! Il a dû retourner m’attendre au grenier du Grand-Henri, courons-y."

Cinq heures du matin sonnaient au couvent des Carmes, lorsque, après cette nuit terrible, le chevalier pénétra dans l’auberge abandonnée, harassé, mais plein de courage pour l’exécution de son idée.

"Cogolin ! s’écria-t-il impétueusement. Va chercher les chevaux à la Bonne-Encontre ! Et puis il doit te rester de l’argent, remets-le-moi, Cogolin ! Où es-tu, faquin ? Me laisseras-tu m’égosiller ? Cogolin !"

Cogolin n’était pas dans l’auberge. Lorsque Capestang eut acquis cette conviction, il s’assit ou plutôt se laissa tomber sur le tas de foin qui, depuis quelques jours, lui servait de couche. Il était las. Il sentit le sommeil le gagner... Un rayon de soleil se glissant dans le grenier s’en vint se poser sur ses yeux. Il grogna un juron et entrouvrit les paupières. Le mince regard qui filtra de ses paupières appesanties s’alla poser sur la lucarne, Capestang tressaillit.

À cette lucarne, à ce moment même, une tête se montrait. Dans la même seconde, Capestang la reconnut :

"Rinaldo !" rugit-il en lui-même.


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D’un bond Capestang fut debout et marcha à la lucarne : la tête avait disparu. On se rappelle qu’il y avait deux lucarnes à ce grenier : l’une donnant sur la cour, et à laquelle aboutissait l’escalier de bois qui desservait extérieurement les étages, l’autre donnant sur la route. C’est à cette dernière lucarne que s’était montré Rinaldo.

Capestang, s’étant penché, le vit qui descendait d’une échelle qu’on avait appliquée là ; il jeta un regard sur la route et vit que l’auberge étai cernée par une vingtaine d’hommes ; à gauche et à droite, de loin, des passants arrêtés regardaient curieusement ce qui allait advenir ; la porte charretière de l’auberge était ouverte, et six hommes y étaient postés. Il courut à l’autre lucarne, jeta un coup d’œil dans la cour, et il y vit une dizaine d’hommes. Ceux-là, il les reconnut pour la plupart : c’étaient les spadassins, les ordinaires du maréchal d’Ancre, et, parmi eux, Concini lui-même !

Capestang, de ce regard de terrible clairvoyance que les hommes très braves ont au moment du suprême danger, embrassa tout le grenier cherchant un trou, une chatière, une rupture dans les tuiles ou sur le plancher, un passage quelconque, si étroit qu’il fût : rien ! il ne vit rien Alors, les forces décuplées, l’esprit bouleversé par une sorte de joie formidable, insensée, qui s’emparait de lui lorsque du fond de son être il entendait sonner la charge des batailles furieuses, en quelques minutes il édifia une barricade devant la lucarne. Derrière la table, une caisse ; derrière la caisse, trois ou quatre escabeaux : derrière les escabeaux de chêne, deux poutres qui se croisèrent et maintinrent solidement l’échafaudage.

Alors, dans sa main gauche, il assura son poignard ; d’un grand geste flamboyant il tira sa longue rapière, la tint un instant élevée au-dessus de sa tête et, les talons joints, comme à la parade, la tête haute, le buste droit, tout raide, l’âme emplie de tumulte, effrayant à voir, d’une voix rauque, il cria :

"Capestang à la rescousse !"

Et il franchit la lucarne de la cour, se montra au haut de l’escalier. Une clameur accueillit cette apparition fantastique du chevalier qui, de ses yeux emplis d’éclairs, défiait la meute massée au bas de l’escalier. Concini leva la tête et éclata d’un rire sinistre qui retroussa ses lèvres écumantes.

"Le voici ! le voici ! vociférèrent les spadassins.

— Bonjour messieurs les assassins à gages !" hurla Capestang.

Concini fit un geste. Le silence tomba sur la meute.

"Au nom du roi ! cria Concini d’une voix qu’il s’efforçait de rendre imposante. Au nom du roi, descendez !

— Au nom de moi ! tonna Capestang, au nom de moi, je reste !

— Ton épée ! gronda Concini.

— Dans ton ventre ! rugit Capestang.

— Messieurs, vous êtes témoins qu’il y a rébellion ouverte, les armes à la main !

— A mort ! A mort ! vociférèrent les spadassins.

— La peste ! La fièvre quarte ! La mort pour vous ! répondit Capestang.

— Traître et rebelle ! grinça Concini.

— Couard et félon !" rugit le chevalier.

Ils se défiaient, s’insultaient du geste, du regard, de l’attitude, de la voix. Concini écumait. Les spadassins trépignaient d’impatience. Capestang était une insulte vivante. Au haut de son escalier, les mains crispées à la rampe de bois, penché jusqu’à en tomber, dans cette sorte de gloire dont l’enveloppaient les rayons du soleil levant, il apparaissait farouche, indomptable, et, débridé, livré à lui-même, jugeant inutile toute retenue de gestes puisqu’il fallait mourir, il exagérait encore sa frénétique attitude de matamore qui défie une armée.

"Allez !" dit Concini dans un grognement bref et rauque.

Et il eut le geste du piqueur qui lâche les chiens pour la curée. Les spadassins se ruèrent, non sans ordre, établissant une méthode instinctive de l’assaut, Rinaldo et Pontraille, en tête. Derrière, Bazorges et Louvignac, Chalabre et Montreval venaient ensuite. Puis une dizaine des sacripants qui avaient été embauchés.

"Vivant ! Prenez-le-moi vivant ! tonna Concini.

— Tête-gris ! – Corbleu ! – Mort-Diable ! – Ventre du pape ! – Tripes du diable !" hurlaient les assaillants qui montaient en s’excitant.

Ils montaient, l’œil sanglant, la bouche grande ouverte ; ils montèrent en masse, le long de l’escalier, pareils à une monstrueuse bête hérissée de pointes d’acier. Ramassé sur lui-même, la pointe en avant, rugissant, le chevalier les attendait. Brusquement éclata là-haut une rumeur de grognements, de grondements, de cris entrechoqués, de jurons, d’insultes, les assaillants arrivés aux dernières marches se ruaient ! D’en bas, Concini vit le choc et trépignant, oubliant sa recommandation de le prendre vivant hurlait :

"Tue ! Tue ! bravo, Pontraille ! Taïaut, Rinaldo ! Sus, sus ! Louvignac, Bazorges ! Montrez vos crocs, mes braves ! Mille écus d’or à qui m’apporte sa carcasse ! Oh ! ah ! lâches ! lâches !"

Que se passait-il ? Il se passait que, parvenus à l’endroit le plus resserré de l’escalier, les assaillants avaient voulu foncer tous à la fois ! Il se passait que Capestang, avec son immense et fulgurante rapière, coup sur coup avait fourragé dans ce tas de chair humaine ! Que le sang giclait, en même temps que des hurlements plus féroces ! Que trois des premiers étaient blessés et voulaient se retirer de la bagarre, et que, dans leur descente éperdue, ils entraînaient tout le reste jusqu’au palier de l’étage !

"Lâches ! Couards ! rugissait Concini. En avant ! Sus ! Sus !"

Rinaldo, entraîné par les autres, avait dégringolé lui aussi jusqu’au palier. Mais c’était un brave que Rinaldo. Il n’avait pas peur d’une bonne saignée, dût la mort s’ensuivre. Et puis il était vraiment dévoué à son maître. Et puis, il haïssait Capestang de toutes ses forces. Il se pencha une seconde et cria d’une voix presque paisible :

"Patience, monseigneur, je vous l’apporte !"

En même temps, il leva les yeux, et ce qu’il vit le fit frémir d’une joie formidable. Capestang n’avait plus d’épée !


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Capestang, à la seconde où les assaillants montaient à l’assaut les dernières marches, en avait descendu deux ; son bras se détendit ; la rapière troua une poitrine ; cinq ou six fois, du même geste furieux et calme, si ces deux expressions peuvent traduire ce qu’il y avait à la fois de méthodique et de frénétique dans sa défense, il plongea ainsi son épée... et tout à coup, à ce moment même où se produisait la reculade éperdue, il s’aperçut qu’il n’avait plus rien dans la main qu’un misérable tronçon : Rinaldo, d’un coup terrible, venait de lui briser sa rapière.

Une seconde, Capestang se vit perdu. Il eut un soupir de rage et de désespoir. Dans cet instant, il entendit la clameur des assaillants :

"Il est désarmé ! En avant ! Sus ! Sus ! Tue ! Tue !"

Dans ce même instant, il les vit monter comme une bande de loups. C’était la fin ! Capestang se retourna vers le grenier avec ce mouvement du condamné qui, à la minute fatale, regarde autour de lui comme pour demander secours aux puissances surnaturelles. Et il tressaillit. Et un rire formidable éclata sur ses lèvres violentes… D’un geste prompt comme la foudre, il baissa et ramassa quelque chose qu’il venait de voir, là, à l’entrée du grenier contre la lucarne ! Les assaillants se ruaient. On entendit ce cri furieux :

"Rinaldo à la rescousse !"

Et à ce cri, répondit un rugissement de Capestang :

"Henri IV à la rescousse !"

Et alors, Concini dans la cour, les passants accourus, les cinq cents Parisiens qui s’étaient entassés aux abords de l’auberge pour assister à la capture du truand, tout ce monde put voir une chose prodigieuse, et fabuleuse comme un épisode ressuscité des antiques prouesses des demi-dieux : En haut de son escalier, Capestang, sans épée, sans poignard (il l’avait jeté), Capestang, à toute volée, assommait, frappait à coups retentissants comme des coups de gong, il frappait, il assommait les assaillants avec quelque chose d’énorme, une sorte de grande plaque en fer ! et c’était l’enseigne de l’auberge, déposée là par Lureau quand il l’avait décrochée ! et c’était l’image du Grand Henri, c’était Henri IV qui écrasait des crânes, défonçait des poitrines, se levait, retombait, bousculait en tempête, et finalement repoussait les assaillants éperdus, fous, qui se laissaient dégringoler en grappe jusqu’au bas de l’escalier !

Alors Capestang, à bras tendus, souleva l’enseigne, la montra à tout ce peuple qui croyait assister à la lutte d’un titan et, d’une voix tonnante, cria.

"Vive Henri quatrième ! Vive le grand Henri !"

La foule, trépignante, délirante d’enthousiasme, se découvrit, jeta en l’air chapeaux, bonnets et toques, et vociféra dans une immense clameur :

"Vive le grand Henri !"

Concini s’arrachait les cheveux. Rinaldo bandait sa tête. Pontraille, Chalabre, dix autres pansaient leurs blessures et, là-haut, Capestang, dans son attitude exaspérée, le matamore, le capitan hurlait à tue-tête :

"Henri IV et Capestang à la rescousse ! Vive le grand Henri !"

À ce moment où Concini affolé, blêmissait non plus seulement de fureur, mais d’épouvante, la multitude massée dans la rue de Vaugirard se mit à fuir, éperdue, avec des cris de miséricorde, s’émietta, se fondit, se dispersa comme ces monstrueuses vagues qui se brisent sur le rivage.

"Sus ! sus ! A la rescousse !" rugirent les gens de Concini en se précipitant au-dehors.

De la rue de Tournon, trente ou quarante reîtres à cheval sortis de l’hôtel d’Ancre, débouchaient au galop, frappant, renversant, culbutant tout sur leur passage, balayant la rue emplie de tumulte ; pendant une minute, ce fut une clameur terrible, une fuite furieuse, par les ruelles, par les champs et les jardins, puis brusquement, reîtres et spadassins se retrouvèrent autour de l’auberge.

"À l’assaut ! En avant !" vociféra Concini en montrant l’escalier.

Capestang, voyant ce renfort qui arrivait, ces reîtres qui se joignaient aux ordinaires, voyant, dis-je, qu’il tenait tête à cent hommes armés en batailles, eut un frémissement d’orgueil, et, se rejetant à l’intérieur du grenier, commença à barricader la lucarne ! Il voulait un siège fabuleux. Il voulait une mort dont il serait parlé dans les fastes héroïques, et, souple, furieux, frénétique, il entassait au hasard tout ce qui lui tombait sous la main. Et quand ce fut fini, il essuya son front ruisselant de sueur, se croisa les bras, et cria :

"Allons, venez-y, mes agneaux ! A la rescousse ! Mais prenez garde, vous n’êtes que cent !"

Comme il parlait ainsi, il fut frappé de l’étrange silence qui régnait au-dehors. Non seulement l’ordre de Concini n’était pas exécuté, non seulement personne ne montait à l’assaut, mais on eût dit que reîtres et spadassins, tous étaient partis ! Alors, l’angoisse le saisit. Ce silence qui trouait tout à coup le tumulte enragé lui apparut comme un abîme.

"Ils se concertent, rêva-t-il, ils méditent, mais quoi ? Oh !" ajouta-t-il soudain, les yeux arrondis par l’effroi.

D’un coin obscur du grenier, il venait de voir un peu de fumé Capestang demeura immobile, une minute, doutant, voulant douter encore, la petite fumée blanche qui rampait en volutes au ras du plancher mon soudain, ses spirales passèrent du blanc au noir, une seconde encore, et une fumée âcre, violente, se mit à tourbillonner, puis il y eut des craquements des sifflements, des crépitements, puis, de ce coin où cela avait commencé fusa un jet de flammes, l’auberge était en feu ! Ils n’étaient pas partis ! ils avaient entassé des fagots, des fascines, ils l’enfumaient comme un renard et, vaincus, ils appelaient l’incendie à leur secours !

"Lâches ! Lâches !" hurla Capestang qui tout autour de lui, jetait des regards égarés, cherchant une arme, un morceau de fer, n’importe quoi.

Et il ne trouvait rien ! Il n’avait que son tronçon de rapière. Les flammes sifflaient, hurlaient, se tordaient autour de lui. Au-dehors, les vociférations les insultes, les clameurs de joie furieuse, les intraduisibles invectives croisaient, éclataient, se mêlaient aux sifflements de l’incendie, et cela formait une rumeur étrange. Dans la cour, dans la rue, spadassins, reîtres, nez en l’air, les poings tendus, les faces convulsées, défiaient Capestang. Tout à coup, il apparut au haut de l’escalier, qu’il se mit à descendre en secouant, son tronçon de rapière d’une main, son poignard de l’autre, pareil à un fauve qui sort de son antre en montrant ses griffes puissantes.

Il y eut dans la bande un recul instinctif, car l’homme résolu à mourir, dégage on ne sait quel magnétisme de force et d’audace ; puis, brusquement une clameur forcenée, puis, dans la seconde qui suivit, un silence effroyable de gens rués, les dents serrées. Et, en mettant le pied sur le sol de la cour, Capestang, l’âme hors des gonds, la pensée emportée par la tempête, vit ces faces décomposées, ces regards rouges, ces bouches convulsées, ces bras levés, ces épées qui luisaient ; il frappa, à coups redoublés, à coups frénétiques, au hasard ; il frappa ; du sang, autour de lui, sur lui, jaillit gicla ; il frappait, il ne sentait plus rien, sa chair labourée de coups ne souffrait pas, il était en lambeaux, il était plein de sang.

Tout à coup, il tomba.

Ils étaient une dizaine sur lui qui le liaient, le garrottaient. Il fut jeté tout pantelant au travers d’un cheval…

"Emportez-le à l’hôtel !" grogna Concini d’un grognement bref, rauque, à peine compréhensible.

Et, tandis qu’on l’emportait ainsi, solidement lié entouré d’une trentaine de reîtres, Concini et ceux de sa bande, se voyant tous couverts de sang, voyant les morts, les blessés, l’incendie qui hurlait, se regardèrent, livides, haletants, hagards, comme s’ils eussent emporté une ville d’assaut et combattu une armée !