Le Captain Cap/II/25

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Juven (p. 169-173).

CHAPITRE XXV

Où il est question, c’est le cas de le dire, d’un tas de cochonneries.


Excellent réveillon passé avec quelques hétaïres de grande beauté, cinq ou six députés prévaricateurs, le tout sous la chatoyante présidence du Captain Cap.

Avec ce diable d’homme, on ne manque pas une occasion de s’instruire en s’amusant. Laissons-lui donc la parole :

La coutume de manger du boudin pendant la nuit de Noël remonte à la plus profonde antiquité.

Ne lisons-nous pas dans les « Commentaires de César » : « Secundum antiquam habitudinem, Lexoviani celebrant naissanciæ Christi anniversarium empiffrandos e ipsos cum boldini[1] fantasticis quantitatibus. »

Si nous abandonnons le terrain historique pour nous livrer aux investigations plus précises de la statistique, nous ornons notre esprit des chiffres suivants :

Une moyenne de cent Français (car il faut, bien entendu, ne point compter parmi ces dégustateurs les enfants en bas âge, plusieurs moribonds, les dames en couches et certaines personnalités, tel que M. Paul Deschanel, beaucoup trop bien élevées pour admettre un seul instant l’absorption d’un aussi grossier mets), une moyenne de cent Français, reprends-je, consomme un mètre de boudin[2].

Un mètre de boudin pour cent habitants, cela nous représente, si je sais compter (et je sais compter, je vous prie de le croire), trente et quelques kilomètres pour la France entière.

Veuillez avoir l’obligeance mesdames et messieurs, d’inscrire ce chiffre sur un bout de papier : nous serons bien aise de le retrouver tout à l’heure.

… Et maintenant, quittant la statistique, nous allons, si vous le voulez bien, faire un bond sur le tapis de ce j’appellerai, faute de mieux, la biologie.

Dans son dernier numéro, l’excellent « Journal de Médecine et de Chirurgie », fort habilement dirigé par M. le docteur Lucas-Championnière, résumait, d’après une publication allemande non désignée, un travail des moins ragoûtants dû aux veilles d’un certain docteur Schelling.

N’ayant probablement rien à faire entre ses repas, ce savant parvint — non sans peine, affirme-t-il, — à se procurer des boyaux frais, tels que les utilisent les charcutiers pour préparer des saucisses, des andouilles, des boudins et autres denrées, « ejusdem cochonneriæ ».

Il les examina, ces boyaux, à l’aide de puissants microscopes ; il en scruta les replis les plus secrets, il les gratta, il en analysa les raclures et, finalement, découvrit…

(Les personnes d’estomac tant soit peu sensible, et qui s’adonneraient à l’usage des produits ci-dessus désignés, sont priées instamment de ne point poursuivre cette lecture.)

Il découvrit, cet excellent docteur Schelling, que les boyaux servant à mouler les succulentes saucisses ou les andouillettes appétissantes recèlent une quantité d’excréments qu’on peut évaluer à deux grammes ou deux grammes et demi par mètre d’intestin grêle et cinq grammes par mètre de gros intestin.

Prière de noter que les boyaux soumis aux investigations du docteur Schelling provenaient d’une charcuterie renommée dans le pays pour sa propreté méticuleuse.

« Un ouvrier allemand, ajoute tristement M. Schelling, qui consomme de dix à quinze centimètres de saucisse par jour, moyenne ordinaire, absorbe donc quatre ou cinq grammes d’excréments par semaine, soit une demi-livre par an. »

Connaissez-vous, dans le théâtre ancien, une vieille pièce, très amusante, intitulée « le Marchand de m… ? »

Titre légitimement offuscateur, qui pourra désormais se changer en cet autre, plus hypocrite, mais disant la même chose : « le Charcutier ».

… Revenons à notre boudin, à nos trente kilomètres de boudin, et concluons que, dans cette nuit de Noël, où nous nous trouvons réunis, cent cinquante kilos de la… marchandise en question seront absorbés sur le territoire de la République française.

Déplorable constatation, car, enfin, ce n’est pas une raison, parce que le Christ est né dans une étable, pour que, cette nuit-là, nous nous gorgions de bouse de vache.


  1. Rien du peintre bien connu, mais ce n’est pas de ma faute, à moi, si boudin se disait en latin « boldinum ».
  2. Contrairement aux habitudes du Captain Cap, sa statistique d’aujourd’hui est fort au-dessous de la vérité.