Le Captain Cap/II/35

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Juven (p. 221-224).

CHAPITRE XXXV

La sécurité dans les théâtres.


La sécurité du public dans les théâtres est un de ces problèmes qui ne doivent jamais laisser indifférent le penseur, alors même qu’aucune catastrophe récente ne vient mettre cette morose question sur le tapis de l’actualité.

Une foule innombrable d’étrangers s’entasse chaque soir dans nos lieux de plaisir : la politesse française commande de rôtir nos invités en nombre aussi réduit que possible.

Ce qui constitue le danger dans ces sortes de malheurs, c’est moins encore la flamme elle-même que l’incroyable panique qui se manieste dès le début du sinistre et vient causer bousculades, encombrements, écrasements.

Une foule qui, terrifiée, se presse dans les couloirs d’un théâtre, c’est un bouchon qui se gonflerait dans l’étranglé goulot d’une bouteille.

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Tous les naturalistes vous diront que, chez l’anguille, le cas de trépas accidentel par combustion dans un théâtre ou autre endroit de plaisir en flammes, est un fait des plus rares.

À quoi attribuer cette, en apparence, curieuse immunité ?

À ceci, tout simplement, que l’anguille, lotie par la nature d’un corps parfaitement lisse et comme lubrifié, peut, dès la première alerte, se glisser, se faufiler et promptement parvenir au dehors sans que nulle aspérité personnelle extérieure ne vienne entraver son cours onduleux.

L’expérience est facile à faire : remplissez une salle de spectacle avec des anguilles, poussez brusquement un cri d’alarme quelconque, ainsi, par exemple, que : « Voici les Tartares ! », et vous serez positivement émerveillé de la rapidité avec laquelle tout ce souple petit monde aura gagné les parties externes du bâtiment.

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N’y avait-il pas, pour l’humanité, quelque profitable leçon à tirer de cet exemple ?

De bonne foi, le Captain Cap l’avait cru un instant, et il proposa aux autorités compétentes le projet d’une sorte de vêtement à l’usage des spectateurs, en forme de cache-poussière, avec, remplaçant le tissu, de la peau de pêche, de la simple peau de pêche.

Ayant, à la suite de longs travaux, remarqué que la peau d’anguille morte ne possède pas les mêmes qualités de glissement que celle de la vivante, il s’était décidé à la remplacer par de la peau de pêche, dont les propriétés, à cet égard, sont si connues et appréciées des amateurs.

Son projet n’ayant, comme de juste, rencontré que le dédain ricaneur des grosses légumes, il en resta là de ses travaux philanthropiques.

Un nouveau système visant au même but lui paraît plus pratique :

Ne pourrait-on pas, insinue-t-il, contraindre MM. les directeurs de théâtre à transformer les couloirs de leurs établissements en couloirs mobiles, semblables au trottoir roulant, vous vous souvenez, à l’Exposition de 1900[1], au Champ de Mars ?

De même pour les escaliers, à la place desquels on installerait des rampes mobiles analogues à celles que l’on put voir dans notre Exposition, avec, pourtant, cette différence qu’elles seraient, si j’ose m’exprimer ainsi, « descensionnelles ».

En cas d’incendie, un simple déclic met en marche tout ce mécanisme.

Ainsi, plus de bousculade, ou si bousculade, plus de catastrophe, puisque tout le monde sorti dans la rue, automatiquement.


  1. Comme c’est loin tout ça !