Le Carillon du Collier/Apostrophe

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IV

APOSTROPHE


La Sirène, à ces mots, sous les affres tressaille ;
Cet anathème en chœur la foudroie… Elle a peur.
Mais voilà : des Aimés le groupe entier l’assaille…
Comme ils vont remuer la Belle en sa torpeur !

Un bruit de voix trahit le hourra qu’on médite,
Bruit confus, puis moins vague, et qui va grandissant :
— « Maudite ! » a clamé l’un ; tous reprennent : — « Maudite ! »
Et d’invisibles coups la frappent jusqu’au sang.

Le premier Médaillon quitte son angle sombre.
D’un bond rapide il saute au cou qui l’a souillé.
Le second suit ; un autre accroît vite le nombre ;…
Ils reconstruisent, là, le bijou dépouillé.

Prompts, acharnés, vengeurs, ils pleuvent avec rage.
De leurs disques cuisants ils pénètrent la peau :
— « Reçois, » rugissent-ils, « le prix de ton ouvrage !
À toi, qui fis de nous un ignoble drapeau !

À toi, l’auteur furtif de honteuses manœuvres !
À toi qui, nous dressant tes sourires menteurs,
De tes seins, de tes bras fis un nid de couleuvres
Où plongèrent, meurtris, tes sots adorateurs !


À toi qui, te hissant sur tes ignominies,
Comme un phare du mal brillas pour éblouir !
À toi, qui nous creusas des tombes infinies
Quand tu nous appelais pour aimer et jouir !!… »

Et, de leurs débris tors improvisant des serres,
Ils saisissent la gorge et l’étreignent, pressants
Comme des victimes qu’obsèdent leurs misères ;
Ils donnent à leurs chocs d’indicibles accents.

Dans le col on dirait qu’ils enfoncent la lame,
Tant chacun trouve là l’intense volupté :
— « Enfin, nous te tenons ! Ah ! maudite ! rends l’âme !
Meurs ! » lui hurlent-ils ; « meurs ! tu l’as bien mérité !…

Meurs, ô toi qui détruis la jeunesse fleurie !
Meurs, toi qui fais sombrer le calme et le bonheur !!
Meurs, ô goule par qui la pensée est tarie !!!
Meurs, ô toi dont l’haleine empoisonne l’honneur !!!!

Les tiennes, il est temps que l’on frappe sur elles,
Ces folles de leur corps, infernales beautés
Qui s’abattent sur nous, comme les sauterelles
S’abattent sur les champs jusqu’au sol dévastés.

Oui, vous toutes, il faut que vous ayez justice :
Meurent-elles ! Et toi, turpide, meurs aussi !
Que jusqu’à votre nom, monstres, s’anéantisse !
Puissiez-vous ne laisser que poudre et cendre ici !…

Puisses-tu, mercenaire amoureuse, cœur traître,
Comme une tache part d’un vêtement frotté,
Puisses-tu de ce monde à tel point disparaître
Que l’on ne sache plus si tu l’as habité !!… »