Le Captain Cap/II/47

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Juven (p. 268-271).

CHAPITRE XLVII

Inconvénient d’une mauvaise prononciation.


William Bott, que le Captain Cap baptisa fort spirituellement Henry Bott chaque fois qu’il abuse des stars and stripes[1], est un Bostonien fort aimable, et des plus distingués, ainsi que sont, pour la plupart, les gens de Boston.

C’est à son propos que j’écrivis ces vers de rime assez plaisante, n’est-ce pas :

Bott, en dansant la valse et le boston usa
Le parquet de Mary Webb, à Boston (U. S. A.)[2].

Débarqué en France au printemps dernier, cet Américain, sur la recommandation de Cap, devint tout de suite mon ami.

Le français qu’il parlait était un français irréprochable déjà ; seuls, quelques mots auraient gagné à être plus correctement prononcés.

Ainsi, il disait flott, pott, comme si ces mots, à l’instar de son nom, eussent comporté deux t.

Sur une simple observation, il rectifia ces petites imperfections, et parla bientôt aussi purement que M. Le Bargy.

Je me suis beaucoup attaché à mon ami Bott, esprit original, et tout de primesaut.

Un matin que je l’avais rencontré sur la plage, il me proposa un match à la carabine.

J’acceptai d’autant plus volontiers que je connais les personnes qui tiennent le tir, jeunes et délurées Montmartroises dont la jolie sœur aînée porte un nom fort connu dans l’armorial de la galanterie parisienne.

Bott, excellent tireur pourtant, dut s’incliner devant mon écrasante supériorité : après un grand nombre de cartons, il renonça à la lutte et paya la note ès mains d’une des jeunes filles, cependant que je complimentais l’autre sur la jolie tournure que prenait sa taille.

— Au revoir, mesdemoiselles.

— Au revoir, messieurs… On vous reverra cet après-midi ?

— Peut-être.

Bott avait l’air tout chose.

— Qu’avez-vous, ami Bott ? fis-je.

— J’ai que cette petite Charlotte vient de me tenir des propos auxquels je n’ai rien compris.

— Quels propos ?

— Voici textuellement ce qu’elle m’a dit : « Ça ne serait pas à faire que j’en aurais un ! On a déjà bien assez de mal à gagner sa pauvre galette sans la refiler encore à des mectons qui se f… de vous ! »

— Que lui aviez-vous dit qui amenât cette énigmatique réponse ?

— Pour lui payer les 17 fr. 50, frais de notre match, je lui donnai un louis et, comme elle se disposait à me rendre la monnaie, je lui offris gracieusement (car elle me plaît beaucoup, cette petite) : « Gardez le tout, mademoiselle, ce sera pour votre dot. »

— Et vous avez prononcé le mot dot, sans faire sonner le t ?

— Dame, oui, comme vous m’avez indiqué pour flot, pot, etc.

— Alors, je m’explique tout ! La petite aura compris que vous lui donniez de l’argent pour son dos.

— C’est moi qui ne comprends plus.

Dos est le terme argotique et bien parisien par lequel on désigne les gentlemen qui se font de détestables revenus avec l’inconduite de leurs compagnes.

— Horrible ! horrible ! Qu’est-ce que cette fillette va penser de moi ?

Et Bott tint à revenir tout de suite au tir, porter ses excuses à la petite Charlotte et lui offrir une jolie bague, pour laquelle la petite citoyenne du dix-huitième arrondissement lui sauta au cou et l’embrassa de grand cœur.


  1. Stars and stripes, autrement dit les étoiles et les raies. Dans un verre-flûte, versez, sans mélanger, crème de noyaux, marasquin, chartreuse jaune, curaçao et verre fine champagne.

    Voilà pour les raies.

    Quant aux étoiles, vous les apercevrez aussitôt que vous aurez, d’un seul coup, lampé cette spiritueuse polychromie.

  2. Prononcez United states America.