Le Carillon du Collier/Carillon

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III

CARILLON


De ce courroux vulgaire, Aimés, qu’allez-vous dire ?
N’allez-vous pas enfin redresser vos orgueils ?
N’allez-vous pas trouver quelque voix pour maudire
Celle en qui vos beaux jours ont conquis tant de deuils ?

Vite ! N’est-il pas temps que vos sens se réveillent ?
N’avez-vous point assez de boue à vos blasons ?
Sortez de vos lourdeurs ! Les lâches seuls sommeillent
Quand le vice éhonté ferme les horizons. —

Mais un son clair bruit, l’air murmure, l’or tinte ;
Dans l’atmosphère émue on entend circuler,
En précurseurs d’orage, un soupir, une plainte…
Sirène, écoute bien ; le métal va parler.

Et la Sirène, pâle, au cœur sent l’épouvante.
Son talisman parti, partie est sa valeur.
Désarmée, elle attend, faible, à peine vivante…
Peut-être qu’elle est belle encore en sa pâleur ?…

Belle ou non, c’est tout un. Une parole vibre :
— « Sois maudite !… » Ce cri se répète deux fois.
« Tu m’avais fasciné ; ta fureur me fait libre… »
Et l’indignation tremble dans cette voix.


« Comme une blanche fleur fleurissait ma jeunesse.
Ma mère s’y mirait, m’inspirant sa vertu.
Qui fera maintenant qu’à ces jours je renaisse ?
Tu me les as flétris… Oh ! maudite sois-tu !… »

Dans l’air monte une plainte,
Âme du Médaillon.
Le métal tinte, tinte
Un triste carillon.

Et la sombre Hétaïre, entendant l’anathème,
Sent une plaque chaude à son cou s’imprimer…
Patience ! une voix va reprendre le thème :
— « Sois maudite, ô noir gouffre où je vins m’abîmer !

Féconde, autour de moi, ruisselait l’opulence ;
Je pouvais relever plus d’un front abattu…
Vains trésors ! Étouffant ma jeune vigilance,
Tu les as dévorés… Oh ! maudite sois-tu !… »


Dans l’air gronde une plainte,
Âme du Médaillon.
Le métal tinte, tinte
Un brutal carillon.

Au cou second soufflet ardent, seconde empreinte.
À ce rude contact la Sirène gémit.
Une troisième voix reprend l’âpre complainte :
— « Sois maudite, ô vampire où mon cœur s’endormit !

J’avais chez moi l’amour et les intimes joies,
Un soleil comme nul plus beau n’en avait eu…
Ivre, j’ai mis le pied dans tes fangeuses voies ;
Tu m’as pris mon bonheur… Oh ! maudite sois-tu !… »


Dans l’air pleure une plainte,
Âme du Médaillon.
Le métal tinte, tinte
Un navrant carillon.

Et l’atteinte brûlante au cou la frappe encore.
La Superbe, à ce choc, pousse un rugissement.
Qu’elle entende ! Un cri part, cri fébrile et sonore :
— « Sois maudite !… » répète un quatrième amant.

Aux plis de mon cerveau brillait l’intelligence ;
De rayons et d’espoirs j’avais le front vêtu…
Mais ton venin, vipère, en moi fit l’indigence ;
Tu séchas ma pensée… Oh ! maudite sois-tu !… »

Dans l’air crie une plainte,
Âme du Médaillon.
Le métal tinte, tinte
Un aigre carillon.

Et le cachet de feu de nouveau la flagelle.
Sa narine boit l’air comme fait un lion…
— « Sois maudite !… » Et son cœur, son cœur, qui brûle et gèle,
Défaille à ces clameurs de la rébellion.

Pur, noble et fier, jadis je portais haut la tête ;
Le cristal de mon nom scintillait. Combattu,
Je me cache, à présent ; je rampe en ma défaite…
Tu brisas mon honneur… Oh ! maudite sois-tu !… »

Dans l’air sonne une plainte,
Âme du Médaillon.
Le métal tinte, tinte
Un strident carillon.