Le Cardinal de Retz/02

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Le Cardinal de Retz
Revue des Deux Mondes3e période, tome 22 (p. 525-552).
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LE
CARDINAL DE RETZ
ET
L'AFFAIRE DU CHAPEAU
D’APRES DES DOCUMENS INEDITS.

I.
LA NOMINATION AU CARDINALAT. — LA COUR DE ROME. — CORRESPONDANCE DE RETZ AVEC, L’ABBÉ CHARRIER[1].

Parmi les mille intrigues si compliquées de la fronde, l’affaire du chapeau du cardinal de Retz est une de celles qui offrent le plus vif intérêt. Dans l’action principale, elle forme une action à part, commedia in commedia, comme disent les Italiens; c’est un drame héroï-comique, souvent mêlé aux principaux événemens, et qui même parfois en devient la cause essentielle. C’est ainsi que, dans l’espoir d’obtenir de la reine sa nomination au chapeau, Retz, après avoir longtemps cabalé et conspiré, se rapproche de la cour, et, pour se créer des droits à la reconnaissance d’Anne d’Autriche, provoque l’arrestation du grand Condé. C’est pour se venger de ne pas avoir obtenu d’emblée le chapeau qu’il se fait le promoteur de la délivrance du prince et de l’expulsion de Mazarin hors du royaume. C’est pour le ressaisir et pour tirer une éclatante vengeance de Condé, infidèle après sa prison à ses engagemens envers les frondeurs, qu’il offre de nouveau son concours à la régente, et que cette fois, en échange de la pourpre, il dispute si bravement le pavé de Paris au vainqueur de Rocroi et de Lens. Voilà fort en raccourci une indication des intrigues de Retz pour arracher à la reine sa nomination au cardinalat. Cette nomination, si ardemment convoitée et disputée, une fois conquise, une nouvelle campagne est entamée à Rome par le coadjuteur, afin d’obtenir du pape sa promotion.

C’est le récit de cette seconde phase de l’affaire du chapeau de Retz que je vais essayer de raconter à l’aide de documens inédits du plus haut intérêt. Jusqu’à présent, la plupart des combinaisons de cette savante partie d’échecs entre Retz et Mazarin étaient restées dans l’ombre. Du jeu des acteurs, on ne connaissait que les incidens principaux et le résultat final. Une précieuse découverte, celle de la correspondance chiffrée de Retz avec l’abbé Charrier, son représentant à Rome, qui roule tout entière sur cette affaire du chapeau[2], nous a permis, avec nombre de lettres inédites de Mazarin et de ses agens, de la reconstituer dans son intégrité. Grâce à ces documens, nous pourrons la suivre dans toutes ses péripéties, surprendre les secrets ressorts mis en œuvre par les deux rivaux, pénétrer avec eux dans leurs mines et contre-mines. Ce fut à l’aide d’incroyables manœuvres et avec une dextérité surprenante que Retz enleva le chapeau, en vrai Florentin qui n’a pas oublié sa patrie d’origine. Quant à Mazarin, on sait comment il prit sa revanche.


I.

Avant d’entamer le récit des intrigues de Retz à Rome pour y hâter sa promotion, il est nécessaire de dire en quelques mots comment et à quelle occasion il finit par obtenir de la reine sa nomination au cardinalat.

Malgré l’extrême penchant de Retz pour la galanterie, les femmes ne furent jamais pour lui qu’une distraction, un passe-temps. Sa passion dominante, bien qu’il ait constamment affirmé le contraire dans ses Mémoires, c’était l’ambition. Il devina de bonne heure qu’il ne pourrait arriver à la haute position qu’il rêvait, au cardinalat, au poste de premier ministre, par les voies ordinaires, en remplissant scrupuleusement ses devoirs de pasteur et de sujet fidèle. Il savait jusqu’où, s’étendait la faveur de Mazarin, et qu’il lui serait impossible de le déraciner dans le cœur de la reine. C’eût été en pure perte, il ne l’ignorait pas, que pour être nommé cardinal il se fût résigné à des actes de soumission et d’adulation qui ne pouvaient convenir en aucune sorte à son humeur altière. Comment Mazarin, le plus ombrageux des hommes, eût-il pu consentir, de gaîté de cœur, à le voir à ses côtés revêtu de la pourpre? L’espoir de succéder en temps calme à un ministre si habile, si fortement ancré au pouvoir, si jeune encore, qui n’avait que onze ans de plus que lui, ne lui paraissait pas moins chimérique. Ce que Retz ne pouvait donc espérer d’une conduite sans reproche, il se jura de l’arracher tôt ou tard par l’intrigue, par la faction, par la guerre civile. En attendant l’heure des hostilités ouvertes, il s’attacha avec un soin extrême à fonder sourdement sa popularité et à semer la haine et le mépris contre Mazarin. « Rien ne prépare mieux à la diplomatie que la théologie, » a dit M. de Talleyrand, si bon juge en pareille matière, et le coadjuteur, nous le savons, était un docteur émérite en théologie. Personne ne connaissait mieux que lui l’art des cheminemens souterrains pour ruiner un adversaire. De son propre aveu, il n’avait rien négligé pour prendre ses précautions contre le mauvais vouloir du ministre et pour se ménager l’affection de la bourgeoisie et du peuple. En moins de quatre mois, il avait dépensé 36,000 écus en aumônes et en libéralités, c’est-à-dire environ 300,000 francs de nos jours.

Rien de plus captieux que le récit que Retz nous a laissé des deux journées de 1648 et du rôle qu’il y joua; rien de plus habile que les détours par lesquels il fait passer le lecteur afin de l’amener à prendre fait et cause pour lui. Jamais l’art des transitions et des gradations ne fut poussé plus loin. Évidemment, une partie des faits est arrangée à plaisir par l’artificieux historien pour justifier son ingratitude et sa révolte. Sous prétexte d’apaiser la sédition, il se rend au Palais-Royal afin de conseiller à la reine de rendre la liberté à Broussel. D’abord on l’accueille avec hauteur; puis, s’il fallait l’en croire, afin de le compromettre, on fait choix de sa personne pour calmer le peuple par la fausse promesse de la délivrance du prisonnier, et lorsque, à force d’adresse et de supplications, il est parvenu à faire déposer les armes, pour tout remercîment, la reine lui dit : « Allez vous reposer, monsieur, vous avez bien travaillé. » Et tous les courtisans de rire et d’échanger des mots piquans sur cet archevêque in partibus qui, sans caractère suffisant, s’est immiscé dans les affaires publiques. « Il faut que votre majesté soit bien malade, dit Bautru, en se tournant vers la reine, puisque M. le coadjuteur lui apporte l’extrême-onction en rochet et en camail. » A peine fut-il parti, qu’il fut livré pendant une heure, nous dit-il avec une grâce charmante, « à la raillerie fine de Bautru, à la bouffonnerie de Nogent, à l’enjouement de La Rivière, à la fausse compassion du cardinal et aux éclats de rire de la reine. » Il rentre à l’archevêché la rage dans le cœur, non sans avoir distribué sur son passage force bénédictions. Ne croyez pas pourtant qu’il éclate sur l’heure. Il est trop habile pour ne pas essayer de mettre, à l’égard de ses lecteurs, le bon droit de son côté, en apparence du moins. Il suppose que, dans ce premier moment, il s’enveloppa dans son devoir, bien résolu de ne pas en sortir et qu’il sut résister aux instances de quelques amis qui lui apprirent de quelles railleries cruelles il avait été le jouet au Palais-Royal, où même on l’accusait hautement d’être l’auteur de la sédition, « Je sacrifiai presque sans balancer à mon devoir, nous dit-il en jouant la grandeur d’âme, les idées les plus douces et les plus brillantes que les conjurations passées présentèrent à mon esprit en foule, dès que le mauvais traitement que je recevais, connu et public, me donna lieu de croire que je pouvais entrer avec honneur dans les nouvelles. Je rejetai, par le principe de l’obligation que j’avais à la reine, toutes ces pensées, quoique, à vous dire le vrai, je m’y fusse nourri dès mon enfance. »

Jusqu’ici Retz n’est que bafoué, et ce n’est point un motif suffisant, pour un homme de bien, de se révolter. Il faut plus encore, et voici ce qu’il invente par une ingénieuse mise en scène. Il suppose qu’un de ses amis, M. d’Argenteuil, vient le trouver au milieu de la nuit, et lui annonce que le diable possède le Palais-Royal, qu’on l’y accuse formellement d’être le fauteur de l’insurrection, qu’il est perdu, qu’il doit être conduit sous bonne escorte à Quimper-Corentin, qu’il ne lui reste plus qu’à songer à sa sûreté, que le parlement doit être exilé à Montargis, et que la cour enfin est assez forte pour pendre qui elle voudra.

Voilà donc Retz armé du droit de légitime défense et jusqu’à un certain point justifié. Malheureusement pour lui, il n’y a pas un mot de vrai dans la fin de son récit. Jusqu’alors évidemment, il n’avait pas inspiré assez de crainte à la cour pour qu’elle eût songé un seul instant à lui faire partager le sort de Broussel. Elle s’était contentée de lui lancer quelques épigrammes. Retz, à n’en pas douter, a voulu grossir son rôle ainsi que ses griefs contre la cour. C’est dans sa féconde imagination, et non dans la vérité des faits, qu’il a puisé toutes ses inventions et tous ses argumens pour justifier sa défection. Le disciple de Machiavel, qui a passé sa vie à étudier dans les livres, puis en action avec les Montrésor, les Saint-Hibal et les Varicarville, l’art de conspirer, va se donner pleine carrière. Le moment est enfin venu pour lui de jouer sur le théâtre le grand rôle qu’il ambitionne depuis si longtemps, celui de chef de parti. L’homme va se révéler tout entier, le conspirateur de race va se démasquer. « Comme la manière dont j’étais poussé, nous dit-il, et celle dont le public était menacé eurent dissipé mon scrupule, et que je crus pouvoir entreprendre avec honneur et sans être blâmé, je m’abandonnai à toutes mes pensées: je rappelai tout ce que mon imagination m’avait jamais fourni de plus éclatant et de plus proportionné aux vastes desseins ; je permis à mes sens de se laisser chatouiller par le titre de chef de parti, que j’avais toujours honoré dans les Vies de Plutarque ; mais ce qui acheva d’étouffer tous mes scrupules fut l’avantage que je m’imaginai à me distinguer de ceux de ma profession par un état de vie qui les confond toutes. Le dérèglement des mœurs, très peu convenable à la mienne, me faisait peur; j’appréhendais le ridicule de M. de Sens. Je me soutenais par la Sorbonne, par des sermons, par la faveur des peuples; mais enfin cet appui n’a qu’un temps, et ce temps même n’est pas fort long, par mille accidens qui peuvent arriver dans le désordre. Les affaires brouillent les espèces, elles honorent même ce qu’elles ne justifient pas, et les vices d’un archevêque peuvent être, dans une infinité de rencontres, les vertus d’un chef de parti... J’avais eu mille fois cette vue, mais elle avait toujours cédé à ce que je croyais devoir à la reine. Le souper du Palais-Royal et la résolution de me perdre avec le public l’ayant purifiée, je la pris avec joie et j’abandonnai mon destin à tous les mouvemens de la gloire... "

On sait comment il prépara l’insurrection du 27 août, et comment Paris, en moins de deux heures, se couvrit de plus de douze cents barricades. C’est à partir de ce jour mémorable qu’il voit « la carrière ouverte, même pour la pratique, aux grandes choses dont la spéculation l’avait si vivement touché dès son enfance; » c’est à dater de la journée des barricades que son imagination lui fournit toutes les idées du possible. Mais ce fut en vain qu’il essaya, pendant la guerre civile, de mêler les espèces, comme il le dit lui-même, de confondre les rôles, d’effacer autant que possible son caractère sacerdotal, de prouver en action que les vices d’un archevêque peuvent être parfois les vertus d’un chef de parti. Malgré les soins infinis qu’il prenait, il ne pouvait faire illusion à personne. Le chef de la fronde et l’homme à bonnes fortunes ne purent jamais faire oublier le prêtre. Ces trois personnages juraient constamment à se trouver ensemble et se mettaient réciproquement dans un cruel embarras. Ce tribun crosse et mitre, qui vivait a bien plus en berger qu’en pasteur, » était sans cesse en butte aux épigrammes les plus mordantes. Les pamphlets et les bons mots pleuvaient sur lui dru et menu, ce qui lui déplaisait fort, car il avait la prétention de faire prendre tous ses rôles au sérieux. « A-t-on jamais vu un prêtre se mêler d’intrigues avec les femmes et quitter l’autel pour cajoler dans les ruelles de lit? disait un pamphlétaire. A-t-on jamais vu un archevêque prêcher dans les églises pour animer le peuple à la destruction de ses ennemis?.. » Qui ne connaît le mot si spirituel du président Molé en le voyant entrer au parlement un jeudi saint qu’il venait de présider à Notre-Dame à la cérémonie des saintes huiles? « Il vient, dit-il, de faire des huiles qui ne sont pas sans salpêtre. » Et celui du duc de Beaufort, s’écriant plaisamment à la vue du manche d’un poignard qui sortait de la soutane du factieux prélat : « Voici le bréviaire du coadjuteur ! » Qui ne sait le mot des Parisiens lorsque le régiment de Corinthe, levé par Retz et baptisé ainsi de son titre d’évêque, fut défait par les troupes du roi? Ils nommèrent fort spirituellement cet échec : la première aux Corinthiens. Le mot fit fortune et fut répété par tous les échos. Retz en fut blessé au vif, et ce qui le prouve, c’est qu’il n’en dit rien dans ses Mémoires, non plus que de tant d’autres plaisanteries de ce genre. Que dut-il penser du surnom de Pape des frondeurs que lui donna Saint-Simon, un petit-maître de son temps[3]? C’étaient là autant de pointes qui lui rappelaient sans cesse qu’il ne mêlait pas si bien les espèces qu’on ne fît très bien la distinction des unes et des autres.

Jean-Paul de Gondi se proposa deux buts principaux pendant la fronde, l’un d’être cardinal, l’autre premier ministre. Dans ses Mémoires, il avoue la première de ces prétentions, parce qu’elle a été couronnée de succès, mais il nie constamment la seconde pour s’épargner la honte d’un aveu trop pénible à son orgueil. Il a mis tant de soin à la couvrir d’un voile aux yeux de ses contemporains que nombre d’entre eux, parmi lesquels on est surpris de rencontrer La Rochefoucauld, l’ont cru sur parole et se sont imaginé qu’il n’eut aucun dessein formé d’arriver au pouvoir, qu’il ne conspira que pour le seul plaisir du jeu, que pour satisfaire sa vanité de chef de parti. Plus clairvoyant, Mazarin fut du très petit nombre de ceux auxquels Retz ne put en imposer sur ce point et qui pénétrèrent le plus avant dans les plis et les replis de sa pensée.

C’est à partir du moment où Retz eut l’espoir certain de succéder un jour à son oncle, Jean-François de Gondi, en qualité d’archevêque de Paris, qu’il donna un plein essor à son ambition. Deux de ses grands oncles, Henri et Pierre de Gondi, évêques de Paris tour à tour, étaient parvenus au cardinalat; il résolut d’être cardinal comme eux, mais dans le dessein de s’élever encore plus haut. Depuis que Richelieu avait jeté un si grand éclat sur la pourpre, depuis qu’il avait désigné lui-même pour son successeur un autre cardinal, il semblait que cette dignité fût en quelque sorte indispensable pour un premier ministre. Voilà pourquoi Paul de Gondi eut un si violent désir du chapeau, pourquoi il mit en œuvre, afin de le conquérir, toutes les ressources de son merveilleux esprit, pourquoi il bouleversa l’état de fond en comble.

Au moment où nous sommes arrivés, Mazarin est banni de France, sa tête sera bientôt mise à prix par le parlement. Ses deux plus grands ennemis, Retz et Condé, sont aux prises, et il ne cesse d’espérer que, se détruisant l’un par l’autre, ils lui céderont bientôt le champ de bataille. En attendant, le coadjuteur et M. le prince se disputent « le pavé de Paris. » Condé, afin d’obtenir par la force des armes les grands gouvernemens du midi, que la reine, d’après les conseils de Mazarin, a refusé de lui livrer, se prépare secrètement à la guerre civile et entre en pourparlers avec les Espagnols. On sait avec quelle audace, quelle intrépidité, le coadjuteur, escorté de quelques-uns de ses amis et de soldats d’élite que la reine lui avait envoyés pour protéger sa personne, tint tête à M. le prince et à ses partisans, au milieu du parlement assemblé pour entendre une lecture d’un manifeste du roi contre le prince. De part et d’autre, les épées furent tirées du fourreau, et peu s’en fallut que le sang ne coulât à flots dans le sanctuaire de la justice (19 et 21 août 1651). La reine fut transportée de joie de l’extrême fermeté de Retz, qui, au péril de sa vie menacée par le poignard de La Rochefoucauld, l’avait vengée des insolences et des bravades de M. le prince.

Pendant quelques jours, Retz fut en faveur. Il en profita pour faire sa cour à la reine, et comme il était le plus entreprenant des hommes auprès des femmes, il joua auprès d’elle le rôle d’amoureux, ce qui ne déplut point à la princesse, fort coquette de son naturel. Retz nous a raconté ses entrevues et son manège de la manière la plus amusante. Il comprit bientôt, pour nous servir d’une de ses expressions favorites, que, si « le bénéfice était inoccupé, il n’était pas vacant, » et qu’en perdant cet espoir il perdait du même coup celui du ministère. Il se rabattit donc sur le chapeau.

Cependant on était arrivé au 7 septembre. Ce jour-là fut proclamée, au sein du parlement, la majorité du jeune roi; en même temps, la reine y fit publier une déclaration par laquelle était reconnue l’innocence de M. le prince. Elle espérait le gagner ou plutôt l’amuser. Le soir même, elle nommait un nouveau cabinet. Le vieux marquis de Châteauneuf, l’un des principaux frondeurs, était choisi comme premier ministre; les sceaux, enlevés pour la seconde fois au chancelier Séguier, étaient rendus au premier président Molé, C’était à l’insu de Condé que ce grave changement avait eu lieu. Le choix de Châteauneuf, qui lui était fort hostile, lui fit comprendre que la cour ne céderait sur aucun point à ses énormes exigences. Il en fut profondément ulcéré et quitta brusquement Paris, où il n’était plus en état de soutenir la lutte, pour se rendre en Guienne, afin d’y organiser la guerre civile (22 septembre 1651).

D’après les conseils du cabinet, il s’agissait d’aller l’attaquer au plus tôt, avant qu’il eût le temps de former une armée et de se mettre en état de défense. Afin de donner plus d’ardeur aux troupes, il fut résolu que le jeune roi et la reine suivraient l’expédition; mais, au dernier moment, un nouvel obstacle pouvait surgir. On savait que le coadjuteur n’était pas homme à laisser partir la cour sans qu’on lui eût donné des gages sérieux. N’avait-il pas déjà une fois, pendant les troubles, fait garder prisonniers dans Paris le jeune roi et sa mère?

A la fin de septembre, la reine le fît appeler au Palais-Royal. Il lui fut présenté par le duc d’Orléans, et, à la prière de ce prince, elle lui fît remettre par le jeune roi, en bonne et due forme, l’acte de sa nomination au cardinalat. Six jours après, le 27 septembre, la cour s’empressait de quitter Paris pour se rendre à Fontainebleau, sans que le coadjuteur, ébloui un instant par l’éclat de la pourpre, pût s’apercevoir alors que Mazarin, par cette habile manœuvre, restait désormais le maître du jeu. En effet, la majorité du roi proclamée, et ce prince et sa mère hors de Paris, il était évident que le parlement, ainsi que les frondeurs et leur chef, seraient dans peu de temps réduits à l’impuissance. C’est ce que Retz comprit, mais un peu trop tard, lorsqu’il n’y avait plus moyen de rétablir la partie. A plusieurs reprises, il déplore dans ses Mémoires cette faute capitale. Pour se justifier de la conduite ambiguë qu’il tint à partir de ce jour, il ne manque pas de nous dire que Mazarin et la reine avaient l’intention de le tromper dès le moment même où il reçut sa nomination au cardinalat.

« Vous ne serez pas surpris, nous dit-il, de ce qu’ils avaient dans l’âme, qui était une résolution bien formée de me jouer, de se servir de moi contre M. le prince, de me traverser sous main à Rome, de traîner la promotion et de trouver dans le chapitre des accidens de quoi la révoquer. » Les accusations portées par Retz contre Mazarin à cette date sont-elles fondées ou dénuées de vérité? Mazarin était-il de bonne foi et ne songeait-il pas à reprendre d’une main ce qu’il donnait de l’autre? Avait-il l’intention de se comporter plus loyalement à l’égard du coadjuteur qu’il ne l’avait fait à l’égard de l’abbé de La Rivière, l’ancien favori de Gaston d’Orléans, si cruellement joué par lui? C’est ce que nous apprendra la suite de ce récit.

A peine le coadjuteur eut-il entre les mains l’acte de sa nomination que, sans perdre de temps, et dans la crainte qu’elle ne fût brusquement révoquée, il fit partir pour Rome l’abbé Charrier, afin d’y hâter sa promotion par tous les moyens possibles. Cet abbé, qui, d’après une tradition que j’ai recueillie dans sa famille, avait reçu le surnom de Charrier le Diable, était de l’école des Ondedei et des abbés Fouquet, c’est-à-dire un homme sans le moindre scrupule, d’une dextérité et d’une audace surprenantes, passé maître en intrigues, un vrai disciple du coadjuteur, dont il était le bras droit et l’âme damnée. Retz avait dressé ses batteries avec une activité fiévreuse, il avait composé un chiffre des plus compliqués pour correspondre avec l’abbé et mis à sa disposition des sommes considérables pour faire le siège des cardinaux et des grandes dames romaines, qu’il supposait avoir de l’influence jusque dans le consistoire.


II.

Pour avoir la clé des événemens et des intrigues qui vont se dérouler sous les yeux du lecteur, il est indispensable de jeter un rapide coup d’œil sur l’état moral de la cour de Rome à cette époque, de faire connaître les principaux personnages avec lesquels le coadjuteur avait à traiter et quelles étaient leurs dispositions à son égard.

Depuis trois siècles, Rome était en proie à une profonde corruption qu’entretenait sans cesse le népotisme des papes. Sixte-Quint avait donné à un de ses petits-neveux 100,000 écus de bénéfices ecclésiastiques, représentant un million de livres de l’époque, qu’il faudrait multiplier aujourd’hui au moins par six ou par sept. Paul V combla les Borghèse; le cardinal de ce nom eut un revenu de 150,000 écus d’or; Marc-Antoine Borghèse reçut une principauté, et, sans compter de beaux palais à Rome, un million d’écus d’or comptant, c’est-à-dire 60 ou 70 millions de francs de nos jours, ce qui lui permit aisément d’acheter 80 terres dans la seule campagne de Rome. De telles prodigalités augmentent l’appétit des neveux des papes qui succèdent à Paul V. Leur cupidité n’a plus de bornes, et les populations sont foulées jusqu’aux dernières limites de la souffrance. Grégoire XV donne à son neveu le cardinal Ludovisio un revenu de 200,000 écus d’or de bénéfices. Les deux frères Barberini, sous leur oncle Urbain VIII, font en quelques années une moisson de 105 millions d’écus d’or (1 milliard 50 millions de livres de l’époque). Le pape eut des scrupules et nomma une commission pour savoir jusqu’à quel point il avait le droit d’enrichir sa famille aux dépens du trésor pontifical. La commission lui répondit qu’étant souverain, il pouvait disposer de ses revenus envers qui bon lui semblait et que ses sujets étaient taillables et corvéables à merci. Sous Innocent X, ce fut bien pis encore. « Les peuples, dit un contemporain, n’ayant plus ni deniers, ni linge, ni matelas, ni ustensiles de cuisine pour satisfaire aux exigences des commissaires, n’ont plus qu’une ressource pour payer les taxes, qui est de se vendre comme esclaves[4]. » A côté de cette extrême misère s’étale un luxe tel que l’antiquité et nos temps modernes ne peuvent en donner aucune idée. Londres et Paris n’offrent pas d’habitations privées qui puissent être comparées, même de loin, à ces palais et à ces villas splendides ornées d’œuvres d’art de tout genre, dont le népotisme des papes a peuplé la ville éternelle et ses environs.

Jean-Baptiste Pamfili, Innocent X, avait signalé les commencemens de son pontificat par des actes de justice et de vigueur qui donnaient lieu d’espérer qu’il voulait couper le mal à la racine. Les cardinaux François et Antoine Barberini, pendant le règne du pape Urbain VIII, leur oncle, avaient pillé et rançonné, en vrais proconsuls romains, l’état pontifical et amassé la fortune colossale dont nous venons de donner le chiffre. Innocent résolut de leur demander compte devant les tribunaux de leur administration financière et de faire rentrer dans le trésor public tant de richesses, qui en avaient été frauduleusement détournées. Ce fut en vain que, pour se soustraire aux poursuites, les deux Barberini se mirent sous la protection de la France et arborèrent ses armes à la porte de leurs palais. Innocent déclara hautement qu’il prêterait main-forte à la justice et qu’il ne renoncerait pas à ses droits, le connétable de Bourbon fût-il aux portes de Rome. Les deux frères prirent la fuite, après avoir mis en sûreté tout ce qu’ils possédaient en argenterie et en pierres précieuses. Aussitôt le pape fit séquestrer leurs palais et leurs villas, luoghi di monti, et ils se virent incessamment sous le coup d’une confiscation. Mais cette ferme conduite d’Innocent ne fut que de peu de durée.

Contarini, l’ambassadeur vénitien, le peint dès 1647 avec toute la liberté que se permettent les gens de sa nation, même à l’égard des papes. Il le montre comme un homme astucieux, indécis et, qui pis est, obstiné dans l’indécision, à moins qu’une violente crainte ne le pousse à agir; pusillanime lorsqu’il s’agit de prendre une mâle résolution; cherchant à se soustraire aux inquiétudes par des moyens honteux; parlant peu, écoutant beaucoup; redoutant les esprits supérieurs et gardant le silence pour ne pas se découvrir, caressant les princes tout en leur refusant des grâces, ingrat envers ses amis et n’osant offenser ses ennemis; rendant les négociations difficiles, moins à cause de sa brusquerie naturelle que de l’ambiguïté de ses réponses; renvoyant toutes les affaires importantes aux congrégations, et enfin n’ayant d’oreilles que pour la virile Olimpia, sa belle-sœur, femme de la plus haute capacité.

Au moment où nous sommes, c’est-à-dire à l’époque où le coadjuteur de Paris brigue le chapeau, le pape est un vieillard octogénaire, accablé d’infirmités, cloué au lit par la goutte les trois quarts de l’année. Autrefois actif, intelligent, prudent, énergique, maintenant la mémoire éteinte, l’esprit affaibli, il n’est plus que l’ombre de lui-même et se trouve à peu près hors d’état de surveiller les actes de son gouvernement. En tout et pour tout, il est dévoué à l’Espagne, à qui il doit son élection à la tiare, et en toute rencontre il se montre l’implacable ennemi de la France et de Mazarin, qui l’avaient formellement exclu lors des votes du conclave. Ce fut donc avec le plus vif empressement qu’il accueillit les premières ouvertures que lui fit le coadjuteur pour entrer dans le sacré-collège, car Innocent n’ignorait pas que, si Retz était revêtu de la pourpre, personne ne lutterait avec plus d’avantage que lui contre Mazarin. La nouvelle de la nomination du coadjuteur au cardinalat le transporta de joie, mais elle ne put le faire sortir de sa lenteur habituelle, et, comme il y avait à faire à la fois une promotion d’un assez grand nombre de sujets, le dénoûment traîna en longueur pendant plusieurs mois, au grand désespoir du coadjuteur.

Le second personnage sur l’influence duquel Retz comptait le plus, après le pape, c’était la signora Olimpia, qu’il est utile de faire connaître avec quelque détail pour l’intelligence d’une partie des intrigues du coadjuteur auprès de la cour de Rome.

Olimpia Maidalchini joignait au génie des affaires et à une connaissance approfondie des hommes une extrême ambition et une avidité sans égale. Elle avait apporté à la maison Pamfili une grande fortune, et, comme après la mort de son mari elle n’avait pas voulu se remarier. Innocent lui avait confié l’administration des biens du défunt. Elle y fit preuve d’une si grande habileté qu’il ne dédaigna pas de la consulter sur les affaires d’état les plus épineuses, et elle y montra si bien les qualités d’un esprit supérieur qu’il fit d’elle son conseiller le plus intime. Tout en gouvernant son beau-frère de la manière la plus absolue, Olimpia s’attacha avec la plus grande vigilance à déguiser son empire, mais elle ne réussit pas si bien que tout ne finît par transpirer au dehors. Le pontife étant constamment malade, la signora s’installa du matin au soir à son chevet, sous prétexte de lui prodiguer ses soins, et elle ne laissa rien arriver jusqu’à lui sans qu’elle en fût informée dans les plus menus détails. Aucune audience n’était accordée hors de sa présence; elle assistait même, cachée derrière un rideau, à toutes les entrevues des ministres étrangers avec le pape. Peu à peu son influence devint si considérable que les souverains lui envoyaient de riches présens pour obtenir sa faveur, que les ambassadeurs, à leur arrivée à Rome, ne manquaient pas de lui rendre visite, et que son portrait, comme celui d’une reine, figurait dans tous les palais des cardinaux[5].

S’il faut ajouter foi à quelques graves historiens qui, sur ce point, semblent d’accord avec les pamphlets de l’époque et les dialogues de Pasquin et de Marforio, la signora, qui avait été fort belle dans sa jeunesse, avait inspiré à Innocent, alors qu’il était simple cardinal, une passion aussi vive que durable. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il avait pour elle une affection profonde, d’une vivacité si étrange qu’elle lui attira plus d’une fois les représentations des jésuites et de l’empereur[6], et qu’elle servait incessamment de matière aux propos malins des habitans de Rome. Chansons, traits mordans, satires, pasquinades se croisaient du matin au soir et couraient de la boutique des marchands jusque dans les couvens et le consistoire. On affichait la nuit sur la façade des églises les inscriptions les plus risquées, les plus audacieuses, dans le goût de celle-ci : Olimpia primus, pontifex maximus. — Olimpia prima papessa. On frappait clandestinement une médaille satirique, représentant d’un côté dona Olimpia, la tiare en tête, les clés de saint Pierre à la main, de l’autre le pape, ayant les cheveux entrelacés et ajustés comme une femme, tenant d’une main une quenouille et de l’autre un fuseau. Ou bien encore le bruit courait dans Rome que l’on avait joué devant Cromwell une comédie intitulée : the Mariage of the Pope, dans laquelle figuraient en grands costumes Innocent et Olimpia, les deux principaux personnages, et qui se terminait par un ballet dansé par des moines et des nonnes. Cette comédie n’exista jamais, il est vrai, que dans l’imagination des Romains ; mais cette invention nous donne la mesure des excès de folle gaîté et de licence extrême auxquels se livrait alors leur malicieux génie. Ce qu’il y avait de plus grave, c’étaient les allusions qui pleuvaient sans cesse contre la signora Olimpia du haut des chaires protestantes, surtout à Genève. Un jour un prédicateur y prit pour texte de son prêche ces paroles de saint Paul à Thimothée : Mulieri docere non permitto, neque dominari in virum.

De son mari, Olimpia avait eu deux filles et un fils, don Camillo. L’une des filles fut mariée à un Ludovisi, l’autre à un Giustiniani, tous deux appartenant aux premières familles romaines. Quant à don Camillo, dona Olimpia, dans l’espoir de faire de lui un cardinal-neveu, le fît entrer avec dispense dans le sacré-collège, sans qu’il fût même sous-diacre. Mais don Camillo ne répondit nullement à cette ambitieuse espérance de sa mère. S’étant épris de la plus vive passion pour dona Olimpia Aldobrandini, veuve depuis peu, et si connue sous le nom de princesse de Rossano, il se dépouilla de la pourpre et l’épousa, malgré l’opposition de sa mère et du pape. C’est de cette princesse qu’il est plus d’une fois question dans les Mémoires du cardinal de Retz ; elle était quelque peu sa parente et lui fut d’un très grand secours, au moment de sa faveur, dans l’affaire du chapeau. La princesse était jeune, belle, riche de toute la fortune de Clément VIII et de la maison Aldobrandini; elle était généreuse, magnifique, pleine d’esprit et de grâce. C’était plus qu’il n’en fallait pour qu’elle portât ombrage à la signora Olimpia, et celle-ci, dans la crainte qu’elle ne prît plus d’empire qu’elle sur l’esprit du pape, l’avait fait autrefois exiler de Rome, ainsi que son propre fils don Camillo. Depuis lors Olimpia avait donné pleine carrière à son ambition et à son avidité. Elle avait établi une garde rigoureuse autour du pape, afin qu’il n’apprît rien que par son entremise de ce qui se passait au dehors et au dedans du palais. Pendant plusieurs années, elle avait balancé l’influence du cardinal Panzirolo, premier ministre d’Innocent, homme d’une haute capacité et d’une habileté rare, qui s’était poussé si avant dans la confiance du pontife, qu’il resta en pleine possession du pouvoir jusqu’à la fin de sa vie. Plus d’une fois Olimpia le força à plier, elle parvint même à se faire donner communication par lui de toutes les affaires de l’état, mais elle ne put jamais le déraciner malgré tous ses efforts et ses plus insidieuses manœuvres. Panzirolo eut même assez de crédit et de puissance, quelques mois avant sa mort, pour entraîner la disgrâce de la favorite.

Le récit de ces faits, ainsi que le lecteur pourra bientôt en juger, est intimement lié à l’affaire du chapeau de Retz, et en est pour ainsi dire la clé. « dona Olimpia, écrivait Contarini, l’ambassadeur vénitien, dans sa Relation de 1647, vend, taxe, loue, se fait faire des cadeaux pour tous les actes du gouvernement, pour les grâces, pour la justice. On la voit environnée d’une bande d’entremetteurs, d’écorcheurs. » — « Entre dona Olimpia et sa sainteté, il y eut toujours d’excellentes relations et une sympathie affectueuse, écrivait en 1651 un autre ambassadeur vénitien, Giustiniani. Panzirolo essaya de détacher sa sainteté de l’amour de cette femme. Il échoua, car, tant qu’Innocent vivra, il conservera ce vieil amour enraciné qui s’est emparé si puissamment de lui, con si benigni et affettuosi nodi fece già lunga presa su lui. La rapacité de cette femme, poursuit-il, est incroyable, et les actions qu’elle commet pour amasser de l’argent sont si indiscrètes, basses, odieuses et injustes, qu’il ne me paraît pas décent de les raconter ici. En un mot, dans la cour de Rome, on la considère comme une femme ignoble, de mœurs plébéiennes, infimi, et dégradées, tout adonnée à thésauriser, en mettant de côté toute pudeur, tout respect ; méchante en tout, vendant tout, jusqu’à l’autorité du pape, à qui veut l’acheter. L’avarice et la cupidité exceptées, dona Olimpia est capable de bien gouverner et de bon conseil. Jolie de sa personne, agréable dans la conversation et dans ses manières, indifférente à tous les princes, elle est pour celui qui donne le plus… » Tous les moyens les plus pervers que peut inventer le démon de l’avarice, elle sut les mettre en œuvre. Les épouvantables rapines des Barberini étaient dépassées. Ils avaient rançonné les populations en doublant ou en triplant à leur profit les produits du fisc ; ils avaient pillé et ravagé de fond en comble l’état de Castro, en pleine guerre, mais on ne pouvait leur reprocher aucune simonie ; ils n’avaient jamais trafiqué des bénéfices ecclésiastiques. Sous le règne de la toute-puissante Olimpia, de plus effroyables abus pénétrèrent non-seulement dans toutes les branches de l’administration, mais encore jusque dans la daterie. Jamais on ne vit dans Rome tant de malversations, de concussions, d’extorsions de tout genre, dont le produit était versé presque intégralement dans les coffres de la signora. Les charges de juges au criminel n’étaient données qu’à ses créatures. Au lieu d’appliquer aux coupables les peines ordonnées par la loi, ces juges les condamnaient à des compositions arbitraires dont Olimpia touchait la plus grande partie. Bientôt, jusque dans la daterie, tout dépendit de son bon plaisir, et nous avons sur ce point les témoignages les plus indiscutables : ceux, par exemple, de l’ambassadeur de France à Rome et du père Rapin, jésuite, dans ses Mémoires. Jusque-là c’était au cardinal dataire qu’avait appartenu le droit de conférer les charges vénales, moyennant certaines redevances que les titulaires devaient verser à la chambre apostolique. Sous le règne d’Olimpia, le cardinal Cecchini, homme d’une grande intégrité, mais de peu de lumières, fut pendant longtemps l’instrument aveugle et inconscient de cette femme éhontée. Évêchés, abbayes, canonicats, dignités, gouvernemens ecclésiastiques, tout passait par les mains de l’avide signora, tout dépendait de son crédit, et malheur à qui se présentait sans une bourse bien garnie de pistoles. Cette mère de l’église d’un nouveau genre avait établi un tarif des offrandes qui devaient lui être faites ; elles s’élevaient à peu près au tiers des revenus des bénéfices. Encore fallait-il que la somme lui fût payée d’avance. Cecchini, ayant enfin ouvert les yeux, se plaignit amèrement au pape de ces criminels abus, et le pape, encore plus aveugle que ne l’avait été jusque-là Cecchini, révoqua le dataire sur les instances de la signora.

Olimpia s’était entendue secrètement avec le sous-dataire Mascambruni, « robin fourbe et madré qui avait hérité de la bibliothèque, des cliens et du nom d’un avocat consistorial[7]. » Cet homme, d’une perversité profonde et d’une habileté inouïe, fabriqua pendant plusieurs années, avec un art diabolique et sans que l’œil le plus exercé pût découvrir la fraude, de fausses bulles qu’il vendait à beaux deniers comptans au bénéfice de la signora. Elle en retira des monceaux d’or. Ces criminelles malversations ne furent découvertes que peu de temps avant la promotion du cardinal de Retz. Le pape, atteint de goutte et d’hydropisie, condamné à garder presque constamment le lit, était d’ailleurs à peu près hors d’état d’entrer dans le détail des actes de son pontificat. Dès que ces affreux secrets lui furent révélés, malgré les plus fortes considérations de famille, il n’hésita pas à frapper l’instrument de tant de crimes. Le 22 janvier 1652, peu de jours avant la promotion des cardinaux, parmi lesquels devait figurer le coadjuteur de Paris, il fit arrêter le sous-dataire, qui, lui aussi, devait être nommé cardinal dans cette même promotion, et il le livra à une cour ecclésiastique qui le condamna à mort. Mascambruni eut la tête tranchée le 15 avril suivant, sans que la signora, qui avait tout intérêt à ce que tant de crimes fussent ensevelis avec lui, fît le moindre effort pour le sauver. Nombre d’officiers de la daterie, qui n’avaient été que les agens dociles de Mascambruni et qui n’avaient tiré aucun profit de ces simonies, furent condamnés à une prison perpétuelle, et on les laissa pourrir dans des in-pace pour que le secret fût bien gardé. Les détails circonstanciés de cette horrible affaire sont racontés longuement dans la correspondance du bailli de Valençay, alors ambassadeur de France à Rome, ainsi que dans celle d’un autre agent français nommé Gueffier, qui résidait à Rome depuis le commencement du siècle. C’est à ces deux sources que le père Rapin, jésuite, a puisé pour parler de cette affaire dans ses Mémoires. Le pape se contenta d’écarter pendant quelques mois de sa personne la signora Olimpia. Mais malgré sa disparition de la scène elle n’en jouissait pas moins d’une aussi grande influence que par le passé.

Il est permis d’en juger ainsi d’après l’anecdote suivante, racontée d’une manière si piquante par Jean Racine et qu’il tenait de la bouche même de Daniel Delfini, nonce en France. Et notez bien qu’il s’agit de la promotion d’un cardinal qui eut lieu précisément le même jour que celle de Retz. « Alexandre VIII, dit l’auteur d’Athalie, n’étant encore que monsignor Ottobon et ayant grande envie d’être cardinal[8] sans qu’il lui en coûtât rien, avait un jardin près duquel la dona Olimpia venait souvent. Il avait à la cour de cette dame un ami par le moyen duquel il obtint d’elle qu’elle viendrait un jour faire collation dans son jardin. Il l’attendit en effet avec une collation fort propre et un très beau buffet tout aux armes d’Olimpia. Elle s’aperçut bientôt de la chose et compta déjà que le buffet était à elle, car c’était la mode de lui envoyer des fleurs ou des fruits dans des bassins de vermeil doré, qui lui demeuraient aussi. Au sortir de chez Ottobon, l’ami commun dit à ce prélat qu’OIimpia était charmée et qu’elle avait bien compris le dessein galant d’Ottobon. Celui-ci mena son ami dans son cabinet et lui montra un très beau fil de perles[9], en disant : « Ceci ira encore avec la credenza, » c’est-à-dire avec le buffet. Quinze jours après, il y eut une promotion dans laquelle Ottobon fut nommé, et il renvoya le fil de perles chez l’orfèvre avec la vaisselle, d’où il fit ôter les armes d’Olimpia[10]. » Que dut-elle penser de ce joli tour à l’italienne, elle qui jusque-là avait tiré tant de scudi de la vente des chapeaux ?

On pense bien que le coadjuteur ne manqua pas de frapper à cette porte et qu’il était aussi bien renseigné que possible par le nonce en France sur les meilleurs moyens de gagner la faveur d’Olimpia. Il y avait longtemps d’ailleurs que la pourpre était exploitée comme une mine d’or. Urbain VIII, se trouvant dans une extrême pénurie d’argent et ne sachant comment continuer la guerre, imagina, pour s’en procurer, de nommer d’un seul coup cardinaux tous les clercs de sa chambre, à la condition qu’ils lui céderaient gratuitement leurs offices, et il vendit ces charges à d’autres prélats à beaux deniers comptans. La signora Olimpia n’eut garde de négliger une mine aussi riche, et l’on pourrait citer plusieurs chapeaux qui lui rapportèrent un peu plus que celui d’Ottoboni. Odescalchi, qui fut pape plus tard sous le nom d’Innocent XI, ne s’en tira pas si adroitement. D’après des relations non suspectes, il n’obtint son chapeau qu’en échange d’une armoire en argent ciselé dont la signora s’était follement éprise et qui lui coûta 8,000 écus d’or, c’est-à-dire 80,000 livres de l’époque. D’après une déclaration faite en plein parlement, le 22 septembre 1648, par le président de Novion, le chapeau du frère de Mazarin ne coûta pas moins de 12 millions à la France. Ce ne fut qu’à ce prix que le tout-puissant ministre put surmonter les répugnances d’Innocent, et l’on peut présumer, sans crainte de se tromper, que la signora Olimpia toucha une bonne partie de la somme.

Aussi peu scrupuleuse sur les moyens de s’enrichir qu’habile politique, la signora n’hésitait pas à sacrifier ses haines les plus vives à sa passion des richesses. A l’avènement d’Innocent X, elle avait contribué plus que personne à pousser les Barberini à deux doigts de leur ruine. Elle avait fait séquestrer leurs domaines, tandis qu’ils prenaient le chemin de l’exil. Au lieu de poursuivre leur procès et la confiscation de leurs biens, dont le produit eût été versé tout entier dans le trésor public, qu’imagina-t-elle? Elle trouva plus ingénieux de les faire entrer dans sa propre famille en faisant épouser par un neveu des Barberini la fille unique de son gendre, le prince Giustiniani. La principale condition du traité fut que tous les biens sous le séquestre seraient restitués aux cardinaux François et Antoine pour qu’ils pussent en jouir de leur vivant, mais qu’après leur mort ils serviraient de dot à la jeune princesse. Les deux frères ayant accepté cette proposition avec joie, Olimpia s’empara ainsi de leurs immenses trésors d’un seul coup de filet. Rentrés en grâce et même dans l’administration des finances, les deux Barberini s’attachèrent de leur mieux à réparer leurs pertes en exploitant de nouveau, de compte à demi avec la signora, la vigne du Seigneur.

Lorsque plus tard le vertueux Alexandre VII parvint au pontificat, d’innombrables plaintes arrivèrent jusqu’à lui. Transporté d’une sainte indignation, il ordonna sur-le-champ à ses ministres et à des inquisiteurs secrets de faire une vaste enquête sur les rapines de tout genre de la signora Olimpia. Chaque jour révélait de nouvelles abominations : le peuple criait vengeance. Dans le premier moment, le pape eut l’intention de faire enfermer la signora dans la forteresse d’Orvieto ; mais il se contenta de la reléguer à Viterbe, dans le patrimoine de saint Pierre. En vain la princesse de Rossano, le prince Pamfili et les Barberini intercédèrent pour elle; le pape leur refusa des audiences et ordonna que le procès fût entamé et les témoins entendus. On avait dressé un acte d’accusation formidable ; et un commissaire fut envoyé à Viterbe pour y interroger la signora sur tous les chefs et pour la sommer d’y répondre sous peine d’excommunication. Ces chefs roulaient sur les méfaits qu’elle avait commis dans la daterie, sur ses simonies, sur le trafic des bénéfices ecclésiastiques, sur les sommes qu’elle avait perçues par les impositions, tailles, gabelles, fermes, qui étaient remises en entier entre ses mains par les exacteurs, enfin sur les vols qu’elle avait commis jusque dans les églises et au Vatican en s’emparant des pierreries contenues dans leurs trésors. Le montant de toutes ces rapines était évalué à 2 millions 1/2 de ducats d’or, c’est-à-dire à 25 millions de livres de l’époque, qui, multipliés par 5, s’élèvent à 125 millions de francs de nos jours. Le procès suivait son cours lorsque la peste fondit tout à coup sur l’Italie et mit toutes les affaires en suspens. La signora Olimpia fut emportée par le fléau, abandonnée sans assistance à ses derniers momens par ses nombreux domestiques, qui s’étaient enfuis en emportant ses pierreries. Après sa mort, et lorsque la peste se fut retirée, au grand étonnement des Romains, il ne fut pas donné suite aux procédures. Alexandre VII comprit sans doute qu’il ne fallait pas aller plus avant de peur qu’il n’en rejaillît quelque chose sur la mémoire de son prédécesseur qu’à tout le moins on pouvait taxer de faiblesse à l’égard de dona Olimpia. Ainsi ces poursuites entamées avec tant d’éclat s’éteignirent sans bruit.

La signora laissait dans sa succession son beau palais de la place Navone, le plus magnifique de Rome avec le palais Borghèse. C’est celui qui porte aujourd’hui le nom de Doria-Pamfili et qui attire tous les voyageurs, autant par la magnificence de ses proportions et de son architecture que par sa riche galerie de tableaux. Parmi les œuvres des grands maîtres, on y remarque un admirable portrait d’Innocent X par Velasquez, véritable merveille de coloris. « Sur un fauteuil rouge, dit M. Taine, devant une tenture rouge, sous une calotte rouge, une figure rouge,... Velasquez a fait avec cela un tableau qu’on n’oublie pas. » Dans cette même galerie, on remarque deux portraits d’Olimpia, l’un de la jeunesse, l’autre de l’âge mûr; elle y porte le même costume, d’un aspect tout monastique, et un chapeau rond en feutre noir. Rien ne saurait rendre le regard profond et dominateur de ses grands yeux noirs qui respirent la force et l’audace et qui semblent n’avoir jamais exprimé les ivresses de l’amour. Sur le Janicule, dans cette délicieuse villa Pamfili, qu’elle a fait aussi construire, on trouve son buste en marbre à côté de celui d’Innocent X. « Quand on les compare, dit Ranke, quand on rapproche ces traits de la femme, qui expriment de la résolution et de l’esprit, de la figure douce et sans expression du pape, on voit qu’il était non-seulement possible, mais inévitable, qu’il fût dominé par elle. » Ce tableau de la cour romaine serait incomplet si l’on n’y ajoutait une esquisse des mœurs des cardinaux. Plusieurs appartiennent aux plus grandes familles de l’Italie, aux Médicis, aux d’Este, aux Sforza, aux Colonna, aux Trivulce, aux Orsini, aux Grimaldi, aux Savelli ; d’autres à des familles plébéiennes de la plus basse extraction et ceux-ci ne sont arrivés à la pourpre que par leur mérite ou leur industrie : tels sont les Spada, les Sacchetti, les Panzirolo, les Barberini, et tant d’autres. En vertu du principe d’égalité que l’église n’a cessé de faire prévaloir dans ses choix, le fils d’un portefaix, dès qu’il est parvenu au cardinalat, marche l’égal des plus grands princes du sacré-collège, et s’il est homme de tête, comme un Panzirolo, fils d’un simple tailleur, le pape en fait son premier ministre sans soulever un seul murmure autour de lui.

La plupart des cardinaux appartiennent soit à la faction d’Espagne, soit à celle de France, soit à celle de l’empereur, lors même qu’ils sont d’autre nation que celle dont ils défendent les intérêts. Ils louent leurs services comme de vrais condottieri, ils arborent au-dessus de la porte de leurs palais ou de leurs maisons les armes du souverain qu’ils représentent et touchent de lui une pension. Le plus souvent cette pension n’est pas payée ou l’est fort mal; alors, sans la moindre vergogne, le cardinal lésé passe au service d’une autre faction qui le paie, ou le paie mieux, et il vote dans le conclave pour le candidat contre lequel peut-être il a combattu la veille. Il est juste d’ajouter que nombre de cardinaux, les uns riches et nobles, d’autres pauvres et roturiers, gardent avec dignité une complète indépendance et se montrent inattaquables sous le rapport des mœurs et de l’intégrité. C’est un spectacle consolant de voir, au milieu de cette corruption profonde, des hommes tels que les Lanti, les Maculano, les Ludovisio, les Cibo, les Roma, les Caraffa, les Cherubini, les d’Este, les Montalto, les Macchiavelli, les Donghi, et tant d’autres encore, sous ce pontificat et les suivans, rappeler par leur piété, leur charité, leur vie exemplaire, les premiers âges du christianisme. Mais la plupart des cardinaux, issus de grandes familles, vivent comme des seigneurs du moyen âge, dans la dernière licence ; ils ont des palais somptueux, de riches galeries de tableaux, nombre de valets et de carrosses tout chamarrés d’or; ils passent joyeusement leur temps à la chasse, dans les festins, au jeu, à la comédie, dans les aventures galantes, ils se plongent dans toutes les délices que la Rome antique a léguées à la Rome moderne. L’un d’eux, le cardinal Maidalchini, enlève de force la fille d’un pâtissier d’une beauté extraordinaire et la séquestre dans sa villa. Un autre, le cardinal Antoine Barberini, entretient ostensiblement une fameuse courtisane, la Ceccha Buffona, et, comme elle a osé enfreindre les ordonnances en se promenant masquée au cours ainsi qu’une femme du monde, le cardinal Pallotta, gouverneur de Rome, qui n’entend pas raillerie, la fait fouetter par les carrefours malgré les vives réclamations d’Antoine. Tandis que le cardinal- archevêque de Lyon, Richelieu, quitte son siège pour embrasser l’ordre austère des chartreux, les Médicis, les Durazzo, les Hesse, les Vidman, et bien d’autres encore, mènent à Rome la vie licencieuse du coadjuteur de Paris.

Parmi les cardinaux, plus d’un a porté les armes au service soit du pape, soit de l’empereur; tels sont les Savelli, les Grimaldi, les Trivulce, les Mazarin, les Barberini. Ces derniers ont fait la guerre avec la férocité du moyen âge. Plus d’un membre du sacré-collège semble plutôt appartenir au XVe qu’au XVIIe siècle. Le cardinal Brancaccio, évêque de Capuccio, dans le royaume de Naples, ayant eu un différend avec un capitaine d’infanterie espagnole, fait expédier son homme d’un coup d’arquebuse. Tel autre fait mourir aux galères un de ses ennemis à coups de nerf de bœuf; il en est qui se contentent d’une simple bastonnade. Je vois dans quelques documens de l’époque que les galanteries de Mazarin, pendant qu’il était au service du pape, lui attirèrent plus d’un duel et qu’il reçut plus d’une estafilade. La relation ajoute qu’il était fort méchant joueur, ce qui confirme ce qu’a dit Retz sur ce chapitre. Enfin, dernier trait, vraiment caractéristique : parmi les cardinaux instruits, il en est qui cultivent en secret l’astrologie et qui ne sont pas plus croyans que le coadjuteur de Paris. Tel était le sacré-collège au moment où Retz se donnait tant de mal pour en faire partie


III.

Panzirolo, comme nous l’avons dit, était parvenu, quelques mois avant sa mort, à éloigner du palais la signora Olimpia. Pendant cette éclipse de faveur, plus apparente que réelle, la princesse de Rossano était rentrée en grâce auprès du pape, ainsi que son mari don Camillo. Bientôt elle s’insinua si avant dans le cœur d’Innocent par sa douceur naturelle, par ses prévenances, par son esprit et sa grâce séduisante, que le vieillard ne pouvait plus se passer de sa vue et que la signora Olimpia en conçut une terrible jalousie. La faveur naissante de la princesse de Rossano tombait juste au moment de la nomination du coadjuteur au cardinalat, et comme les Aldobrandini comptaient plusieurs alliances avec les Gondi de Florence, Retz n’eut pas de peine à se rendre favorable la belle princesse. Par malheur, il venait de perdre le cardinal Panzirolo, et cette perte était pour lui des plus sensibles, car Panzirolo, qui partageait pleinement la haine d’Innocent contre Mazarin, n’eût pas manqué, s’il eût vécu, de hâter de tous ses efforts la promotion d’un homme aussi capable que Retz de lutter contre le favori.

Panzirolo avait été remplacé, en qualité de secrétaire d’état, par monsignor Fabio Chigi, nonce à Cologne, qui plus tard fut pape sous le nom d’Alexandre VII, et qui en attendant devait être nommé cardinal dans la même promotion que le coadjuteur de Paris. Pour plusieurs motifs, Retz n’avait pas à se féliciter de ce choix, car monsignor Chigi n’aimait pas plus à recevoir des présens qu’à en donner, et il était aussi sévère sur les questions de doctrine que sur les questions d’argent; le gallicanisme et le jansénisme étaient ses bêtes noires. Ce fut lui qui, dans la première année de son pontificat, publia (16 octobre 1655) la bulle confirmant celle de son prédécesseur contre les cinq propositions contenues dans l’Augustinus. Il s’y élevait avec force contre ceux qui prétendaient que les cinq propositions ne sont pas dans Jansénius; il y soutenait qu’elles y sont en effet et qu’elles sont condamnées dans le sens de leur auteur. Ce fut lui enfin qui dressa le fameux formulaire contre les cinq propositions, avec ordre à tous les archevêques et évêques de France de le signer. Monsignor Chigi ne tarda pas à savoir que le coadjuteur était fort lié avec les jansénistes; il fut même sur le point d’ajouter foi à l’accusation, portée contre ce prélat par ses ennemis, qu’il appartenait à cette secte, et de traverser sa promotion. Enfin, à la différence de Panzirolo, Fabio Chigi à cette époque n’avait aucune haine contre Mazarin. Loin de là, lorsqu’il était nonce à Cologne, d’où il venait d’être rappelé, en politique adroit et prudent, il avait rendu visite à Brühl au cardinal fugitif, il lui avait ouvert sa bourse et l’avait promené publiquement dans son carrosse. A peine fut-il nommé secrétaire d’état, qu’il se montra aussitôt l’inflexible adversaire des abus pratiqués jusqu’à ce jour dans le gouvernement romain et qui n’avaient jamais été plus crians. Fort hostile à la signora Olimpia, il fit tous ses efforts pour l’empêcher de rentrer au palais. Il y réussit pendant quelque temps; mais lorsque la signora se fut imposée de nouveau à l’incurable faiblesse du pontife, Chigi ne consentit jamais à plier devant elle, et il refusa constamment d’entrer dans le cabinet du pape avant que la signora n’en fût sortie. Dans la crainte qu’une « seconde dictature de cette femme ne fût encore plus déshonorante pour Innocent, dit le jésuite Pallavicini, il eut la hardiesse de montrer au pape à quel point il lui semblait inconvenant et indécent que les femmes fréquentassent la maison du vicaire de Jésus-Christ[11]. » L’ambassadeur vénitien Quirino dit que Chigi possédait, entre autres qualités, « la vivacité de l’esprit, la soudaineté des ressources, la pénétration et la facilité dans les résolutions. » C’était un homme fort lettré, quelque peu poète et d’un esprit fécond en saillies.

Parfois il lui échappait des mots aussi fins qu’amers sur le compte de la signora. Aux fêtes de Noël de l’année où nous sommes il déclara « qu’il n’avait point d’or à lui donner, qu’il ne voulait pas lui offrir d’encens, que la myrrhe ne lui était point agréable, et qu’ainsi il ne lui restait aucune matière à lui présenter[12]. » Monsignor Chigi n’était donc pas fort abordable pour quiconque eût voulu le gagner par les moyens mis en œuvre à cette époque dans cette cour corrompue. Le coadjuteur en fut averti et donna le conseil à l’abbé Charrier de sonder prudemment le terrain avec les plus grandes précautions, avant de se hasarder à offrir des cadeaux à un tel personnage.

Retz fondait plus d’espoir sur un homme fort capable de le comprendre, d’entrer dans ses vues et de ne rien refuser. C’était monsignor Azzolini, secrétaire des brefs, esprit délié s’il en fut, l’un des hommes les plus habiles de la cour de Rome et qui fut sans contredit un des diplomates des plus remarquables de son temps. Il était de la même famille que Retz par son intelligence, son esprit, son instruction, sa grâce, son enjouement, son insinuation, comme aussi par la corruption de ses mœurs. Il jouit de son vivant d’une éclatante célébrité. Il n’était point encore cardinal, il ne le fut qu’en 1654. Favori de la reine Christine de Suède, il fut, comme on le sait, son légataire universel. Azzolini était un trop fin politique pour se brouiller avec la signora Olimpia; loin de là, il avait mis à son service toutes les ressources de son génie d’intrigue. Il fut même assez habile, non-seulement pour trouver grâce devant l’austérité de Chigi, mais pour s’insinuer très avant dans sa confiance. A la tête de l’escadron volant, il contribua plus que personne à son élection au pontificat. Le coadjuteur, qui connaissait à fond la cour romaine, ne négligea rien pour se rendre favorable Azzolini : il y réussit pleinement; deux hommes pareils ne pouvaient manquer de s’entendre. Retz n’a pas oublié dans ses Mémoires de rappeler les services que lui rendit l’habile secrétaire des brefs.

L’affaire de son chapeau devait être officiellement dirigée à Rome par l’ambassadeur de France, qui avait, comme nous l’avons dit, un intérêt tout personnel à le faire échouer. Henri d’Étampes, chevalier de Malte, grand-croix et bailli de son ordre, qui fut plus tard grand Prieur de France, avait été envoyé à Rome depuis 1652 pour y représenter le roi. D’un caractère bilieux, violent, sans ressort, sans la moindre souplesse, d’un esprit étroit, gallican fanatique, il n’avait absolument rien de ce qu’il fallait pour défendre utilement les intérêts de la France auprès d’une cour si hostile et si ombrageuse. Si Louis XIV eût ordonné au bailli de lever son gantelet sur Innocent X et de le conduire garrotté en France, le bailli aurait exécuté cet ordre aussi aveuglément que Guillaume de Nogaret, lorsque Philippe le Bel l’envoya en mission auprès de Boniface VIII. Toutes les fois que le bailli était admis à une audience du pape, il se laissait aller à des audaces et à des violences de langage qui nous paraîtraient incroyables, s’il n’avait pris soin de les révéler lui-même avec complaisance dans ses dépêches et même de s’en parer comme de trophées. Le pape, homme timide s’il en fut, était fort effrayé de ces scènes tragiques, et comme il était de son naturel très vindicatif, il n’accordait jamais la moindre grâce au bailli sans y être contraint par la dernière nécessité. Depuis longtemps l’ambassadeur poursuivait le rêve du chapeau, mais on pense bien qu’il lui eût été plus facile de soulever des montagnes que de décider le pape à le lui accorder.

En proie à cette ambition secrète, le bailli avait donc le plus grand intérêt à traverser la promotion du coadjuteur, et, comme la cour de France, peu de temps avant qu’elle eût lieu, lui avait donné sous le manteau des instructions dans ce sens, il ne cessa depuis ce moment de travailler sourdement à la retarder, sinon à la faire échouer. Bien que dépourvu de finesse, il ne l’était pas de dissimulation, et plus d’une fois il amusa l’abbé Charrier par un semblant de franchise que celui-ci trouvait d’autant plus naturel qu’il était toujours assaisonné de rudesse. Tous deux se jouaient réciproquement, mais ce fut l’abbé qui finit par avoir le dessus.

Tels étaient les principaux personnages avec lesquels l’abbé Charrier avait à négocier.

Le coadjuteur, dès que sa nomination fut signée, se hâta de faire jouer les secrets et puissans ressorts dont parle Bossuet. Hautes influences, argent, promesses, menaces déguisées, il mit tout en œuvre pour vaincre les lenteurs de la cour de Rome. Solidement appuyé par le grand-duc de Toscane, Ferdinand II de Médicis, qui avait pour premier ministre un Gondi, par le duc d’Orléans, lieutenant-général du royaume de France, et même par les Espagnols, qui, au dire du bailli de Valençay, dépensèrent jusqu’à 70,000 pistoles pour favoriser sa promotion, le coadjuteur s’était procuré de son côté des sommes considérables, en puisant dans la bourse de quelques-uns de ses amis intimes, tels que MM. Daurat, Le Fèvre de Caumartin et Pinon du Martrai. Guy Joly, l’auteur des Mémoires, qui était alors secrétaire du coadjuteur et qui, de sa main, traduisait en chiffres toutes les lettres de celui-ci à l’abbé Charrier, désigne expressément ces personnes comme lui ayant prêté en cette circonstance plus de 300,000 livres. Il faut donc tenir pour suspecte l’insinuation du père Rapin, lorsqu’il prétend dans ses Mémoires que ce fut Port-Royal qui avança ces importantes sommes au coadjuteur. Voici en quels termes s’exprime Guy Joly sur le chapitre des sommes qui furent expédiées par Retz : « Il n’eut pas besoin, dit-il, d’envoyer beaucoup d’argent à Rome, si ce n’est pour quelques voyages de l’abbé Charrier, qu’il avait envoyé pour solliciter le chapeau, et pour quelques présens de bijoux à la princesse de Rossano, qui avait épousé le neveu du pape Innocent X. » Notons en passant que ce que dit Guy Joly des sommes que le coadjuteur eut alors en main se trouve vérifié par la correspondance même de Retz avec Charrier, et que son récit contredit les Mémoires de Retz lorsque celui-ci soutient qu’il n’envoya pas d’argent à Rome pour acheter le chapeau.

Dès que Retz fut en possession de ces sommes considérables, il expédia sur-le-champ à l’abbé Charrier courriers sur courriers pour lui porter, en même temps que ses nouvelles instructions, de nombreuses lettres de change, avec ordre de semer l’or à pleines mains, mais sur bonnes promesses étayées des garanties les plus solides. Retz savait parfaitement à quoi s’en tenir sur la puissance de l’or dans la cour de Rome, mais il ne voulait le répandre qu’à bonnes enseignes[13]. En même temps, il expédiait à l’abbé quantité de bijoux, de montres, de bagues enrichies de pierres précieuses, de coffrets, de rubans, d’éventails, etc., le tout destiné à la princesse de Rossano, à la signora Olimpia et autres belles dames qu’il supposait, à tort ou à raison, toutes puissantes dans le consistoire. Dans son impatience fiévreuse, tournée en véritable frénésie, vivant sans cesse dans la crainte du retour de Mazarin et d’une révocation, il passait les nuits et les jours à combiner de nouvelles ruses et de nouvelles manœuvres pour abréger les délais et hâter sa promotion. À l’abri d’un chiffre fort compliqué, composé de quatre alphabets de signes différens, de nombres ayant un sens convenu et de caractères sans aucun sens, sorte de chevaux de frise destinés à arrêter la lecture des déchiffreurs, il découvrait à l’abbé, avec le dernier cynisme, ses plus secrètes pensées et se livrait à des libertés, à des licences de langage inouïes. Il débutait par l’argument irrésistible.

« On vous envoie par un courrier exprès, lui écrivait-il le 1er octobre, une lettre de change de 18,000 écus, et vous en aurez un de trois en trois jours, qui vous en portera d’autres, jusques à la somme de 80,000 écus et plus, s’il est besoin, ayant 150,000 écus à ma disposition[14], qu’il ne faut point à mon sens épargner, quand ce ne serait que pour gagner un moment. On a jugé à propos de faire tenir ces sommes par des courriers différens, et encore nous ne laissons pas d’être bien en peine par la difficulté que l’on a à trouver des personnes qui veuillent faire tenir des sommes un peu considérables, de sorte que, si vous pouviez trouver de l’argent à Rome et tirer gagne, on fera partir mercredi prochain un autre courrier avec pareille somme, et ainsi de jour en jour... On vous envoie aussi par ce courrier sept montres ; mandez s’il en faut davantage et d’autres galanteries, et renvoyez ce courrier en diligence afin que l’on puisse savoir des nouvelles plus promptement pour faciliter vos affaires... On ne vous fait pas de complimens, tenez-nous seulement avertis de tout par courrier exprès, et n’épargnez rien. Mandez aussi par ce courrier quels bijoux il faudra vous envoyer. On ne l’a pu savoir... »

Et le 5 octobre : « Je vous envoie par un courrier exprès une lettre de crédit pour 25,000 écus, en attendant le reste, que l’on enverra incessamment. Si vous n’en avez besoin, ne les recevez pas, parce que le marché est fait avec le banquier de nous rendre notre argent, ni avec fort peu de perte, au cas que l’on n’en ait pas affaire à Rome. La même chose se doit entendre pour la première lettre de change de 6,000 écus, que l’on vous a envoyée, et de toutes les autres à l’avenir. Surtout prenez garde de ne donner votre argent mal à propos, et que vous ne soyez assuré de ce que l’on vous promettra, y ayant eu plusieurs attrapes de cette sorte ; mais aussi n’épargnez rien pour faire réussir les affaires, et, quelque somme que l’on veuille, ne trouvez aucune difficulté à tout ce que l’on demandera de vous... On vous a déjà envoyé six montres; on vous enverra des rubans au premier jour... » — « L’on vous écrivit hier, 5 octobre, par un courrier extraordinaire, que l’on vous envoyait une lettre de crédit de 25,000 écus, quoique ladite lettre soit indéfinie et non limitée. C’est pourquoi, si vous en avez besoin, prenez, si vous pouvez, sur ladite lettre de crédit tout ce qui vous sera nécessaire et non pas seulement lesdits 25,000 écus. Par la lettre d’hier, l’on vous donnait un avis, que l’on réitère encore présentement, de ne (as donner votre argent, si vous n’êtes tout à fait assuré de l’exécution des choses qui vous seront promises, attendu les inconvéniens qui en sont arrivés plusieurs fois et à personnes de connaissances… » Et le 12 octobre : « On vous envoie par ce courrier extraordinaire une explication plus ample et plus particulière de la lettre de change qui vous a été envoyée, adressante au sieur Bouvier[15], parce que l’on a eu peur que, sur les sommes de ladite lettre de crédit, il ne vous donnât pas tout ce dont vous auriez besoin. On a jugé que cette sorte de lettre de crédit était plus sûre et plus commode que celle de lettre de change, y ayant ici peu de banquiers à qui on puisse confier de si grandes sommes. Si pourtant vous étiez d’un autre avis, on suivrait ponctuellement vos ordres quand vous l’aurez mandé. On vous envoie quantité de rubans pour la princesse de Rossano, suivant les avis de M. L’abbé Tinti (ministre du grand-duc de Toscane près la cour de France)… Nous avons ici 80,000 écus argent comptant, entre les mains, et assurés aussi d’encore autant[16]. C’est pourquoi ne vous laissez manquer de rien et tirez hardiment ici sur le correspondant dudit sieur Bouvier, ou autre, et l’on fera tout l’honneur à vos lettres. Je vous répète que, si vous jugez à propos que l’on vous fasse tenir l’argent par lettre de change, on hasardera tout pour le faire. Surtout n’épargnez rien pour faire réussir l’affaire, et en baillant, baillant, car vous connaissez les fourbes du pays… »

Nous glissons sur de nombreux détails relatifs à ces lettres de change, nous bornant à l’essentiel. Les cadeaux se multipliaient. Le 15 octobre, c’était un nouvel envoi de rubans pour la princesse de Rossano, par un courrier extraordinaire, et notez que ces courriers devaient coûter des sommes folles. Le plus piquant, c’est que le coadjuteur, afin que ses lettres ne fussent pas saisies par les partis des princes qui tenaient la campagne, les glissait dans les paquets du nonce, de concert avec lui.

Un jour, Retz, se trouvant en verve et en belle humeur, écrivait à l’abbé, dont les mœurs, paraît-il, étaient tout à fait semblables aux siennes : « Je vous envoie des gants d’Angleterre garnis et des étuis pour présenter à qui vous voudrez, même à quelques-unes de vos maîtresses…[17]. » Puis il ajoutait : « Quand les lettres de change que vous tirerez seraient de 50,000 écus, elles seront promptement et ponctuellement acquittées. C’est pourquoi n’épargnez rien, quand ce ne serait que pour avancer l’affaire d’un quart d’heure... Souvenez-vous aussi, je vous prie, de faire bien croire à Rome que l’argent qui est entre les mains de M. Géricot[18] n’est que pour les dépenses des courriers et pour la vôtre. Prenez aussi garde que les négociations que vous faites avec les banquiers de Rome soient si cachées que cela ne fasse pas paraître que vous avez tant d’argent à donner. Vous savez que cela aurait plusieurs conséquences. Si l’on tire quelque lettre de change fort considérable, tâchez d’en donner avis auparavant... » — «...J’ai eu avis par un de mes amis, disait-il à l’abbé Charrier, dans une lettre en date du 25 novembre, que M. Chigi[19] a témoigné quelque bonne volonté pour moi. Je lui écris une lettre de compliment à laquelle vous mettrez la suscription comme il vous plaira. Par ce même avis, on m’a témoigné qu’il ne s’éloignerait pas de quelque gratification pour me servir. Ouvrez les yeux là-dessus et fort délicatement, car c’est un homme fort estimé, et, par cette raison, ce que l’on me mande sur ce sujet m’a surpris. Vous aurez vu par La Violette (le courrier extraordinaire) ce que j’ai fait pour de l’argent; sur quoi, je ne puis m’empêcher de vous dire que vous ne soyez pas si fut qu’à l’ordinaire, et que, sans raillerie, vous me désobligeriez sensiblement si vous ne vous servez de ce qui est à moi comme du vôtre propre. » Comme on le voit, le coadjuteur frappait à toutes les portes, même à celles qui ne devaient jamais s’ouvrir pour lui. Monsignor Chigi fut insensible à toutes ses offres et se contenta d’une simple bague qu’il aurait eu d’ailleurs mauvaise grâce de refuser. Quant à la princesse de Rossano et à la signora Olimpia, elles furent, comme on le pense bien, de plus facile composition.

Retz, dans ses Mémoires, raconte ainsi les premières démarches de l’abbé Charrier à Rome : « Il trouva, dit-il, la face de cette cour tout à fait changée par la retraite plutôt que par la disgrâce de la signora Olimpia, belle-sœur du pape. Innocent s’était laissé toucher à des manières de réprimandes que l’empereur, à l’instigation des jésuites, lui avait fait faire par son nonce à Vienne. Il ne voyait plus la signora, et il soulageait le cruel ennui que l’on a toujours cru qu’il en avait par des conversations assez fréquentes avec Mme la princesse de Rossano, femme de son neveu, qui, quoique très spirituelle, n’approchait pas du génie de la signora, mais qui en récompense était beaucoup plus jeune et beaucoup plus belle. Elle s’acquit effectivement du pouvoir sur son esprit... Ma nomination tomba justement dans le temps où la faveur de Mme la princesse de Rossano était la plus forte, et il parut en cette occasion que la fortune voulût réparer la perte que j’avais faite en la personne de Panzirolo. C’est le seul endroit de ma vie où je l’ai trouvée favorable. Je vous ai dit les raisons pour lesquelles j’avais lieu de croire que Mme la princesse de Rossano me le pouvait être, et, sans comparaison, davantage que la signora Olimpia, qui ne faisait rien qu’à force d’argent, et vous croyez aisément qu’il n’eût pas été aisé de me résoudre à en donner pour un chapeau…» Rapprochez ce dernier passage des fragmens de lettres que nous venons de citer, et par là jugez à quel point Retz a voulu en imposer à ses lecteurs. « L’abbé Charrier, poursuit-il, trouva à Rome tout ce que j’y avais espéré de Mme de Rossano, et le premier avis qu’elle lui donna fut de se défier au dernier point de l’ambassadeur, qui joignait aux ordres secrets que la cour lui avait donnés contre moi la passion effrénée qu’il avait lui-même pour la pourpre. L’abbé Charrier profita très habilement de cet avis, car il joua toujours l’ambassadeur en lui témoignant une confiance abandonnée, et en lui faisant voir en même temps la promotion très éloignée. La haine que le pape avait conservée depuis longtemps pour la personne de M. le cardinal Mazarin contribua à ce jeu, et l’intérêt de monsignor Chigi, secrétaire d’état, qui a été depuis Alexandre VII, y concourut aussi avec beaucoup d’effet. Il était assuré du chapeau pour la première promotion, et il n’oublia rien de ce qui la pouvait avancer. Monsignor Azzolini, qui était secrétaire des brefs et qui avait été attaché à Panzirolo, avait hérité de son mépris pour le cardinal et de sa bonne volonté pour moi... »

L’affaire fut loin de se présenter d’une manière aussi simple que le prétend le cardinal de Retz dans ses Mémoires; elle ne fut pas enlevée aussi facilement qu’il veut bien nous l’assurer. De sérieux obstacles se dressèrent devant lui dont il ne dit mot, et il mit en œuvre pour les surmonter d’incroyables machinations dont il eût rougi de faire l’aveu et sur lesquelles il a jeté prudemment un voile épais. Sa correspondance nous permettra de soulever ce voile, de surprendre Retz sur le fait, ourdissant de sa main, sans le moindre scrupule, les manœuvres les plus coupables, les plus inouïes, avec un cynisme, une audace et une perversité dont on aurait peine à citer un autre exemple si ce n’est celui du cardinal Dubois.


R. CHANTELAUZE.

  1. Voyez la Revue du 15 juillet.
  2. C’est dans les archives de la famille même de l’abbé Charrier que nous avons découvert les originaux de cette correspondance chiffrée, qui est devenue notre propriété.
  3. Lettre de M. de Saint-Simon à M. de Chavigny, du 27 novembre 1649.
  4. Voyage en Italie, par M. Taine.
  5. Ranke, Histoire de la papauté au seizième et au dix-septième siècle.
  6. Vita di Alessandro VII, par le cardinal Sforza Pallavicino, qui avait été membre de la compagnie de Jésus. « Olimpia Maidalchici, dit-il, cognata favoritissima d’Innocenzo e per le cui maai in Roma passavano assaissime cose. »
  7. Relation de Contarini, 1647.
  8. Il fut élevé à la papauté le 16 octobre 1689.
  9. Un collier de perles enfilées.
  10. Œuvres complètes de Jean Racine, Fragmens et notes historiques, t. V, p. 168 et 169, édition Paul Mesnard, dans la Collection des grands écrivains de la France.
  11. Vita di Alessandro VII, da Pallavicini.
  12. Ibid.
  13. Il n’était pas sans connaître ce dicton, qui depuis longtemps circulait en Italie :

    Chi va a Roma e porta un buon borsotto
    Diventa abbate o vescovo di botto.

  14. 450,000 livres de l’époque, qu’il faudrait aujourd’hui multiplier par six ou sept.
  15. Expéditionnaire à la cour de Rome, agent secret du coadjuteur.
  16. En tout environ 3,600,000 francs de nos jours.
  17. Lettre du 7 novembre 1651.
  18. Un banquier de Lyon.
  19. Fabio Chigi, le nouveau ministre du pape.